CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La médiation artistique a toujours accompagné la découverte et l’appropriation de patrimoines et d’œuvres par des dispositifs de sensibilisation, de présentation et d’acquisition d’informations : conférences, plaquettes, articles de presses, émissions de radio et quelquefois de télévision. Dans les années 1980, la volonté politique de resserrer les liens entre le patrimoine artistique et le public s’est manifestée, notamment dans l’utilisation de nouveaux outils, comme aides à la fois complémentaires et supplémentaires à l’approche et à la connaissance des œuvres : plaquettes explicatives, audio-guides, films vidéos, CD-Roms, création de librairies in situ qui proposent désormais toute une panoplie d’ouvrages et de multimédias de référence, auxquels se sont ajoutés par la suite les sites de musées en ligne et les applications consultables à distance.

2Ces dernières années, l’évolution des technologies du virtuel a permis d’importantes innovations dans la médiation numérique qui, tout en poursuivant l’idée de continuum dans les pratiques muséales du public, soutiennent la préparation, l’encadrement et la prolongation de la visite, développant ainsi une pratique de la réalité augmentée. La réalité augmentée est le résultat d’un accroissement de notre perception du monde réel grâce à l’adjonction d’éléments virtuels (Mackay, Wellner et Gold, 1993).

3En automne 2010, le Petit Palais offre à ses visiteurs une expérience immersive d’une quarantaine d’œuvres d’art grâce à des vidéos numériques, dont certaines en 3D.

4La plateforme communautaire en ligne du Louvre, créée en décembre 2011, en partenariat avec Orange, est un site participatif ouvert aux néophytes et aux amateurs éclairés qui vont pouvoir inscrire et partager leurs expériences des expositions de ce musée en postant leurs photos et leurs vidéos, mais aussi en écrivant des articles et en participant à des forums. La Société des Amis du Louvre, fondée en 1897, ne suffit plus : le musée veut s’appuyer sur la dynamique des nouvelles communautés virtuelles pour développer des fonctions de soutien à la communication sociale, assignées à l’institution muséale depuis la création du Centre Georges-Pompidou.

5En mars 2011, mille trois cent cinquante musées français sont géolocalisés avec la possibilité de visualiser les lieux culturels situés dans la proximité, six cents événements culturels sont mis à jour régulièrement, et des centaines de tableaux de « Paris vu par les peintres » viennent se superposer à l’image des monuments et sites historiques qu’ils illustrent : un apport que proposent les applications CultureClic de Proxima Mobile, le portail de services citoyens sur téléphone mobile, créé par la délégation aux Usages de l’Internet, en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, la Réunion des Musées nationaux et le ministère de la Culture et de la Communication.

6Le Musée archéologique de Saint-Raphaël, parmi d’autres, depuis février 2011, met à la disposition du visiteur des vidéos d’information à condition de flasher avec son smart phone les codes barres placés en dessous des objets présentés. Des iPad sont distribués aux visiteurs sans mobiles. Les codes QR ou QRcodes (Quick responses), inventés au Japon en 1994, qui peuvent maintenant être lues par un téléphone mobile ou un smart phone, ont l’avantage de donner accès à des informations complémentaires ou à des applications accompagnant la visite.

7Le 1er février de cette même année Google a lancé avec Google Art Project la visite virtuelle de dix-sept grands musées mondiaux, comme la Galerie des offices à Florence, le MoMA à New York ou le musée de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg. Trois cent quatre-vingt-cinq pièces, quatre cents peintres et mille tableaux, dont une partie en haute définition, peuvent être regardés en détail grâce à des zooms, et chaque internaute peut créer ainsi sur sa page personnelle son « musée imaginaire ».

8Parmi de nombreux appels à projets, celui de Culture Labs, plateforme d’expérimentation des services numériques culturels innovants, a permis de faciliter certaines expériences d’usages du numérique par le grand public dans les institutions culturelles ou sur Internet, de réutiliser des ressources existantes dans de nouveaux accès et développer de nouveaux partenariats entre le monde de la recherche et l’entreprise. Les responsables des institutions culturelles et les chercheurs portent une attention particulière sur la spécificité des outils de la réalité augmentée, et sur leurs incidences sur le travail des professionnels de la médiation, les pratiques du public et sur les changements induits chez tous ces acteurs dans leurs représentations de la conception et de la visite de l’exposition.

9Le colloque Musée et Virtualité organisé dans le cadre du 79e congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS, 9-13 mai 2011) avait pour objectif de faire l’état des lieux d’une révolution annoncée, de s’interroger sur les résultats concrets et intellectuels, et de développer la réflexion sur les pratiques qui se sont succédé depuis vingt ans, à la fois au sein du musée et dans l’extension de celui-ci. Les axes de réflexion de ce colloque sont une bonne base pour essayer de traduire l’état des interrogations actuelles et des directions de recherche nécessaires à la compréhension du domaine : analyser les pratiques muséales dans le cyberespace, que celles-ci résident dans la représentation, conception et création d’un cybermusée, ou qu’elles traduisent les activités du public qui le visite ; analyser les pratiques virtuelles dans la visite traditionnelle, que celles-ci portent sur le choix des outils de médiation, l’hybridation avec des médiations plus traditionnelles, ou sur les conséquences sur la gestion des collections, ainsi que les réactions et les comportements du public ; distinguer, décrire et définir à partir d’une grande variété d’expériences, d’installations et de projets des catégories et des genres de médiations numériques de la réalité augmentée, en tenant compte des contextes politiques et industriels ; enfin, étudier l’évolution des représentations de l’institution musée auprès des professionnels et du public, ainsi que les formes d’appropriation sociale, culturelle et cognitive que celui-ci fait de ces nouvelles médiations muséales. Comme l’écrit André Kirouac (2011), directeur du Musée naval du Québec, « le décor de la pièce ne doit pas voler la vedette à l’acteur principal ». La diminution de la distance entre le visiteur et l’œuvre d’art développe-t-elle chez celui-ci une augmentation de la lisibilité, de la connaissance et de l’appropriation de l’œuvre ? Autrement dit, les outils de médiation de la réalité augmentée ont-ils des effets de culture augmentée chez le public ?

10Pour Malraux, l’intégration de l’art devait se faire en deux temps et relevait de deux médiations institutionnelles : faire connaître revenait au ministère de l’Éducation, et faire aimer à celui de la Culture. Époque oubliée où les notions de loisir et de culture étaient distinctes. Dans les nouvelles médiations numériques voulues par les industriels et les politiques ces objectifs sont confondus. Connaître, apprécier et goûter se confondent dans des modalités de pratiques où le public, à la fois encadré et autonome, se déplace dans un espace donné qu’il soit réel ou virtuel. Choisir un musée virtuel, ou un « bricolage » de musée réel et en ligne, sont-ils des choix qui changent la visite de genre ? Les expériences recherchées par les visiteurs ne sont-elles pas toujours sociales, de découverte, cognitives et introspectives ? (Doering, 1999 ; Kanellos, 2009)

11Pour Francastel (1969 et 1970), le problème le plus urgent concernait « l’audience de l’art dans une civilisation donnée ». Il s’étonnait que les œuvres, aussi éloignées fussent-elles, « puissent nous fournir un instrument extraordinairement riche et précis d’évaluation de savoirs et de valeurs fixés à l’origine par des créateurs isolés et adoptés ensuite, moyennant un jeu d’altérations, de mutations, de transferts sur lesquels tout est à apprendre, par des groupes humains de plus en plus élargis », à l’heure de « l’empilement des médiations » (Dufrêne et Gellereau, 2004 ; Hennion, 1993) les enjeux de l’art restent les mêmes.

Références bibliographiques

  • En ligneDoering, Z., « Strangers, Guests or Clients. Visitor Experience in Museums », Curator, The Museum Journal, vol. 42, no 2, avr. 1999, p. 74-87.
  • Francastel, P., Le Portrait. Cinquante siècles d’humanisme en peinture, Paris, Hachette, 1969.
  • Francastel, P., Études de sociologie de l’art, Paris, Denoël, 1970.
  • Hennion, A., La Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métallié, 1993,
  • En ligneDufrêne, B. et Gellereau, M., « La médiation culturelle. Enjeux professionnels et politiques », Hermès, no 38, 2004, p. 199-206.
  • Kanellos, I., « Les musées virtuels et la question de la lecture. Pour une muséologie numérique centrée sur le visiteur », RIHM – Revue des interactions médiatisées, vol. 10, no 2, 2009, p. 3-33.
  • Kirouac, A., « Le musée un théâtre d’objets ? », communication lors du 79e congrès de l’Association francophone pour le savoir, UQAM, 10 mai 2011. En ligne sur <http://erms.uqam.blogspot.com>, consulté le 20/05/2011.
  • En ligneMackay, W., Wellner, P. et Gold, R., « Back to the real world », Special issue on computer augmented environments. Communications of the ACM, vol. 36, no 7, 1993, p. 24-26.
Brigitte Chapelain
Brigitte Chapelain est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris-Nord, rattachée au laboratoire Communication et Politique du CNRS. Elle est vice-présidente de la Société française des sciences de l’information et de la communication (SFSIC) et rédacteur en chef de la revue Les Cahiers de la SFSIC. Elle a initié et développe, chez L’Harmattan TV, la collection « Docs en SIC », séries d’entretiens filmés avec des enseignants chercheurs.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2013
https://doi.org/10.3917/herm.061.0106
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