1« Je vous appelle parce que j’aurais d’autres documents à posthumer. » Au téléphone, c’est ainsi qu’Edgar Morin annonce un nouveau versement de ses archives à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). La création du verbe posthumer comptera peut-être parmi les nombreuses inventions et innovations de l’auteur de L’Homme et la Mort (1951). Il dit bien la place de l’archive dans l’œuvre en train de se faire. Le fonds s’accroît au rythme de l’avancée des travaux. Depuis 2001, les magasins du pavillon des archives de l’abbaye d’Ardenne où sont installées les collections de l’IMEC conservent les traces et les vestiges de l’activité prolifique d’Edgar Morin. Régulièrement, l’auteur verse de nouveaux documents, manuscrits, notes, documents, lettres et livres. Le traitement de ces archives est actuellement en cours. Le fonds ne compte pas moins de 150 boîtes d’archives, chiffre significatif et non définitif, sachant que le classement se poursuit et que de nouveaux dépôts viennent régulièrement compléter l’ensemble. Voici une brève description générale du fonds Edgar Morin à l’IMEC.
2En ce qui concerne les œuvres d’Edgar Morin, les archives répondent à un mode d’organisation relativement harmonieux en amont, la genèse, avec des notes de travail, des brouillons, des manuscrits (sur papier ou sur disquettes), de la documentation ; en aval, la réception, regroupant la presse publiée et la correspondance reçue à chaque publication d’un ouvrage. Il en va ainsi pour la plupart des essais, depuis L’An zéro de l’Allemagne (1946) jusqu’aux volumes de La Méthode (1977-2008) et aux ouvrages autobiographiques Vidal et les siens (1989a) ou Edwige, l’inséparable (2009).
3L’activité scientifique d’Edgar Morin est visible dans les archives grâce aux nombreux dossiers réunissant notes de travail, tirés à part, textes de communications, coupures de presse, lettres, programmes et autres documents. Indissociable des notes de travail, ce riche matériau n’est pas seulement révélateur du champ d’étude scientifique d’Edgar Morin (la sociologie, l’anthropologie, la philosophie et la pensée complexe). Il témoigne aussi de son engagement dans l’actualité de son temps comme la guerre en ex-Yougoslavie, le conflit israélo-palestinien, l’Europe, ou l’écologie… Cet engagement apparaît aussi dans l’activité associative d’Edgar Morin, comme fondateur de l’Association pour la pensée complexe et de l’Académie de la latinité, ou comme président du conseil scientifique de la consultation nationale « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? » (1998).
4Edgar Morin fut également l’un des fondateurs de la revue Arguments (1956-1962) dont il devint le rédacteur-gérant. Ses archives comprennent notamment les bulletins d’abonnement, ainsi que la déclaration de « sabordage » du périodique. Avec Jean Rouch, il réalisa le film Chronique d’un été (1961), expérience de « cinéma vérité », dont « le schéma provisoire de montage » et les textes de préparation se trouvent dans le fonds.
5Son activité de chercheur au CNRS peut être saisie à travers plusieurs documents. C’est le cas, par exemple, de son projet de recherche de 1950 soutenu par Georges Friedmann et intitulé « Enquête sur la sensibilité esthétique dans le milieu technique contemporain ». Les chercheurs trouveront aussi des rapports d’activité s’étendant de 1962 à 1984. Edgar Morin co-dirigea avec Claude Lefort le Centre d’études transdisciplinaires (sociologie, anthropologie, politique) (CETSAP). De cette activité, il a notamment conservé un rapport d’activité, de la correspondance et des extraits de la revue Communications. Enfin, les éléments concernant l’enquête menée dans la commune bretonne de Plozévet dans les années 1960 permettent d’entrevoir sa conception de la « sociologie du présent » ainsi que sa méthode de travail, décrite dans une « note sur la recherche ». Le dossier rassemble aussi des brouillons, des fiches de travail, quelques photographies, une correspondance institutionnelle ou amicale témoignant du travail accompli et de l’accueil réservé à Commune de France. La métamorphose de Plodémet (1967).
6Matériaux de son œuvre autobiographique ou échos de son roman inédit L’Année a perdu son printemps, Edgar Morin a conservé un ensemble d’archives concernant ses années au Lycée Rollin à Paris de 1928 à 1939 (cartes d’identité scolaire, bulletins de distribution des prix), ses années de résistant de 1941 à 1944 (tracts, papiers militaires) et son poste de chargé des questions de propagande en Allemagne de 1945 à 1946 (ordres de missions, textes, lettres). Mais de tous les éléments biographiques contenus dans ces archives, la correspondance tient assurément une place prépondérante. Au premier regard, son importance matérielle est évidente : elle compte pour presque la moitié du fonds. D’abord amicale et intellectuelle, cette correspondance restitue le foisonnant dialogue entre Edgar Morin et de nombreux philosophes, sociologues, anthropologues, scientifiques, économistes, artistes, journalistes, cinéastes, etc. Les noms de quelques interlocuteurs (dont certains ont déposé leurs archives à l’IMEC) suffisent à témoigner de la richesse de cette vie intellectuelle : Theodor W. Adorno, Raymond Aron, Kostas Axelos, Robert Badinter, Cornelius Castoriadis, Michel Crozier, Michel Deguy, Marguerite Duras, Jean Duvignaud, François Fejtö, André Gorz, Félix Guattari, Daniel
7Guérin, Jean-Jacques Lebel, Henri Lefebvre, Claude Lefort, Claude Lévi-Strauss, François Mitterrand, Pierre Naville, François Perroux, Michel Rocard, René Tavernier, Haroun Tazieff, Alain Touraine et tant d’autres encore. La correspondance professionnelle échangée avec les éditeurs, les revues culturelles et scientifiques, les associations, organismes, institutions et les universités du monde entier montre à quel point Edgar Morin est sollicité, que ce soit pour participer à des colloques, des conférences et des cours, pour rédiger des articles, des préfaces, ou pour réaliser des entretiens. Ces échanges prennent la forme de lettres, de fax à l’en-tête de l’Association pour la pensée complexe à partir des années 1980, puis de courriels. Edgar Morin a pris soin de conserver ses brouillons de fax et d’imprimer ses mails. Sa correspondance ne souffre donc pas de l’absence de traces allant généralement de pair avec les nouvelles technologies.
8Enfin, dans la salle de lecture de l’abbaye d’Ardenne, la bibliothèque d’étude mise à la disposition des chercheurs, en accès libre, comprend les ouvrages d’Edgar Morin, les revues contenant ses articles, les principales études sur son œuvre ainsi qu’un ensemble de traductions dont le grand nombre de langues et de pays représentés illustre l’écho international de son œuvre. Ouvrant de nouvelles pistes de recherche et de réflexion, les archives conservées à l’IMEC reflètent la richesse, la diversité et le rayonnement de la pensée d’Edgar Morin.