CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1À la croissance exponentielle en matière de production de données, répond la nécessité, empirique ou systématique, de modalités d’organisation pour ordonner ces vastes ensembles et en faciliter non seulement l’accès mais aussi la compréhension. Le Web n’échappe ni à cette nécessité, ni aux inéluctables biais qui en résultent, quels que soient les méthodes et moyens déployés. En témoignent la fausse évidence du classement des résultats produits par les algorithmes de moteurs de recherche, tel le PageRank de Google (Rieder, 2012) ou encore les débats suscités autour des pratiques de collaborative tagging et questionnant la notion d’expertise (Durieux, 2010).

2Face à ces problématiques complexes, nous proposons ici une démarche originale pour faire émerger du sens à partir du contenu de sites web appartenant à un domaine organisationnel identifié. Prenant pour point de départ la page d’accueil d’un site d’une organisation identifiée, et considérant celle-ci comme son sommaire principal, nous allons nous appuyer sur les liens hypertextes des menus principaux et particulièrement sur les unités lexicales qui leur sont associées, pour élaborer une taxonomie décrivant de façon synthétique les thématiques principales d’un domaine organisationnel [1]. À un niveau micro, intra domaine organisationnel, cette taxonomie permet de faire émerger des profils différenciés de sites en fonction de leurs dominantes informationnelles et communicationnelles. À un niveau macro, il est possible d’identifier et de catégoriser automatiquement les sites web relevant d’un même domaine d’activité (par exemple, académique) selon leurs similitudes lexicales.

Identifier et qualifier les sites web au regard de leur contexte organisationnel

3Objet médiatique emblématique du Web, le site web est un objet hybride, recouvrant des dimensions et des approches multiples. Au-delà de la dimension technique articulée autour d’un ou de plusieurs serveurs informatiques et identifiés par un nom de domaine de type DNS (Domain Name Server), il se présente comme un ensemble de pages reliées entre elles « à travers la cohésion textuelle, la cohérence, la construction d’un univers cohérent tant du point de vue de la grammaire que du lexique (sémantique), à travers les formes variables d’expression (typographie, mise en page, etc.) (formel) et grâce à la possibilité d’exécuter une action physique ou en mouvement en rapport avec un élément textuel par l’intermédiaire d’hyperliens (physiquement performatif) » (Brügger, 2012). Au plan sémiotique, il devient dès lors « lieu de prestations et de services, d’interactions avec ses utilisateurs, voire entre les utilisateurs, la communauté des utilisateurs du site » (Stockinger, 2005).

4Nous avons choisi de resserrer la notion large de site web autour d’une problématique plus ciblée, en nous intéressant aux sites web dépendant directement d’une organisation. En effet, la construction de la taxonomie s’inscrit dans un espace organisationnel circonscrit, notre objectif étant de pouvoir à partir de cette classification non seulement qualifier de façon synthétique les contenus principaux et les dominantes informationnelles d’un site web mais aussi caractériser un corpus de sites relevant d’un même domaine d’activité.

5Dès lors, nous proposons l’expression « site web organisationnel » (SWO) pour repérer un certain type de site web, soit un produit hypertextuel d’informations et de services, dépendant d’autorités éditoriales pouvant être multiples mais placées sous une seule et même responsabilité. À ce titre, le SWO participe de l’identité numérique d’une organisation en référence et en appui de son activité (économique ou non). Outre la dimension informationnelle, il propose une rhétorique, il valorise certaines caractéristiques (d’activités, de services, de contenus, de scénarisation) relativement à d’autres, il met (ou non) à disposition des dynamiques d’échanges avec ses usagers. Fruit de réflexions stratégiques, de processus éditoriaux, de contraintes techniques, mais aussi de négociations, d’imaginaires, de médiations, le SWO nous dit quelque chose de l’organisation dont il est une représentation sur le Web, non sans projections et distances multiples à son modèle structurel.

6Pour donner une illustration plus précise de SWO, prenons un site web d’université française. À une échelle micro (par exemple, le site web de l’université Bordeaux 1, en sciences), on peut analyser comment se construit, à travers ses contenus et services, une image de l’organisation dont il est un produit éditorial dans l’environnement numérique. À une échelle macro, soit celle d’un corpus de SWO relevant d’un même domaine d’activité (par exemple, un ensemble de sites d’universités françaises), on peut développer des analyses comparatives afin d’identifier, d’un site web à un autre, les constantes à l’œuvre, notamment au plan informationnel, mais aussi les choix spécifiques en matière de contenus et de discours, ou les effets de normalisation, repérables dans une approche diachronique. Bien d’autres domaines organisationnels peuvent être identifiés, comme ceux des collectivités territoriales ou des hôpitaux, afin de délimiter des domaines d’investigation cohérents.

7Analyser les contenus d’un site web ou d’un corpus de sites web situés par leur ancrage organisationnel permet donc de donner du sens aux contenus par rapport à leur contexte d’activité.

Taxonomie de liens hypertextes : une méthodologie de classification originale

8En l’occurrence, le prisme d’analyse de contenus choisi est celui d’une approche classificatoire de liens hypertextes jugés caractéristiques. Cette démarche de regroupement qui est au cœur de toute mise en organisation de type classificatoire nous permet de produire une vue singulière des contenus des SWO, étant bien entendu qu’il s’agit là d’un certain regard, « d’un acte cognitif à finalité pragmatique, qui doit permettre d’identifier, de reconnaître, d’interpréter, de comparer, de déduire et de prédire, souvent dans un environnement particulier » (Hudon et Hadi Widad, 2010).

Fonctions des liens hypertextes des pages d’accueil

9Dans le périmètre des SWO, nous nous sommes intéressés aux liens hypertextes et plus précisément, à la fonction spécifique de ceux présents sur les pages d’accueil. Le lien hypertexte est le fondement même du Web et l’essence de nos pratiques numériques dans cet environnement. Mais au-delà de la facilité de navigation qu’il autorise entre les contenus, il possède une véritable épaisseur qui transcende les simples effets de connectivité inscrits dans le protocole technique qui le sous-tend ; il s’incarne dans un contexte et une situation d’usage qui lui donnent pleinement sens (Davallon et Jeanneret, 2004). À ce titre, dans cette perspective d’ordre sémiotique, il doit être considéré comme l’un des « signes passeurs » repérable à la surface d’une page web appréhendée en tant qu’« écrit d’écran » (Souchier, Jeanneret et Le Marec, 2003).

10En regard d’un site web, la page d’accueil n’est pas une page comme les autres, elle possède des caractéristiques uniques, comme porte d’accès aux principaux contenus du site. D’un point de vue informationnel, elle sera vue comme permettant de « véhiculer l’identité de l’entreprise, de mettre en évidence la valeur ajoutée du site par rapport à la concurrence et au monde réel et de présenter les produits et/ou services que fournit l’entreprise » (Nielsen et Tahir, 2002). Elle met donc en scène, en texte et en signes, les informations et les accès aux éléments clés du site. À ce titre, elle peut être comparée au sommaire d’un livre ou à la Une d’un journal.

11Sur cette page particulière, la fonction d’orientation des usagers vers les zones internes au site est assurée par des signes passeurs, dont les hyperliens et leurs éléments textuels associés, qui à la fois qualifient l’ensemble des contenus des niveaux sous-jacents et y donnent accès. Nous avons choisi de nous appuyer sur ce niveau de représentation synthétique des contenus pour élaborer une méthodologie originale de classification des libellés de ces hyperliens génériques.

Pour une taxonomie des unités lexicales hypertextuelles

12Selon notre perspective centrée SWO, notre méthodologie de classification porte intégralement sur les liens internes de la page d’accueil d’un site et sur les libellés associés aux hyperliens (ancres). Ces libellés, nous les appelons « unités lexicales hypertextuelles » (ULH). La démarche de classification que nous proposons pour ces ULH consiste donc en une structuration thématique des manifestations langagières venant de l’organisation (celles portées par les ULH) et représentant ses missions et domaines d’activité. Ainsi que le rappelle judicieusement Mai (2004), un schéma de classification n’est jamais qu’un moyen potentiel de décrire un domaine particulier. Pour créer un système classificatoire pour une entreprise particulière ou une organisation, il est nécessaire de commencer par une étude du discours et des activités relatives à l’organisation ou au domaine concernés. En d’autres termes, une classification n’est pas quelque chose qui peut être créé pour une organisation par une autorité extérieure, une classification doit émerger de l’organisation elle-même, car elle doit refléter le discours particulier de cette communauté (Mai, 2004).

13Dans la logique du SWO, nous ancrons notre approche de classification par le contexte d’action (le domaine organisationnel considéré) et les activités associées. D’autre part, nous avons appelé cette approche « taxonomie », en référence notamment à l’usage actuel de ce terme pour désigner l’organisation du contenu de ressources numériques (voir Chu, 2005). Les potentiels d’utilisation de cette taxonomie des ULH des pages d’accueil sont au moins doubles : mettre en évidence des profils informationnels pour chacune des pages concernées (à l’échelle micro du SWO) ; réaliser des classements automatiques de sites (à l’échelle macro – domaine organisationnel).

Principes généraux de constitution de la taxonomie des ULH

14Warner (2004) définit la taxonomie comme un système d’étiquettes constituant un système de navigation hiérarchique. Sa spécificité réside dans l’emploi d’étiquettes familières aux utilisateurs afin qu’ils puissent trouver des informations en parcourant les hiérarchies structurées. La structure implique également que l’information se trouve dans des contextes ou des catégories. La catégorisation est une partie intégrante du processus de développement taxonomique (Chaudhry et Jiun, 2005). Elle « est le processus de division du monde en groupes d’entités dont chacun des membres est en quelque sorte semblable aux autres » (Jacob, 2004).

15La classification des ULH sous forme de taxonomie a été mise en œuvre en deux temps : tout d’abord, nous avons identifié un niveau générique de catégorisation dérivé de Nielsen (Nielsen et Tahir, 2002) faisant apparaître trois grandes catégories de navigation. Dans un deuxième temps, ces catégories de navigation sont scindées en différentes classes permettant de regrouper sémantiquement les ULH. Deux perspectives majeures sous-tendent donc ces principes généraux de classification : une perspective organisationnelle, correspondant à notre contextualisation par le SWO, et une perspective transversale à tout type d’organisation.

Application au domaine académique

16Ces principes généraux de classification ont été ensuite projetés sur un terrain d’études. Le domaine académique s’est imposé comme terrain d’application pour le déploiement de notre démarche classificatoire. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, la présence historique des universités françaises sur le Web permet de bénéficier de pratiques numériques consolidées. D’autre part, le domaine académique se révèle être un domaine organisationnel complexe (décentralisation de différentes structures – UFR, instituts, services transversaux, laboratoires de recherche) dont la traduction à l’échelle du Web s’affiche elle aussi de façon complexe. Ainsi, l’appellation « site web d’université », représentant le site web institutionnel, recouvre en fait dans sa zone DNS une démultiplication de sous-sites (de l’ordre d’une centaine, en moyenne).

17En l’occurrence, nous avons choisi de générer un corpus d’ULH à partir d’une collecte effectuée sur les pages d’accueil des deux SWO de type académique mais de champ disciplinaire distinct, l’université Bordeaux 1 (sciences et techniques) et l’université Bordeaux Segalen (sciences humaines, sociales et santé). Deux corpus d’ULH ont été générés sur 2009 et 2011, issus de 96 pages d’accueil provenant des deux SWO retenus. Ces deux corpus, comprenant respectivement 961 et 1 156 ULH (hors occurrences), nous ont permis de mettre en œuvre la classification selon les principes posés précédemment.

18La présentation des résultats liés aux caractéristiques de ces corpus et à la ventilation des ULH dans les classes définies, une analyse diachronique, est proposée dans Pinède et al. (2012). Nous nous centrerons ici sur la méthodologie de constitution des classes et les questions que cette démarche suscite.

19Nous avons délibérément choisi de réaliser la classification à partir de l’expression des ULH telles qu’elles ont été collectées sur la page d’accueil (la source) sans vérifier le contenu véritablement associé (la cible). Cette abstraction volontaire d’éléments de vérification par le contexte (de la page d’accueil et/ou de la page reliée) a constitué une difficulté pour notre travail de classification, mais s’est avérée nécessaire dans un objectif de production automatique de données. Par ailleurs, le souhait d’élaborer une structure de taxonomie suffisamment générique pour être transférable, pour partie, à d’autres domaines organisationnels a constitué une contrainte supplémentaire. Néanmoins, les similitudes observées entre les sites d’un même domaine organisationnel, les constantes éditoriales dans l’écriture web ainsi que les récurrences en matière de fonctionnalités pratiques ont permis de mettre en place une structure suffisamment stable et efficace pour qualifier et segmenter les ULH de notre corpus académique.

20Les classes de la sous-catégorie « Activités » sont bien entendu dépendantes des missions et objectifs du domaine organisationnel concerné, ici l’université.

21Le choix des classes a fait l’objet d’ajustements successifs car toute tentative de classification représente, quelle que soit la volonté d’objectivation initiale, un choix sélectif permettant de regrouper des termes et expressions selon un plan d’affinité sémantique cohérent. Même si s’imposent spontanément des regroupements, même si est recherché un degré d’autonomie et d’indépendance, de nombreuses questions émergent en permanence pour classer une unité lexicale, porteur d’une ambivalence intrinsèque à la plasticité linguistique. En l’occurrence, le contexte d’action (l’organisation universitaire) ainsi que la finalité d’application associée à la taxonomie ont permis de construire le cadre d’opérationnalisation de la taxonomie.

22Il est à noter que nous avons eu recours à deux tests pour valider notre processus de classement et notre structure taxonomique. Tout d’abord, nous avons soumis 10 % (par tirage aléatoire) de notre corpus d’ULH à 5 chercheurs et/ou enseignants-chercheurs pour qu’ils les classent dans la taxonomie qui leur avait été au préalable présentée. 75,5 % en moyenne de ces ULH ont été classées avec succès, ce qui valide une forme de pertinence de notre structure classificatoire. D’autre part, nous avons évalué le taux de recouvrement de notre classement d’ULH en le projetant sur d’autres sites web universitaires. Là aussi, les taux moyens de l’ordre de 75 % de recouvrement confirment un potentiel de généralisation et d’extension de notre taxonomie conçue à partir de deux SWO universitaires.

Résultats en matière d’utilisations et de potentiels

23L’utilisation de cette taxonomie, inscrite dans un espace organisationnel identifié, offre plusieurs perspectives applicatives. À un niveau macro, il est possible d’identifier et de catégoriser les SWO relevant d’un même domaine d’activité (par exemple, académique) en s’appuyant sur la taxonomie d’ULH. La reconnaissance automatique de sites, à partir d’une représentation vectorielle, permet d’identifier les sites selon deux niveaux de caractérisation : le domaine organisationnel du site (par exemple, académique) ou le type de spécialité au sein du domaine (par exemple, sites de formation ou de recherche). Des études passées (Reymond et Pinède, 2010a) et en cours montrent de réelles perspectives en la matière, avec des résultats prometteurs (taux de réussite de classement automatique de l’ordre de 90 %).

24À un niveau micro, intra domaine organisationnel, on peut faire émerger des profils différenciés de sites sur leurs dominantes informationnelles et communicationnelles (Reymond et Pinède, 2010b), ce qui représente une autre forme de catégorisation, plus fine, de ces sites web. En calculant les occurrences et les proportions respectives pour les différentes classes, on peut ensuite représenter sous forme de diagrammes ou de nuages de tags les contenus tels qu’ils se donnent à voir, dans leur pondération respective, et donc les choix organisationnels tels qu’ils peuvent se lire au travers des ULH.

25Mais d’autres types d’analyse peuvent être pratiqués, notamment dans une perspective diachronique (Pinède et al., 2011). Il est intéressant d’observer à partir de corpus d’ULH collectés sur plusieurs années, les évolutions d’ordre terminologique (effets de lissage et de normalisation ou, a contrario, effets de différenciation) mais aussi les évolutions d’ordre organisationnel (changement de priorités, d’objectifs) ou communicationnel.

26Que cela soit dans un plan synchronique ou diachronique, cette méthodologie s’avère particulièrement pertinente pour mettre en valeur, non seulement des dominantes thématiques mais aussi des pratiques en matière de qualification de l’information. À notre sens, c’est là que se situe l’originalité principale de notre travail, dans ce regard porté sur l’hyperlien tel qu’il se donne à lire, et donc à comprendre, par l’usager. Nous observons non seulement l’ancrage lexical de l’hyperlien, mais aussi son ancrage organisationnel. Ce point de vue nous offre une perspective analytique sur les modalités et modes de représentation de l’information web, et dès lors, nous permet aussi d’aller vers des préconisations au plan de la qualité du site web, des objectifs de communication des organisations, des attentes/besoins des usagers, ce qui participe d’une gouvernance numérique de l’identité organisationnelle [2].

Réduire la complexité informationnelle, une nécessaire prise de risque

27Cette méthodologie de classement à l’échelle des sites web organisationnels et à partir de la facette terminologique de liens hypertextes permet d’offrir une alternative intéressante aux méthodes statistiques de traitement de grands volumes de données. Derrière l’illusion trompeuse de la transparence et de la neutralité, les moteurs de recherche traditionnels, tel Google, construisent un univers de représentations, sélectionnant en amont certaines données plutôt que d’autres, induisant en aval des pratiques d’élaboration de pages web et de contenu (Simmonot, 2012). Les classements de résultats assénés comme autant de listes d’autorité, opaques sur leurs modalités d’élaboration, et construisant de facto une certaine réalité, subjective et sélective.

28L’un des avantages de l’approche taxonomique présentée ici réside dans le fait qu’elle s’inscrit d’emblée dans un univers sémantiquement cohérent. Les classes de la taxonomie prennent appui sur l’expression synthétisée des contenus internes aux organisations et portés à la connaissance des usagers par les menus de navigation. L’approche par le site web organisationnel crée donc les conditions d’une légitimité pour notre démarche qui se pose en tant que médiation, s’appuyant elle-même sur un niveau de médiation incarné par la structuration thématique de la page d’accueil. La taxonomie générée s’ancre dans un cadre de références, celui d’un domaine organisationnel identifié, et s’élabore à l’intérieur de ce cadre en reprenant les marqueurs lexicaux visibles sous la forme d’ULH. Néanmoins, il est clair que l’on construit dès lors une forme de mise en abyme classificatoire, avec tous les risques de réduction successive que cela suppose : les menus hypertextuels des pages d’accueil constituent un premier niveau de classement endogène des contenus par les rédacteurs-concepteurs du site, à partir duquel on construit un deuxième niveau de classement, la taxonomie des ULH, qui va elle-même participer à un troisième niveau d’organisation, à savoir la classification automatique des sites ! Sans compter, dès l’origine, l’identification de domaines organisationnels pour les sites web et, donc, une classification de SWO.

29Il ne faut donc pas méconnaître les biais associés à une telle démarche. Chaque démarche de classement est le résultat d’une forme de réduction, réalisée selon une série d’objectifs et de critères dûment choisis. Il s’agit bien d’une opération de traduction et « croire qu’avec ces tableaux, on atteint la machine qui a découpé le puzzle, c’est prendre notre métaphore pour le mécanisme réel » (Goody, 1977). Quel que soit l’effort d’objectivation du réel (quel réel ?), les classifications imposent un certain ordre du monde, circonscrivent un regard dans un contexte social, culturel, ou organisationnel. Même les langages et classifications documentaires n’échappent pas à cette fatalité, comme l’a montré par exemple Després-Lonnet (2000) à propos des thésaurus iconographiques. Tout système classificatoire, et notre proposition de taxonomie en fait partie, vise donc à faire émerger, non pas un sens universel, mais un ensemble de significations construites, inscrites dans un espace complexe, traversé de logiques multiples. Tout en gardant à l’esprit cette irréductible limite, face à cet univers saturé en données et signes qu’est le Web, nous ne pouvons que prendre des risques, raisonnés et autant que possible raisonnables, afin d’en proposer de nouveaux prismes de lecture.

Notes

  • [1]
    Ces travaux ont été menés dans le cadre du projet Raudin – Recherches aquitaines sur les usages des dispositifs numériques (Feder n° 31462 / Région Aquitaine/Université Bordeaux 3).
  • [2]
    Nous finalisons actuellement les résultats en vue de les présenter aux principaux interlocuteurs des universités étudiées pour un retour sur notre méthode.
Français

Nous présentons ici une approche originale de caractérisation informationnelle et de classement des sites web s’appuyant sur une taxonomie des unités textuelles associées aux liens hypertextes des pages d’accueil. Cette démarche offre une alternative intéressante aux méthodes statistiques de traitement de grands volumes de données et participe, malgré les limites inhérentes à tout système classificatoire, à la construction de sens dans des environnements organisationnels identifiés.

Mots-clés

  • classification
  • lien hypertexte
  • organisation
  • site web
  • taxonomie
  • université

Références bibliographiques

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Nathalie Pinède
Nathalie Pinède est maître de conférences en SIC à l’université Bordeaux 3, Laboratoire MICA, EA 4426. Ses axes de recherche concernent les logiques informationnelles en environnement numérique, telles la problématique de la construction du sens à partir de marqueurs lexicaux sur les sites web ou l’articulation entre stratégies organisationnelles et représentation(s) hypertextuelles. Ses travaux sont conduits dans une perspective interdisciplinaire et s’appuient sur des méthodologies variées.
David Reymond
David Reymond est maître de conférences en SIC à l’université de Toulon, Laboratoire I3M, EA 3820. Sous un angle mixant qualitatif et quantitatif, il est spécialisé dans les données du web, la webométrie : collecte, traitement et production de connaissances. Ses recherches portent en particulier sur les contenus et leurs usages, la synthétisation d’informations complexes dans des problématiques interdisciplinaires variées : extraction de données, production d’éléments informationnels ou mise en œuvre d’indicateurs riches.
Mis en ligne sur Cairn.info le 25/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/51573
Pour citer cet article
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