CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pour promouvoir le Public Understanding of Research, certains musées de sciences européens sont en train d’expérimenter un nouveau dispositif muséographique : la mise en place de laboratoires de recherche dans l’espace accessible aux visiteurs. De tels laboratoires ont vu le jour dans divers musées (Munich, Milan, Göteborg...). Dans le monde anglo-saxon les efforts pour représenter la Science in the Making se multiplient ; le Darwin Centre du London Museum of Natural History, par exemple, est un lieu qui montre la science en action et permet à ses visiteurs de rencontrer et de discuter avec des chercheurs. Pour Shapin (1992), Science in the Making est une approche qui « non seulement consiste à expliciter au public ce que les scientifiques savent mais, également et surtout, comment et avec quel niveau de confiance ils en sont venus à savoir cela » ; Shapin montre, entre autres, que la science est le fruit de collaborations entre chercheurs, qu’elle est soumise aux aléas et aux erreurs, que toute conclusion scientifique est le résultat d’interprétations subjectives (Girault et Lhoste, 2010, p. 45). Cet article traite d’un de ces dispositifs pour montrer la science en train de se faire : le laboratoire de recherche « en verre » au Deutsches Museum à Munich (gläsernes Forscherlabor en allemand).

2À première vue, ce laboratoire ressemble à un laboratoire ordinaire. On y trouve des paillasses et de l’équipement scientifique comme un microscope à effet tunnel et des ordinateurs ; on y voit des chercheurs en train de faire des expérimentations scientifiques. En effet, le laboratoire fut créé en coopération avec l’Université Ludwig-Maximilian de Munich : un groupe de recherche, avec tous ses instruments, a déménagé d’un bâtiment de l’Université vers les locaux du Deutschen Museum, afin d’y créer un laboratoire de recherche fonctionnel. L’objectif était d’offrir aux visiteurs du musée la possibilité de suivre en direct des recherches scientifiques et de se faire expliquer par les chercheurs eux-mêmes le processus de recherche. À cet effet, quelques nouvelles fonctionnalités ont été introduites. Surtout, un mur de verre d’une hauteur de 1,2 mètres a été installé pour séparer le laboratoire et le visiteur. Pour permettre aux visiteurs – malgré cette séparation – de pouvoir observer de façon continue le travail des chercheurs, des écrans ont été placés sur ce mur pour y montrer ce que les chercheurs voient sur leurs propres écrans. D’autres éléments ont été ajoutés : de grands écrans vidéo, des objets de démonstration, des panneaux d’information, des affiches, des dépliants. En effet, ce laboratoire est peuplé par une multitude d’objets : des objets de travail (comme le microscope), des objets qui expliquent le travail de recherche (les modèles utilisés pour les démonstrations) et des objets qui attirent et cadrent l’attention des visiteurs sur le travail de recherche (affiches et panneaux d’information).

3Il y a plusieurs défis pour les chercheurs : d’être « exposés » dans le musée, de travailler dans un environnement plus bruyant qu’un laboratoire de recherche ordinaire, de devoir travailler pendant les heures d’ouverture du musée. Selon le directeur du musée, les doctorants qui travaillent dans le laboratoire apprennent surtout deux choses : que d’autres personnes que leurs pairs sont réellement intéressées par leurs recherches et comment communiquer avec des visiteurs. Et, grâce à leurs discussions avec les visiteurs, les chercheurs peuvent avoir une idée sur la façon dont leur domaine de recherche est perçu par le public. Pour les chercheurs, ces expériences sont donc un outil utile pour comprendre les réactions et discussions du public face aux nouveaux développements dans la recherche et la technologie (Hix et al., à paraître).

4Comme dans le musée, les chercheurs n’interagissent pas seulement avec leurs pairs, mais avec un public plus varié ils doivent expliquer leurs travaux de recherche à des profanes et donc limiter l’utilisation de jargon scientifique. De plus, ils doivent engager des discussions avec les visiteurs et les encourager à poser des questions, que ce soit sur des détails scientifiques, les méthodes des chercheurs, leurs motivations ou sur leurs carrières, etc.

5Cependant, favoriser une attitude proactive de la part des visiteurs n’est pas chose facile. Certains visiteurs n’« osent pas déranger » les chercheurs (Pfuhl et Lewalter, 2008, p. 53). De façon générale, on note que le public « n’est pas encore assez confortable pour explorer de nouvelles méthodes de communication scientifique, c’est-à-dire […] de poser des questions aux présentateurs, de s’engager dans la communication, […] de regarder derrière les coulisses » (Yaneva et al., 2009, p. 86). L’expérience des visiteurs montre qu’ils savaient déjà ce qu’est un laboratoire de recherche avant d’entrer au Deutsches Museum, mais qu’ils l’avaient imaginé différemment : ils s’attendent à plus d’instruments, à moins d’ordinateurs et à un lieu plus grand et plus spectaculaire. Dans l’ensemble, la majorité des visiteurs disent aimer les discussions qu’ils ont eues et commentent de façon positive les explications qu’ils ont reçues (Pfuhl et Lewalter, 2008, p. 53). Pourtant, la plupart des visiteurs ne ressentent pas la visite du laboratoire comme un véritable « dialogue », mais plutôt comme une « situation à l’école » ou un(e) « monologue/présentation ». Soulignons que le laboratoire « en verre » favorise des interactions entre chercheurs et visiteurs qui sont plutôt visuelles et discursives. Les visiteurs ne sont pas autorisés à entrer dans l’espace même du laboratoire ou à interagir directement avec du matériel de recherche – une distance physique et cognitive entre chercheurs et visiteurs subsiste.

6Pour les chercheurs et les universités impliquées, un tel « laboratoire dans le musée » fait appel à de nouvelles pratiques, de nouvelles façons de communiquer la science, de nouvelles façons de réfléchir sur la recherche et d’évaluer ce travail. Un tel laboratoire retrace les frontières entre espace public et espace privé, entre recherche scientifique et communication scientifique, entre expérience dans un musée et expérimentation dans un laboratoire (Meyer, 2011). Malgré les efforts supplémentaires requis par la communication scientifique envers les visiteurs, le musée estime qu’il est possible de faire de la recherche au sein d’un dispositif comme le laboratoire de recherche en verre. Plusieurs mémoires de master ont été réalisés et des thèses de doctorat sont actuellement en cours. Le groupe de recherche dispose d’une équipe relativement constante, publie des articles scientifiques, présente ses résultats à des conférences et travaille au sein d’un réseau mondial de chercheurs.

7Une caractéristique particulière doit être soulignée : si, en sciences naturelles, on ne parle que très peu des échecs et des erreurs et qu’on ne présente en général que la recherche couronnée de succès à des collègues scientifiques, les chercheurs du laboratoire en verre doivent aussi apprendre à expliquer aux visiteurs pourquoi des expérimentations ne se déroulent parfois pas comme prévu. Ainsi, des résultats de recherche et des processus de recherche sont présentés ; les frustrations et problèmes techniques sont tout aussi visibles que les réussites.

8Afin d’exposer la recherche et des chercheurs dans un musée, il faut réorganiser l’architecture matérielle et sociale d’un laboratoire. Il faut créer un espace d’expérimentation pour la production de connaissances, remplacer des murs opaques par des parois transparentes, peupler ce laboratoire par une multitude d’objets (des objets pour réaliser, afficher, signaler, expliquer, cadrer le travail de recherche), créer et indiquer un espace de discussion et d’interaction avec les visiteurs, réfléchir sur comment monter la science en train de se faire (avec ses processus, ses incertitudes, ses méthodes). Comme les musées de science sont généralement plus ouverts, plus accueillants, plus accessibles et démocratiques que les laboratoires et les universités, et comme ils peuvent donc agir en tant que médiateurs entre les publics et des experts, leur rôle dans l’exposition, la compréhension et la « mise en discussion » de la science en train de se faire est d’actualité.

Références bibliographiques

  • En ligneGirault, Y. et Lhoste, Y., « Opinions et savoirs : positionnements épistémologiques et questions didactiques » in Lhoste, Y. et Girault, Y. (dir.) Opinions et savoirs. Recherches en Didactique des sciences et des technologies, no 1, 2010, p. 29-66.
  • En ligneHix, P., Schüssler, P. et Trixler, F., « Kommunikation des Forschungsalltags : Das gläserne Labor im Deutschen Museum » in Dernbach, B., Kleinert, C. et Münder, H. (dir.), Handbuch Wissenschaftskommunikation, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, à paraître en fév. 2012.
  • En ligneMeyer, M., « Researchers on Display : Moving the Laboratory into the Museum », Museum Management and Curatorship, vol. 26, no 3, 2011, p. 261-272.
  • Pfuhl, N. et Lewalter, D., Abschlussbericht. Studie zum Ausstellungsbereich Gläsernes Forscherlabor, Munich, Technische Universität München, 2008.
  • En ligneYaneva, A., Rabesandratana, T.M. et Greiner, B., « Staging Scientific Controversies. A Gallery Ttest on Science Museums’ Interactivity », Public Understanding of Science, vol. 18, no 1, 2009, p. 79-90.
Morgan Meyer
Morgan Meyer est post-doctorant à Mines-ParisTech au Centre de sociologie de l’innovation. Il s’intéresse à la rencontre de la science et des cultures : sociologie et géographie des sciences ; frontières et travail-frontière ; musées ; science et culture au Luxembourg. Sa recherche actuelle porte sur le « courtage » et l’intermédiation des savoirs.
Peter Schüßler
Peter Schüßler est collaborateur scientifique au Deutsches Museum. Ses recherches se placent dans la perspective des Science and Technology Studies. Peter Schüßler a, entre autres, participé à des projets européens FP7 (Time for Nano et Nano to Touch) et il a coorganisé les Bürgerdialoge zur Nanotechnologie (Dialogues citoyens sur les nanotechnologies) au Deutsches Museum.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2013
https://doi.org/10.3917/herm.061.0185
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