CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il existe un récit consensuel relatif à un tournant participatif dans les formes de la relation entre les sciences et la société. Le musée serait à son tour pris dans cette dynamique devenue irrésistible avec multiplication des crises industrielles et environnementales, avec un certain retard dû au conservatisme légendaire de l’institution. Je souhaiterais revenir sur ce récit pour proposer une autre vision du sens et des formes de ce tournant participatif dans le musée. Je me fonde sur une caractérisation du musée non comme lieu de diffusion des savoirs, mais comme lieu d’expression culturelle des communautés scientifiques, celles-ci n’étant pas limitées aux sciences de la nature. Le musée participe en effet de la manière dont nos modes de production des savoirs impliquent nécessairement une expression culturellement située de ces savoirs : l’article académique est une production culturellement située, l’exposition en est une autre.

2Le musée révèle, par exemple, des distinctions culturelles entre sciences de la nature et sciences sociales que les conditions professionnelles et notamment administratives d’exercice du métier de chercheur atténuent dans le champ strictement académique. Il s’avère également être, en tant que média, un lieu privilégié d’expérimentation d’un marché de l’ingénierie des communications professionnalisées dans leurs formes organisationnelles et techniques.

3Je développerai cette double condition du musée comme lieu d’expression culturelle des communautés scientifiques et espace d’expérimentation d’une ingénierie de la communication professionnalisée. Cette condition mixte, ambivalente fait du musée un espace social très convoité. Je prendrai appui sur une analyse du traitement différencié des problématiques environnementales dans les musées de sciences et dans les musées de société [1]. J’évoquerai en conclusion la nécessité de réexaminer certaines dynamiques contemporaines dans les musées de sciences, par exemple la puissance d’un imaginaire profondément culturel des sciences de la nature qui trouve son débouché dans le modèle du développement durable et dans l’ingénierie des communications que ce modèle de développement requiert et légitime.

Écomuséologie : l’homme, le territoire, l’environnement

4Les problématiques environnementales apparaissent à des dates et sous des formes différentes dans les musées de sciences et dans les musées de société. Cela témoigne de divergences dans les modes de fonctionnement culturel des sciences sociales et des sciences de la nature, si on ne réduit pas celles-ci à des communautés professionnalisées et des pratiques réglementées (mêmes diplômes, mêmes grades, mêmes carrières, même modes d’évaluation de la production scientifique que l’on soit biologiste ou ethnologue) mais si on les considère comme des communautés de production de savoirs sur le monde. De ce point de vue, sciences de la nature et sciences sociales n’ont pas le même usage ou le même rapport à leurs musées de référence.

5Dans les sciences culturelles, l’environnement apparaît au musée non pas sous forme de thème, mais sous forme de nouvelles structures muséales spécifiquement dédiées aux questions de patrimonialisation, conservation et gestion des territoires habités, et associées dans un premier temps aux parcs naturels régionaux créés en 1967 pour développer un type de structure plus adaptée que les parcs nationaux à la protection des territoires fragiles habités.

6Georges Henri Rivière, directeur du Conseil international des Musées (ICOM), invité par la Délégation interministérielle à l’Aménagement du territoire et à l’Attractivité régionale (DATAR), à réfléchir sur la création des musées de parcs, s’appuie sur les expériences muséologiques du futur écomusée de Marquèze dans le parc des Landes de Gascogne, et du futur écomusée d’Ouessant dans le parc d’Armorique. Ces expériences sont animées par des conservateurs et ethnologues comme Jean-Pierre Gestin dans le parc d’Armorique.

7Georges Henri Rivière est inspiré, comme Gestin, par le musée de plein-air Skansen et par le Nordiska museet créés en Suède à la fin du xixe siècle. Il propose une structure qui intègre une attention au territoire comme unité patrimoniale, ainsi qu’une problématique des liens de l’homme à son environnement. Une première définition des écomusées est rédigée avec Hugues de Varine en 1971 pour la neuvième conférence de l’ICOM : c’est « un musée éclaté, interdisciplinaire, démontrant l’homme dans le temps et dans l’espace, dans son environnement naturel et culturel, invitant la totalité d’une population à participer à son propre développement ». La définition se précise dans les années qui suivent : l’écomusée propose « une vision globale et sans rupture entre l’homme et son milieu, invitant la communauté qu’il sert à agir et à contribuer à son propre développement ». Les premiers parcs naturels régionaux et écomusées passent sous la responsabilité du ministère de l’Environnement créé en 1971.

8Dans la mesure où les écomusées, comme les parcs naturels régionaux (dans certains cas, les deux structures deviennent presque interchangeables), impliquent nécessairement une gestion concertée avec les habitants et une mixité des enjeux de protection de la nature, de la culture et de développement et d’aménagement du territoire, il n’est guère étonnant que les écomusées aient rapidement développé un modèle de fonctionnement participatif, dont les principes seront fixés et expérimentés à l’écomusée du Creusot [2]. Hugues de Varine, promoteur de cette conception au musée, s’est également investi dans la réflexion sur les formes de démocratie participative, et les budgets participatifs du type de celui rendu célèbre par l’expérience de Porto Alegre.

9Il existe donc un réseau de liens entre les sciences sociales, les problématiques environnementales et les dynamiques participatives – liens qui s’expriment dans les écomusées et dans les formes qu’y ont prises les démarches participatives (Casteignan, Delarge et Guyot-Corteville, 2004). Ces réseaux de liens ne sont pas structurés par des préoccupations relatives aux rapports entre sciences et société, mais par l’extension aux questions environnementales d’une réflexion culturelle sur les territoires. L’environnement, pourtant pris comme intitulé du ministère de tutelle des écomusées créé en 1971, ne constitue pas alors une catégorie de « problèmes » à régler par les communautés humaines. Il traduit plutôt une remontée dans les instances nationales d’une vision anthropologique et politique des communautés humaines comme liées à des territoires et des cultures comme étant ancrées dans des milieux et structurées par les médiations qui traduisent des ontologies du rapport entre l’homme et la nature [3]. Cette affirmation des cultures comme étant associées à des rapports à la nature et aux milieux est certes liée à des problèmes de relations à la nature (le club de Rome publie en 1970 son rapport pour la fin de la croissance continue) mais aussi à la problématisation des modes de patrimonialisation et de transmission culturelle.

10Compte tenu de l’attention précoce portée par les écomusées à des questions proches de celles qui inspirent les débats actuels à propos de développement durable et de démocratie participative, on peut s’étonner de l’absence remarquable de la référence à cette expérience dans ces mêmes débats.

11Le modèle du développement durable est constamment renvoyé à la façon dont il a pris forme dans un agenda politique, scandé par des événements internationaux hors-sol [4], sans lien particulier avec la manière dont les rapports culturels aux territoires avaient déjà débouché sur des créations institutionnelles reliant implication académique, création muséale, et initiative politique. Lorsqu’on évoque le traitement par les musées des problématiques environnementales, on pense désormais le plus souvent à des expositions à caractère scientifique, relatives à des problèmes ou des thèmes controversés et donnant lieu à des débats publics ou des démarches participatives.

L’environnement au musée des sciences : thématisation, éditorialisation, participation

12Revenons ici à une série d’événements révélateurs de la manière dont la Cité des Sciences a pris en charge le thème de l’environnement. Celui-ci est progressivement apparu comme thème-phare d’une nouvelle muséologie des sciences centrée sur des liens entre sciences et société, au cours de la décennie 1990 (Davallon, Grandmont et Schiele, 1998). Le cas de la Cité des Sciences est intéressant pour suivre l’émergence et la stabilisation des formes de traitement du thème. En 1989, trois ans après son ouverture, elle initie la campagne de renouvellement des expositions permanentes avec l’ouverture de l’îlot « Environnement » suivi de l’îlot « Santé » quelques années plus tard.

13Santé, environnement : c’est la logique thématique caractéristique du renouvellement de la muséologie des sciences dans la décennie 1980 (Natali et Martinand, 1987) qui s’impose. L’idée est d’associer les modes de questionnements des chercheurs à ceux des publics pris comme représentants de la population en général. Ce sont les thèmes relatifs à des « problèmes » qui semblent s’imposer pour figurer le rapprochement entre questionnements des chercheurs et préoccupations des publics lors de cette première campagne de renouvellement. Même si dans les toutes premières années d’ouverture de la Cité des Sciences, les zones de recouvrement entre questionnements scientifiques et questionnements des populations n’allaient pas de soi et pouvaient être situés dans le monde des applications (les techniques et l’industrie) ou dans des fondements anthropologiques ou épistémologiques de notre rapport au monde (le mystère des origines, les échelles et les frontières de perception du réel, etc.).

14À partir des années 1990, les musées privilégient les problèmes socio-scientifiques comme figures des liens entre questionnements scientifiques et questionnements des publics en général. Cette orientation renforce deux caractéristiques de la muséologie des sciences, caractéristiques qui étaient présentes à l’état de potentialités parmi d’autres en 1989.

15La première est que ce recouvrement entre questionnements scientifiques et questionnements supposés du public va être identifié à un croisement entre demande sociale et expertise scientifique, dans la mesure où il sera porté par des thèmes constitués comme des problèmes que doivent résoudre les communautés humaines. La seconde est que les médias sont considérés comme des sortes d’échantillons de la vie publique sociale, qui donneraient un accès direct aux questionnements du public et au débat social à propos de ces questionnements. Cette double orientation ne va pas de soi en 1989, au moment de l’ouverture de l’exposition Environnement. L’équipe de conception fait même, dans un premier temps, un choix très différent. L’exposition ouvre certes sur une série de problèmes, mais développe une présentation de l’environnement comme objet de connaissance construit par l’écologie et la climatologie. L’environnement est présenté comme un objet scientifique indépendant de préoccupations politiques et sociales ; l’exposition affirme l’autonomie de l’écologie comme discipline issue du développement contemporain des sciences de la nature. Tout se passe comme si, dans un premier temps, le musée réagissait au thème de l’environnement qu’il prend pourtant en charge, en durcissant un parti-pris cognitif contre le risque redouté de nourrir les préjugés et peurs irrationnelles auxquelles les sciences modernes s’opposent. Les sciences sociales sont présentes dans l’exposition, mais dans des modes d’expression éloignés de ceux qui sont développés par les commissaires écologues et climatologiques. La touche des « sciences sociales » est portée par des auteurs individualisés qui signent leurs textes. L’un d’eux – celui de Denis Duclos – porte sur les peurs et les imaginaires sociaux de la catastrophe.

16Pourtant, au plan national, le vote « vert » fait une percée dans toutes les élections entre 1988 et 1989 : présidentielles, cantonales, municipales. Mais ce phénomène est presque immédiatement dénoncé par une partie des intellectuels comme un obscurantisme, une tentation régressive (par exemple, Ferry, 1992). Le souci des relations entre les hommes et la nature est jugé sévèrement par certains collègues à qui je fais état des résultats d’enquêtes menées auprès des visiteurs de la Cité des Sciences. Pourtant, les publics interrogés avant l’ouverture de l’exposition en 1988 sont d’emblée sensibles à la dimension politique de l’initiative institutionnelle de proposer une exposition sur l’environnement. Elle leur apparaît comme étant un engagement du musée qui prend à témoin son public et l’inclut dans cet engagement (Le Marec, 2002).

17S’en suit un malentendu sur le lien entre le musée et son public, qui ne s’est toujours pas dissipé depuis et qui apparaît notamment lors des ateliers délibératifs menés par Jean-Paul Natali à l’occasion de la préparation du programme Gérer la planète (2003-2005). Lors de ces ateliers, les personnes – volontaires recrutés par voie de presse – expriment à nouveau, avec une force accrue, la conviction que si l’institution propose un tel thème, c’est qu’elle prend position, comme acteur prenant à témoin ses publics, dans un débat national sur l’environnement (Natali, 2000).

18L’institution a certes changé depuis 1989 : il ne s’agit plus d’affirmer une autonomie cognitive des formes de savoirs sur la nature contre une pensée sociale tentée par le catastrophisme. Elle se présente plutôt comme une instance neutre, proposant un lieu de représentations d’un débat social qu’elle accueille sans y participer directement, considérant les visiteurs comme des acteurs de ces débats et de ces problèmes par leurs comportements et leurs représentations. Cette inversion du sens des relations entre l’institution et de son public n’est pas propre à la Cité des Sciences : les musées (comme les médias) déclarent parfois explicitement proposer un espace, une scène pour déployer des savoirs et des points de vue en se refusant pour des raisons déontologiques revendiquées à faire apparaître leur propre position. Cette posture rejoint celle qui a été désignée en sciences de l’éducation comme « impartialité neutre » (Kelly, 1986).

19Les personnes interrogées avant la conception de l’îlot Environnement en 1989 et lors des ateliers délibératifs organisés en 2000 à l’occasion de la préparation du programme Gérer la Planète[5] ont eu des réactions très proches. L’institution modifie sa position, elle adhère à la tendance qui se développe alors : celle d’une ouverture du discours sur les sciences à une pluralité de points de vue et au poids croissant de l’expertise et du débat. Ces tendances sont corroborées par des travaux d’Yves Girault dans la même période au Muséum national d’Histoire naturelle, auprès d’enseignants-chercheurs interrogés sur la présentation des thématiques environnementales au sein de l’établissement (Girault et Debart, 2005).

20Ce qui a changé entre les deux périodes, c’est également la manière dont est sollicité et analysé le point de vue des publics. L’enquête menée en 1989 était basée sur une série d’entretiens auprès de visiteurs individuels recrutés dans les expositions. En 2000, il s’agit de volontaires recrutés parmi les lecteurs de la presse quotidienne, avec un protocole délibératif au cours duquel le groupe constitué questionne longuement des chercheurs et membres des équipes de conception, discute et travaille, avant de rédiger ensemble un avis commun à propos du programme de Gérer la planète. L’initiative de Natali était fondatrice.

21Au cours de la décennie 2000, les protocoles techniques de débats à propos de questions scientifiques se multiplient, à tel point que des structures spécialisées dans l’organisation du débat public, reprenant parfois directement l’expression « forums hybrides », se développent de façon autonome et proposent leurs services d’ingénierie organisationnelle et communicationnelle. Il peut s’agir d’équipes de recherche en sciences sociales, d’équipes mixtes de laboratoires et d’institutions constituées pour des programmes de recherche, d’associations impliquant des chercheurs et des professionnels comme Vivagora, ou d’agences de communication privées spécialisées dans les domaines du développement durable ou de la santé, agissant pour le compte des collectivités locales ou des entreprises. Les équipes de recherche proposant des services d’ingénierie communicationnelle font en quelque sorte d’une pierre deux coups : elles répondent à l’injonction faite aux sciences sociales de produire des innovations, en l’occurrence des technologies sociales, et elles répondent à une « demande sociale ». La demande sociale est essentiellement celle des instances politiques et économiques qui font appel à la médiation de ces structures pour organiser des débats dans lesquels la « société » est représentée par des citoyens ou des acteurs de la société civile. Les musées, quant à eux, occupent plusieurs positions possibles dans ce processus. Ils ont été, dans un premier temps, à l’initiative directe d’expérimentations de formes de débats publics à propos de sciences, pour deux raisons au moins. La première est qu’il existe une continuité d’un souci du public et de l’envie d’anticiper le contact avec lui au stade de la programmation des expositions, depuis les enquêtes menées en phase de conception en 1989 jusqu’à l’expérimentation d’ateliers délibératifs en 2000. La seconde est l’existence d’un lien direct entre l’évolution des conceptions des rapports au savoir, et les modes de relations au public : au fil des expositions les dispositifs d’éditorialisation des points de vue d’experts et des interventions des visiteurs se multiplient (Le Marec et Topalian, 2003).

22Ils peuvent aussi devenir des lieux d’accueil pour la mise en œuvre de protocoles d’ingénierie du débat public élaborés par des acteurs externes, et dans certains cas « prêter » leur public pour des expérimentations participatives notamment à des fins d’élaboration d’innovations technologiques [6]. Ils peuvent enfin devenir eux-mêmes commanditaires de ces débats dont l’organisation et la conduite peuvent être confiées à des sous-traitants spécialistes professionnels de la communication.

23L’évolution décrite peut être mise en relation avec l’existence d’un processus plus large d’autonomisation de la communication professionnalisée dans les organismes scientifiques (Babou et Le Marec, 2008). On assiste au développement d’un marché de protocoles techniques de débats « citoyens », au prix d’une dépolitisation de processus supposés activer les dimensions politiques du rapport entre les sciences et la société, dans des lieux au sein desquels des dimensions politiques ont été pourtant déjà exprimées chez les publics. Les enquêtes en 1989, qui sont certes un certain type de communications professionnalisées développées pour l’enquête en sciences sociales, ont été repolitisées par une expression inattendue de la parole des visiteurs.

24Autre paradoxe : le développement durable est proposé aux musées de société comme une innovation externe élaborée à l’échelle internationale. Il est évoqué comme permettant de repenser le rôle de musée dont la mission culturelle serait désormais insuffisamment justifiée, dans la perspective d’une mobilisation mondiale pour promouvoir un modèle inspiré par les efforts « concentrés jusqu’à présent en biologie environnementale, en économie mondiale et en droit international [7] ». Les spécificités territoriales seraient alors des déclinaisons secondaires de ce modèle sinon universel, du moins mondial. De même, les protocoles de débats participatifs sont parfois proposés aux institutions culturelles par les agences professionnelles comme des adaptations d’innovations élaborées pour des problématiques relevant du lien entre sciences et politique.

25Ce qui est en jeu dans cette réinvention du rapport des musées à l’environnement témoigne selon nous d’une compétition entre les imaginaires culturels des différentes sciences. En dépit d’une apparente ouverture des sciences de la nature à un caractère politique et social des enjeux de la recherche et à la pluralité des points intégrés à la construction des savoirs, les modèles du développement durable et l’ingénierie des communications trahissent un retour à la science comme opérateur d’un savoir sur la nature universellement partageable, et comme productrice de technologies (fussent-elles sociales) universellement appropriables, moyennant des adaptations culturelles, par les communautés humaines réconciliées par la nécessité d’une gestion commune du rapport à la nature.

26Simultanément, la prolifération des médiations, forcément culturelles, créée par ces modèles, ouvre à nouveau la possibilité d’une lecture culturelle des rapports de l’homme à son environnement.

27Un fait nouveau mérite notre attention : les sciences sociales sont renvoyées à l’hétérogénéité des modèles de scientificité qui les inspirent. Elles produisent des savoirs dont les enjeux et la portée ne peuvent pas se dissocier des engagements toujours situés dont elles rendent compte et auxquels elles participent : c’est la condition même de leur pertinence. Elles contribuent elles-mêmes à des productions indistinctement académiques et culturelles et développent des liens historiques intimes avec l’institution muséale, indistinctement culturelle et académique elle-même. Mais elles ont frôlé la fusion avec un modèle universalisant, notamment lors de l’élaboration d’une modélisation à la fois théorique et gestionnaire de la société par une théorie générale des communications [8]. Ces tentatives ont certes échoué au plan théorique, mais elles ont stimulé pour longtemps l’autonomisation d’une ingénierie internationale de gestion du social par la communication. Ce processus trouve, dans le développement durable, une cause mondiale et une échelle internationale qui tiennent lieu d’universalité et ouvrent les perspectives d’une commune destinée humaine de gestion du social et de la nature.

28Il nous semble donc nécessaire de questionner des processus d’effacement aussi frappants que « l’oubli » par les sciences sociales de leur propre mode d’expression des relations de l’homme à son environnement avec la création conjointe des parcs régionaux et des écomusées sous la tutelle du premier ministère de l’Environnement. Cet oubli trahit peut-être une difficulté à assumer l’hétérogénéité de leurs inspirations scientifiques et culturelles, alors même que le principe et surtout l’esthétique de cette hétérogénéité sont censés inspirer la réflexion sur le développement durable et la participation. Cette hétérogénéité des modes de traitement du thème de l’environnement, des expressions politiques et culturelles des sciences de la nature et de la société et du sens des démarches participatives nous semble pourtant une exigence absolue pour éviter le paradoxe d’en appeler à l’ouverture, au débat, et au dialogue sur la base d’un effacement fondateur des différences.

Notes

  • [1]
    Cet article doit beaucoup aux échanges multiples, des années durant, avec le très regretté Jean-Paul Natali.
  • [2]
    Sur la création des écomusées, voir Varine, 1991 ; Desvallées, 2000 ; Delarge, 2000.
  • [3]
    Pour une analyse des ontologies des rapports à la nature, voir Descola, 2005.
  • [4]
    On ne compte plus les interventions à propos du développement durable qui font démarrer la réflexion internationale à partir du rapport Brundtland Notre avenir à tous (1987) et de la Déclaration de Rio (1992).
  • [5]
    Les expositions Climax, et La Population mondiale est moi ont fait partie de ce programme qui comportait un cycle d’expositions et un grand nombre de manifestations associées.
  • [6]
    On peut citer certains travaux du Laboratoire d’usages des technologies d’information numérique menés auprès des visiteurs de la Cité des Sciences pour tester des innovations techniques.
  • [7]
    Ces idées commencent à être discutées, notamment au sein de l’ICOM, voir par exemple Douglas Worts à qui nous avons pris la citation « les musées et le développement durable », Museums and Sustainable Communities : Canadian Perspectives », Communication pour l’ICOM, mars 1998, Musée des Beaux-arts de l’Ontario.
  • [8]
    Nous renvoyons ici aux travaux, nombreux, sur les théories et les utopies de la communication, chez Breton et Proulx, Mattelart, Flichy ou Miège.
Français

L’environnement apparaît à des moments et sous des formes différentes dans les musées de sciences et les musées de société : entre les écomusées soutenus par le premier ministère de l’Environnement, et l’apparition du thème des crises environnementales et du développement durable dans les musées de sciences, on repère également des divergences fortes dans le sens des dynamiques participatives, les dimensions politiques des savoirs sur les relations entre l’homme et la nature, le développement d’une ingénierie des technologies sociales. Le musée apparaît dans cette perspective non pas comme un lieu de diffusion des sciences, mais comme un lieu d’expression culturelle des sciences, sciences de la nature, et sciences sociales.

Mots-clés

  • environnement
  • participation
  • musées
  • sciences et société
  • publics

Références bibliographiques

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Joëlle Le Marec
Joëlle Le Marec est professeur des universités à l’Université Paris-Diderot (CERILAC). Elle a dirigé précédemment l’équipe Culture, Communication et Société du Centre Norbert Elias (UMR 8562), à l’École normale supérieure de Lyon. Ses travaux portent sur les pratiques et les publics dans les institutions liées à la science (musées, bibliothèques), sur les pratiques de communication dans les pratiques de recherche et sur l’évolution des discours à propos de sciences dans les musées et les médias. Blog : <http://joellelemarec.fr/>.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2013
https://doi.org/10.3917/herm.061.0167
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