1Edgar Morin a, pendant de longues années, côtoyé la systémique. Pouvez-vous nous éclairer sur ses relations avec cette « science des systèmes » ? Sur les liens ou les oppositions de cette science avec la complexité ?
2Jean-Louis Le Moigne : Puis-je reformuler la question ? Ici le mot systémique est devenu un mot fourre-tout dans lequel chacun met de ce qu’il veut, compromettant ainsi une communication réflexive : ici « science des systèmes », là, « théorie (générale ou mathématique) des systèmes », ailleurs « théorie du système général », voire souvent l’oxymore « analyse de système », ou même le laxiste « approche système ». Le substantif « la systémique » a été forgée en France au cours des années 1970 pour tenter d’éviter une confusion avec le holisme que suggérait le promoteur du concept de « système général », le biologiste théoricien Ludwig von Bertalanffy (Prouteau, 2006 ; 2009). En intitulant le recueil d’anciens articles (publiés entre 1945 et 1967) qu’il avait regroupé sommairement sous le titre General System Theory (1968), il faisait passer un patchwork d’essais consacrés à l’illustration des effets pervers des méthodologies réductionnistes et mécanicistes appliquées alors à la recherche en biologie, pour une théorie scientifique « générale ».
3À partir de 1973-1974, je pris conscience de la légèreté épistémologique de la « théorie générale » dans cette formulation, tout en reconnaissant qu’on pouvait en revanche en inférer une théorie bien construite de la modélisation [1] ; théorie de la modélisation que l’on pouvait alors qualifier de systémique, alternative correctement argumentée à la théorie de la modélisation analytique établie axiomatiquement sur les quatre préceptes du Discours de la méthode cartésien [2].
4Considéré comme un attribut et non plus comme un substantif, le mot « systémique » perd son aura de démonstration scientifique « résolutoire » auquel aspirait la General System Theory (GST) – comme sa quasi-jumelle dans le champ des « nouvelles sciences », la « cybernétique, science de la communication et de la commande dans les systèmes naturels et les systèmes artificiels » –, mais il éclaire l’argumentation des problématiques « exploratoires et opératoires » en qualifiant la modélisation comme l’action de conception – construction, à l’aide d’artefacts symboliques, de représentations de phénomènes perçus ou conçus par un « observateur-descripteur ».
5Edgar Morin soulignera cela dès les premiers chapitres du tome 1 de La Méthode (1977) : « Bien qu’elle comporte des aspects radicalement novateurs, la théorie générale des systèmes (TSG) n’a jamais tenté la théorie générale du système ; elle a omis de creuser son propre fondement, de réfléchir le concept de système. Aussi le travail préliminaire du système reste encore à faire, interroger l’idée de système » ? ou, écrit-il aussi : « ouvrir la problématique systémique » (La Méthode, t. 1, 1977, p. 101). Et, pour qui lit les six tomes de La Méthode, n’est-ce pas cette interrogation permanente qui constitue le fil conducteur de ses explorations approfondies de « l’Archipel Système » ? (La Méthode, t. 1, 1977, p. 99). Aussi ne peut-on parler de « côtoiement pendant de longues années » d’Edgar Morin avec la problématique systémique qu’il aurait aujourd’hui délaissée voire oubliée. La problématique systémique est, aujourd’hui comme hier, permanente dans toute son œuvre (y compris, fût-ce, implicitement dans ses ouvrages bien antérieurs à la parution aux États-Unis de la General System Theory, 1968). Et, pour ma part, l’enracinant aussi à d’autres sources, de Léonard de Vinci à Giambattista Vico, ou de Paul Valéry à Herbert A. Simon, je les retrouve totalement assimilées dans et par la problématique systémique telle qu’Edgar Morin la développe puis la « paradigmatise ».
6Ce qui peut justifier votre question tient à l’incomplétude manifeste de la culture épistémologique de la plupart des auteurs, chercheurs scientifiques autant que professionnels de l’enseignement et de la formation, tous légitimement fascinés par la renaissance dans les cultures scientifiques du concept de système. Plus les effets pervers du « réductionnisme de méthode (tenu pour) indispensable à la pratique scientifique » (Atlan, 1986, p. 15), (et par là tenu pour garant de « La vérité dans les sciences ») devenaient manifestes, plus s’affirmait l’aspiration à la prise en considération des interactions « médiates et immédiates » que symbolise l’idée de système. Le courant de la General System Theory bertalanffyenne devenait celui de la Systems Approach (Churchman, 1968 ; Ackoff, 1974) que l’on traduisit en français L’Analyse de Systèmes dès 1974, sans percevoir l’oxymore qui allait faire subrepticement de la modélisation systémique, une des variantes de la modélisation analytique.
7Ce glissement allait inciter les informaticiens et mathématiciens appliqués à s’approprier une analyse de systèmes redevenant analytique donc, par-là, scientifique à leurs yeux. Ceci d’autant plus aisément qu’à partir de 1980 (Lesourne, 1981), ce courant assimila les formulations dégagées par ceux de la « première cybernétique » (1948) et de la « dynamique des systèmes » (Forrester, 1961). Au prix de quelques hypothèses fortes de fermeture des modèles, ne pouvait-on l’appliquer aux systèmes cybernétiques formulés à l’aide d’analyses dites de systèmes, permettant de mettre en œuvre les formalismes postcartésiens familiers, en s’aidant de diverses extensions dans le champ des formalismes du « non linéaire » ? En rebaptisant souvent du nom de Science(s) des systèmes ce domaine défini sur des objets virtuels appelés systèmes, eux-mêmes définis « à la volée par une interrelation d’éléments constituant une unité globale » (La Méthode, t. 1, 1977, p. 101).
8À ce stade (1980), l’appel d’Edgar Morin : « Il faut concevoir ce qu’est un système… On a toujours traité les systèmes comme des objets ; il s’agit désormais de concevoir les objets comme des systèmes » (La Méthode, t. 1, 1977, p. 100) n’était plus guère entendu, au moins par les institutions scientifiques françaises. La parution en 1982 de Science avec Conscience dont la troisième partie s’intitule « Pour la Pensée complexe », (le concept de « pensée complexe » apparaît là pour la première fois alors, avant celui de « systèmes complexes » qui ne sera visible en tant que tel qu’à partir de 1985) met bien valeur cette transition : en 1977, il écrit : « J’oppose à l’idée de théorie générale ou spécifique des systèmes l’idée d’un Paradigme systémique (irréductible à la vision trop simplifiante du Tout du Holisme) » (Morin, 1977, repris dans 1982a, p. 173). Puis, à partir de 1980, il développe « l’incompressible Paradigme de Complexité [3] » (Morin, 1982a, p. 173 et 295), englobant et légitimant « le paradigme systémo-cybernétique » (La Méthode, t. 2, 1980, p. 351) à partir du « Paradigme de l’Organisation » qu’il avait introduit dans les deuxièmes et troisièmes parties du tome 1 (1977), puis dans le tome 2 de La Méthode (1980). Ainsi pouvait s’argumenter la légitimation épistémologique du concept scientifique de système entendu inséparable de celui du concept d’organisation, lui-même entendu au cœur de « l’incompressible paradigme de la Complexité ».
9On comprend dès lors qu’il n’ait plus privilégié les concepts de système et de systémique de façon dominante dans ses intitulés, sans pour autant l’ignorer, loin de là. Mais il lui fallait constater que la plupart des auteurs des nombreuses publications sur le concept de système n’assumaient pas l’effort de critique épistémique interne qu’appelait la problématique systémique, critique dont il avait souligné la nécessité en l’illustrant. N’est-ce pas pourtant à cet exercice de critique épistémique auquel il s’était attaché dès le tome 1 de La Méthode, à l’aide de laquelle il avait dégagé le primat du concept d’organisation se formant dans « la boucle des interactions entre ordre et désordre », boucle ouverte que négligent encore les promoteurs de la théorie générale des systèmes et de ses divers avatars tant cybernétiques qu’analytiques ?
10Il faudrait ici rappeler l’importance des multiples autres sources qui ont irrigué la formation du paradigme épistémologique de la complexité dans et par l’œuvre d’Edgar Morin. En examinant la liste des contributeurs des actes du colloque L’Unité de l’homme qu’il anima avec Massimo Piatelli en 1972 (anthropologie, biologie, sciences de la cognition et de la communication… ; Morin et Piatelli-Palmarini, 1974a), on verra que la problématique systémique ne s’éclaire qu’en s’intégrant dans ces contextes transdisciplinaires entrelacés. Je suis tenté de privilégier ici l’influence de l’œuvre d’Heinz von Foerster, dont l’article de 1959 sur « Les systèmes auto organisateurs et leur environnement [4] » fut et demeure décisive pour la formation du paradigme de l’organisation. Edgar Morin ajoutera sûrement bien d’autres sources ayant irrigué la formation de La Méthode – Gregory Bateson, Gotthard Gunther (2008), Anthony Wilden, Ilya Prigogine… Je ne les mentionne ici que parce que les tenants des courants de l’analyse des systèmes, comme ceux de la science des systèmes formalisés ne s’y réfèrent pas fréquemment, alors qu’ils font grief à Edgar Morin de ne pas faire état de textes classiquement méthodologiques rarement accompagnés de la critique épistémique qu’appelle pourtant le quatrième précepte cartésien, ou l’hypothèse de fermeture, sur laquelle ces méthodes reposent. Suffit-il de mettre le mot « système complexe » dans le titre pour que son auteur soit dispensé du travail épistémique que son contenu devrait appeler ?
11Si bien que je peux achever ma réponse à la question du rapport du paradigme systémique et du paradigme de la complexité générale en la renversant. En tentant de se différencier hors du champ des sciences de la complexité, la science des systèmes ne peut que s’étioler lorsqu’elle ne veille pas à assurer ses enracinements épistémologiques, donc gnoséologiques : quelle est la genèse, la nature, la légitimation et l’usage de la connaissance qu’elle produit et qu’elle veut « considérer comme un processus plus que comme un état » (Piaget, 1970, p. 9) ? Ne doit-elle pas, dès lors qu’elle ne prétend plus tenir les systèmes (artefacts) pour des objets (naturels), être attentive à la connaissance de la connaissance qu’elle produit ? Connaissance que l’on ne peut réduire à des considérations méthodologiques nécessairement fermées (être assuré de ne rien omettre exige le quatrième précepte du discours cartésien), impérativement formalisées et par là inattentives aux contextes et aux projets, comme à leurs interactions évolutives, pour lesquelles on les mobilise.
12Dans les années 1970, on a observé une réduction de la notion de système à celle de système informatique qui s’est traduite par une prise en main des sciences sociales par les mathématiciens. Ne pensez-vous pas que nous assistons aujourd’hui à une réactualisation de ce problème au travers des théories sur les réseaux qui serviraient de substrat à une fausse description scientifique et à une perversion de la notion de connaissance systémique ?
13J.-L. L. M. : L’argument de la prise en main de la notion de système par les informaticiens doit être fortement nuancé ; j’aime rappeler le constat que le Comité national de la recherche des États-Unis a établi à l’expérience en 1989 : « Bien que l’informatique ait beaucoup contribué à populariser le mot système, il faut convenir, non sans ironie, que les développeurs de systèmes d’informations n’ont pas développé de méthodes formalisées pour comprendre les systèmes… [5] ». Depuis cette date, les méthodes dites informatiques (et de conception de systèmes d’information) ont certes continué à fleurir et à se concurrencer commercialement ; mais il ne semble pas que la science informatique se soit vraiment souciée de s’exercer à la critique épistémique interne de ses énoncés [6] autrement qu’en s’assurant qu’elle « appliquait » légitimement une théorie des systèmes présumée scientifique.
14En pratique, la main passe en effet aux mathématiciens (nombre d’entre eux étant souvent aussi ou d’abord des informaticiens). Ceux-ci, se souvenant qu’ils avaient à maintes reprises utilisé la notion de système dans le langage des mathématiques appliquées et constatant que la recherche opérationnelle, qui était devenue leur propriété académique, se faisait appeler à partir de 1975 « analyse de système », se proposèrent de s’approprier ce label, effet médiatique des succès de la NASA dans les années 1970 aidant. À partir de 1985, ce label « analyse de systèmes » devint celui de la « science de la complexité », bénéficiant de la notoriété académique quasi planétaire de l’Institut de Santa Fe se consacrant aux Nouvelles sciences de la Complexité [7] (devenues la Complexity Science, discipline dont on ne parvient toujours pas à identifier le statut et le domaine spécifique, sauf à l’entendre comme une sous-discipline des mathématiques). L’Institut (qui a essaimé sous des formes voisines dans de nombreuses institutions scientifiques, y compris en France, où l’on parle plus volontiers de « science des systèmes complexes ») rappelle que son projet est « d’appliquer les mathématiques et la théorie des réseaux à des problèmes complexes aussi divers que les épidémies, le terrorisme, Internet, etc. [8] ». Projet qu’il ambitionne « d’élargir aux sciences plus douces, telles que les sciences sociales ».
15Cette démarche ne dit pas comment les « résultats » de ces traitements mathématico-informatiques seront légitimement applicables à la résolution effective de ces types de problèmes dans les contextes très divers dans lesquels les sociétés humaines les rencontrent. Pourtant, rares sont les travaux qui insistent sur le fait que la pertinence des algorithmes ainsi développés reposera surtout sur leurs interprétations heuristiques, ou exploratoires, et très rarement sur « les résultats en situation » de leurs applications de type résolutoire. La plupart des publications des études de traitements des systèmes complexes ainsi entendues affectent ostensiblement d’ignorer le rappel que formulait dès 2002 le schéma stratégique du CNRS dans un chapitre consacré explicitement aux « défis et enjeux de la complexité » : « Dans cette perspective, l’exploration de la complexité se présente comme le projet de maintenir ouverte en permanence, dans le travail d’explication scientifique lui-même, la reconnaissance de la dimension de l’imprédictibilité [9]. » Reconnaître que la connaissance scientifique, bien que produite selon des méthodologies scientifiquement agréées, puisse ne pas garantir leur valeur de certitude prédictive, requiert de la part des chercheurs scientifiques un effort ascétique de critique épistémique qui ne leur était jusqu’ici guère familier, que ce soit dans le champ des sciences dures, fières de leurs méthodologies formalisées, de type algorithmique, ou dans ceux des sciences d’ingénierie et des sciences « douces ».
16Ces dernières veulent souvent assurer leur notoriété académique en légitimant les « connaissances résultantes » qu’elles produisent par le seul crédit symbolique attaché à l’utilisation de telle ou telle méthode formelle développée récemment par les sciences « dures », sans considérer avec plus d’exigence encore la pertinence socioculturelle de ces connaissances pourtant destinées à être « actionnables ». Les effets pervers, depuis peu enfin reconnus, des « applications résolutoires » d’une science économique s’autoproclamant « économie mathématique » vont peut-être susciter une réflexion épistémologique critique chez les sociologues qui trop souvent se considèrent tenus d’emprunter aux mathématiques les méthodes développées à l’Institut de Santa Fe ou ailleurs, arguant de leur label « système complexe » sans pour autant s’exercer à leur critique épistémique interne.
17Ce ne sont pas ici les mathématiciens qui « prennent en main » les sciences sociales, ce sont des chercheurs en sciences sociales (sociologie, sciences de la communication, économie, sciences de gestion…) qui se persuadent de la supériorité scientifique des méthodes algorithmiques à vocation opératoire baptisées « systèmes complexes » tels que les systèmes multiagents (SMA), en leur attribuant une vertu résolutoire qu’elles n’ont pas dans les contextes dans lesquels ils tentent de les appliquer.
18Un effort de critique épistémique interne leur permettrait pourtant d’identifier leurs incomplétudes (impliquant toutes des postulats de fermeture et presque toutes un postulat de réduction au seul quantitatif). Pourquoi ne pourraient-ils en revanche tirer parti des vertus exploratoires et heuristiques de ce type de techniques, dès lors que l’on interprète leurs résultats comme des hypothèses éventuellement susceptibles d’être considérées dans tel ou tel contexte, modélisations et simulations fonctionnelles aidant ? Kant en appelait ici à la faculté de juger réfléchissante en la contrastant à la dogmatique faculté de juger déterminante. La faculté de juger réfléchissante n’est-elle pas un autre mot pour exprimer, dans les termes contemporains d’Edgar Morin, l’exercice de la pensée complexe dans l’étude des systèmes complexes ?
19Il me semble que l’on peut conclure aujourd’hui cette réflexion sur ce que vous appelez la formation de « la connaissance systémique » (que l’on appelle aussi « la connaissance processus ») sur une note plus optimiste : ne commence-t-on pas à rencontrer des chercheurs formés initialement dans le champ des sciences dures, affiliés aujourd’hui dans les Instituts des sciences des systèmes complexes, exprimant une prise de conscience, certes encore timide, de l’insuffisance de la critique épistémologique interne de leurs propres travaux ?
20Cette prise de conscience concerne davantage le diagnostic des limites de « la vision mécaniste » des méthodes qu’ils postulent que celles de la légitimation socioculturelle des connaissances produites à l’aide de ces méthodes. Arguer du petit nombre d’alternatives opérationnelles (au sens de « effectivement résolutoires ») aux méthodes de type « mécanicistes », n’est pas très convaincant : on pourrait a contrario montrer l’exceptionnelle puissance opérationnelle de cette cellule-souche de la Pensée complexe qu’est la Pensée sauvage privilégiant le bricolage [10], bien plus effective que le mécanicisme algorithmique pour produire des connaissances actionnables en situations perçues dramatiquement complexes (sélection des graines comestibles, dressage des animaux devenus domestiques, techniques de chasse et de pêche, métallurgie, arts picturaux, invention de l’écriture, etc.) : on montrerait alors, que désacralisant sans la sataniser l’obligation de l’usage de méthodologies algorithmiques, la pensée complexe s’avérerait effectivement opératoire. Les « pense-bêtes » algorithmiques de la complexité restreinte deviennent des « pense-intelligents » heuristiques de la complexité générale. Nul besoin d’en appeler à la collaboration de deux paradigmes mutuellement indépendants ; il s’agit seulement de reconnaître que le premier appartient au second comme un radiateur appartient au système thermique d’une habitation. On peut en effet l’utiliser seul à l’extérieur de cette habitation (hors contexte) de façon strictement conforme à son cahier des charges propre, mais, dès lors à quoi sert-il dans cette habitation ? En revanche, son utilisation dans ce système thermique pourra s’avérer un auxiliaire fort bienvenu. Edgar Morin conclura par un plagiat souriant : « Bricolage et braconnage sont les deux mamelles de la pensée complexe. »
21Peut-on considérer que le questionnement épistémologique et éthique activé aujourd’hui par le paradigme de la pensée complexe concerne aujourd’hui aussi les sciences de la communication encore tiraillées entre leurs diverses origines à la fois analytiques, holistiques et pragmatiques ?
22J.-L. L. M. : Comme le temps et la place vont ici me manquer, je me permets de nous proposer seulement un viatique pour poursuivre le voyage auquel vous souhaitez nous inviter tous : ce sera une introduction à un des concepts morinien que je crois particulièrement bienvenue pour le travail épistémique et civilisateur des sciences de la communication sur elles-mêmes et, par-là, sur toutes les autres disciplines : le concept de « reliance » : « La pensée complexe est la pensée qui relie. L’éthique complexe est l’éthique de reliance » (La Méthode, t. 6, 2004, p. 22). Puisque je ne puis le développer ici, je tente d’en présenter le noyau ou plutôt la cellule-souche, par ce viatique qu’Edgar Morin nous donnait dès 1976 :
Relier, toujours relier… C’est que je n’avais pour méthode que d’essayer de saisir les liaisons mouvantes. Relier, toujours relier, était une méthode plus riche, au niveau théorique même que les théories blindées, bardées épistémologiquement et logiquement, méthodologiquement aptes à tout affronter, sauf évidemment la complexité du réel.
Notes
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[1]
L’usage effectif du terme « modélisation » était encore rare à l’époque, et ignoré des dictionnaires. Le titre de l’ouvrage de George Klir et Miroslav Valach, Cybernetic Modeling (1967), créait un précédent autorisant l’expression Systemic Modeling, en même temps qu’il invitait à développer une théorie de la modélisation qui ne se réduise pas à une théorie générale des modèles que venait de publier René Thom (1972). C’est pour cette raison que, dès 1977, j’avais caractérisé l’ouvrage La Théorie du système général, par le sous titre Théorie de la Modélisation (Le Moigne, 1977).
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[2]
Quatrième précepte : Faire partout des dénombrement si entier […] que je fusse assuré de ne rien omettre.
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[3]
L’expression « incompressible paradigme » est le titre du premier chapitre de la dernière partie du tome 2 de La Méthode (1980).
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[4]
Cet article, introduit en France par Henri Atlan en 1972, vient seulement d’être traduit et publié en français, grâce à la médiation d’Edgar Morin, dans le volume La Société de L’Anthologie du savoir, Paris, CNRS Éditions, Le Nouvel Observateur, 2011, p. 647-671.
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[5]
Rapport du CSTB/NCR, 1989, p. 7.
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[6]
Je me permets de renvoyer à ma note de lecture de l’ouvrage courageux de Franck Varenne, affrontant la question Qu’est-ce que l’informatique ? (Paris, Vrin, 2009), en ligne sur <http://www.mcxapc.org/fr/cahier-des-lectures/recherche-dunenote-de-lecture.html>, consulté le 04/05/2011.
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[7]
Cet Institut, installé à proximité du célèbre Los Alamos National Laboratory, à l’époque riche vivier de chercheurs scientifiques de haut niveau, fut initialement financé par une importante banque Américaine, National City Corp, qui souhaitait obtenir ainsi « des modèles de prévisions économiques lui permettant d’éviter les catastrophes sur les marchés financiers ».
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[8]
Ces citations sont traduites d’une des pages de présentation de l’Institut sur son site internet : http://www.santafe.edu/about/history/.
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[9]
Ce document officiel (sous le nom de « projet d’établissement 2002 » est toujours disponible sur le site du CNRS à l’adresse <http://www.cnrs.fr/strategie/telechargement/projetetabcnrs.pdf>.
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[10]
L’ouvrage collectif récent, dirigé par François Odin et Christian Thuderoz, peut ici illustrer le propos : Des mondes bricolés ? Arts et sciences à l’épreuve de la notion de bricolage (2011).
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[11]
ARK’ALL. Communications, vol. 1, no 1, 1976.