1En psychanalyse, cette question se pose en termes spécifiques. La pathologie résulte d’une accentuation de mécanismes repérables chez tout un chacun. Le diagnostic importe moins que la reconnaissance des conflits inconscients permettant l’élaboration de la névrose infantile. L’intervention de l’analyste, en cours de séance, est à la fois un processus thérapeutique et une méthode de vérification des hypothèses de travail. C’est pourquoi le mode de communication scientifique privilégié reste la monographie clinique : la « méthodologie du cas unique » est préférée car l’étude intensive d’un seul patient apporte plus de données sur l’inconscient que des études statistiques.
2La nosographie psychanalytique repose sur le repérage et la discrimination dans la cure des mécanismes psychiques à l’origine des signes cliniques. Par rapport à la psychiatrie, d’une part, les troubles manifestes sont moins importants que les contraintes de répétition ; d’autre part, la détermination de groupes homogènes de patients, indispensable pour l’évaluation des effets des médicaments psychotropes, est sans objet. Bien au contraire, l’analyste, en état d’attention « également soutenue », doit s’efforcer de ne privilégier aucune donnée particulière pour se repérer uniquement sur les « associations libres » du patient qui idéalement devient « inclassable ».
3Freud a développé la théorie et la classification des névroses : d’une part, il a décrit de nouvelles entités cliniques (névrose d’angoisse, névrose phobique, névrose obsessionnelle, narcissisme moral et masochisme moral) ; d’autre part, il a opposé aux « névroses actuelles », (névrose d’angoisse, neurasthénie et hypocondrie), dues à des perturbations dans l’actualité de l’existence de la vie du patient, les « psychonévroses de défense » contre l’angoisse dont les symptômes traduisent un conflit psychique inconscient remontant à l’enfance. La névrose est le négatif de la perversion. L’hystérie occupe une position paradigmatique car les névroses dans leur ensemble sont définies par rapport à cette affection : si la névrose phobique est une hystérie d’angoisse, la névrose obsessionnelle en est un dialecte particulier. Névroses actuelles et psychonévroses de défense sont des « névroses de transfert », susceptibles de tirer bénéfice d’une cure alors que les « névroses narcissiques » (les psychoses) en constituent des contre-indications car la névrose de transfert (dans laquelle sont transférés sur l’analyste les images et conflits du passé infantile) indispensable pour accéder à l’inconscient ne se met pas en place. Depuis, les particularités du transfert psychotique ayant été mieux repérées, le concept de « névrose narcissique » est devenu caduc. Les « névroses symptomatiques » se distinguent des « névroses de caractère » et des « névroses de destinée ».
4Par ailleurs, Freud a proposé en 1905 une nosographie nouvelle des « aberrations sexuelles » : chacune d’entre elles étant déterminée par une fixation à une phase du développement de la sexualité infantile, les « pervers sexuels » ne sauraient plus être considérés comme des « dégénérés » pour être perçus en quelque sorte comme de grands enfants fixés, contrairement aux adultes ordinaires, aux « phases préliminaires » du coït. Ce travail est également le premier où « l’inversion » a été exclue du champ de la perversion. Ce dernier terme, désignant une pratique sexuelle déviante « prégénitale » ne doit pas être confondu avec la « perversité », forme de malhonnêteté intellectuelle.
5En 1953, l’introduction du structuralisme en psychanalyse par Jacques Lacan a conduit à repérer pour chaque sujet la structure psychique (névrotique, psychotique ou perverse) qui le déterminerait. À partir des années 1970, des auteurs ont souligné l’importance de troubles inclassables par la perspective structuraliste. Pour l’essentiel ils résultent d’atteintes précoces de l’identité (troubles du narcissisme, « états-limite », « personnalités commesi », « faux-selfs », « psychose blanche », tendances antisociales, « normopathie »), des pathologies traumatiques, des troubles psychosomatiques (« pensée opératoire », « dépression essentielle ») et des états d’addiction et de dépendance (« addiction à l’autre », « psychose froide » de l’anorexie, « perversion narcissique »).
6Aujourd’hui, les psychanalystes mettent à l’épreuve les théories susceptibles de mieux accompagner l’évolution des cures chez les « nouveaux patients ». Lorsqu’une théorie nouvelle est plus satisfaisante que celles qui l’ont précédé, elle tend peu à peu à les éliminer – ce processus est favorisé par les échanges entre pairs, ce qui justifie le regroupement des psychanalystes au sein d’associations scientifiques au fonctionnement démocratique. Autrement, le risque n’est pas toujours évité, comme l’a souligné en 1996 Otto Kernberg, ancien président de l’Association psychanalytique internationale, que la créativité soit sacrifiée au profit d’un conformisme de groupe.
7De nombreux psychanalystes conservent des activités en psychiatrie, ce qui n’a pas été sans conséquence sur les classifications dans cette discipline. Aux États-Unis, en 1968, la deuxième édition du DSM était construite à partir de concepts psychodynamiques, conservés en partie aujourd’hui dans la classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé. En 1980, la publication du DSM-III a été le manifeste de la « psychiatrie athéorique » postulant l’identité de la psychopathologie et de la clinique médicale. Pour maintenir la cohérence de cette perspective, aucune place n’a été laissée à l’hystérie, devenue inclassable, alors pourtant qu’elle ordonnait l’ensemble de la nosographie freudienne. Toutefois, le DSM-IV, en insérant l’axe des « mécanismes de défense », a réintroduit des concepts psychanalytiques. De leur côté, des psychanalystes ont publié des systèmes de classification visant à pallier la place insuffisante faite à la psychodynamique dans les DSM. En France, la classification française des troubles mentaux de l’enfant et l’adolescent (2000, 2012) a été impulsée par Roger Misès, par ailleurs psychanalyste. De leur côté, l’Association psychanalytique américaine et l’Association psychanalytique internationale ont publié en 2006 le Psychodynamic Diagnostic Manual à utiliser en complément du DSM. Ce manuel privilégie les spécificités de l’expérience subjective du patient, absente dans les classifications de la psychiatrie athéorique.
8Pour les tenants de cette approche, déclarer un patient « guéri » n’implique pas que ses troubles aient disparu mais que, par la cotation des items de l’échelle, la note obtenue rentre dans les limites de la « normale », même si les plaintes persistent. Ainsi, il s’agit d’un système autoréférencé qui ne satisfait, en fait, à aucun critère scientifique réel. En psychanalyse, l’idéal de normalité n’est pas l’absence de symptômes mais la capacité pour le sujet, dans la pleine conscience de son histoire, de se dégager de la répétition et d’accroître ses capacités créatrices pour accéder à un compromis harmonieux entre ses exigences pulsionnelles et les contraintes du réel. En d’autres termes, le projet de la cure est de parvenir à aimer et à travailler. Deux modes d’évaluation sont alors envisageables : l’un portant sur les résultats, l’autre sur les processus. Comme l’ont confirmé les travaux catamnésiques de Rolf Sandell, les bénéfices d’une cure s’accentuent avec le temps : le patient, sortant d’un processus de répétition, diversifie progressivement ses investissements et ses choix existentiels deviennent plus heureux. Les psychanalystes souscrivent volontiers à la maxime de Montaigne : « Ce n’est pas assez de compter les expériences, il faut les peser et les assortir, il faut les avoir digérées et alambiquées pour en tirer les raisons et les conclusions. »