1L’humanité est plurielle. Au moins quatre formes d’humanité se sont succédé et croisées dans l’histoire de notre espèce. La première est celle, archaïque, des chasseurs-cueilleurs ; la deuxième, une humanité d’agriculteurs ; la troisième, l’humanité planétaire. L’aventure de la première s’ouvre avec la naissance de l’espèce, il y a environ 150 000 ans. La deuxième apparaît avec les débuts de l’agriculture et les premiers centres urbains, il y a entre 10 000 et 12 000 ans. L’aventure de la troisième prend naissance en 1492. La quatrième est – peut-être – en train de naître.
2Edgar Morin a mis en évidence le caractère dramatique de ces transitions, l’irréparable sentiment de perte qui les accompagne : « L’extension des sociétés historiques » (celles qui caractérisent les deuxième et troisième humanités) a rejeté les sociétés archaïques dans les forêts et les déserts, où les explorateurs et prospecteurs de l’ère planétaire les découvrent pour bientôt les anéantir. Aujourd’hui, sauf rarissimes exceptions, elles sont définitivement assassinées, sans que leurs assassins aient assimilé la part la plus importante de leurs savoirs millénaires. Pour les civilisations historiques vaincues, l’histoire a été impitoyable, sans rémission, la préhistoire ne s’est pas éteinte, elle a été exterminée. Les fondateurs de la culture et de la société d’homo sapiens sont aujourd’hui définitivement génocidés par l’humanité elle-même, qui a progressé ainsi dans le parricide (Morin et Kern, 1993).
3En 1492, le peuplement de la Terre par l’humanité avait pris la forme d’une diaspora. De petits groupes s’étaient éloignés de l’habitat des origines. Homo sapiens, la dernière espèce de la famille des hominidés, avait fait son apparition il y a quelque 150 000 ans dans l’écosystème où s’était déroulée la plus grande partie de l’histoire de ses ancêtres : la savane d’Afrique de l’Ouest. De là, notre espèce avait entamé le peuplement du reste de la planète et atteint l’Asie, l’Australie, l’Europe, l’Alaska, la Patagonie, les îles Hawaï, Madagascar… Elle s’était aussi installée dans des écosystèmes « difficiles » du point de vue du climat ou des ressources, ou tout au moins fort différents de son milieu premier : steppes, déserts, vallées, forêts tropicales ou tempérées, toundras, littoraux arctiques. L’espèce s’était fragmentée, faisant naître des souches et des cultures diversifiées. Et les modes de vie de chacune d’entre elles étaient liés aux caractéristiques locales des écosystèmes dans lesquels elles étaient implantées.
4Nous avons aujourd’hui reconstitué certaines des étapes, des routes et des migrations au cours desquelles, à partir de son noyau originel, l’espèce humaine a donné naissance à de multiples cultures et populations. Mais, en général, les populations restaient isolées et impliquaient peu de personnes : pour la majorité des êtres, l’existence d’autres cultures était à peu près imperceptible.
Les origines d’une économie globale
5Cette séparation des civilisations, ce cloisonnement du monde se brisent définitivement avec le débarquement de Christophe Colomb en Amérique et la circumnavigation de Magellan. La poussée expansionniste des monarchies européennes abat les frontières entre l’Europe et l’Amérique, entre l’Europe et l’Afrique sub-saharienne, entre l’Asie et l’Amérique. Et cet élan trace les contours d’une économie globale, axée sur les mines d’argent du Sud du continent américain, les plantations de canne à sucre d’Afrique de l’Ouest, les soies chinoises, les épices des Moluques, les routes transatlantiques et transpacifiques.
6Jusqu’en 1492, la planète était divisée en systèmes agricoles distincts et pratiquement séparés. Les plantes étaient cultivées dans leurs foyers d’origine respectifs (le Moyen-Orient et la Chine principalement), et leur extension à des aires plus vastes n’impliquait pas l’intégration des agricultures : le passage sporadique d’un type de culture d’un système agricole vers un autre n’annulait pas le tracé bien net des frontières.
7Les décennies qui suivent l’année 1492 signèrent aussi l’unification microbienne du monde, dans un processus douloureux et destructeur. La plupart des habitants des terres américaines furent exterminés par le simple contact avec des virus et des germes contre lesquels ils n’avaient développé aucune forme d’immunité. Jusqu’alors, l’évolution des maladies avait suivi un cours distinct dans l’Ancien et le Nouveau Monde, en raison du poids différent qu’y jouait l’élevage des animaux. Beaucoup de maladies de l’Ancien Monde, transmises à notre espèce par des animaux domestiqués, étaient les fruits empoisonnés de modes de vie paysans et sédentaires. Dans l’espace euro-asiatico-africain, caractérisé par des divisions géographiques et culturelles moins rigides, les barrières entre sous-systèmes microbiens s’étaient atténuées depuis longtemps. Quant à l’Europe, elle avait déjà payé, lors des épidémies de l’Antiquité et du Moyen Âge, le tribut qu’elle répercuta alors d’un seul coup sur les peuples du Nouveau Monde.
8La rupture de l’isolement originel des populations bouleversa aussi le panorama linguistique mondial. Les langues indo-européennes, dès l’Antiquité, s’étaient diffusées dans de vastes régions de l’Eurasie. Elles reprirent alors leur expansion vers de « nouvelles Europes ». Mais c’est précisément cette expansion spectaculaire de quelques langues (en même temps que des cultures et des modes de vie qu’elles représentaient) qui a conduit à l’extinction d’une infinité d’autres idiomes. La diversité linguistique générale n’a cessé de diminuer. Des familles linguistiques entières ont dramatiquement rétréci. Beaucoup de langues qui en faisaient partie sont déjà éteintes, d’autres risquent de l’être dans un avenir proche. C’est le cas des langues amérindiennes, de celles parlées par les petits peuples de Sibérie et de l’Extrême-Orient russe, par les aborigènes d’Australie ou en Nouvelle-Guinée.
« L’âge de fer planétaire »
9Les siècles de l’ère moderne, que nous pouvons appeler, avec Edgar Morin, « l’âge de fer planétaire », se caractérisent par une ambivalence foncière, par un mélange conflictuel de création et de destruction. Du côté de la création, on peut citer le tissage de liens entre individus, communautés, populations différentes (et leur hybridation, avec la naissance de nouvelles souches), l’émergence d’un principe de tolérance, la découverte de la profondeur des innombrables cultures du monde, l’intérêt porté à des spiritualités, des musiques, des littératures autres. Du côté de la destruction, la prétention de certaines tesselles de la mosaïque planétaire à parler au nom du tout, et à s’ériger en tout. Les siècles de l’âge moderne ont ainsi été le théâtre d’une effrayante extinction de la majeure partie des cultures qui peuplaient la planète. Ils ont vu une poussée vers l’homologation des désirs, des valeurs, des spiritualités des individus et des collectivités, organisée par quelques rares cultures en position de force. Cette ambivalence continue à marquer le monde d’aujourd’hui. Grâce à la linguistique, à la génétique, à l’anthropologie, à l’archéologie, nous sommes en train de reconstruire l’histoire du peuplement de la planète par l’Homme. Mais, entre-temps, la plupart des cultures humaines se sont éteintes ou ont commencé leur agonie.
10Le sens de la lutte entre Eros et Thanatos, l’équilibre précaire entre les contraires a été ensuite radicalement modifié par les événements du siècle dernier. La menace atomique a été la sonnette d’alarme qui a secoué beaucoup de consciences, en dévoilant le pouvoir d’attraction pervers de l’anéantissement, de l’homologation totale dans l’abîme ultime du néant. Conséquence de cette conscience aiguë d’une menace globale, nous sommes devenus plus sensibles aux risques d’ordre environnemental. Après 1492, l’écroulement des barrières entre les populations humaines entraîne celui des barrières entre écosystèmes, transformant du même coup la nature des relations entre les populations et leurs écosystèmes. Les individus sont devenus de moins en moins dépendants des caractéristiques naturelles de tel ou tel lieu. Aujourd’hui, tous les repas de la journée se composent, partout, d’aliments produits dans le monde entier.
11L’importance prise par la technologie a répandu l’illusion que l’espèce humaine s’affranchirait définitivement de la nature. Mais il n’en a pas été ainsi. Certes, les populations, de plus en plus mélangées, dépendent de moins en moins des écosystèmes locaux. Mais c’est aujourd’hui la survie de toute l’humanité qui est étroitement dépendante du fonctionnement d’un immense écosystème global et unique, dans lequel d’innombrables espèces vivantes œuvrent ensemble à maintenir les conditions environnementales adaptées à la floraison de la vie dans son ensemble, y compris la vie humaine.
12Au cours de l’âge de fer planétaire, l’espèce humaine a perpétré un attentat non seulement contre ce qui reste des écosystèmes locaux, mais aussi contre cet écosystème global, ce qui nuit à la variété de sa propre espèce, mais aussi à celle de la vie dans son ensemble. Chaque année, le patrimoine génétique d’espèces vivantes disparaît, de délicats équilibres se rompent dans les écosystèmes locaux. La question est cruciale : ces attentats répétés à des portions de l’écosystème global finiront-ils, un jour ou l’autre, par atteindre de manière irréversible son fonctionnement général ? L’écosystème global possède d’immenses capacités de résilience, de résistance et d’autoréparation, et il est très peu probable que son existence soit irréparablement compromise par les actes inconsidérés de l’espèce humaine. Ce qui est plus probable, c’est que ces actes finissent par modifier précisément les conditions de l’écosystème global qui permettent l’existence et la reproduction de notre espèce. Cela pourrait ouvrir la voie à de nouveaux équilibres, peut-être propices à d’autres formes de vie, mais peu favorables à la nôtre.
13Les années 1940 avaient donné l’alerte sur l’extinction possible de l’espèce humaine par le déchaînement des forces de l’atome. Dans les décennies qui ont suivi, les risques se sont multipliés : réchauffement de la planète, pollution des sols et des eaux, raréfaction des ressources. Depuis sa naissance, l’humanité planétaire s’est laissée prendre au piège d’une constante antinomie. D’une part, nous avons compris le potentiel évolutif de la diversité, de l’interaction, de l’hybridation, de la flexibilité, de la redondance, de l’individualité. Et surtout, la diversité a prouvé sa force novatrice tout au long de l’évolution culturelle : dans les processus de création, individuels et collectifs, la nouveauté émerge d’abord là où il y a de la tension, de l’interaction, du métissage, du conflit entre différentes pensées ou schèmes mentaux.
14Mais à côté de cela, nous sommes la proie d’une compulsion de répétition : la destruction de nombreuses sources de variété culturelle et biologique risque de se révéler un obstacle à l’évolution aussi bien à court terme (en réduisant fortement la créativité de l’espèce humaine) qu’à long terme (en perturbant gravement l’écosystème global). Il devient par conséquent urgent de s’interroger sur les origines de cette compulsion de répétition. Aux stades les plus anciens du processus d’hominisation, le fait d’appartenir à un petit groupe offrait un avantage sur la confrontation individuelle avec le monde. L’évolution humaine (biologique et culturelle) aurait donc valorisé les mécanismes de cohérence interne au sein des groupes, aux dépens des mécanismes d’interaction entre les groupes. S’il en a été ainsi, l’humanité – victime de son hérédité – a besoin d’une véritable ré-hominisation. Elle a besoin de se repenser, non pas à travers d’interminables conflits entre petits groupes, mais à travers les connexions qui, depuis l’individu singulier, conduisent à une totalité planétaire unique faite de collectivités multiples, d’ampleur et d’envergure diverses.
Pour une « ré-hominisation »
15Dans le manifeste de son grand projet d’anthropologie globale publié en 1973, Le Paradigme perdu, Edgar Morin relate et analyse l’ensemble du processus d’hominisation comme complexe et inachevé. Il faut entendre par là l’hominisation sur le temps long, depuis nos ancêtres hominidés qui peuplaient la savane d’Afrique de l’Ouest jusqu’à la diaspora planétaire d’homo sapiens. La perspective élaborée par Edgar Morin suppose d’aborder l’humanité – à tous les stades de son développement – comme un devenir et non comme un être, comme un processus et non comme un état. Cela comporte la mort d’« une notion insulaire de l’homme, retranché de la nature et de sa propre nature » ; et le renoncement à « l’auto-idolâtrie de l’homme, s’admirant dans l’image pompière de sa propre rationalité. » (Morin, 1973). L’inachèvement du processus d’hominisation ne signifie pas sa provisoire incomplétude. Cela signifie que les résultats à venir du processus d’hominisation ne sont pas nécessairement inscrits dans une « essence » quelconque de la nature humaine. L’expérience humaine est un tissage de destruction et de création. L’évolution d’homo sapiens introduit une fracture dans des équilibres préexistants, et une tension constante pour en créer de nouveaux. Ces drames ne sont pas l’apanage de l’ère planétaire ; ils sont inhérents à toute société et à toute expérience humaine, ils marquent depuis toujours les vicissitudes de notre espèce. Les aventures et expériences humaines éloignées dans l’espace et le temps ne sont pas de simples curiosités archéologiques ; elles se révèlent être des expérimentations précieuses pour formuler, comprendre et affronter nos problèmes présents.
De l’homo sapiens à la mondialisation
16Historiquement, homo sapiens n’est pas né humain : il a appris à l’être. De nouvelles formes d’humanité se sont superposées et substituées les unes aux autres. Le réseau de savoirs et d’expériences qui est en train d’émerger avec l’avancement de l’ère planétaire peut permettre à notre espèce d’apprendre à être globale, à nouer de nouvelles relations durables avec l’ensemble des écosystèmes, à valoriser le potentiel créatif des diversités culturelles. Le réseau de nos savoirs peut nous aider à nous engager sur la ligne de crête d’une nouvelle étape de l’hominisation : la quatrième, celle qui succède aux tribus de chasseurs-cueilleurs, aux sociétés d’agriculteurs et aux nations modernes. Dans les dernières décennies, beaucoup de processus inédits et irréversibles se sont mis en marche, au point de remettre en question des formes éprouvées de connaissance et d’action. Il s’agit, en premier lieu, de la mondialisation au sens propre ; un processus politique, économique, social qui a redessiné les frontières traditionnelles et les relations entre les cultures. Si dans le passé chaque culture définissait une collectivité enracinée dans un lieu plus ou moins vaste, aujourd’hui les cultures se rencontrent et entrent en conflit partout sur la planète. Chaque collectivité est désormais marquée en son propre sein par la diversité culturelle ; chaque individu lui-même devient porteur de synthèses uniques et originales.
17En deuxième lieu, le développement des réseaux informatiques et de communication a redéfini l’espace et le temps des expériences et des interactions entre individus et entre collectivités. « Proche » et « lointain », « réel » et « virtuel », « matériel » et « symbolique », « physique » et « mental » ne sont plus des paires d’oppositions, mais suscitent une myriade d’intersections, de superpositions, de situations de doute.
18En troisième lieu, les conséquences de la recherche en biomédecine et en génétique sont en train de transformer notre rapport à l’hérédité et aux racines biologiques de notre espèce. Le corps et la vie mêmes, y compris et surtout dans leurs confins extrêmes (la naissance et la mort), ont cessé d’être des données absolues pour devenir des problèmes, des objets de controverses et de décisions, de tentatives de modification et d’extension.
19En quatrième lieu, le progrès technologique lui-même, associé à l’explosion démographique et à la charge que celle-ci fait peser sur les écosystèmes, change la nature des relations entre l’humanité et la planète en tant que totalité intégrée d’ordre géochimique, écologique et climatique. Pour la première fois, la présence de l’humanité altère de manière significative les cycles, les flux, les trajectoires de développement de la planète.
20Pris ensemble, tous ces phénomènes influent profondément sur le cours général du développement humain. Leur conjonction impose aujourd’hui une nouvelle culture, une nouvelle formation, une nouvelle anthropolitique pour les comprendre, les gérer, les rendre supportables pour la planète.
Vers une conscience planétaire
21On assiste à une « inversion adaptative » : ce n’est plus à l’homme de s’adapter au milieu pour survivre, mais au milieu de « s’adapter » à l’activité performatrice des êtres humains. La nature est désormais du ressort de la responsabilité humaine, ce qui rend nécessaire l’élaboration d’une nouvelle culture éthique et politique de cette responsabilité, dont le domaine se déploie désormais dans trois directions principales : la nature et la planète dans son entier ; la possibilité de survie de l’espèce ; la nature humaine individuelle et son identité biologique. Aujourd’hui, toute la biosphère relève de la responsabilité humaine. La technique n’est pas éthiquement neutre, la recherche du bien ne peut se borner à la sphère des relations interpersonnelles, la fin en soi kantienne doit s’étendre à la nature. Celle-ci aussi devient objet de notre responsabilité : l’intervention technologique sur le génome modifie notre conception de l’identité humaine et en brise la stabilité biologique ; les conséquences des actions de l’homme se dilatent dans l’espace global et surtout dans le temps (en projetant notre responsabilité sur la qualité de la vie des générations futures). Nous sommes en train de participer à la naissance d’une communauté et d’une conscience planétaire : un réseau d’interactions, se diffusant sur toute la surface de la terre, se répercute selon les modalités les plus imprévisibles sur la vie quotidienne de chacun de ses habitants. Cette trame planétaire d’influences et de rétroactions s’est manifestée surtout par ses caractères négatifs, par la menace et le risque de destruction généralisée qu’elle représente. Mais l’engagement que doivent prendre aujourd’hui tous les dirigeants politiques et citoyens, toutes les collectivités et autorités du monde, c’est de juger et de vivre cette communauté planétaire de façon positive : de considérer l’appartenance à un entrelacement global d’interdépendances comme le seul état propre à garantir et à améliorer la qualité de la vie des peuples, des groupes et des individus. Un changement de perspective est nécessaire :
Si l’éthique universaliste laïque a perdu la croyance quasi providentielle dans un Progrès conçu comme loi de l’histoire humaine, elle peut, elle doit garder l’idée de Lessing que l’humanité est améliorable, sans pour autant croire qu’elle va nécessairement s’améliorer.
23Seule une philosophie de l’Histoire qui ne considère plus celle-ci comme l’accomplissement d’un destin déjà écrit, mais comme un terrain de contradictions et de rencontres entre tendances et contre tendances, où nos idées, notre engagement dans des projets, nos efforts sont décisifs pour construire un avenir désirable, peut insuffler dans nos actions l’espoir dont nous avons besoin. Nous devons être conscients que nos visions sont improbables, mais que dans l’Histoire, l’improbable peut se réaliser. Le vieil humanisme était abstrait. Le nouvel humanisme, comme l’explique bien Edgar Morin, est un humanisme concret, rendu nécessaire et souhaitable par la communauté de destin irréversible qui lie entre eux tous les individus et les peuples de l’humanité.
Pour la première fois dans l’histoire humaine, l’universel est devenu réalité concrète : c’est l’inter-solidarité objective de l’humanité, où le destin global de la planète surdétermine les destins singuliers des nations et où les destins singuliers des nations perturbent ou modifient le destin global.
Le terme de « globalisation » doit être conçu non seulement de façon techno-économique, mais aussi comme une relation complexe entre le global et les particularités locales qui s’y trouvent englobées : les composants de la globalité sont des éléments et des moments d’une grande boucle récursive où chacun est à la fois cause et effet, producteur et produit. Il y eut un universalisme abstrait, celui de l’ancien internationalisme, qui ne pouvait reconnaître les communautés concrètes que sont les ethnies ou les patries. Mais les communautés concrètes deviennent abstraites dès lors qu’elles se referment en elles-mêmes, se séparent et s’isolent, et dans ce sens, s’abstraient de l’ensemble de la communauté humaine. Et répétons-le, celle-ci est concrète, même si elle n’est pas encore vécue comme telle, parce qu’elle est une communauté de destin et une communauté d’origine. L’universalisme concret n’oppose pas le divers à l’un, le singulier au général. Il est fondé sur la reconnaissance de l’unité de diversités humaines, des diversités de l’unité humaine. L’éthique planétaire est une éthique de l’universel concret. Toutes les éthiques des communautés nationales ont été closes. Il nous faut désormais une éthique de la communauté humaine qui respecterait les éthiques nationales en les intégrant.
25Faire de cette interdépendance planétaire imposée la construction d’une « civilisation » de la Terre, en amorçant une évolution vers la coexistence et la paix, telle est la mission, difficile mais inéluctable, de l’anthropolitique accoucheuse de la quatrième humanité.