CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« La racine de tous les paralogismes [...] réside dans la capacité du langage de dire le rien, le néant, de faire exister dans les mots et par les mots ce qui n’existe pas dans les choses [...]. Cette capacité potentielle, [...] les agents sociaux (et tout spécialement les professionnels de la politique [...]) ne cessent de l’exploiter, pour le meilleur et pour le pire. »
Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, 2001

1La politique de « réformes et ouverture » (gaige kaifang) vers l’étranger, initiée par Deng Xiaoping au sortir de la Révolution culturelle en 1978 et poursuivie depuis lors par les présidents Jiang Zemin puis Hu Jintao, s’est avérée, d’un point de vue économique, une véritable réussite qui a amené la Chine au rang des grandes puissances mondiales en à peine trente ans [1]. D’un point de vue social par contre, le résultat est tout autre : transfigurée par ces réformes qui ont acté le basculement d’une économie planifiée vers une économie de marché, la société chinoise s’est retrouvée bouleversée par la disparition de l’État-providence et la restructuration du secteur de production étatique, autant de dommages collatéraux qui vont brutalement vulnérabiliser et « précariser » des millions d’individus. Dès la fin des années 1980 vont se constituer de nouvelles classes dangereuses de paysans sans terres, de chômeurs et de pauvres, des « masses dangereuses » que l’État-Parti chinois va devoir discipliner, puisque c’est sur leur exploitation que va se construire le miracle économique chinois.

2C’est donc un véritable arsenal discursif, élaboré et complété sur trois décennies, que les dirigeants du Parti communiste chinois vont mettre au place pour (re)formuler les perceptions et « corriger » (jiuzheng) les consciences « erronées » (cuo) de ces populations vers l’acceptation d’un ordre social qui leur est foncièrement défavorable [2]. C’est dans ce contexte que la « société harmonieuse » (hexie shehui) fait son entrée dans le paysage politique et discursif chinois en 2005 [3]. La mise en place de ce discours correspond à ce « travail discursif des politiques » qui, pour une grande part, consiste « dans la production de slogans, de promesses et d’engagements » dans le but de renforcer « le lien de croyance et de confiance qu’ils doivent sans cesse maintenir et entretenir précisément parce que leur pouvoir est symbolique » (Thompson, 2001, p. 46). Ce sera là le rôle de la « langue des réformes et de l’ouverture » (LRO), nouvel avatar de la « xyloglossie » à la chinoise [4].

Une langue de bois au service d’une « société harmonieuse »

3Concept clé de la présidence de Hu Jintao, la « société harmonieuse » est un discours complexe qui fait appel aux principes confucianistes de concorde et d’harmonie des inégalités, et qui légitime les disparités socio-économiques en amalgamant les dispositions naturelles de l’individu (le caractère unique de chaque être) aux dispositions sociales (les conditions de son existence au sein de la société). C’est un discours officiel qui masque la réalité et participe d’une naturalisation de l’ordre social. Surreprésenté dans l’espace public par la répétition de ses énoncés, le discours officiel du Parti s’affirme être une véritable langue de bois qui reformule la société de manière favorable à la pérennité de l’ordre établi.

4Ainsi, le Parti communiste chinois ne parle pas d’une société minée par les disparités économiques et les tensions sociales, mais d’une « société harmonieuse » au sein de laquelle existent encore quelques « contradictions » (maodun), une société qui, dans l’idéal, serait « impartiale et juste » et où « les contradictions au sein du peuple et toutes les autres contradictions sociales seraient correctement traitées » (renmin neibu maodun he qita shehui maodun dedao zhengque chuli) [5]. Les « contradictions au sein du peuple », un classique de la rhétorique marxiste chinoise, sont une manière de signifier, sans l’exprimer formellement, l’existence d’une lutte des classes en Chine, inévitable dans une société minée par les disparités économiques et sociales.

5Pour justifier l’exploitation des populations paupérisées dans des conditions d’existence et de travail souvent très difficiles et les soumettre au fonctionnement du secteur productif capitaliste, le lexique malléable et polysémique du discours officiel préfère parler d’individus de mauvaise « qualité » (suzhi) morale et intellectuelle et de la nécessité de les « civiliser spirituellement » (jingshen wenming), autant de termes « creux » que l’idéologie dominante du moment se chargera de « remplir » de sens. Terme conceptuel par excellence et véritable coquille sémantique, le terme suzhi (« qualité ») dans la Chine des années 1990-2000 s’affirme comme un signifiant porteur d’une charge idéologique évolutionniste. Ce concept de « qualité » de la population embrasse un ensemble de dispositions telles que « les bonnes manières, l’hygiène, l’éducation et une ouverture d’esprit compétitive, mais également, en fonction du contexte, une moralité intègre, une posture politique correcte, et un mode de vie et des pratiques de consommation correctes » [6].

6Terme d’appréciation et de jugement, suzhi est surtout régulièrement utilisé pour déprécier, c’est-à-dire utilisé à la forme négative vers des individus considérés comme manquant de suzhi[7]. Sont particulièrement visés par cette notion les mingong, ces paysans migrants obligés de vendre leur force de travail en ville, ainsi que les populations paupérisées. Au centre de cette notion de « qualité », qui permet de « mesurer en termes quantitatifs et hiérarchiser en termes de valeur les capacités, le niveau, la « nature » des individus » (Foucault, 1975, p. 214-215) à des fins de normalisation, se trouvent donc les populations chinoises défavorisées (paysans, chômeurs, non-diplômés, travailleurs non qualifiés, etc.) qu’il faut nécessairement discipliner, encadrer et éduquer afin qu’elles s’adaptent aux conditions modernes de la production de marchandises dont elles sont au cœur du processus.

7Enfin, quand les frustrations des exclus de la société de consommation chinoise sont trop sévères, la langue de bois du pouvoir chinois affirme que le « luxe et le loisir sont une honte » (yi jiaosheyinyi weichi), et que « l’abnégation et le labeur constituent un honneur » (yi xinqin laodong weirong) [8]. Ces slogans sont issus de la campagne d’éducation civique des « Huit honneurs et huit hontes » (ba rong ba chi), développée par Hu Jintao en mars 2006, et qui s’articule autour de huit préceptes construits de manière parallèle, chaque précepte exposant une posture morale qu’il serait un « honneur » d’adopter et une « honte » de ne pas respecter [9]. Dans un contexte politique et social fortement marqué par l’accroissement des inégalités et des injustices sociales, cette campagne promeut « une vie faite d’abnégation et de labeur » et fustige « une vie faite d’arrogance, de luxe, de débauche et d’oisiveté » qui, et c’est finalement là le véritable problème, est promise à tout le monde via la publicité et la société de consommation alors que seule une faible minorité de Chinois peut y accéder. En réalité, cette campagne n’a jamais été autre chose qu’une simple tribune pour la langue de bois chinoise, afin de faire passer tout haut un certain nombre de messages adressés à la seule Chine « d’en bas ». Destiné à l’origine à moraliser la vie politique, ce code moral s’avère finalement être une vaste entreprise d’éducation morale à destination des populations défavorisées.

Mise en spectacle de l’harmonie par sa mise en discours

8Telle est donc la langue de bois du Parti communiste chinois, le discours officiel que celui-ci décrète et applique sur la réalité. Tout comme l’explique Joanna Nowicki, cette langue de bois « impose autoritairement une vision du monde inversée, au service d’un pouvoir qui y trouve sa légitimation et dans le but d’interdire la communication, au sein de l’espace public et de ses contre-pouvoirs » [10]. Cette « langue des réformes et de l’ouverture » (LRO) comprend un lexique et un ensemble de stratégies discursives destinées à imposer au sein de l’espace public la perception officielle des réalités sociales : cette LRO constitue un véritable solipsisme discursif destiné à « faire travailler les pauvres, là où l’illusion a déçu, et où la force s’est défaite » (Debord, « Avertissement… », 1992, p. xii) dans le but d’édifier une société décrétée « harmonieuse » avant l’heure.

9Car l’édification d’une « société harmonieuse », à défaut de se traduire sur le terrain par des mesures efficaces et effectivement appliquées en vue d’une meilleure justice sociale et d’un respect de l’environnement, passe (avant tout ?) par la mise en spectacle, par et dans les médias, d’une concorde sociale et d’une convergence des voix : cette construction d’une paix sociale qui n’existe pas passe par une écriture médiatique du présent (mais également du passé) que rendent possible le langage officiel et son lexique surréel, dans une dynamique spectaculaire que Guy Debord avait déjà parfaitement résumé par « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît » (Debord, La Société du spectacle, 1992, p. 7). Car « si l’Histoire est avant tout la pratique de l’émancipation, pour la domination l’Histoire n’est que la pratique de sa réécriture en permanence qui dénie toute autre pratique » (L’Achèvement, 2008, p. 108).

10Le Parti, par le biais des médias et de son système de propagande, narre une réalité imaginée, une « surréalité » destinée à maquiller la réalité sociale, la domination politique et ses pratiques. Par son contrôle (certes « distendu ») des moyens d’expression publique, le PCC s’efforce d’imposer une vision du monde en général, et de la société chinoise en particulier, exempte et expurgée de toute dissonance, dans le but de créer une atmosphère positive. Cette société déclarée « harmonieuse » existera donc avant tout dans et par les images et les discours, dans l’espoir d’imprégner les imaginaires. Car « l’acte de nomination du monde est en même temps prise de pouvoir sur la conscience de ceux que l’on conditionne à voir le monde tel qu’on le nomme » (Brune, 2005, p. 112).

11Cette écriture de la réalité en une construction médiatisée, qui est le propre de la société du spectacle, passe en Chine par tout un ensemble de consignes adressées en amont aux journalistes et aux éditeurs de contenu public, de manière à s’assurer que la tonalité et le propos des articles, reportages ou de tout autre contenu audiovisuel destiné à une diffusion publique, propagent une vision positive et harmonieuse de la société chinoise [11]. L’idée est d’arriver à la création d’une ambiance (visuelle, sonore, discursive par le biais des médias, urbaine par le biais des affichages) qui ne connaîtrait aucune dissonance et qui puisse submerger l’espace public de ses messages positifs.

12Cette forme de censure a priori est justifiée par l’intérêt national et l’importance de cultiver l’apparence d’une société harmonieuse, tant à des fins de propagande qu’à des fins éducatives. La « société harmonieuse » étant une société idéale (et idéalisée) où, certes, certaines dissensions et contradictions existent, mais où le Parti est bon et bienveillant, et les individus honnêtes, loyaux et humbles : l’omniprésence de ces schémas et de ces modèles dans les médias est censée transcender les individus dans une communion des destins articulée autour d’une cause unique, grandiose et impérieuse, la construction d’une Grande Chine. La « société harmonieuse », c’est donc le spectacle d’une Chine sans aspérités, d’une Chine visiblement parfaite, une sorte de « surréalité » qui vient se poser sur la réalité, une Chine rectifiée par les images et le discours spectaculaire. « Le discours spectaculaire tait évidemment, outre ce qui est proprement secret, tout ce qui ne lui convient pas. Il isole toujours, de ce qu’il montre, l’entourage, le passé, les intentions, les conséquences. Il est donc totalement illogique. Puisque personne ne peut plus le contredire, le spectacle a le droit de se contredire lui-même, de rectifier son passé. » (Debord, Commentaires…, 1992, p. 36).

13C’est en ce sens que les chaînes de télévision chinoises doivent « diffuser des programmes montrant la Chine sous un aspect positif » et, sous peine de sanctions, « programmer des fictions “éthiques” » [12]. Car la construction de la « société harmonieuse » est également la construction du spectacle d’une société harmonieuse.

Pacification du conflit par sa reformulation-négation

14Dans ce spectacle, les dissensions sont tues, ou n’existent pas pour ce qu’elles sont. Les voix discordantes au discours officiel et à l’ordre établi ne doivent pas apparaître car elles constitueraient un discours autre, capable de questionner, par sa seule existence, l’omnipotence du pouvoir du Parti [13]. Ainsi, quand ces voix dissonantes, ces manifestations de mécontentement, de colère, de dissension arrivent tout de même à apparaître dans les médias, notamment quand les incidents sont trop massifs et trop importants pour être dissimulés, elles apparaissent alors réinterprétées par le prisme idéologique du Parti et reformulées par la langue de bois officielle de manière à ne jamais laisser apparaître le conflit et la division. Présenter régulièrement, comme le font les journaux officiels chinois, les « incidents à caractère massif » et autres mouvements de colère et de protestation comme le seul fait de « masses d’individus, ignorantes de la vérité et manipulées par une minorité d’éléments hors-la-loi » (zai shaoshu bufa fenzi de zaoyao shandong xia, yixie buming zhenxiang de qunzhong ») confine la dissension et le conflit dans la marginalité, l’illégalité, hors du système, hors de la société, comme une étrange barbarie [14].

15Partant du principe que tout trouble nuit à l’harmonie d’une société, le Parti, tout à sa construction d’une « société harmonieuse » décide donc de ne pas faire apparaître les troubles [15]. Régulièrement, le ministère de la Propagande, via ses différents services, diffuse auprès des groupes de presse des circulaires à usage interne sur lesquelles figurent des consignes très précises en matière de rédaction, rappelant aux journalistes que « les reportages doivent être vrais, précis, objectifs, justes et ne doivent pas s’opposer aux intérêts de l’État ou enfreindre les droits des citoyens » et interdisant la « fabrication et la diffusion de fausses nouvelles sur les accidents et les désastres » [16]. Le libellé suffisamment imprécis des stipulations permet une souplesse d’interprétation dont ne se prive pas le gouvernement, une « fausse » nouvelle pouvant être simplement une nouvelle qui ne correspond pas à la « vérité » de la « société harmonieuse ». Ces contraintes s’appliquent également à l’Internet chinois, dont les sites et les forums de discussion sont régulièrement surveillés et « rectifiés » par des « commentateurs “positifs” […] rémunérés au nombre de commentaires qui permettront d’influencer les discussions “dans le bon sens idéologique”. Une circulaire très explicite indique par exemple qu’il leur faut “orienter à temps les opinions, défendre les interprétations correctes et entretenir une voix positive… afin d’assurer au maximum la stabilité” » [17].

16Historiquement rompue à cette écriture de la réalité par le langage du pouvoir, la population chinoise sait que les mots du pouvoir masquent ou peuvent masquer des réalités inavouables, et si l’omniprésence des médias officiels est une chose, l’impact de leur travail de propagande en est une autre. Mais le principe essentiel du spectacle n’est pas tant de convaincre, mais d’apparaître, d’être là, unique et incontesté.

Conclusion

17Cette reconstruction médiatique de la réalité n’est pas une spécificité chinoise. Tout État exerce et utilise, à des proportions variables, un certain contrôle de l’information publique. Mais celui-ci est d’autant plus efficace en Chine qu’il n’est pas (ou peu) contredit publiquement par d’autres discours. La mainmise de l’État chinois dans la construction du « spectacle de la réalité » est une certitude, même si elle ne garantit pas pour autant l’adhésion et la conviction des individus.

18Mais l’intention poursuivie par le discours et le spectacle de l’harmonie n’est pas uniquement de masquer la « disharmonie », et le Parti ne cherche pas nécessairement à convaincre : il cherche surtout à faire comprendre que son traitement de la question sociale est indiscutable. Et quand la presse, surtout celle de la Chine septentrionale historiquement plus audacieuse, laisse apparaître trop de dissensions, les autorités locales ne se privent pas d’« attribuer l’intensification des troubles et des tensions sociales aux médias, accusés de mettre de l’huile sur le feu ». C’est sur la base de cet argument que les gouverneurs de certaines provinces du Sud ont réclamé en 2005 au gouvernement central de Pékin « un meilleur contrôle des médias par l’autorité centrale » sans lequel « il leur sera difficile de garantir une situation stable et d’empêcher la population d’aller à la capitale exposer ses doléances, ce qui nuira à l’édification d’une “société harmonieuse” » [18]. Ce qui revient à affirmer que la construction de l’harmonie sociale en Chine n’est pas « troublée » par la réalité et la présence des tensions sociales, mais par l’exposition publique de celles-ci dans les médias.

19Telle est donc la « langue des réformes et de l’ouverture », cette rhétorique qui, « plaque sur la réalité des récits artificiels, bloque les échanges, sature l’espace symbolique de séries et de stories » (Salmon, 2009, p. 16), fidèle à l’adage spectaculaire de « ce qui n’apparaît pas n’est pas ». C’est à partir de cette langue de bois qui nivelle, masque et reformule la réalité chinoise, que se construit la « société harmonieuse », une société où la satisfaction, le bonheur et l’harmonie sont « garantis » par les autorités, confirmés par la science (la sociologie par exemple) et validés par les statistiques, dans les conditions les plus discutables mais jamais (ou rarement) discutées publiquement [19].

Notes

  • [1]
    Deng Xiaoping (1904-1997), « leader » de la seconde génération de dirigeants chinois, est l’instigateur des politiques de « réformes et ouverture » (gaige kaifang) économiques de la Chine. Hu Jintao (né en 1942) est depuis le 15 mars 2003 le président de la République populaire de Chine (il est le secrétaire général du Parti communiste chinois depuis 2002).
  • [2]
    Les termes « corriger » et « pensée erronée » sont récurrents dans le discours officiel chinois, car ils représentent autant de notions relatives et indéfinies pour lesquelles il n’existe ni certitude ni vérité, et permettent la mise en place d’un arsenal discursif riche et varié dont peuvent se servir les institutions afin de réguler et de maintenir un ordre social qui leur soit favorable.
  • [3]
    Sur le programme d’édification d’une « société harmonieuse » mené par le président chinois Hu Jintao, voir la thèse de doctorat de Thomas Boutonnet, Vers une « société harmonieuse » de consommation ? Discours et spectacle de l’harmonie sociale dans la construction d’une Chine « civilisée » (1978-2008), disponible sur le serveur TEL (Thèses en ligne) du site d’archives ouvertes HAL : <http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00437152/fr>.
  • [4]
    Le terme LRO est un hommage au travail de Viktor Klemperer sur la langue du régime nazi (2003) et au travail plus récent de Eric Hazan sur la rhétorique du libéralisme économique (2006). Le terme « xyloglossie » est, bien entendu, un néologisme construit autour de la thématique de la langue de bois.
  • [5]
    Hu Jintao, « Hu Jintao guanyu goujian shehuizhuyi hexie shehui jianghua quanwen », (Allocution du président Hu Jintao sur la construction d’une société harmonieuse socialiste), Zhongguowang. Publié le 26 juin 2005, consulté le 12 août 2009 sur <http://www.china.com.cn/chinese/news/899546.htm>.
  • [6]
    Pál Nyíri, « The Yellow Man’s Burden : Chinese Migrants on a Civilizing Mission », The China Journal, n° 56, juillet 2006, p. 88 (« manners, hygiene, discipline, education and competitive open-minded thinking, but which – depending on the context – can also include upright morality, a correct political stand and correct lifestyle and consumption choices »).En ligne
  • [7]
    Ann Anagnost, « The Corporeal Politics of Quality (Suzhi) », Public Culture, vol. 16, n° 2, 2004, p. 195. Sur la notion de suzhi, voir également Andrew Kipnis, « Suzhi : a Keyword Approach », The China Quaterly, n° 186, 2006, p. 295-313.En ligne
  • [8]
    Hu Jintao, « Laogu shuli shehuizhuyi rongruguan », Renmin ribao (Le Quotidien du Peuple), 28 avril 2006.
  • [9]
    Sur la campagne des « Huit honneurs et huit hontes », voir Thomas Boutonnet, « Traitement moral de la question sociale dans la “société harmonieuse” de Hu Jintao », dans Transtext(e)s-Transcultures, n° 6, mai 2010.
  • [10]
    Propos extraits de l’introduction au présent volume.
  • [11]
    Voir par exemple Renmin ribao (Le Quotidien du peuple), « La presse chinoise appelée à aider à édifier une société harmonieuse », Renminwang. Publié le 25 octobre 2006, consulté le 30 septembre 2008 sur <http://french.peopledaily.com.cn/Chine/4957503.html>.
  • [12]
    Anne Premier, « Les télévisions chinoises devront soigner leur “prime-time” », Aujourdhuilachine.com. Publié le 23 janvier 2007, consulté le 23 avril 2007 sur <http://www.aujourdhuilachine.com/actualites-chine-les-televisions-chinoises-devrontsoigner-leur-prime-time--2072.asp?1=1>.
  • [13]
    La polarisation de la société chinoise, avec la croissance simultanée d’une classe de sous-prolétariat et d’une classe de consommateurs moyens, et le creusement des disparités sociales, économiques et territoriales se manifestent dans la hausse régulière de ce que l’État chinois appelle sobrement des « incidents à caractère massif » (quntixing shijian), un euphémisme pour désigner les émeutes qui se déclenchent régulièrement dans les campagnes, généralement sur trois motifs récurrents : la pauvreté, les expropriations abusives et la pollution industrielle.
  • [14]
    Voir par exemple le cas de cette émeute à Chizhou en 2005 (Edward Cody, « A Chinese City’s Rage at the Rich and Powerful », The Washington Post, 1er août 2005) et comment les faits furent relatés par le Quotidien du peuple (Wang Youhua, « Anhui pingxi Chizhou quntixing shijian zhua shi ming dazaqiang renyuan », Renmin ribao – Le Quotidien du peuple –, 29 juin 2005).
  • [15]
    De tous ces « incidents à caractère massif » (quntixing shijian) qui éclatent sur le territoire national, la Chine tient des statistiques officielles, nécessairement sous-évaluées. De 10 000 incidents relevés en 1994, l’État comptabilisait 74 000 protestations en 2004, et 87 000 incidents étaient officiellement dénombrés en 2005. Les chiffres pour l’année 2006 ne seront jamais publiés, cette absence révélant, directement et indirectement, l’ampleur d’une situation qui s’est manifestement dégradée en l’espace de quelques années, confirmant que le modèle de développement chinois atteint socialement ses propres limites. La suspension de la publication de ces chiffres officiels participe de cette même stratégie discursive et communicante consistant à formuler une image positive de la Chine en ne mentionnant pas ses aspects négatifs. À ce sujet, voir Martine Bulard, « Les paradoxes sociaux du miracle », Manière de voir, n° 85, février-mars 2006, p. 67 ; Joseph Fewsmith, « Assessing Social Stability on the Eve of the 17th Party Congress », China Leadership Monitor, n° 20, hiver 2007. Ces procédés ne sont pas non plus sans rappeler l’utilisation « médiatique » des chiffres de la délinquance en France, tout particulièrement à l’approche d’un scrutin électoral.
  • [16]
    Reporters sans frontières, « Chine – Rapport annuel 2008 » (RSF.org). Publié le 7 février 2008, consulté le 11 septembre 2008 sur <http://www.rsf.org/article.php3?id_article=25517&Valider=OK>.
  • [17]
    Brice Pedroletti, « Chine : les bons petits soldats d’Internet », Le Monde, 7 août 2008.
  • [18]
    Ji Shuoming, « Même les tribunaux sont aux mains des potentats locaux », Yazhou zhoukan, article traduit et paru dans Courrier International, n° 782, 27 octobre - 2 novembre 2005, p. 40.
  • [19]
    La mise en scène de la réalité dans le but de manipuler les consciences n’est bien entendu pas une création chinoise. Noam Chomsky (2002, p. 225-229) explique comment les premières méthodes de contrôle de l’opinion publique, si importante en démocratie, furent éprouvées lors de la Première Guerre mondiale. Sur le même sujet, lire l’ouvrage précurseur de Edward Louis Bernays rédigé en 1928, dont l’impact et l’influence sur les cercles du pouvoir de son époque furent majeurs (voir Bernays, 2008).
Français

La politique de « réformes et ouverture » vers l’étranger, initiée par Deng Xiaoping au sortir de la Révolution culturelle en 1978 s’est avérée, d’un point de vue économique, une véritable réussite qui a amené la Chine au rang des grandes puissances mondiales en à peine trente ans. D’un point de vue social par contre, le résultat est tout autre : transfigurée par ces réformes qui ont acté le basculement d’une économie planifiée vers une économie de marché, la société chinoise s’est retrouvée bouleversée par la disparition de l’État-providence et la restructuration du secteur de production étatique, autant de dommages collatéraux qui vont brutalement vulnérabiliser et « précariser » des millions d’individus. Dès la fin des années 1980, vont se constituer de nouvelles « classes dangereuses » de paysans sans terres, de chômeurs et de pauvres, des « masses dangereuses » que l’État-parti chinois va devoir discipliner, puisque c’est sur leur exploitation que va se construire le miracle chinois.
C’est donc un véritable arsenal discursif, une langue de bois élaborée et complétée sur trois décennies, que les dirigeants du Parti communiste chinois vont mettre en place pour (re)formuler les perceptions et « corriger les consciences erronées » de ces populations vers une acceptation d’un ordre social qui leur est foncièrement défavorable.

Mots-clés

  • stratégie discursive
  • spectacle
  • discours
  • harmonie sociale

Références bibliographiques

  • Bernays, E., Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie, trad. de l’anglais par O. Bonis, Paris, La Découverte, 2008.
  • Bourdieu, P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.
  • Brune, F., De l’idéologie aujourd’hui, Paris, Parangon, 2005.
  • Chomsky, N., De la propagande. Entretiens avec David Barsamian, trad. de l’américain par G. Villeneuve, Paris, Fayard 10-18, 2002.
  • Debord, G., « Avertissement pour la troisième édition française », in Debord, G., La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
  • Debord G., Commentaires sur la société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
  • Debord, G., La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
  • Foucault, M., Surveiller et Punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
  • Hazan, E., LQR : la propagande du quotidien, Paris, Raisons d’agir, 2006.
  • Klemperer, V., LTI : la langue du IIIe Reich, trad. de l’allemand par É. Guillot, Paris, Agora, 2003.
  • L’Achèvement, Conditions modernes de la domination, Lyon, Achèvement, 2008.
  • Salmon, C., Storytelling, Paris, La Découverte, 2007.
  • Thompson, J.-B., « Préface », in Bourdieu, P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.
Thomas Boutonnet
Thomas Boutonnet, docteur en études chinoises et transculturelles, est chercheur au sein de l’Institut d’études transtextuelles et transculturelles, et il enseigne la langue et la société contemporaine chinoises à l’Université Jean Moulin Lyon III. Sa thèse, intitulée « Vers une “société harmonieuse” de consommation ? Discours et spectacle de l’harmonie sociale dans la construction d’une Chine “civilisée” (1978-2008) », aborde le processus de civilisation des populations paupérisées durant le passage à une économie de marché en Chine. Ses recherches actuelles portent sur la déconstruction des discours idéologiques en Chine contemporaine et sur l’étude des mots du pouvoir.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2013
https://doi.org/10.3917/herm.058.0091
Pour citer cet article
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