1Ce numéro de la revue Hermès consacré aux musées s’annonce paradoxal à plus d’un titre ; il bouscule quelques a priori et révèle l’importance de l’option publique de gestion. Pour beaucoup d’entre nous, l’institution-musée, c’est le Louvre à Paris, le Guggenheim de Bilbao, le MoMA de New York, le musée des Offices à Florence, Sèvres... un sanctuaire donc, qui présente les œuvres d’artistes symboliques de la production culturelle de notre civilisation. Les premiers musées, qui sont en fait des collections privées ouvertes à un public sélectionné, naissent à Venise, à Amsterdam au xiiie siècle, et formeront par la suite les fonds des musées publics. Peu à peu, chaque pays européen, chaque ville s’enorgueillira de son musée – phénomène qui connaît aujourd’hui une croissance exponentielle et gagne toute la planète. Il suffit de voir qu’en Chine, chaque quartier en construction prévoit, dans son plan d’urbanisation, plusieurs milliers de mètres carrés destinés à l’accueil d’expositions. Les musées privés font florès, des États-Unis à la Grèce, du Mexique à la Tasmanie, sans oublier bien sûr de l’Europe jusqu’à la Russie. Ces musées de collectionneurs marquent un passage intéressant, celui de la discrétion, qui caractérise habituellement cette passion très personnelle, à l’exhibition d’un statut social et à l’affirmation d’une facette de la personnalité du mécène. Les contenus de ces musées privés rivalisent avec ceux des établissements publics et n’innovent pas vraiment ; ce sont des clones en fait, sauf à considérer les investissements et les moyens à disposition qui sont, en tout cas dans le domaine de l’art contemporain, bien supérieur à ce que les subventions publiques peuvent offrir. Problèmes ? L’avenir nous le dira.
2Ce dossier sort des sentiers battus laissant de côté l’analyse de l’impact du marché de l’art et des investissements privés sur l’évolution du musée d’art pour faire découvrir, d’une part l’immense diversité des musées et, d’autre part, les enjeux de transmission proposés par chacun d’eux.
Communiquer à qui et quoi ?
3Le musée conçu par des savants pour des savants, par des experts pour des artistes, est mort. Aujourd’hui, depuis la seconde partie de xxe siècle, la situation a radicalement changé. Le musée est devenu un média de masse, un véritable enjeu de débats sur les cultures, les arts et les sciences. Le public se déplace nombreux et les musées poussent comme des champignons. Ce public, qu’attend-il de sa visite ? Comment expliquer cet intérêt pour des lieux somme toute élitaires ? Que signifie la vogue du tourisme culturel dont les musées du monde sont les principales attractions ?
4Les rédacteurs de ce numéro analysent la transformation des musées à l’œuvre durant ces dernières décennies et l’attention particulière qui a été donnée à la communication des savoirs. Vous connaissez les musées des sciences, des arts et traditions populaires, des instruments de musique, des pâtes ou du tabac, de l’eau, des jouets, du chocolat ; vous avez certainement visité un jour un musée du cinéma, du théâtre ou des marionnettes, ou encore les musées d’entreprises : automobiles, tissus… qui transmettent un pan de notre histoire industrielle. Tout ce que l’homme a produit d’objets ou inventé comme activité trouve quelque part sa place « muséalisé » pour se faire voir du public. Il existe aussi des musées de sociétés qui accréditent l’historiographie : Napoléon, l’immigration, le parti communiste, le fascisme, la Shoah, les Khmers rouges, sans oublier ceux qui exposent la mémoire de communautés religieuses : juives, orthodoxes…
5L’architecture et la muséographie posent la question de la mise en valeur de certaines informations au détriment d’autres, et affirment un choix. Ce qui peut être proposé comme subjectif dans le cas des musées « classiques » ne l’est plus dans un musée scientifique, historique ou de société. Architectes, scénographes sont ainsi directement impliqués dans le message que l’exposition désire affirmer ou soutenir.
6Le contexte historique a ses exigences. Le musée national de Namibie est un cas extraordinaire. Ce musée, conçu durant l’époque coloniale par les colons fascinés par les traditions locales, a été abandonné à l’Indépendance, car il avait été réalisé dans l’esprit de l’occupant. Aujourd’hui, avec un regard et une mise en place évidemment différente des collections, il est devenu le musée national. Demeure une question sous-jacente : que garder et qu’éliminer dans de telles situations ? Les polémiques récentes qui ont accompagné la naissance de la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration à Paris nous donnent une idée de l’ampleur des problèmes à l’œuvre lors de l’ouverture de telles institutions.
7Les moyens de communication des musées ont ainsi considérablement évolué. Est-ce la raison de leur succès ? Le cas des musées scientifiques en est le meilleur exemple et le plus évident à saisir – même si cette exigence de communication doit être étendue à l’ensemble des musées. S’agit-il d’amuser la galerie ou de transmettre un savoir complexe. L’un et l’autre, si c’est possible. C’est là que l’expertise est obligatoire et les moyens de la transmission sont à inventer.
Communiquer la complexité
8Les écueils sont nombreux, entre l’idéologie qui transparaît facilement à travers la simplification de messages émis et l’ennui d’une présentation bavarde et suffocante. C’est un véritable enjeu. À la lecture des articles présentés, apparaît clairement l’importance d’une intervention publique qui soutienne les musées et les considère comme des centres de recherche et de divulgation du savoir ayant la capacité de rendre accessible au plus grand nombre la complexité de nos sociétés contemporaines. Loin d’un projet élitaire et conservateur, leur variété démontre à quel point cette forme de présentation répond au désir de connaissance, de débat et de convivialité. Loin du système purement privé qui, lui, répond à l’ego d’un seul ou à la promotion d’un produit. À moins que le privé n’accepte de travailler à l’intérieur des institutions publiques, non pas de manière concurrente ou parallèle, mais en dialogue. Les musées publics peuvent être un relais de connaissance, c’est le grand enjeu aujourd’hui dans ces institutions.