CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Barbelé : fil de fer muni de pointes à la manière d’une barbe en épi. Le mot vient de « barbel », petite barbe pointue ; Verlaine utilise le verbe « barbeler », tombé depuis en désuétude. Le nom commun désigne, depuis son invention aux États-Unis dans l’Illinois en 1874 par un fermier du nom de J. F. Glidden, titulaire du brevet, un fil de fer jalonné régulièrement de torsades aux extrémités biseautées qui piquent le bétail et l’incite à rester dans l’enclos. Le barbelé va connaître un succès planétaire. Il va d’abord délimiter les vastes propriétés des cow-boys, puis entourer les camps de la mort nazis, les prisons dans tous les pays, les campements de réfugiés ou encore surmonter les murs d’enceinte des villas cossues, à défaut de tessons de bouteille scellés dans le ciment...

2Barrière : c’est un obstacle qui entrave l’entrée d’un champ, un assemblage de planches et de fer qui marque le passage d’un terrain à un autre. On parlera des « barrières de Paris » pour désigner ses octrois ou ses portes. Plus ordinairement, une barrière permet l’accès à une propriété ; au figuré, on parlera de « barrières douanières » pour le franchissement d’une frontière, sachant toutefois que l’administration des douanes, en France, est « volante ». La barrière est également un ensemble mobile en tubes métalliques qu’on ajuste avec d’autres pour contenir la foule lors d’une manifestation ou pour la canaliser à l’entrée d’un stade ou d’une salle de spectacle : elle s’appelle alors « barrière Vauban », du nom de l’ingénieur des villes munies d’une fortification en étoile qui ont été réalisées à la demande de Louis xiv.

3Bornage : d’après « borner », action de placer dans le sol des bornes pour délimiter un champ, une propriété ou un chemin. En France, les bornes kilométriques jalonnent les voies depuis 1867 et indiquent la distance entre deux lieux (d’où l’expression : « ce bled est à vingt bornes ! » pour dire que tel village se trouve à vingt kilomètres). Pierre Larousse note : « Les anciens marquaient aussi au moyen de pierres les limites des champs ; mais ils donnaient à ces pierres une forme sculpturale qui en faisait de véritables divinités : c’étaient pour eux le dieu Terme, et celui qui osait les déplacer se rendait coupable d’un véritable sacrilège. Dans un temps où la superstition se fourrait partout, on ne peut méconnaître que les législateurs firent preuve d’une véritable sagesse en faisant tourner au profit de la justice les erreurs populaires. » (Larousse, 1867). Plus loin, il précise que les mots « borne » et « frontière » ou « limite » sont employés les uns pour les autres. Françoise Choay traduit The Urban Place and the Non-Place Urban Realm (1964) de Melvin Webber par L’Urbain sans lieu ni bornes (1996), soulignant ainsi que l’urbain se diffuse partout, submerge les villes et les campagnes, brouille leurs limites, n’a plus de frontière, est hors bornage… L’humoriste Pierre Dac (1893-1975), quant à lui, philosophe : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. »

4Chicane : a le sens de « querelle » en langage juridique, où le verbe « chicaner » signifie « poursuivre quelqu’un en justice », « vétiller », « pinailler ». Une chicane est un cheminement tortueux, en zigzag. C’est également une figure du slalom en ski. Par métonymie, ce terme est utilisé pour une entrée en baïonnette, un sas, ou un endroit étanche qui sert à changer de vêtements, par exemple, lorsqu’on revient d’une mission salissante. La maison de la médina est équipée d’une chicane (skifa) afin que l’on ne puisse voir par la porte ouverte ce qui se passe à l’intérieur. Un adage algérois dit : « Une maison sans skifa est une femme nue. »

5Cloison : désigne une paroi qui sépare deux pièces dans un logement. C’est aussi au figuré, par exemple en anatomie ou en biologie, ce qui divise une cavité. Le mot vient du latin °clausio, « fermeture », dérivant de clausus, participe passé de claudere, « clore ».

6Clôture : elle sert à fermer. Ce terme remplace l’ancien mot « closure » et désigne, dans un premier temps, un mur d’enceinte puis, plus banalement, une séparation entre deux endroits. Dans l’architecture religieuse, la « clôture » est la partie du couvent non autorisée aux laïcs. Le Dictionnaire de théologie catholique de Vacant et Mangenot (dir.), (1911), à l’article « Clôture », précise que c’est l’Église qui applique « la loi de la clôture de façon différente aux religieux et aux religieuses ». Il convient de bien distinguer « la clôture papale » de la « clôture épiscopale », qui ne tient pas compte de la même manière de la législation en vigueur dans le pays où se trouve le monastère et l’astreint à telle ou telle disposition d’ouverture ou de fermeture.

7Démarcation : terme formé avec le préfixe « dé » et le verbe « marquer », d’où « démarcation », la ligne qui résulte d’un tracé commun entre deux États, par exemple. Le 22 juin 1940, la France est coupée en deux par l’Allemagne nazie victorieuse, la zone « libre » au sud et la « zone occupée » au nord – le régime de Vichy n’en aura connaissance qu’à la fin 1941. La ligne de démarcation parcourt 1 200 kilomètres et traverse 13 départements. Sur 90 départements, les Allemands en occupent 42 entièrement, 13 partiellement et en laissent 35 inoccupés. Le 11 novembre 1942, les Allemands pénètrent en « zone libre » et suppriment la ligne de démarcation le 1er mars 1943. Le colonel Rémy (Gilbert Renault) publie un ouvrage intitulé La Ligne de démarcation, que Claude Chabrol adapte au cinéma en 1966. Bien d’autres cinéastes seront inspirés par cette ligne qui représente tant d’espoir pour celles et ceux qui ne peuvent plus demeurer en sûreté dans la zone occupée…

8Digicode : il remplace la ou le concierge et est souvent couplé à un interphone. Le visiteur sonne à l’appartement de son hôte et s’annonce, celui-ci lui indique le numéro de code du système de protection des serrures télécommandées de l’immeuble et peut ainsi y pénétrer.

9Enceinte : elle correspond à une palissade ou à une fortification qui protège une ville. On parle alors de mur d’enceinte, mot venant du latin incincta, « entourée d’une ceinture » (de incingere, « ceindre »). Chez les Étrusques, puis les Romains, la délimitation de l’enceinte d’une ville est un moment fort dans le rituel de fondation. Dans La Cité Antique (1864), Numa Fustel de Coulanges note, à propos de Rome : « Romulus trace un sillon qui marque l’enceinte. Ici encore les moindres détails sont fixés par un rituel. Le fondateur doit se servir d’un soc de cuivre ; sa charrue est traînée par un taureau blanc et une vache blanche. Romulus, la tête voilée et sous le costume sacerdotal, tient lui-même le manche de la charrue, et la dirige en chantant des prières. Ses compagnons marchent derrière lui en observant un silence religieux. À mesure que le soc soulève des mottes de terre, on les rejette soigneusement à l’intérieur de l’enceinte, pour qu’aucune parcelle de cette terre sacrée ne soit du côté de l’étranger. Cette enceinte tracée par la religion est inviolable. »

10Frontière : limite séparant deux États. Le mot vient de l’expression militaire « faire front » ; par métonymie, le « front d’une armée » désigne la « frontière », terme qui est aussi attribué à une place forte ou « ville frontière ».

11Grille : c’est un assemblage régulier de barreaux verticaux et horizontaux qui constitue une protection. Au figuré, on parle de « grille » pour un échiquier ou encore de « grille de lecture » pour l’interprétation d’un texte. Posée sur un feu, la grille permet la cuisson de grillades… Le grillage est une grille plus souple, constitué d’un réseau de fils de fer épais. Si la grille est infranchissable, le grillage résiste peu à la cisaille…

12Judas : nom du disciple du Christ qui n’hésita pas à le trahir pour quelques deniers ; de nom propre, il devient un nom commun désignant le « traître », un judas, celui qui voit sans être vu, comme cette petite ouverture ou orifice sur une porte qu’on appelle également « un judas ».

13Mur : du latin murus, enceinte d’une ville et, par métonymie, ville fortifiée. On dira alors « hors les murs » (extra muros) ou « dans les murs » (intra muros). Il s’agit également d’un ouvrage maçonné, en pierre, brique ou parpaing qui sert à l’édification d’une maison. Ces murs sont dits « porteurs » en ceci qu’ils supportent la charpente recouverte par la toiture. On parle en outre de « mur mitoyen » (pour un mur commun à deux habitations), de « mur de clôture » (pour un mur qui sépare deux propriétés) ou de « mur de soutènement » (pour un mur qui sert aussi de fondation). De nombreuses locutions figurées dérivent de ce mot, comme « faire le mur » (s’évader), « les murs ont des oreilles » (se méfier des voisins qui entendent ce que vous dites), « raser les murs » (être discret, s’effacer, se dissimuler) ou encore « coller au mur » (lors d’une exécution). Le verbe « murer » signifie fermer une ouverture, rendre étanche une construction : ainsi mure-t-on un immeuble insalubre pour éviter qu’il ne soit squatté en attendant sa démolition. Louis-Sébastien Mercier rapporte une expression du peuple de Paris concernant la barrière des Fermiers généraux : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. ».

14Muraille : on pense immédiatement à la Grande Muraille de Chine, édifiée sous la dynastie des Hans au cours des iiie et ive siècles avant Jésus-Christ, longue de plusieurs centaines de kilomètres. En français, la muraille dérive du mur, est plus haute et plus épaisse. À Saint-Étienne, une barre d’habitations particulièrement massive avait été surnommée « la muraille de Chine » par ses habitants : elle a été implosée le 28 mai 2000.

15Paroi : c’est la séparation intérieure des pièces d’une maison ou la face intérieure du mur. Ce mot sert également à désigner un versant rocheux particulièrement abrupt. La paroi peut être en verre : elle perd alors sa dimension minérale d’imperméabilité, on peut voir au travers sans toutefois toucher… La paroi est une sorte de mur.

16Portail : c’est l’entrée monumentale d’un bâtiment, par où passe la calèche ou l’automobile. La porte ou le portillon sont adjacents et destinés au piéton. On pénètre dans une église ou une cathédrale par son portail, du moins lors des fêtes religieuses. Il est fait de panneaux de bois ouvragés. Dans le vocabulaire du numérique, un « portail » est ainsi défini par l’Office de la langue française du Québec : « site Web dont la page d’accueil propose, en plus d’un moteur de recherche, des hyperliens avec une foule d’informations et de services attractifs, qui est conçu pour guider les internautes et faciliter leur accès au réseau. »

17Porte : du latin porta, « passage », dont la racine indoeuropéenne °per, « traverser », se retrouve dans « port », « pore » et « porche ». La « porte » permet de franchir un mur d’enceinte ; par la suite, le mot désigne un arc édifié à l’entrée d’une ville, sans nécessairement s’adosser à une fortification, comme les portes Saint-Martin et Saint-Denis à Paris, édifiées sous le règne du Roi-Soleil. Par la suite, la « porte » se substitue à « huis » comme ouverture aménagée dans un mur (la porte d’une maison, par exemple). Le mot « huis » est une altération du latin ostium, « entrée », « ouverture », qui dérive de os, oris, « bouche », « orifice », donc « porte ». On retrouve cette filiation dans « huis clos », qui veut dire « à portes fermées », dans « huisserie » (« chambranle d’une porte ») et « huissier » (gardien d’une porte, celui qui annonce les visiteurs). Le dieu romain des portes est Janus : c’est le dieu des transitions, d’où ses deux visages ; c’est aussi celui qui préside au commencement, le premier mois de l’année lui est dédié (janvier, Janua, Januarius : la porte de l’année).

18Rempart : remblais renforcés par une muraille qui ceint une ville et la protège, les remparts constituent une fortification ; le verbe « remparer » veut dire « fortifier » ou « entourer de fortifications ». Tout ce qui participe à une défense fait rempart, d’où l’expression « mon nom fait rempart » (sous-entendu, en me citant, vous n’aurez pas d’ennui). Les verbes « remparer » et « emparer » ne sont plus trop utilisés, de même que leur antonyme, « désemparer », sauf dans la formule, « sans désemparer », soit « sans s’interrompre », traduit en argot par « sans débander ». Pierre Larousse fait état de « remparts portatifs » que les Chinois transportaient lors de combats pour boucher une brèche ; il indique également que les améliorations de « l’artillerie à feu » rendent inutiles bien des remparts… Il n’écrit rien sur les fortifications Thiers à Paris, si peu efficaces lors de la guerre avec la Prusse.

19Résidentialisation : terme récent qui signifie qu’une résidence est entourée d’un grillage, d’une haie, d’un muret et qu’on ne peut plus y accéder librement, qu’il faut passer par le portail, muni d’un badge ou d’un code. La résidentialisation délimite le terrain qui appartient aux colocataires ou aux copropriétaires et se trouve sous leur responsabilité. Le bailleur sépare ainsi ce qui relève de la voirie publique (municipale) de ce qui doit être entretenu et éclairé par lui. La résidentialisation est un dispositif de la politique sécuritaire qui se manifeste depuis une vingtaine d’années aussi bien dans le logement social que dans le logement « libre » (entendre, « sur le marché immobilier »).

20Serrure : mécanisme en fer qui sert à fermer au moyen d’une clef. Le serrurier est l’artisan qui façonne les crémones, charnières, espagnolettes, gonds, boutons de porte, heurtoirs ou marteaux et autres ornements des portes. Dorénavant, il existe des serrures électroniques qui fonctionnent avec une carte (surtout dans les hôtels) ou même l’empreinte digitale du propriétaire d’un appartement ou d’une voiture.

21Verrou : système de fermeture en métal comprenant une pièce (le cylindre) qui se glisse dans une autre (le crampon) et bloque ainsi l’ouverture d’une porte, par exemple, ou du couvercle d’un coffre. Le verbe « verrouiller » signifie au propre « fermer » et au figuré « maîtriser » une situation, en ayant bloqué tout agissement contraire à vos fins… Le célèbre tableau de Jean-Honoré Fragonard, Le verrou, peint vraisemblablement entre 1774 et 1778, est aussi titré « Le viol » ; c’est dire que verrouiller peut aussi contraindre…

Références bibliographiques

  • Fustel de Coulanges, N., La Cité antique, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2009.
  • Larousse, P., Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, t. 2, Paris, Administration du Grand Dictionnaire universel, 1867.
  • Rémy (Col.) (Gilbert Renault), La Ligne de démarcation, t. 1, Paris, Perrin, 1964.
  • Vacant, A. et Mangenot, E. (dir.), Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Letouzey et Ané, 1911.
  • Webber, M., L’Urbain sans lieu ni bornes (traduit de l’anglais par Xavier Guillot), La Tour-d’Aigues, éditions de l’Aube, 1996.
Thierry Paquot
Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, est professeur des universités (IUP-UPEC), membre de la rédaction des revues Hermès, Books, Diversité, Esprit, Urbain (Milan), Localities (Corée du Sud) ‘Scape (Pays-Bas). Il a été l’éditeur de la revue Urbanisme de 1994 à 2012. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont L’Art de la sieste (Zulma, 1998), Éloge du luxe : de l’utilité de l’inutile (Bourin éditeur, 2005), Petit Manifeste pour une écologie existentielle (Bourin éditeur, 2007), L’Espace public (La Découverte, 2009), L’Urbanisme c’est notre affaire ! (Atalante, 2010), Un philosophe en ville (Infolio éditions, 2011).
Courriel : <th.paquot@wanadoo.fr>.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 02/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/48343
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