1Dans un monde perçu comme vaste et chaotique, où la connaissance constitue la voie de la survie et de l’évolution, l’humain a besoin de comprendre ce qui l’entoure et d’y mettre à l’œuvre des mécanismes d’ordonnancement pour que le désordre des choses lui devienne plus accessible. Une fois le sens d’un savoir (théorique ou pratique) perçu par un acte cognitif, il est nécessaire de classer ce savoir, afin de faciliter son repérage ultérieur – c’est l’expression de la forte empreinte de l’inspiration positiviste à l’œuvre dans les sciences de l’information : la foi en la capacité des systèmes de classification complexes d’organiser et de décrire toute la connaissance créée par l’humanité au fil du temps. Cette posture épistémologique positiviste, où tout semble être question d’ordre, d’accès et de transfert d’information/de document en tant qu’objet manipulable par voie mécanique (Shannon, 1948), est appliquée à la catégorisation et à la classification bibliographique ou documentaire (Hjørland, 2005), dont la mission consiste en la représentation synthétique du sujet d’un document, ainsi que le regroupement des ouvrages en fonction du contenu, et ceci « en vue de faciliter la recherche des informations » (Maniez, 1987). Ainsi, les langages catégoriels ou classificatoires utilisés dans les opérations de traitement documentaire (Hudon et al., 2009) permettent-ils, grâce à leur démarche descriptive hiérarchique du général au particulier, de construire des ensembles flexibles mais cohérents de tous les savoirs ayant été explicités et consignés sur un support quelconque.
2Cependant, par la prise en compte des facteurs socioculturels et surtout communicationnels, la posture constructiviste dépasse la limitation cartésienne caractéristique des systèmes techno-mécanicistes, et élargit la capacité descriptive des approches classificatoires en sciences de l’information en reconnaissant le rôle de la communication en tant que véritable liant immatériel de l’existence humaine – ce qui constitue la marque particulière des sciences de l’information et de la communication (SIC) (Wolton, 2004 ; Fondin, 2006), qualifiées de meta-science (Doucette, 2011) et de « nouvelle métaphysique dans son sens le plus large », (« in the widest sense of the word ») (Floridi et al., 2008 ; Floridi, 2010). Le regard systémique, quant à lui, permet la mise en relation dialogique des SIC avec d’autres champs disciplinaires dont elles étaient traditionnellement séparées, telles les sciences du management, entre autres, qui manifestent depuis quelque temps un intérêt très marqué pour le rôle joué par l’information et la connaissance dans la performance organisationnelle, plus particulièrement sous la forme des stratégies d’information.
3Vivantes, souvent informelles, fluides et innombrables, les stratégies d’information, ces « ensembles d’actions coordonnées, d’opérations habiles, de man œuvres en vue d’atteindre un but précis […] ensembles de conduites en fonction d’un résultat » (selon la définition du CNRTL) basés sur l’information et la communication, pourraient s’avérer difficiles à catégoriser étant donné leur variabilité contextuelle et leur immatérialité : si « à chaque lecteur sa lecture », alors l’on peut attribuer à chaque informacteur sa stratégie d’information et de communication, surtout dans le nouvel environnement informationnel physico-virtuel (Michel, 1990 ; Mallowan, 2012). Ce sont les principes de la posture transdisciplinaire qui peuvent soutenir un tel exercice, car la transdisciplinarité – plus à même de refléter la richesse et les possibles sans fin de l’existence et de la connaissance (Freitas, Morin et Nicolescu, 1994) – facilite la sortie de l’impasse du « solutionnisme technologique » (Morozov, 2013). Si l’on accepte que la réalité est toujours plus diverse, plus complexe et plus vaste que les classifications et les catégories déjà établies, et qu’elle revêt de facto une infinité de facettes, alors cette prémisse peut ouvrir la perspective d’une approche plus apte à rendre justice au nouveau, au différent, à ce qui est inattendu et original quant aux manières de faire avec l’information et la communication pour l’atteinte d’un but. Là où les systèmes de classification consacrés traitent chaque sujet selon un principe hiérarchique préétabli, l’approche transdisciplinaire nous fait réaliser l’incroyable foisonnement des myriades de combinaisons d’actes, de méthodes, de pratiques et de normes qui se font et se défont sans arrêt, à la recherche d’un résultat, partout sur la planète, dans le feu de l’action ouvert aux quatre vents, et non pas dans le monde rigoureux des langages contrôlés. L’adhésion aux principes de la transdisciplinarité – de la complexité (pour la découverte de nouveaux faits et dynamiques en interaction), de l’existence de plusieurs niveaux de réalité (pour la sortie du carcan d’une seule et unique réalité qui se révèle en fait démultipliée à l’infini), et de la logique du tiers inclus (pour le dépassement de la logique binaire limitative) – ouvre des perspectives permettant d’identifier, de classer et de décrire des objets/actions info-communicationnels ineffables mais tout aussi réels. Ultimement, ceci permettrait de franchir les barrières conceptuelles en cours entre les catégories que nous proposons ci-dessous et, d’autre part, d’amplifier la compréhension actuelle de la foultitude d’actes résultant de la rencontre infiniment créative entre information et communication dans le jeu socio-économico-politico-culturel mouvant, pour arriver à décrire des manières de faire, des conduites à caractère info-communicationnel et qui rendent l’existence humaine possible.
4Poussés par la même soif de connaissance et de compréhension du monde, motivés par un intérêt pragmatique d’atteinte d’un résultat à notre quête et encore abreuvés à la source de la pensée cartésienne, les considérations précédentes ne nous empêchent pas d’essayer une tentative d’exploration et de catégorisation des objets de recherche proposés – les stratégies d’information et de communication, selon des critères opératoires tels que la finalité (l’objectif) ou bien le milieu et qui nous permettront de procéder à une première opération de classification, large certes, mais apte à rendre compte des liens existants entre des champs d’étude et de recherche apparemment isolés les uns des autres. D’autres critères pourraient être envisagés et appliqués, dont par exemple celui du concept central, de la méthode, de la forme, du type de formation ou de la technologie, etc.
5Nous proposons donc ici, dans la grande famille des stratégies d’information, l’inclusion de la littératie de l’information, à l’œuvre principalement dans les processus éducationnels (Thomas et al., 2007 ; Liquète, 2012), de la culture de l’information, à visée humaniste (Horton, 2008 ; Webber, 2010) ainsi que de l’intelligence de l’information, nécessaire à la prise de décision organisationnelle (Bruté de Rémur, 2008 ; Mallowan, 2012). Ces catégories, circonscrites selon le double critère de la finalité – l’objectif visé par les stratégies en question – et du milieu où elles sont exercées ou mises à contribution, feraient partie, à leur tour, de la transculture de l’information, « métaconcept » (Mallowan, 2012) reflétant la vision transdisciplinaire grâce à laquelle l’on édifie de nouveaux savoirs, « entre, à travers et au-delà de toute discipline » (Freitas, Morin et Nicolescu, 1994). De plus, comme les logiques œuvrant dans ces catégories mettent en lumière leur forte similarité, l’édification du dialogue entre les membres de cette famille – les « deux tribus : les gens de l’info-doc et ceux de l’info-business » – devient possible, vu qu’ils doivent « penser les problèmes de l’autre » afin d’étudier et de solutionner des problèmes similaires (Baltz, 1998).
6Si la littératie de l’information, d’inspiration bibliothéconomique et documentaire, vise la formation à l’information en milieu scolaire en vue d’aider les élèves à mieux réussir leurs apprentissages, la culture de l’information, quant à elle, est appelée à soutenir les individus dans la résolution de problèmes de la vie quotidienne en vue de leur épanouissement personnel. L’intelligence de l’information remplit une fonction d’aide à la décision en milieu organisationnel, où l’information est devenue une ressource critique pour l’atteinte des objectifs fixés. L’analyse critériée de ces catégories de stratégies d’information permettrait de spécifier des sous-catégories aptes à enrichir notre connaissance des approches adoptées par les différents milieux dans le contexte informationnel en mutation.
7Entamer cet exercice revient à accepter d’étudier et d’essayer de comprendre de quelle manière il est possible d’aider l’humain à se former, à résoudre des problèmes de la vie quotidienne et à s’épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle grâce à l’accès et à l’utilisation réfléchie de l’information et de la communication – nous dirons aussi grâce à des stratégies d’information efficaces et efficientes –, et conséquemment, à contribuer à soutenir les organisations, les communautés et les économies dans leurs efforts pour maîtriser leur environnement et réduire l’incertitude.