1Âge de fer planétaire : Ce macro-concept a été forgé par Edgar Morin pour caractériser les guerres de l’ère planétaire qu’il considère comme une « maladie autoimmune, où les cellules d’un même organisme n’arrivent pas à se reconnaître comme sœurs et se font la guerre en ennemies, les composants de l’organisme planétaire continuent à vouloir s’entre-détruire » (Morin, Bocchi et Ceruti, 1991, p. 19). Edgar Morin propose l’émergence d’une conscience planétaire pour sortir de l’âge de fer planétaire.
2Antagonisme : Opposition entre deux termes, deux idées, deux systèmes ou deux choses. Toute relation organisationnelle, donc tout système, comporte et produit de l’antagonisme en même temps que de la complémentarité. Toute relation organisationnelle nécessite et actualise un principe de complémentarité, nécessite et plus ou moins virtualise un principe d’antagonisme (La Méthode, t. 1, p. 119).
3Anthropolitique : Ce concept est issu de la compression du préfixe grec anthropos, signifiant homme et du radical polis, du grec, cité. L’anthropolitique est l’organisation de la cité centrée sur l’homme, les valeurs humaines comme la liberté, la justice, etc.
4Auto-éco-organisation : Ce concept exprime la relation complexe – c’est-à-dire à la fois complémentaire, concurrente et antagoniste – existant entre l’autonomie d’organisation de tout système vivant et sa dépendance vis-à-vis de son environnement (autos et oïkos). L’idée d’auto-éco-organisation émerge comme l’une des ultimes conséquences de la notion de « système ouvert » (voir la notion de système complexe).
5Autos : Terme grec qui signifie « soi ». La vie a toujours été présentée sous un double visage incompressible génératif (génétique, génotypique) et phénoménal (individuel, phénotypique). Pourtant, la vision simplifiante et réductrice de la biologie classique tend à escamoter ce double visage incompressible en diluant le phénoménal dans le génératif. De ce fait, la biologie classique oublie le problème troublant de l’autonomie de l’être vivant.
6Biologie : Concept dérivé de bios, qui signifie vie et de logos, discours. C’est la science du vivant. Prise dans ce sens large, elle recouvre une partie des sciences naturelles et de l’histoire naturelle des êtres vivants (ou ayant vécu).
7Boucle tétralogique : Implication mutuelle ou relation circulaire entre les sciences physiques, biologiques et anthropo-sociales, due à l’origine commune de toutes les sciences et à leur interdépendance mutuelle. La science anthropo-sociale a besoin de s’articuler sur la science de la nature, et cette articulation requiert une réorganisation de la structure même du savoir (La Méthode, t. 1, p. 9).
8Complémentarité : Principe qui étudie la liaison ou l’intégration des constituants d’un système au sein de celui-ci, laquelle produit, via les interactions, l’organisation dudit système.
9Complexité, organisation complexe : « Le défi qu’est la complexité pour la connaissance a provoqué la rédaction de La Méthode. Celle-ci a tenté d’élaborer les principes d’une connaissance complexe, plus amplement, d’une pensée complexe » (La Méthode, t. 2, p. 2421).
10Cybernétique : Terme d’origine grecque dérivant de kubernesis, c’est-à-dire l’action de manœuvrer un navire, et, au sens figuré, l’art de diriger, de gouverner. La cybernétique est une discipline inventée par le mathématicien américain Norbert Wiener, et dont le rôle est l’étude du contrôle et de la communication dans l’animal et la machine.
11Désordre : Notion qui enveloppe l’idée d’agitation, de dispersion, de turbulence, de collision, d’irrégularité, d’instabilité, d’accident, d’aléa, de bruit et d’erreur de catastrophe dans la nature ainsi que dans l’organisation sociale. Le désordre intervient dans le processus d’organisation sous la forme d’un facteur d’agitation, engendrant de l’ordre à partir des interactions. Toute organisation est le résultat d’une dialogique ordredésordre.
12Déterminisme : Principe philosophique d’après lequel tout ce qui existe dans la nature obéit à des lois rigoureusement établies. Dans son acception scientifique, il est conçu comme un principe d’après lequel les mêmes causes produisent les mêmes effets. Dans son acception originelle, le déterminisme est une catégorie philosophique, une notion dont les acceptions et/ou les sens varient selon les époques.
13Dialogique, principe dialogique : Terme qui signifie que « deux ou plusieurs logiques, deux principes peuvent être unis sans que la dualité se perde ou s’évanouisse dans cette unité » ; à distinguer de la dialectique hégélienne. Chez Hegel, les contradictions trouvent leur solution, se dépassent et se suppriment dans une unité supérieure nommée synthèse. Dans la dialogique morinienne, les antagonismes demeurent et sont constitutifs des entités ou phénomènes complexes.
14Disjonction : Principe de pensée qui isole les objets non seulement les uns des autres, mais aussi de leur environnement et de leur observateur. La pensée disjonctive va loin dans ses découpages arbitraires, elle isole les disciplines les unes des autres et insularise la science dans la société (Morin, 1990 [1982a], p. 26-27). En termes systémiques, le principe de disjonction pèche par l’abandon des notions d’interaction, de rétroaction, d’inter-rétroaction, de récursivité, d’hologrammatique, de complémentarité, d’auto-éco-organisation, de reliance, etc., toutes indispensables à la construction et à l’émergence d’une épistémologie complexe.
15Écologie de l’action : Du fait de multiples interactions et rétroactions au sein du milieu où elle se déroule, l’action, une fois déclenchée, échappe souvent au contrôle de l’acteur, provoquent des effets inattendus et parfois même contraires à ceux qu’il escomptait (Raymond Boudon parle des « effets pervers »).
16Entropie : Notion thermodynamique qui désigne une certaine quantité qui, dans un système physique, mesure la dégradation de l’énergie dudit système, et, à terme, son degré de désorganisation. Mesure permettant de rendre compte du désordre d’un système physique.
17Globalité, globalisation : La globalisation renforce le fait que nous sommes tous citoyens de la même planète. Cette dernière peut être conçue comme un seul grand village. La globalisation est sous-tendue par l’idée que toute l’humanité est un seul corps intégré. Qui dit globalisation dit implicitement conscience globale, interactions, inter-rétroactions, interdépendance. L’idée de globalisation remonte théoriquement à l’époque qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, où l’humanité, devant les atrocités engendrées par cette guerre a pris conscience de son unité.
18Hologramme, hologrammatique (principe d’organisation hologrammatique) : Un hologramme est une image où chaque point contient la quasi-totalité de l’information sur l’objet représenté. On peut encore définir un hologramme comme un document photographique qui, à l’instar du cerveau humain, reproduit l’impression d’un nombre illimité d’images, avec cette singularité que chacun des fragments de la plaque photographique qui les porte, si celle-ci est brisée, reste porteur de tous les éléments d’information photographiés.
19Hominisation : Processus qui a progressivement transformé une lignée de primates en humains. Ce processus évolutif a eu lieu au cours de la lignée des Hominidés, à partir de la divergence entre le dernier ancêtre commun des grands singes et les Hommes, il y a plusieurs millions d’années. L’étude de l’hominisation repose sur tous les changements structuraux et comportementaux qui ont eu lieu dans la lignée des hominidés qui a conduit ensuite à l’homme moderne.
20Homo sapiens : Tout en différenciant sapiens de demens, Edgar Morin souligne le fait que sapiens a une composante démente qui s’exprime à travers le rire, la colère, le jeu, la cruauté, l’amour, etc. Parmi les Hominidés actuels, il se distingue d’un point de vue physiologique par sa bipédie quasi-exclusive, son cerveau plus volumineux et son système pileux moins développé.
21Identité humaine/communauté de destin : C’est la conscience de l’identité de la filiation à une entité maternelle et paternelle que concrétise, par exemple, le terme de patrie, et qui apporte la fraternité à des millions de citoyens qui ne sont en rien consanguins. Voici ce qui manque, en quelque sorte, pour que s’accomplisse une communauté humaine : la conscience que nous sommes des enfants et des citoyens de la Terre-Patrie.
22Incertitude (relations ou principe d’) : Principe de la physique quantique, découvert par Werner Heisenberg, en vertu duquel il existe certaines caractéristiques de l’Univers, comme la position et la vitesse d’une particule, que l’on ne peut connaître avec une précision totale. Ces aspects incertains du monde microscopique deviennent d’autant plus sévères que les échelles de temps et de distance sur lesquelles on les considère sont plus petites.
23Information : L’information est un concept physique nouveau qui surgit dans un champ technologique. À la suite des travaux de Hartley (1928), Shannon détermine l’information comme grandeur observable et mesurable (1948), et celle-ci devient la poutre maîtresse de la théorie de la communication qu’il élabore avec Weaver (Shannon et Weaver, 1949).
24Inter-rétroaction : Ce sont des actions réciproques modifiant le comportement ou la nature des éléments, corps, objets, phénomènes en présence ou en influence. Depuis l’avènement de la théorie des systèmes, il y a une cinquante d’années, le concept d’interaction revêt une signification et une importance particulières.
25Logique : Raisonnement cohérent formellement exposé dans les règles explicites qui sont invariantes par rapport aux circonstances pragmatiques ou aux contextes sémantiques.
26Meta : Ce terme revêt un double aspect, signifiant à la fois « intégration et dépassement, affirmation et négation dans le sens de l’Aufhebung hégélienne » (La Méthode, t. 4, p. 202). C’est surtout dans la réflexion sur la connaissance, et sur les instruments dont elle peut se servir, que la notion de méta devient une véritable clé de voûte.
27Méta-point de vue : Aptitude réflexive propre à l’esprit humain, qui permet que toute représentation, tout concept, toute idée puisse devenir objet possible de représentation. Aptitude de la connaissance scientifique à traiter objectivement les organes et processus neuro-cérébraux qui concernent la connaissance.
28Méthode : Au sens littéral du terme « manière de faire, manière d’agir, manière de procéder ». Et pour ceux qui s’intéressent à la science, ce mot fait allusion à un « dispositif préalable servant à investiguer les choses ». Au sens classique du terme, le mot « méthode », du grec meta-odos, est un dispositif préalable servant à investiguer les choses. Ici « La Méthode est l’ensemble de volumes d’Edgar Morin qui constitue le développement d’un discours de la recherche d’une méthode de recherche ». Ainsi le mot « méthode » a-t-il plusieurs sens chez Edgar Morin.
29Multidimensionnel : Concept vulgarisé par le philosophe Herbert Marcuse qui veut dire que la science ne peut pas évoluer sur le modèle conçu par la philosophie moderne, à savoir l’orientation de la recherche dans le sens de la verticalité, c’est-à-dire d’une autonomie absolue. L’homme est donc essentiellement un être « multidimensionnel », c’est-à-dire à la fois physique, biologique, social, etc. C’est ce que Herbert Marcuse nous a expliqué et qu’Edgar Morin a prolongé dans ses idées en incluant la notion incontournable de la complexité.
30Néguentropie : Concept thermodynamique signifiant « entropie négative ». Ce terme a été introduit par Léon Brillouin pour caractériser la quantité d’informations dont on dispose au sujet d’un système. De même que l’entropie caractérise le degré de désordre qui règne dans un système, la néguentropie, quantité qui varie en sens inverse, caractérise le degré d’ordre introduit par l’information que l’on possède sur l’état du système.
31Ordre/désordre : Notion qui regroupe l’idée de régularités, de stabilité, de constances, de répétitions, d’invariances, de redondances… Ce concept englobe le déterminisme classique (voir déterminisme et science classique) et les déterminations. Dans la perspective d’une épistémologie complexe, l’ordre n’est ni universel ni absolu, l’Univers comporte du désordre (voir désordre) et la dialogique de l’ordre et du désordre produit de l’organisation.
32Organisaction (organisation active) : Ce néologisme est la concaténation des mots « organisation active », formé par Edgar Morin pour spécifier un type particulier d’organisation. Comme l’indique son suffixe (action), l’organis-action fait appel à l’action. Si on se réfère à l’histoire de l’Univers, on s’aperçoit qu’au commencement était l’action, c’est-à-dire des interactions.
33Production, auto-production ou production de soi :
34Produire, signifie, au sens premier qui est ici le nôtre, conduire à l’être et/ou à l’existence. L’univers des actions sauvages est aussi celui des productions sauvages, où les interactions de rencontre créent, en générant de l’organisation, de l’être et de l’existence. L’idée de production, devenue prisonnière de sa connotation techno-économique, est devenue antinomique à l’idée de création. Or, il faut restituer au terme de production son sens plein et divers.
35Production de soi (ou auto-production, auto-organisation) : ce terme traduit l’idée que le processus récursif qui produit le système agit dans un recommencement ininterrompu qui se confond avec l’existence du système.
36Paradigme, paradigmatologie : Un paradigme est une construction théorique (ou un schéma conceptuel) qui oriente le discours, la recherche ou la vision du monde d’une époque ou d’une société dans tel ou tel sens. Ou encore l’ensemble de principes d’association/exclusion fondamentaux qui commandent toute pensée, toute théorie, toute vision du monde (Morin, 1990 [1982a], p. 26). Terme emprunté à Thomas S. Kuhn.
37Paradigme de simplicité, de l’exclusion, simplification : Réduction à un élément simple de ce qui est composé de plusieurs éléments ; disjonction entre entités séparées et closes, expulsion de ce qui n’entre pas dans le schéma linéaire. La simplification est un paradigme de connaissance qui opère par réduction (du complexe au simple, du molaire à l’élémentaire), rejet (de l’aléa, du désordre, du singulier, de l’individuel), disjonction (entre les objets et leur environnement, entre le sujet et l’objet) (La Méthode, t. 2, p. 356).
38Récursif, récursion organisationnelle, principe récursif : L’idée de récursion ne supplante pas l’idée de rétroaction. Elle lui donne plus encore qu’un fondement organisationnel. Elle apporte une dimension logique tout à fait fondamentale à l’organisation active. En effet, l’idée de récursion, en terme de praxis organisationnelle, signifie logiquement production de soi et régénération. C’est à von Foerster que l’on doit d’avoir mis au centre des processus auto-organisateurs (vivants) l’idée récursive.
39Réforme de la pensée : Elle traite de l’art d’organiser sa pensée, de relier et de distinguer à la fois. Il s’agit de favoriser l’aptitude naturelle de l’esprit humain à contextualiser et à globaliser, c’est-à-dire à inscrire toute information ou toute connaissance dans son contexte et son ensemble.
40Reliance : Notion inventée par le sociologue Marcel Bolle de Bal qui caractérise les phénomènes d’aspiration à une identité individuelle (reliance à soi), à la fraternité (reliance aux autres), à une identité terrienne ou une identité commune (reliance au monde, citoyenneté terrienne), ainsi que les phénomènes de convergence horizontale des disciplines scientifiques (systémique et complexité).
41Simplicité, simplification : Réduction à un élément simple de ce qui est composé de plusieurs éléments ; disjonction entre entités séparées et closes, expulsion de ce qui n’entre pas dans le schéma linéaire. La simplification est un paradigme de connaissance qui opère par réduction (du complexe au simple, du molaire à l’élémentaire), rejet (de l’aléa, du désordre, du singulier, de l’individuel), disjonction (entre les objets et leur environnement, entre le sujet et l’objet) (La Méthode, t. 2, p. 356).
42Système complexe : Système dont l’organisation découle de l’interaction entre les parties et le tout. Dans un système complexe, la relation entre les parties permet l’émergence du tout, en tant que globalité, sans aucune allusion à une logique « ensembliste » ou « identitaire », c’est-à-dire une logique où les identités ou les ensembles seraient juxtaposés pour constituer le tout. Et le tout rétroagit sur les parties dont il est l’émergence.
43Systémique : Science ou théorie des systèmes. Le postulat d’une théorie du système général a été énoncé comme une science nouvelle par le physiologiste américain Ludwig von Bertalanffy dans les années 1940. Selon celui-ci, l’idée de système exige l’introduction en science du point de vue systémique à cause de sa pénétration d’abord dans un grand nombre de domaines de recherches scientifiques et technologiques, puis dans la plupart des réseaux de sciences humaines.
44Thermodynamique : Branche de la physique née au xixe siècle qui s’intéresse à l’étude de la chaleur, de ses propriétés, des propriétés de l’énergie issue de la chaleur et de l’entropie. Elle décrit aussi les formes d’énergies issues de la chaleur et leurs évolutions mutuelles dans un système physique.
45Transversalité : La transversalité nous renvoie à l’inter-, la multi-, la trans-disciplinarité. Jadis, les disciplines scientifiques fonctionnaient en vase clos, sans aucune relation entre les unes et les autres. Depuis l’avènement de la théorie des systèmes et de la complexité, cette acception verticale de la science est remplacée par une conception horizontale centrée sur l’idée que toutes les disciplines scientifiques s’interpénètrent. D’où l’idée qu’il y a toujours des passerelles entre ces disciplines.
46Unitas multiplex : Conjonction en une unité complexe (c’est-à-dire à la fois complémentaire, concurrente et antagoniste) de l’un et du multiple qui, dans la conception classique, sont considérés comme se situant l’un aux antipodes de l’autre. Comme on le sait, la pensée simplifiante, ou bien unifie abstraitement en annulant la diversité, ou bien, au contraire, juxtapose la diversité sans jamais concevoir l’unité.
Note
-
[1]
Ce glossaire a été raccourci pour des raisons pratiques liées aux exigences éditoriales. Pour plus d’informations sur les termes traités, il est conseillé de se référer à l’ouvrage suivant : Marius Mukungu Kakangu, Vocabulaire de la complexité, post-scriptum à La Méthode d’Edgar Morin, Paris, L’Harmattan, 2007.