CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Fondé principalement sur des critères comme le nombre de citations, les prix Nobel et les médailles Fields, le classement de Shanghai est d’abord le résultat d’une compilation de jugements des maîtres sur eux-mêmes, une sorte de conclave mondial d’experts pour élire les meilleurs d’entre eux, selon eux.

2Pourquoi pas, si on n’en concluait pas qu’il s’agit d’un classement des universités qui les hébergent, sauf à définir l’Université comme uniquement une corporation de maîtres, et des doctorants à leur service.

3En complétant cette définition étroite de l’Université – qui doit par exemple aussi exceller à former les étudiants, voire permettre leur insertion, sans parler de sa vocation à féconder l’innovation, source elle-même de prospérité, à partir de ces autres critères ajoutés –, on obtiendrait évidemment une modification substantielle du classement mondial !

4L’inconvénient de cette complexité de critères ajoutés est qu’elle crée un fouillamini hétéroclite. La force du classement de Shanghai est la simplicité universelle de ses critères, déjà mondialisés. C’est elle qui fait son succès. Il n’en irait pas de même avec toute tentative de mondialisation des critères d’insertion, de qualité pédagogique, d’impact positif sur la création de richesse, par exemple. Une tentation propre à faire perdre au classement toute lisibilité dans des combinaisons obscures de batteries de critères, sur lesquelles on pourrait pinailler sans fin.

5La dimension de jugement est-elle, d’ailleurs, l’université lorsqu’on s’intéresse à l’insertion des diplômés, ou n’est-ce pas plutôt le diplôme et ses variantes ? Pour ne prendre que la France, les universités délivrent des diplômes sous plus de 10 000 intitulés ! Imaginez le nombre de diplômes délivrés au niveau planétaire, et les outils de traçabilité des 350/400 millions d’étudiants sur Terre. En outre, comment établir l’insertion des 4 à 5 millions d’étudiants en mobilité internationale et multi-diplômés ?

6Bonne chance, également, à ceux qui voudraient mesurer l’impact d’une université en termes de facteur de prospérité. Tout le monde se plaît à souligner le rôle de l’université Stanford dans la création de la Silicon Valley, mais personne ne se lancerait à vouloir définir son impact exact, tant l’explication de la vitalité de cette région est redoutablement complexe et variable au cours du temps.

7Les actuelles technologies de la communication mondialisées, déjà mises en œuvre par les moteurs de recherche ou les sites de réseaux sociaux, vont bientôt ouvrir aussi de nouvelles possibilités de classement des universités ou de leurs professeurs. Le développement des Massive Open Online Courses (Mooc) donne la possibilité, à une échelle 10 puissance 8, aujourd’hui, de classer l’audience de cours, donc des professeurs, donc l’attractivité pédagogique d’une université, un jour.

8Traitées par les technologies des « big data », les données recueillies permettront de faire progresser la manière d’enseigner via le Web. Il pourra théoriquement être construit un classement qualitatif, « étoilé », des enseignements… Peut-être.

9Autant dire que les classements d’universités relèvent davantage d’un questionnement politique que d’une démarche objective. Ils font partie de la boîte des arguments propres à orienter des fonds, à attirer des étudiants, à légitimer des pouvoirs académiques. Soyons attentifs à ceux qui les construisent ou les utilisent.

Philippe Mahrer
Philippe Mahrer est directeur du Collège des Ingénieurs, administrateur de la Fondation de l’École normale supérieure et vice-président suppléant d’Armines. Il préside l’Associazione per la Formazione d’Eccellenza.
Courriel : <pmahrer@cdi.eu>.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 25/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/51562
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