1Si l’on ne posait pas la question dans le contexte de l’étude et de la formalisation des classifications, on devrait d’abord se demander en priorité, sans recourir à un a priori positiviste, pourquoi a-t-on besoin de classer ; pourquoi sommes-nous disposés dès nos premiers apprentissages à souscrire aux exercices de comparaison, de réunion, d’appariement, de différenciation, etc. ; pourquoi notre esprit, se construit en partie sur cette faculté ? Pourquoi lorsqu’on évoque l’acte de penser est-il difficile voire impossible d’éviter l’acte de classer et réciproquement : « classer c’est penser », pour reprendre Lucien Stéphan (1993) ou pour paraphraser Georges Perec (1985) intitulant un de ses articles célèbres « Penser/Classer » en signifiant le rapport d’interrelation entre deux éléments et leur réversibilité avec la ponctuation de l’indexation-matière. Sans aller du côté des disciplines relevant de la psychologie ni du côté de l’ergonomie, qui ont élaboré des théories des actes de classement, on pourrait toutefois rappeler que la philosophie, l’ethnologie et l’épistémologie ont aussi apporté des éclairages essentiels à la reconnaissance d’une pensée de l’organisation des savoirs.
2Pour ne citer qu’eux, Claude Lévi-Strauss et Jack Goody ont souligné la capacité constructive et organisatrice des classes. Dans « La logique des classifications totémiques », un des chapitres de La Pensée sauvage, Lévi-Strauss (1962) considère toute la valeur de l’intelligence et de la complexité des correspondances entretenues dans la classification par une « pensée rompue à tous les exercices de spéculation ». Goody (1979) avance, quant à lui, qu’il n’y a pas opposition entre besoins pragmatiques et classement : l’homme s’adapte mais « l’exigence intellectuelle d’un ordre » lui est aussi nécessaire. Dans La Raison graphique – en particulier dans les chapitres « Écriture et classification ou l’art de jouer sur les tableaux » et « Que contient une liste ? » –, il aborde les systèmes d’organisation tabulaire des écrits et, en conséquence, des savoirs. Il y analyse le tableau en tant que « moyen de mettre en ordre la connaissance que nous avons des schèmes classificatoires, des systèmes symboliques et des formes de pensée ».
3Et même si la « légitimation » cognitive et historique de l’activité de classer peut se voir déstabilisée par d’autres logiques inattendues, on est alors inévitablement renvoyé à l’archéologie des savoirs. Dans cette quête d’une archéologie plus que d’une histoire de la pensée, Michel Foucault (1966) s’arrête tout un chapitre sur l’acte de « Classer ». La classification y est définie dans ces développements comme la conséquence d’un paradigme dans l’histoire de la pensée, celui de la « mise en visibilité » : « L’histoire naturelle ce n’est rien d’autre que la nomination du visible. […] Comme disait Linné “toute note doit être tirée du nombre, de la figure, de la proposition, de la situation”. »
4La classification impose donc une orientation particulière de la connaissance basée sur une forme de synthèse utile à la saisie d’un réel foisonnant et appliquée dans les branches diverses des savoirs. Elle répond également à des nécessités documentaires dont on soulignera ici qu’au-delà de représenter un simple appareillage, elles sont imbriquées à l’histoire de la connaissance.