Une « réalité noologique » : le langage
1Par le mot complexe, on pourrait définir la mission qu’Edgar Morin s’est assignée : rompre avec le morcellement de l’humain, avec les méthodes simplificatrices dues à l’excessive spécialisation de la recherche, et « articuler » en un cycle dynamique « les points de vue disjoints » (La Méthode t. 1, p. 19 [1]) qui appartiennent aux différentes ramifications du savoir. Selon l’auteur de La Méthode, le « principe de réduction et celui de disjonction qui ont régné dans les sciences, y compris humaines (devenues ainsi inhumaines), empêchent de penser l’humain ». En effet, seulement la « nécessaire convergence des sciences et des humanités » permettra de concevoir l’« unité complexe » de l’identité humaine (t. 5, p. 10 [2]).
2Le recours aux lexiques des différents domaines scientifiques, leurs imbrications au sein du discours ainsi que la nécessité de mots nouveaux « pour nommer les découvertes et les créations mais aussi des actions et des objets considérés sous un nouvel angle » (t. 4, p. 167) expliquent pourquoi les œuvres de Morin sont un champ d’investigation précieux pour l’étude de l’innovation lexicale et un des lieux privilégiés où se réalise ce qu’on appelle le « vocabulaire potentiel » [3].
3On sait que Morin porte une attention particulière au langage, même du point de vue théorique. Le langage, dit-il, est un être-machine, une poly-machine. C’est une machine à la fois autonome et dépendante à l’intérieur d’une « polymachine », c’est-à-dire qu’il « dépend d’une société, d’une culture, d’êtres humains, qui, pour s’accomplir, dépendent du langage » (t. 5, p. 30-31 ; t. 4, p. 162). Cette façon pour ainsi dire circulaire de s’exprimer – et de penser – est un trait caractéristique de Morin et de son originalité.
4Tout en étant une « réalité noologique » (c’est-à-dire un phénomène relevant du monde des idées), le langage est implanté profondément dans l’« anthropo-sociosphère » par son « rôle capital » au sein de l’organisation sociale. Il « constitue comme la poly-machine noologique où arrivent et partent tous les autres processus machinaux » (t. 4, p. 164). Engrenée « sur la machinerie cérébrale des individus et sur la machinerie culturelle de la société », la machine-langage est « la plaque tournante essentielle du biologique, de l’humain, du culturel, du social ». En raison de cela, la science du langage ne doit pas « se boucler sur elle-même » : « dans la relation en boucle anthropologie ? culture ? noologie », elle devient « éclairante » à condition « d’être éclairée en retour par ce qu’elle éclaire » (t. 4, p. 163 et p. 171-172 ; t. 5, p. 31).
Souci d’expressivité et aptitude combinatoire, inventive
5Selon Michel Tournier, la tendance « analytique » que l’on reconnaît dans la langue française « est en train de s’inverser ». En effet, on peut remarquer nombreuses « constructions par “blocs” », la « recompactisation de la phrase », beaucoup de « formations à deux ou trois composants substantifs sans intermédiaire, juxtaposés ou traits d’unionés (sic) » (Tournier, 2000, p. 279). La langue de Morin confirme ce constat.
6L’ingenium, c’est-à-dire la faculté qui ? selon Giambattista Vico ? permet de « relier de manière rapide, appropriée et heureuse des choses séparées », est une qualité très estimée par l’auteur de La Méthode. En fait, elle peut produire « l’invention et la création » en s’opposant à l’« analyse stérile ». Edgar Morin exerce cette « aptitude combinatoire, inventive » (t. 5, p. 32) dans toute forme de composition possible, y compris l’utilisation de barres, parenthèses ou flèches qui unissent les mots ou les syntagmes. C’est ainsi qu’il cherche à représenter la complexité du réel.
7La création de nouveaux mots n’est donc pas la seule expression (ni peut-être la plus étonnante) de son aptitude à combiner/inventer pour ne pas tomber dans le vide d’un discours qui n’aboutit à rien. Généralement, c’est un souci de précision et d’expressivité qui pousse Morin à créer des néologismes, non pas le goût du surprenant ni la tendance à choisir un style économe de paroles, comme c’est souvent le cas, par exemple (plusieurs fois par simple habitude) dans la langue de la presse ou de la politique. Exposer aussi nettement que possible une pensée nouvelle et complexe, voilà ce qui lui tient à cœur.
8Quelquefois, à vrai dire, il semble que Morin s’amuse en jouant de la langue pour créer des jeux de mots. D’ailleurs, cela fait partie d’une tradition toute française…
9Dans la seconde moitié du xxe siècle, en français comme dans beaucoup d’autres langues, la création de nouveaux mots à l’aide de préfixes (nous renonçons ici à distinguer les préfixes des préfixoïdes tels qu’anthropo-, bio-, géno- etc.) tirés du grec ou du latin est un trait particulier ? on le sait ? des lexiques des sciences y compris humaines.
La troncation ou pseudo-troncation en –o, explique Maurice Tournier, est […] à la source de longues séries de composés sur au moins deux formants pleins, ouvrant à des formations raccourcies et amplifiées. La soudure d’éléments de ce type avec souvent l’entremise du trait d’union est un phénomène qui s’est généralisé à tel point que tout recensement de néologismes […] est impossible.
11Parmi les instruments dont Morin se sert pour « articuler » et « relier », on remarque tout d’abord plusieurs mots composés de cette façon, dans lesquels les éléments constitutifs sont séparés – et liés à la fois – par des traits d’union.
12Comme on peut s’y attendre, les préfixes les plus fréquemment employés sont ceux qui se terminent en –o. Cette terminaison, quelle qu’en soit l’origine – étymologique, comme par exemple dans anthropo-, auto-, bio-, éco- (<oikos), ou analogique (épistémo-, psycho- etc.) – engendre en fait une forme de pseudo-troncation qui permet de relier, de façon pour ainsi dire automatique, le préfixe et le mot simple.
13Au sein de La Méthode, en raison de l’importance capitale des concepts d’autos et d’éco-système, les préfixes en –o employés le plus souvent sont éco- et auto- (parfois combinés dans le même mot). En d’autres cas, le premier formant est constitué par un nom existant dans la langue, ou par un nom apocopé.
14Par exemple, la néo-fraternité (la « nouvelle fraternité ») doit être une « fraternisation active », qui « puisse substituer aux dispositifs immunologiques implantés dès l’enfance contre l’étranger un système de perception incluant autrui dans une identité commune […] » (t. 2, p. 442-443).
15L’analogie phonétique entre le préfixe du mot servomécanisme (mot capital, on le sait, dans le langage de la cybernétique) et le mot cerveau donne le moyen de créer le jeu de mots Servo-mécanismes et cerveau-mécanismes (t. 1, p. 241). Le cerveau-mécanisme du calembour est l’appareil cérébral de l’être vivant, relié aux autres appareils de l’organisme par une relation de « dépendance mutuelle », qui est « au service de » et « asservissante » : « le cerveau-mécanisme n’est pas seulement le plus complexe des servo-mécanismes, comme le dit Victorri, il s’inscrit dans l’unité complexe d’une existence individuelle ». Il nous semble qu’ici, c’est-à-dire dans la conclusion du paragraphe, le jeu de mots du titre s’insère de façon à produire une certaine ambiguïté. Mais il s’agit, tout compte fait, d’une ambiguïté plus apparente que réelle.
16Idéo-mythes (t. 4, p. 141) équivaut à idéologiesmythes. En effet, le sujet principal du paragraphe en question est constitué par le « potentiel mythologisant » de tout système d’idées. On peut encore signaler (dans le texte) « les idéo-mythes providentiels du rationalisme et du scientisme » (t. 4, p. 221) et le couple de mots juxtaposés idées-mythes (t. 4, p. 216).
17Dans le titre « Pas d’anthropo-biologie, mais une anthropologie complexe » (t. 2, p. 416) le mot composé équivaut à anthropologie-biologie :
[…] étant donné que l’homme est irrécusablement vivant, n’y a-t-il pas une carence fondamentale dans les principes de connaissance qui font de la biologie et de l’anthropologie deux isolats incapables de communiquer ? Ne faut-il pas modifier, c’est-à-dire complexifier, et le point de vue biologique et le point de vue anthropologique pour qu’ils puissent s’articuler l’un à l’autre ?
19Il y a aussi des mots caractérisés par deux préfixes. L’emploi d’un plus grand nombre de préfixes est exceptionnel (poly-super-méta-machine, auto-trans-méta-sociologie, trans-méga-macro-méso-micro-social). Quelques ensembles sont caractérisés par un nombre variable de préfixes entre parenthèses : auto-(géno-phéno)-organisation ; auto-(géno-phéno-égo)-éco-re-organisation ; auto-(géno-socio)-centrisme ; une parenthèse peut séparer les deux composants d’un mot qui s’écrit sans tiret : éco-(bio-socio)-logie ; égo-(auto)-centrique.
20Extraits de leur contexte, les mots composés au moyen de plusieurs préfixes risquent de paraître des assemblages extravagants ou des jongleries verbales. Mais il en va presque toujours différemment lorsqu’ils figurent au sein du discours de l’auteur. En effet, ces mots visent à traduire intégralement la complexité du réel, par exemple en ce qui concerne le « polylogiciel bio-anthropo-culturelpersonnel » (l’« esprit/cerveau » humain), qui s’inscrit dans le circuit, dans la « boucle », de l’auto-(géno-phénoégo)-éco-socio-organisation, c’est-à-dire dans une organisation dont les éléments constitutifs – indissociables – relèvent de l’hérédité génétique, de l’éco-système et de la « sphère anthropo-sociale » (t. 3, p. 99).
21L’auteur trouve parfois du plaisir à la création d’un mot dans lequel sont combinés – par troncation, croisement ou superposition – deux mots distincts, ou un élément de composition et un mot autonome. Ce sont les mots que l’on appelle mots-valises. C’est un procédé souvent employé, on le sait, dans le domaine de l’informatique. Selon Gabriel Otman, le mot-valise « est créé pour désigner la collision de deux notions plus que le raccourcissement d’une désignation complexe » (Otman, 2000, p. 380). C’est le cas de chaosmos (t. 1, p. 57), un des plus célèbres néologismes d’Edgar Morin, superposition séduisante et peut-être, pour ainsi dire, métaphoriquement onomatopéique de « chaos » et « cosmos », qui en désigne le mélange hybride et inextricable à la fois.
22Dans quelques mots à deux formants, on remarque deux graphies différentes, avec ou sans tiret (par exemple : poly-machine et polymachine). Quant aux quelques mots qui s’écrivent d’ordinaire sans tiret, le trait d’union souligne le signifié du préfixe afin de définir avec la plus grande évidence le sens du mot composé (par exemple : co-production, sur-réaliste). C’est, pour ainsi dire, une décomposition emphatique, dont l’auteur se sert quelquefois même si le dernier formant n’est pas un mot autonome de la langue : métamorphose (au pluriel) : Transformation et méta-morphoses (t. 1, p. 158). La décomposition de ce mot trouve son explication dans le contexte : « l’idée de transformation signifie changement de forme, c’est-à-dire : dé-formation, formation (morphogénèse), méta-morphose ». Ailleurs le même mot figure sans trait d’union.
23Une décomposition emphatique telle qu’en-cyclopédie (t. 1, p. 19) se rapporte à la valeur en quelque sorte métaphorique que Morin vise à donner au mot encyclopédie au sein de son discours sur le « cycle » du savoir.
Le terme encyclopédie, dit-il, ne doit plus être pris dans le sens accumulatif et alphabébête [croisement d’alphabet et bébête] où il s’est dégradé. Il doit être pris dans son sens originaire agkuklios paidea [sic], apprentissage mettant le savoir en cycle ; effectivement, il s’agit d’en-cyclo-péder, c’est-à-dire d’apprendre à articuler les points de vue disjoints du savoir en un cycle actif [4].
25Un autre emploi emphatique du trait d’union vise à séparer/lier les composants d’une unité syntaxique (ex. : La production-de-soi : t. 1, p. 182 ; Être nucléo-protéiné producteur-de-soi : t. 1, p. 319), ou les éléments d’une locution substantivée par l’article (Le nouveau de l’à-nouveau : t. 2, p. 341 ; L’entre-parenthèses : t. 1, p. 231).
26Pour exprimer certains concepts d’une manière synthétique, Morin juxtapose volontiers deux substantifs (ex. : Les êtres-machines, t. 1, p. 155 ; L’Ordre-roi, t. 1, p. 33 ; Le gène-maître, t. 2, p. 131 ; cerveau-piano, t. 5, p. 292). Plusieurs titres qui figurent dans La Méthode consistent en des formules de ce genre, parmi lesquelles on rencontre des expressions mémorables au sens figuré comme le Tout-Rien (t. 2, p. 277), métaphore de l’individu-sujet. « Je n’ai aucune gêne », dit Morin (à ses détracteurs), « à employer des images quand elles me viennent. Rassurez-vous : je sais que ce sont des images » (t. 1, p. 29).
27Quelquefois le sujet dont l’auteur va traiter est indiqué par la juxtaposition de trois substantifs : Sciencetechnique-société (t. 4, p. 227) ; Inhérence-séparationcommunication (sur le problème de la connaissance : t. 3, p. 205). On serait tenté de voir dans le dernier ensemble une sorte de définition symbolique de la pensée et de la méthode de son auteur.
28Le goût de Morin pour la création de néologismes est, pour ainsi dire, proverbial. Voilà ce qu’il dit à ce propos :
Certains trouveront que j’abuse de néologismes. À vrai dire, je n’invente pas de nouveaux mots ; je donne verbes et adjectifs à des notions qui n’étaient que substantives, et vice versa.
30Ici Morin fait semblant de désavouer son « aptitude combinatoire, inventive ». En effet, on peut considérer les mots dérivés comme néologismes (en plus, il se garde de parler des autres mots nouveaux qui figurent dans son œuvre).
31Parmi les mots dérivés ou formés à l’aide des préfixes a, in, dé, il y a sans doute plusieurs néologismes créés par l’auteur. Aujourd’hui le recensement des nouveaux mots dérivés (en français, comme dans autres langues) serait un travail voué, selon toute vraisemblance, à des résultats problématiques.
32Nous signalons ici seulement démortalité (Vers la d. ?, t. 5, p. 235) et amortalité (Mortelle a., t. 5, p. 238), qui désignent une absence prolongée de la mort, dont pourront profiter, grâce aux progrès de la génétique et d’autres sciences, les « privilégiés de la planète ».
Quelques mots-clés
33Parmi les néologismes qui expriment des notions capitales dans la pensée de l’auteur, on remarque avant tout deux mots synonymes constitués par deux éléments de composition : tétragramme (Le tétragramme vivant, t. 2, p. 369-371) et tétralogue (De la Genèse au Tétralogue, t. 1, p. 42 ; La boucle tétralogique, t. 1, p. 56-57).
34Ils signifient l’ensemble d’« ordre/désordre/interactions/organisation » (t. 1, p. 56) qui a donné naissance à l’univers ; un univers qui toujours « se désintègre et s’organise du même mouvement », et toujours « meurt depuis sa naissance » (t. 1, p. 59).
35Tétragramme est un néologisme de sens : en effet, le mot préexistant désigne surtout l’« ensemble des quatre consonnes hébraïques qui constituent le mot divin » (Trésor de la langue française). Quant à tétralogue, il s’agit d’un néologisme de forme, créé à l’exemple de tétragramme.
36On peut présumer que, dans la réflexion de l’auteur sur la naissance de l’univers et de la vie, le choix de termes comme « Genèse », « tétragramme » et « tétralogue » (qui pourrait évoquer le décalogue énoncé dans le Deutéronome) n’est pas dû à une simple coïncidence.
37L’expression L’arrière-pensée (Paradigmatologie) (t. 4, p. 211) fait allusion à la nécessité d’établir un « paradigme » qui puisse guider la pensée et faire avancer la connaissance. À propos du néologisme de sens L’arrière-pensée on peut citer un passage du troisième livre (p. 169), selon lequel le mythe relève d’une Arkhé-Pensée, c’est-à-dire : « de ce qu’on peut appeler l’Arkhé-Esprit, qui est, non pas un esprit arriéré, mais un Arrière-Esprit qui […] correspond aux forces et formes originelles, principielles et fondamentales de l’activité cérébro-spirituelle ».
38Parmi les ensembles constitués au moyen de préfixes qui dérivent d’une préposition des langues classiques, les plus intéressants sont ceux dans lesquels le mot simple est précédé par méta ou dia. Le « terme de méta » signifie à la fois « intégration et dépassement, affirmation et négation dans le sens de l’Aufhebung hégélienne » (t. 4, p. 202). C’est surtout dans la réflexion sur la connaissance, et sur les instruments dont elle peut se servir, que la notion de méta devient une véritable clé de voûte. Étant donné que la complexité de la pensée, de la vie et de l’univers « comporte évidemment de la cohérence logique, mais aussi de l’infra-logique, de l’a-logique, du méta-logique », la logique déductive-identitaire, c’est-à-dire la logique classique, qui exclut toute contradiction ou incertitude, « ne s’applique pas à toute la réalité objective ». C’est pourquoi « il nous faut une logique souple », une « méta-logique » (non pas une « nouvelle logique »). Elle doit dépasser la logique déductive-identitaire tout en englobant ses « règles logiques de cohérence et de démonstration », et déterminer – pour « toute pensée et toute théorie » – le méta-point de vue complexe, le point de vue métalogique, auquel la logique classique « est à la fois absolument nécessaire et absolument insuffisante » (t. 4, p. 192-203 ; t. 3, p. 16-18).
39Dans le chiasme l’envers de la rationalité : infra ? méta ? ? au lieu des mots composés infra-rationalité ? méta-rationalité ? ? rationalité (t. 2, p. 411), l’auteur se dégage, avec un peu d’hardiesse, des règles de la composition des mots.
40Dans le chapitre du deuxième livre de La Méthode qui s’intitule Auto-(géno-phéno)-organisation (p. 111-141) figurent les substantifs dialogique et unidualité, mots clés dans La Méthode (en particulier, dialogique). De ces néologismes, Morin explique le sens dans le contexte (et, pour dialogique, même ailleurs). Unidualité, c’est une unité qui est en même temps une dualité : l’unité/ dualité de « genos (terme renvoyant […] au génétique) et phainon (terme renvoyant à l’existence phénoménale hic et nunc dans un environnement) » (p. 112). Le terme en question désigne donc le mélange inextricable de deux entités que l’on considère le plus souvent comme tout à fait séparées, pour ne pas dire incompatibles.
41Le mot dialogique, dont le préfixe exprime peut-être non seulement la distinction et la séparation, mais aussi la notion de « à travers », définit souvent une logique pour ainsi dire uniduelle, constituée par deux logiques, antagonistes et complémentaires à la fois (dans le chapitre du deuxième livre ce sont les deux logiques du « genos » et du « phenon » [5]). Le sens de l’adjectif homographe dialogique correspond au sens du substantif (par exemple : L’unité dialogique : t. 2, p. 130).
42Les concepts d’unidualité et de dialogique (et les mots qui les désignent), étroitement liés dans le chapitre en question – ils renvoient l’un à l’autre – articulent effectivement « ce qui est séparé » et relient « ce qui est disjoint ».
43Encore un mot. Le texte de La Méthode se révèle bien intéressant aussi du point de vue de la phraséologie, en particulier en ce qui concerne l’emploi des figures de rhétorique : on songe avant tout aux titres de la plupart des livres – La Nature de la nature, La Vie de la vie… – qui ne sont pas que des jeux de mots. Il faudrait étudier aussi le nouveau sens donné à des locutions métaphoriques figées comme, par exemple, Le vif du sujet (t. 2, p. 155 ; t. 5, p. 65) ou L’entrée dans la société (t. 1, p. 310), les citations plus ou moins explicites de titres d’œuvres littéraires ou philosophiques, les altérations ironiques d’expressions célèbres (Au commencement était l’action : t. 2, p. 155), et bien d’autre encore…
Notes
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[1]
Les citations tirées de La Méthode (Morin, 1977-2004) sont indiqués sous la forme : tome, page. Hormis le cinquième livre, les pages renvoient aux éditions dans la collection « Points » (2008).
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[2]
Cet article comprend des extraits d’un travail – Morin dans sa langue. Réflexions sur les tables de La Méthode ? publié sous la forme d’un article et mis en ligne sur le site « Réseau Intelligence de la Compléxité » dirigé par Jean-Louis Le Moigne <www.mcxapc.org> (Bonomo, 2006-2007). Une partie du travail en question était constituée par un répertoire des mots composés, dérivés ou juxtaposés qui figurent dans les tables des matières de La Méthode. Ainsi, au moyen de plusieurs citations textuelles, avait-on pu offrir des exemples plus concrets de la langue de l’auteur. Ici, dans cet article, on a cherché tout simplement à donner quelques exemples significatifs de son souci d’expressivité et de son « aptitude combinatoire, inventive ». On espère que le résultat de cet effort ne semblera pas tout à fait indigne de l’auteur de La Méthode. Quoi qu’il en soit, vagliami ‘l lungo studio e ‘l grande amore/ che m’ha fatto cercar lo tuo volume.
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[3]
« On peut appeler “vocabulaire potentiel” l’ensemble des mots conformes au programme de formation et partant virtuellement existants mais non consignés dans le dictionnaire d’usage » (Hausmann, 2000, p. 200).
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[4]
« Le mot encyclopédie est un calque du latin académique encyclopaedia, à son tour calque imprécis de la locution grecque enkyklios paideia. L’expression – qu’on peut rattacher à l’enseignement dans l’école de la période hellénistique-romaine – concerne l’ensemble des sciences qui constituent le “cycle” d’une instruction générale complète. Il est donc peu vraisemblable que son signifié “originaire” soit celui que l’auteur prend plaisir à imaginer (ou fait semblant d’imaginer). »
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[5]
Graphie francisée de phainon dont l’auteur se sert après la première mention du mot.