CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Une des spécificités et un des premiers moteurs de l’interdisciplinarité au Brésil se situent au niveau du système d’évaluation des programmes de post-graduation, qui inclut un traitement spécifique pour les formations interdisciplinaires. Il a un effet d’entraînement sur les politiques des autres acteurs (universités et agences de financement), qui peuvent par ailleurs développer leurs propres politiques et mécanismes. L’évaluation d’un programme de post-graduation est un élément fondamental de l’évaluation de la recherche au Brésil ; c’est ainsi un des critères importants pris en compte dans la sélection de projets de recherche ou de bourses auxquels candidatent des chercheurs ou des étudiants (liés à un programme de post-graduation).

2La Coordination pour le perfectionnement du personnel de l’enseignement supérieur (Capes) organise un système d’évaluation des programmes de post-graduation depuis 1976. En complément d’une taxonomie disciplinaire assez classique, elle inclut une catégorie multidisciplinaire comprenant :

  • enseignement des sciences et mathématiques ;
  • matériaux ;
  • biotechnologie ;
  • une catégorie interdisciplinaire, comprenant :
    • sciences environnementales et agraires ;
    • sciences sociales et humaines ;
    • ingénierie/technologie/gestion ;
    • sciences de la santé et biologiques.

3La Capes distingue comme suit multidisciplinarité et interdisciplinarité :

  • la multidisciplinarité représente une avancée dans le traitement d’un problème de recherche complexe, du fait qu’elle présuppose son traitement selon diverses perspectives théorico-méthodologiques. Le terme « multidisciplinaire » signifie une étude qui agrège différentes aires de la connaissance sur un ou plusieurs thèmes, chaque aire préservant sa méthodologie et son indépendance ;
  • l’interdisciplinarité présuppose une forme de production de connaissance, car elle implique échanges théoriques et méthodologiques, génération de nouveaux concepts et méthodologies, et degrés croissants d’intersubjectivité, en visant à atteindre la nature multiple de phénomènes de complexité majeure. Le terme « interdisciplinaire » signifie la convergence d’au moins deux aires de la connaissance n’appartenant pas à une même classe, qui contribue à une avancée des frontières de la science et de la technologie, transfère des méthodes d’une aire vers une autre en créant de nouvelles connaissances et disciplines, fait surgir un nouveau profil professionnel distinct, et avec une formation de base solide et intégrative. D’un programme interdisciplinaire sont attendues une génération de connaissances et une qualité de ressources humaines formées, qui seront plus grandes que la somme des contributions individuelles des parties engagées.

4Sur les 2 718 programmes de post-graduation existant actuellement, 192 sont interdisciplinaires (7 %) et 283 sont multidisciplinaires (10 %). Le résultat des soumissions de programmes en 2011 montre une tendance intéressante : sur les 19 nouveaux programmes acceptés, 8 sont multidisciplinaires (42 %) – dont 4 interdisciplinaires (21 %).

5L’organisation de ce système d’évaluation repose sur des coordinateurs pour les différents domaines disciplinaires (actuellement 48). Depuis 2000, il existe une coordination spécifique pour l’évaluation des programmes interdisciplinaires. La Capes abrite de plus des réunions nationales des coordinateurs de programmes de post-graduation interdisciplinaires (appelées ReCoPi), avec quatre éditions depuis 2000. Arlindo Philippi Jr., précédent coordinateur, juge qu’en dix ans la qualité des programmes interdisciplinaires a progressé et le nombre de cours avec une bonne ou très bonne évaluation croît systématiquement. Il considère que la communauté scientifique a cherché elle-même à interagir avec d’autres secteurs de la connaissance et, à partir de là, les vice-présidences Recherche et Post-graduation des universités ont encouragé les propositions de programmes interdisciplinaires et apporté leur soutien. De plus, l’expansion du système universitaire s’adapte aux secteurs stratégiques pour le développement du pays, tels que les sciences de la mer ou la biotechnologie et les matériaux, qui sont de manière inhérente interdisciplinaires.

6L’initiative pilote de la Capes a un effet moteur sur l’ensemble du système brésilien de recherche. Le programme de Noyaux d’aide à la recherche, lancé et financé (environ 25 millions d’euros) en 2011 par la vice-présidence Recherche de l’université de São Paulo, représente une stratégie volontariste pour réorganiser la façon de faire de la recherche (« en ne respectant pas nécessairement les limites des départements et des groupes de recherche »), les 43 projets de recherche sélectionnés possédant tous comme caractéristique principale l’interdisciplinarité. Le précédent président du Conseil national de développement scientifique et technologique (CNPq), la principale agence de financement de la recherche, avait pour sa part déclaré : « Comment traiter l’interdisciplinarité dans le contexte du CNPq est une question centrale pour l’avenir du CNPq et elle est intimement liée à la question de l’évaluation. Il est enthousiasmant de pouvoir compter sur une expérience déjà testée par la Capes depuis déjà dix ans et conduite par des personnes extrêmement créatives et de compétence reconnue. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue ni de recommencer de zéro. Mais nous devons chercher des manières d’incorporer cet ordre du jour à la science, technologie et innovation nationales. »

7Enfin, un autre invité à la réunion ReCoPI de 2010, Claude Raynaut, a déclaré que l’expérience de la Capes au Brésil pourrait être un modèle pour la France. Selon lui, la France a une expérience d’interdisciplinarité qui a commencé dans les années 1970, mais via des programmes de recherches interdisciplinaires pour des chercheurs et des enseignants déjà confirmés. Toujours selon lui, dans la majorité des cas, les résultats n’auraient pas atteint les espoirs affichés pendant la constitution de ces équipes. Il pense que la France n’a pas le même niveau d’expérience que le Brésil, le nombre de programmes de doctorat interdisciplinaires en France pouvant être compté sur les doigts d’une seule main, alors qu’il est beaucoup plus grand (192, voir ci-dessus) au Brésil.

Jean-Pierre Briot
Jean-Pierre Briot est directeur de recherche au CNRS, actuellement directeur du bureau du CNRS au Brésil, qu’il a créé en 2010. Il est membre du laboratoire d’informatique de Paris 6, UMR UPMC-CNRS à Paris et professeur invité permanent à l’université PUC-Rio au Brésil. Il a soutenu son doctorat en 1984 et son HdR en 1989, en informatique à l’UPMC. Ses activités incluent des projets interdisciplinaires (informatique musicale, gestion de l’environnement).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 06/03/2014
https://doi.org/10.4267/2042/51901
Pour citer cet article
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