1Depuis la fin des années 1990, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) réalise pour le compte des autorités du Sud des expertises scientifiques collectives, dites expertises collégiales, sur les questions et enjeux contemporains majeurs liés à leur développement. Elles visent à transposer les connaissances scientifiques et techniques vers la sphère des décideurs et hautes administrations des pays du Sud (ministères de gouvernements étrangers, organisations sous-régionales, institutions internationales), en les assortissant de conclusions et recommandations permettant d’éclairer et appuyer la décision publique. L’instrument de l’expertise collégiale est aujourd’hui déployé par l’IRD au nom des fonctions nouvelles d’Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) qui lui ont été confiées par la tutelle par décret du 3 juin 2010. L’Agence regroupe six membres fondateurs, dont le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Aux termes du contrat d’objectifs 2011-2015 de l’institut, « l’AIRD contribuera à la coordination de l’offre de l’expertise scientifique française sur des sujets qui concernent les Suds [et] développera la conception et l’animation Nord-Sud et inter-organismes d’expertises collégiales réalisées à la demande d’institutions du Sud ». Au sein de l’AIRD, cette mission échoit au Service de l’expertise. Ce dernier pilote, organise et garantit la qualité de l’ensemble des opérations d’une expertise collégiale : préparation des projets, animation générale du processus, recrutement des experts, organisation des missions, gestion intégrée du cycle de production documentaire, édition de l’ouvrage dans une collection ad hoc, diffusion de l’ouvrage, suivi des recommandations.
2L’IRD agit là dans le cadre particulier de ses missions de recherche, de formation, d’innovation et d’expertise orientées vers et pour les pays en développement de la zone intertropicale, dans des contextes de réalisation très variables au plan géopolitique, institutionnel et partenarial. Les expertises collégiales sont réalisées dans les pays et sous-régions du Sud intertropical (Amérique latine, Afrique, Moyen-Orient, Asie du Sud-est, Pacifique sud), ainsi que dans l’outre-mer tropical français. Ce rayonnement est supporté par le réseau historique d’implantations de l’institut à l’étranger, qui comprend aujourd’hui 25 « représentations » reconnues pour la plupart par un accord de siège, et couvrant une cinquantaine de pays. Les représentations de l’IRD constituent ainsi une courroie de transmission essentielle pour la réalisation des expertises collégiales, avec l’appui des postes du réseau diplomatique français et de leurs services de coopération. Le ministère des Affaires étrangères et européennes, avec son ministère délégué à la Coopération (ou au Développement, selon la période), est, rappelons-le, l’une des deux tutelles de l’IRD.
3Les expertises collégiales s’inscrivent en profondeur dans les relations partenariales développées par l’IRD dans les Suds. Là où les capacités de recherche sont faibles, il faut accompagner, soutenir, former, travailler avec les partenaires locaux, pour co-formuler les enjeux, co-construire les cadres de travail, co-évaluer les programmes, etc. Par principe, le bénéfice de l’expertise doit in fine revenir à l’autorité commanditaire de l’expertise et au pays du Sud, non seulement par la qualité et la précision des conclusions et recommandations remises, mais plus généralement par la dynamique et la méthode coopérative de travail initiées localement. L’atelier initial de l’expertise, qui associe autant que possible les parties prenantes concernées par le sujet soumis à expertise, et la restitution publique finale des travaux, marquent cette orientation, qui est une exigence. S’il est similaire dans ses grandes lignes à celui des expertises scientifiques collectives des deux autres organismes français qui les pratiquent (Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm], Institut national de la recherche agronomique [Inra]), le processus de l’expertise collégiale intègre donc un certain nombre de contraintes spécifiques. La trajectoire de développement du pays, les configurations institutionnelles et enjeux politiques du moment, la sensibilité « Sud » de la question soumise à expertise, marquent le cours des expertises collégiales. Le respect des règles de procédure n’en est donc que plus nécessaire, en particulier pour la nécessaire tenue des délais de rendu du rapport final (de douze à quinze mois), mais il est soumis de fait à une certaine variabilité. La gestion des conflits internes au collège, le suivi de l’avancement du travail des experts entre deux missions, le règlement des éventuels différends avec l’autorité commanditaire, par exemple, ne sauraient être traités sans un sens certain de la diplomatie et un fort investissement personnel. Lorsqu’il n’est pas l’autorité commanditaire elle-même, le bailleur de fonds doit pouvoir occuper la place qui lui revient, sans pour autant trop interférer avec les attendus de cette dernière.
4Le collège d’experts constitué pour chaque expertise collégiale traduit bien, également, les contraintes associées aux contextes des Suds. Le principe d’une parité Nord-Sud du collège représente en particulier une exigence première pour sa mise en place – dont on comprendra, à l’épreuve des faits, qu’il n’est pas toujours aisé à croiser avec celui de la pluridisciplinarité et de la compétence des experts. De plus en plus, cependant, et sans nécessairement avoir à se situer sur le terrain d’une éthique du partenariat, l’autorité commanditaire de l’expertise en fait un préalable. La pluralité interne des collèges est donc grande, tant en termes de spécialités, d’institutions de recherche (organismes, universités, centres, etc.), que de nationalités et de cultures professionnelles. Les chercheurs de l’IRD y sont toujours minoritaires dans ce collège, au nombre de deux ou trois parmi un total de douze à quinze membres.