1L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a pour missions de conduire et de promouvoir des recherches fondamentales et appliquées, des actions d’expertise et des actions de développement technologique et industriel destinées à connaître, évaluer et mettre en valeur les ressources des océans et permettre leur exploitation durable ; améliorer les méthodes de surveillance, de prévision d’évolution, de protection et de mise en valeur du milieu marin et côtier ; et favoriser le développement socio-économique du monde maritime.
2L’institut apporte ainsi son concours à l’État et aux autres personnes morales de droit public mais agit également en soutien au développement durable de secteurs économiques. L’Ifremer s’est doté dès 2003 d’une « Charte de l’avis et de l’expertise » ainsi que d’une base d’experts internes afin de structurer et d’encadrer ces missions. L’accompagnement de la profession ostréicole en est emblématique.
3L’histoire de la conchyliculture française est marquée depuis le xixe siècle par des crises aiguës généralement liées à des épizooties. Toutes ces crises ont été facilitées par des situations récurrentes de quasi-monoculture. Dès 1920, on assiste à un effondrement des productions d’huîtres plates (Ostrea edulis) du fait d’un pathogène, suivi dans les années 1970 et 1980 par deux nouveaux parasites protistes (Bonamia ostreae & Marteilia refringens) qui ont réduit les productions de 20 000 à 2 000 tonnes annuelles. Trente ans plus tard, la situation reste identique pour cette espèce. De façon similaire, une épizootie virale est responsable de la disparition de l’huître portugaise en 1970, remplacée rapidement par l’huître creuse japonaise (Crassostrea gigas). Celle-ci est à son tour touchée depuis cinq ans par des mortalités massives récurrentes liées à des pathogènes. La production d’huîtres creuses a ainsi chuté de plus de 130 000 à 90 000 tonnes annuelles, ce qui affecte durablement l’ensemble du secteur économique concerné, actuellement en crise aiguë.
4L’Ifremer a apporté son expertise en appui à la profession ostréicole à trois niveaux : 1) observation et surveillance pour ce qui relève des recommandations en matière de gestion des cheptels en élevage (e.g., épidémiologie) [1] ; 2) recherche en amont pour élucider les processus impliqués dans les interactions hôte/environnement/pathogènes conduisant à ces mortalités massives, ainsi que les facteurs de contrôle de leur virulence ; 3) recherche finalisée permettant d’engager des processus de sélection génétique d’animaux tolérants aux pathogènes identifiés. En effet, en l’absence de possibilité de vaccination des cheptels et de traitements in situ en milieu marin, la voie d’action privilégiée est la sélection génétique et la production de lignées d’intérêt pour relancer les productions conchylicoles.
5L’Ifremer s’appuie pour cela sur son réseau de laboratoires Environnement Ressources, répartis sur l’ensemble des zones de production françaises, sur son laboratoire national de référence pour les maladies des mollusques (le laboratoire de Génétique et de Pathologie de la Tremblade), ainsi que sur ses unités de recherche. L’animation de la thématique « Santé des bivalves exploités » est assurée par un conseil scientifique opérationnel (CSO). Professionnels et chercheurs collaborent également autour d’une plate-forme expérimentale technique afin de tester des options concertées de sortie de crise.
6Les questions posées par ces crises récurrentes sont d’ordre fondamental et trouvent leurs réponses dans un travail scientifique exigeant, dont la temporalité diffère généralement de celle de l’expertise. Ainsi, les processus moléculaires impliqués dans la résistance au Bonamia ostreae de lignées sélectionnées d’huîtres plates (trois gènes impliqués dans le processus d’apoptose) n’ont été que récemment élucidés (Morga et alii, 2012) ! En ce qui concerne l’huître creuse et la virulence de ses pathogènes, la recherche est bien encore d’ordre mécanistique, cherchant à mettre en évidence le rôle de certaines protéines (par exemple, la porine OmpU de Vibrio splendidus) et les mécanismes de résistance et d’échappement à la réponse immunitaire de l’hôte Crassostrea gigas (Duperthuy et alii, 2011) ; ou bien les synergies entre les peptides antimicrobiens et les protéines impliquées dans la réponse immunitaire de Crassostrea gigas face à une vibriose (Schmitt et alii, 2012).
7D’un point de vue plus opérationnel, les projets de recherche finalisée en sélection génétique ont permis d’obtenir rapidement des lignées présentant des taux d’héritabilité élevés avec lesquelles une relance des productions est envisagée, soit par voie d’introgression génétique dans les populations sauvages, soit par des productions issues de reproductions contrôlées en écloserie (Degremont, 2011).
8Cet exemple des crises ostréicoles, qui mobilise fortement l’Ifremer, illustre bien les différents modes d’action que l’institut peut mettre en œuvre pour apporter son expertise à une filière maritime. Il montre bien également la richesse du continuum observation/expertise/recherche et la façon dont son articulation permet de répondre, avec des temporalités différentes, aux enjeux d’une crise majeure. Il en est de même, dans d’autres champs thématiques, pour l’appui que l’Ifremer apporte à la mise en œuvre de la directive cadre européenne « Stratégie pour le milieu marin » (DCSMM), à l’exploitation durable des granulats marins, des ressources halieutiques… ou encore des ressources minérales des fonds de mer.
Note
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[1]
Observatoire conchylicole, Réseau Pathologies Mollusques (Repamo).