1Dès le plus jeune âge, l’élève est sensibilisé à des outils de classification documentaire, qui l’accompagneront tout au long de son cursus scolaire et universitaire. Cette appropriation des outils de classification constitue un double enjeu : d’une part, elle s’inscrit dans un processus de formation de l’individu à des modes de classement, et donc de stratégies intellectuelles, d’autre part, cette appropriation des outils de classification constitue un facteur de socialisation pour l’individu. En effet, les représentations véhiculées lors des formations quant à ces outils de classification sont autant de prédispositions sociales et de leviers pour « agir dans le monde » (Jodelet, 2003). Les outils classificatoires nous semblent pouvoir être désignés comme des « êtres culturels » dans la mesure où il s’agit bien d’idées et d’objets qui sont produits et pérennisés par l’homme et qui, à travers « les carrefours de la vie sociale », se chargent de valeur, donc de « trivialité » (Jeanneret, 2008). La trivialité repose sur le fait de pouvoir lier les logiques sociales avec la transmission et l’appropriation d’objets de savoirs eux-mêmes porteurs de symboliques culturelles.
2C’est pourquoi nous proposons d’analyser le positionnement des professionnels par rapport à ces outils de classification, et de cerner les enjeux de la prise en charge de ces outils classificatoires lors de formations, notamment dans la perspective de la « trivialité ». Il s’agit d’examiner ce que sont les outils classificatoires sur un plan épistémique et symbolique, ce qu’ils font aux individus, ce qu’ils deviennent lorsqu’ils sont enseignés et qu’ils circulent dans des lieux de savoirs et entre les individus.
3Nous nous appuyons sur un corpus constitué d’articles (1996-2012) issus de deux revues professionnelles représentatives des mondes de la documentation scolaire et de la bibliothéconomie : Inter CDI (ICDI, revue des professeurs documentalistes de l’enseignement secondaire) et le Bulletin des bibliothèques de France (BBF, revue destinée aux professionnels des bibliothèques, tous statuts confondus). À travers ces revues, nous avons cherché à analyser comment les professionnels se représentaient les outils classificatoires, et éventuellement pensaient les activités de formation et/ou médiation à mettre en place pour permettre l’appropriation de ces outils par leurs publics. En tout, nous avons traité 49 articles – 26 publiés dans la revue Inter CDI et 23 appartenant au BBF.
4Nous émettons l’hypothèse suivante : les professionnels de l’information, que ce soit les professeurs documentalistes ou les bibliothécaires, sont convaincus du rôle fondamental que l’outil classificatoire joue pour permettre l’accès à l’information, voire au savoir. Dès lors, l’entrée réflexive consistant à questionner l’outil laisse davantage place à la nécessité de convaincre l’usager/l’apprenant de l’indispensable appropriation de cet outil, établi comme cadre de référence incontestable, renforçant par conséquent l’esprit classificatoire des individus [1].
Des « êtres culturels » aux confins des logiques sociales et institutionnelles
Inscrire les modes d’accès aux savoirs dans l’évolution sociale
5Définir les outils classificatoires est certainement une gageure ; toutefois, nous considérons qu’ils sont nécessaires à la compréhension et à l’appréhension des savoirs scolaires, universitaires et culturels, en fonction du niveau d’enseignement et suivant l’âge des individus. Dans les bibliothèques et les centres de documentation et d’information de l’enseignement secondaire, de nombreux outils classificatoires comme les dictionnaires [2], les encyclopédies, la classification décimale de Dewey, etc. sont des outils classificatoires ou pour reprendre le terme de Hudon et Mustafa el Hadi (2010), des « structures classificatoires » ou « schémas de classifications documentaires ». Joëlle Le Marec (2006) qualifie quant à elle la classification d’« ordre des savoirs », précisant qu’elle constitue « tout à la fois le dispositif d’accès aux productions du savoir, le mode d’emploi de ce dispositif, et l’exposition d’un savoir sur le système des savoirs et sa dimension potentiellement universelle ».
6Dans Inter CDI, grande est la place accordée par les professeurs documentalistes aux outils de classification traditionnels, tels que le dictionnaire et l’encyclopédie, auxquels sont consacrés de nombreux articles, et la classification décimale. Certes, depuis 2008, il y a moins d’articles dans la revue professionnelle sur le sujet. Cela ne veut pas dire que les professeurs documentalistes ne forment plus aux outils classificatoires traditionnels ; d’ailleurs, nos investigations de terrain personnelles en témoignent nettement (Cordier, 2011). Ce moindre traitement dans la revue professionnelle reflète davantage une évolution des préoccupations pédagogiques des professionnels, qui se sont déplacées de la réflexion sur la transmission des modèles culturels établis à la prise en charge des nouveaux outils d’information et de communication [3].
Affilier l’usager-apprenant au monde documentaire
7De manière générale, l’individu semble devoir s’approprier, quel que soit le dispositif de formation envisagé, l’espace documentaire, un objectif dont l’enjeu semble être l’affiliation à une forme d’« esprit documentaire », d’affiliation à des savoirs de référence en documentation (classements, classifications, normes, etc.). Dans cette perspective, il s’agit pour l’individu de « faire corps, faire lieux » (Jacob, 2007), car les modes d’agencement des espaces documentaires répondent à une rationalité technique et à une tradition culturelle. Dès lors, la fréquentation de l’espace documentaire est encouragée par les professionnels, et l’enseignement des outils classificatoires semble un moyen de faciliter l’accès au lieu épistémique. Nombreuses sont les expériences pédagogiques confrontant les élèves de CM2 aux plans de classement en vigueur dans leur futur CDI de collège pour permettre une appropriation de ce dernier. Les formations à la méthodologie documentaire en bibliothèque universitaire pour les étudiants de première année démontrent également l’engouement des professionnels de l’information pour faire connaître les modes de fonctionnement des lieux de savoirs.
8Cette affiliation toutefois n’apparaît pas chez les bibliothécaires à l’université aussi fortement revendiquée pour les usagers que chez les professeurs documentalistes, parce que les étudiants ont déjà une expérience des outils classificatoires. En revanche, les professeurs documentalistes pointent systématiquement le manque de connaissances des élèves en matière d’outils classificatoires, parfois en des termes extrêmement durs : l’« inculture documentaire » des élèves est ainsi pointée du doigt (ICDI, n° 178), un professeur-documentaliste évoque « la paresse naturelle » des élèves face aux usuels (ICDI, n° 195). L’existence d’un « fossé culturel entre cette génération et la nôtre » est même décelée, en raison du manque de connaissance des outils documentaires que sont les dictionnaires, dictionnaires encyclopédiques, encyclopédies, de la part des lycéens (ICDI, n° 153). Dès lors, il leur paraît d’une « impérieuse nécessité » (ICDI, n° 153b) d’affilier ces élèves au monde des outils classificatoires, soulignant que ces derniers permettent aux individus d’intégrer « tout le réseau culturel qui permet d’entrer dans [la] compréhension [du monde] » (ICDI, n° 153c).
Enjeux sociaux et professionnels des outils classificatoires
Vertus (et limites) des outils classificatoires comme objets d’enseignement-apprentissage
9Les professeurs documentalistes érigent véritablement les outils classificatoires en outils de référence pour tout un chacun. Les discours laudatifs sont de mise, et les champs lexicaux de la louange ne manquent pas : « plaisir d’une recherche étymologique », « ressources inépuisables », « mine d’informations », etc. Il s’agit de convaincre littéralement les élèves de l’intérêt de ces outils classificatoires, et de leurs vertus. Ainsi, à travers une séquence intitulée « Les usuels en valent la peine », une enseignante annonce la « mise en chantier d’une démarche promotionnelle relative à l’usage des dictionnaires et des encyclopédies » (ICDI, n° 153a). L’affect des professionnels de l’enseignement info-documentaire est donc fortement engagé lorsqu’ils évoquent les outils de classification comme objets d’enseignement-apprentissage. À tel point qu’une professeure documentaliste confie : « J’ai souffert de voir [les élèves] incapables de songer spontanément à compulser le Larousse, le Mourre… » (ICDI, n° 153a). Cet affect apparaît d’autant plus fort à partir du moment (2001-2002) où les professionnels comparent les outils de classification traditionnels et l’organisation des savoirs sur les réseaux numériques. Cette comparaison se fait systématiquement au détriment du monde numérique : il s’agit de montrer aux élèves « qu’ils ne savent pas » face à l’écran (ICDI, n° 178). Lorsqu’un professeur documentaliste propose à une classe la création d’un annuaire de recherche, ses propos sous-tendent une opposition entre organisation du savoir traditionnelle et schéma d’organisation numérique : « Il s’agit de créer un espace ouvert sur le réseau, mais un espace jalonné et décrit selon des techniques documentaires » (ICDI, n° 178, souligné par l’auteur). Les outils de classification sont ainsi appelés en quelque sorte à la rescousse pour venir stabiliser, organiser, structurer rationnellement les connaissances.
10Si l’utilisation systématisée des outils classificatoires semble prédominer dans le monde scolaire, les discours des bibliothécaires à l’université et dans le domaine de la lecture publique prônent davantage une découverte spontanée des dispositifs d’accès à l’information, avec une interrogation sur les limites des outils classificatoires comme moyens d’accès à l’information ou plus récemment aux données numériques. Que ce soit en présentiel ou sur le Net, les limites sont réelles pour ces professionnels, interrogeant la conception des nouveaux outils et leurs usages. Ces limites, qu’elles soient technologiques ou conceptuelles, peuvent être abordées dans le cadre des formations ou directement auprès des publics fréquentant les structures, voire en ligne. Dans cette perspective, les outils classificatoires deviennent des objets d’autonomisation des usagers. Si « le désordre [peut parfois être] au service de la promotion de la qualité » (BBF, vol. 46, n° 1), il s’agit pour les bibliothécaires de toujours faire en sorte que l’accès aux informations et aux livres en général soit pour tout un chacun facilité. La question de l’autonomie de l’usager renvoie alors directement à la politique documentaire de l’établissement, consistant à penser de manière systémique l’activité documentaire pour en favoriser la compréhension par l’usager. Ces interrogations et volontés des professionnels correspondent d’ailleurs aux préoccupations déjà assez anciennes que soulignait Annette Béguin (2002) sur le traitement documentaire et son énonciation.
Des objets indicateurs de professionnalité
11Au-delà de leur exploitation à des fins de formation des usagers, les outils classificatoires permettent également aux professionnels de témoigner, voire de défendre une professionnalité, une expertise de leur part. À travers les articles étudiés, les professionnels disent beaucoup d’eux-mêmes et de la manière dont ils conçoivent l’exercice de leur métier et leur rôle. Car si lorsque le sujet explique à quelqu’un d’autre comment il conçoit telle notion, il donne à connaître sa représentation de l’objet, c’est aussi une représentation de lui en tant que sujet qu’il dévoile à l’autre, comme l’ont montré les travaux de Jean-Claude Sallaberry (1996) sur la dynamique intérieur/extérieur (au sujet) dans laquelle s’inscrit toute représentation. Les professionnels, verbalisant leur représentation de l’organisation des savoirs, des classifications et autres outils classificatoires, nous renseignent dès lors sur leurs propres conceptions de leur professionnalité, leur vision de leur exercice professionnel et leur sentiment d’expertise.
12Cette affirmation d’une expertise passe par les nombreuses questions que les bibliothécaires de lecture publique et des bibliothèques spécialisées se posent à travers les écrits sur l’organisation documentaire. L’enjeu pour eux est de décloisonner les savoirs, de faire en sorte que l’ensemble des collections puisse être consulté et emprunté par les usagers. Qu’il s’agisse de la section jeunesse du réseau des bibliothèques de Marne-la-Vallée (BBF, vol. 44, n° 3), des pôles documentaires de la cité des métiers de la Villette (BBF, vol. 47, n° 3), des œuvres de fiction en bibliothèque publique (BBF, vol. 46, n° 1) ou des « exemplaires en stabulation libre » à la bibliothèque de Lausanne (Idem), l’expertise des professionnels passe bien par une réinterrogation de la mise en œuvre de la classification au sein de l’espace documentaire et de la qualité de cette nouvelle mise en œuvre ou configuration du savoir au sein de la bibliothèque.
13Les professeurs documentalistes n’adoptent visiblement pas exactement le même positionnement quant aux outils de classification. Lorsqu’ils les évoquent, c’est avant tout pour affirmer leur propre expertise et défendre leur professionnalité… voire leur profession. On sent chez les enseignants le besoin d’affirmer leur expertise à travers la démonstration de leur propre maîtrise des outils classificatoires. Une professeure documentaliste l’affirme en termes emphatiques : « Cet art de l’usuel doit être notre spécialité » (ICDI, n° 153a). Une autre déplore le manque d’opérationnalité des CDI, rappelant que « les compétences fondamentales du documentaliste » sont « dans le savoir-faire indispensable pour traiter l’information et la mettre à disposition d’un usager » (ICDI, n° 173). L’auteure, prônant la mise en place d’un système de classement clair, d’une signalétique appropriée et d’un catalogue normalisé, fait le lien entre maîtrise des outils de classification et expertise du professionnel.
Enjeux communicationnels liés à la transmission et à la diffusion des outils de classification
Une grammaire de l’information compatible avec le sens social ?
14Les séquences pédagogiques présentées dans la revue Inter CDI font état du développement d’une grammaire de l’information [4] précise, engageant les usagers-apprenants à appliquer des règles posées par les enseignants. Des exercices d’application sont soumis aux enseignés, de manière à pouvoir évaluer leur compréhension des règles d’organisation des savoirs. Le travail effectué avec les élèves apparaît comme un apprentissage méthodologique : il s’agit de connaître les procédures à mettre en œuvre pour exploiter les usuels, la classification décimale, ou encore l’index. Aucune séquence ne dépasse le stade de l’apprentissage méthodologique pour aborder la conceptualisation de ces outils ou mener une réflexion sur leur histoire et/ou leur inscription sociale.
15Dans le corpus du BBF, les rares articles évoquant la formation documentaire des étudiants font mention d’une grammaire de l’information qui serait considérée comme naturelle ou intuitive par les formateurs et bibliothécaires et faisant partie du métier d’apprenant de l’étudiant. Il n’y a pas d’interrogation, comme dans l’enseignement secondaire, sur les acquis, compétences, connaissances, motivations ou appétences pour les outils classificatoires dans le cadre socioculturel appréhendé par les étudiants.
16Les représentations mentales des apprenants quant aux outils classificatoires pris pour objets d’enseignement-apprentissage ne semblent pas être interrogées préalablement et/ou pendant le travail de formation, ce qui ne peut qu’accentuer l’effort cognitif que doit fournir l’enseigné. Or, si toute formation vise à une réélaboration des représentations des sujets, pour que soit réélaborée la représentation, encore faut-il que le sujet perçoive la pertinence de ce que le formateur lui propose. Yves Clot (1998) introduit la notion de « coût subjectif » pour exprimer l’importance de l’évaluation du sens perçu de l’activité par le sujet. Une activité aura d’autant plus de sens qu’elle permettra de réaliser les buts du prescripteur, mais aussi qu’elle intégrera pleinement les buts personnels du sujet acteur. Il nous semble ici, selon les pratiques déclarées dans les articles de notre corpus, que les usagers, confrontés à ces formations aux outils classificatoires traditionnels, doivent réaliser un important effort cognitif pour déterminer la finalité sociale de cet apprentissage, pas immédiatement perceptible.
Un lieu d’expérience et de créativité communicationnelle ?
17Les enjeux communicationnels que recèle la diffusion des outils classificatoires sont de taille, au regard de cette grammaire de l’information élaborée, mais également au regard du caractère complexe de ces objets. Les professeurs documentalistes mentionnent l’austérité de ces systèmes d’organisation des savoirs, affirmant leur volonté de mettre en place des formations « ludiques » pour rendre attractifs ces outils a priori rigides.
18Les nouveaux outils classificatoires sont-ils plus attrayants que les anciens ? C’est du moins ce qui ressort du corpus du BBF. Le Visual Catalog par exemple permet de « s’approprier la Dewey et de comprendre la subtilité de l’indexation » « sans saisie de la part du lecteur » aux dires de 67 % des lecteurs (BBF, vol. 54, n° 5). Un article écrit par une consultante nous rappelle cependant que les annuaires sur le Web ont bien été construits au départ sur le mode des classifications généralistes comme la classification Dewey pour des raisons économiques. La facilité d’utilisation des classifications traditionnelles, tant dans la construction des outils classificatoires que de leur utilisation, ne doit pas faire oublier leur origine ni leurs fonctions. On peut donc se poser la question de l’attractivité « naturelle » des outils classificatoires et du travail de mise en scène que doivent réaliser les professionnels de l’information pour les rendre plus « ludiques » dans le cadre des formations.
19Les quelques expériences relatées dans le BBF revendiquent cette volonté des bibliothécaires, notamment à l’université, de créer de nouveaux outils de communication à destination des usagers. Au-delà de la qualité et de la valeur éducative et culturelle des outils mis à la disposition des usagers (nouvelle génération d’OPAC notamment basés sur de nouvelles façons de proposer les outils classificatoires aux usagers), la bibliothèque est un lieu de création d’autres produits documentaires venant médiatiser les outils classificatoires. « Pourquoi ne pas raccourcir les indices ? Proposer des plans de classement sur le site internet ou à l’entrée des salles de lecture ? Projeter sur le site internet ou sur une télé pour les bibliothèques équipées un petit film expliquant le fonctionnement d’un indice et d’une cote ? » (BBF, vol. 54, n° 5). Si les médiations ont sans doute évolué, en pratique, dans les bibliothèques, le travail autour des outils classificatoires reste très ciblé sur la transcendance d’un objet intellectuel assez rigide qui ne prend pas toujours en compte, d’une part, l’évolution des classifications et leur intégration dans les nouveaux outils utilisés dans la vie de tous les jours par les usagers et, d’autre part, la création de produits de communication qui seraient des objets de médiation permettant une meilleure compréhension de la circulation des idées à travers des objets de savoir dans la construction de la vie intellectuelle des usagers et plus particulièrement des jeunes. L’exemple ci-dessus constitue cependant une tentative d’ouverture des formations sur les outils classificatoires qui ferait le lien entre objets de savoirs, transmission et circulation des idées et logiques sociales.
20Les enjeux sociaux, professionnels et communicationnels des outils de classification sont pluriels et complexes. Le travail sur les deux corpus souligne tout d’abord l’inscription systématique des outils de classification dans des logiques formatives questionnant très peu les modèles socioculturels qu’ils véhiculent. Ensuite, la différence de positionnement des professionnels envers ces outils, entre professeurs-documentalistes et bibliothécaires, tient certainement pour beaucoup aux institutions et aux types de publics concernés par les outils classificatoires. Le « renouvellement » des outils classificatoires à l’heure du numérique s’est fait assez tôt dans les structures bibliothéconomiques traditionnelles, contrairement à celles de l’enseignement du second degré. De plus, au sein des CDI, les professeurs documentalistes ont considéré ces outils comme des aides à la transmission des savoirs plutôt que comme objets d’études à part entière. Au final, quelle réception de ces formations aux outils classificatoires peut-il y avoir dans les CDI et les bibliothèques aujourd’hui ? Un travail d’analyse de corpus des discours des professeurs documentalistes et des bibliothécaires à l’université et de lecture publique ne peut permettre de répondre à cette interrogation. Il nous semble toutefois fondamental d’envisager ce questionnement, car la communication est articulation entre production et réception, et notre perspective se veut résolument interactionniste, d’autant que l’approche par la « trivialité » nous engage à diversifier les points de vue et à penser la réception/l’interprétation. Nous ne sommes cependant en mesure ici, eu égard aux limites intrinsèques de notre protocole, que de projeter quelques éléments d’hypothèses.
21Le développement d’une grammaire de l’information par les professionnels pour enseigner les outils classificatoires aux usagers-apprenants nous incite à questionner le sens social que peuvent attribuer les enseignés à cet apprentissage. La présentation quelque peu manichéenne des outils classificatoires par opposition à la « jungle » des réseaux (ICDI, n° 105) risque fort de conduire à une dichotomie des pratiques chez les élèves, construites sur l’opposition à la recherche d’information sur support papier (Cordier, 2011). Cette opposition risque de reléguer les outils classificatoires traditionnels, dans l’esprit des jeunes usagers, aux lieux épistémiques physiques, vus alors comme des lieux de contraintes intellectuelles, renforçant par la même occasion la sensation de facilité d’accès à l’information sur Internet. Se pose ainsi la question de la transférabilité des apprentissages liés aux outils classificatoires, et plus particulièrement de leur socialisation pour les apprenants, de leur passage d’un milieu social à un autre, rejoignant alors la problématique de la trivialité : concrètement, quelles valeurs ces usagers vont-ils attribuer à ces « êtres culturels » que sont les outils de classification, tels qu’on les leur a présentés et enseignés ?
Notes
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[1]
Une mise en garde s’impose quant à l’interprétation des données : le corpus d’articles issus de la revue Inter CDI ne reflète pas les pratiques pédagogiques des enseignants documentalistes au sens générique du terme. Il est le reflet d’une sélection – par un comité de rédaction – de « discours sur » et de « pratiques déclaratives ». Le corpus du BBF est constitué, quant à lui, de comptes rendus de journées d’études consacrées à la formation documentaire, d’articles de fond sur les outils classificatoires, d’articles relatant des expériences concernant ces mêmes outils et menées par des bibliothécaires à l’université, dans le domaine de la lecture publique et dans des bibliothèques spécialisées. Les comptes rendus ont un statut davantage promotionnel, mais nous avons fait le choix de nous y intéresser dans la mesure où ils témoignent de la volonté de mettre en lumière des éléments de formation et/ou d’information concernant les outils de classification.
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[2]
Nous avons fait le choix d’inclure les dictionnaires dans les outils de classification tels que désignés par les professionnels, notamment les enseignants documentalistes qui, dans leurs discours sur les outils classificatoires, les mentionnent régulièrement comme outil de soutien à la structuration de la pensée.
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[3]
Se multiplient ainsi dans la revue professionnelle des articles concernant la mise en place de formation à la recherche d’information sur Internet ou encore la création et l’exploitation pédagogique d’outils en ligne tels que le portail Netvibes.
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[4]
Dans la continuité des travaux d’André Chervel sur la grammaire scolaire, nous entendons par « grammaire de l’information » les règles prescrites par les enseignants en matière de recherche d’information, l’intégration de savoirs socialement fragmentés face auxquels l’institution scolaire, par ses enseignants, tente de se réorganiser.