1Avec l’apparition d’Internet, les règles de fonctionnement dans tous les domaines de la société ont été fondamentalement modifiées. Les échanges sont devenus plus rapides, plus visibles et visuels, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité ils se situent à l’échelle planétaire.
Mondialisation et Internet : une profonde mutation sociétale
2Le secteur de l’entreprise a été l’un des premiers à être concerné, voire cruellement confronté à cette nouvelle réalité. Le domaine bancaire a lui aussi été frappé de plein fouet par le changement de modalités d’action lié à la mondialisation et à l’apparition d’Internet. Toutes les banques proposent désormais une gestion de comptes en ligne par les clients eux-mêmes, tâche jadis exclusivement réservée aux seuls employés du secteur financier. Certaines banques n’existent plus que sur la toile et visent une clientèle européenne (ING direct), là où auparavant seule une clientèle nationale, voire seulement régionale, n’était envisageable. De même, la SNCF et les compagnies aériennes vendent leurs billets en ligne, quand auparavant un déplacement en gare ou agences de voyages était indispensable.
3En l’espace d’une décennie, l’information s’est diffusée mondialement, ce qui a engendré par la même occasion des émotions d’ampleur planétaire. Les pratiques de vie des citoyens ont été modifiées en profondeur et durablement par l’utilisation exponentielle de l’ordinateur dans les foyers, allant de pair avec une navigation sur la toile tout aussi exponentielle, cette toile qui, à l’image de la mondialisation, se veut de plus en plus compétitive.
4Penser que la sphère associative ait pu passer à côté de cette profonde mutation sociétale serait une erreur. Les ONG, les associations, les institutions, les administrations, les instances présidentielles et ministérielles des États ont dû, elles aussi, entrer dans ce processus de compétitivité et modifier leurs modes de fonctionnement vers plus de visibilité, plus de diversité des médias employés (photos, vidéos, bandes son, textes, sondages, pétitions), plus de services et d’interactivité en ligne.
Les ONG au cœur de la mondialisation
5C’est bien de mutation sociétale planétaire, au sens étymologique du terme mutation (lat. mutationem, de mutare, changer), dont il faut parler ici quand il s’agit de décrire les conséquences de l’avènement d’Internet dans les différents secteurs de la société civile. La mondialisation et ses conséquences n’auraient pas eu le même impact mondial sans l’utilisation de cet outil.
6Les ONG, qu’il s’agisse de structures mondialement connues comme Greenpeace, World Wildlife Fund (WWF) ou de structures associatives moins médiatisées telles que les diverses sociétés savantes, les « observatoires » (Observatoire européen du plurilinguisme, Observatoire de la diversité culturelle, Observatoire des médias, etc.) qui, pour rester en contact avec leurs adhérents passaient jadis par des courriers papier coûteux, ont désormais recours à un site ou à une « lettre d’information électronique ». Cette nouveauté ne représente qu’un changement de support, mais ce changement, du papier vers l’électronique virtuel, offre une visibilité mondiale, là où jadis la visibilité était moins que locale.
7On peut dire que ce changement de support est aussi essentiel que celui qu’a connu l’Europe médiévale passant du manuscrit au texte imprimé. Les conséquences sociétales qu’engendra l’imprimerie sont aussi monumentales que celles qu’engendre aujourd’hui l’utilisation d’Internet dans le monde. Dans ces deux formes de mutation à deux époques fondamentalement différentes et éloignées l’une de l’autre, une fois le processus amorcé, toute marche arrière devient impossible.
8Médiatisation et veille. Avec cette mutation apparaissent de nouvelles professions comme celles de veilleurs et veilleurs-traducteurs, techniciens spécialisés dans les différents supports et formats électroniques mis en ligne. Dans les trois cas, la maîtrise des langues est indispensable.
9Cette veille gagne considérablement en qualité en fonction de la taille des réseaux, du pouvoir de diffusion de l’ONG et de son potentiel d’ouverture sur d’autres réseaux. La médiatisation dans le cadre des ONG n’est possible que par le biais de réseaux de diffusion puissants. Les réseaux se constituent au fil du temps ou s’achètent sous la forme de fichiers constitués de listes d’adresses électroniques, ils sont aussi essentiels que l’est Internet et vont en quelque sorte de pair avec la diffusion ou la médiatisation. Ces réseaux se mettent en place par le biais de contacts pré-existants ou par une veille active en ligne qui sera obligatoirement multilingue si l’ONG souhaite avoir une action mondiale ou au moins européenne. Cette veille nécessite la présence d’équipes formées à différents modes d’approche de l’information, obligatoirement bilingues, trilingues, voire quadrilingues (Guillaume, 2008).
10La Traduction. Si l’on ajoute à cette mutation une bonne gestion des langues par le biais de la traduction, alors la révolution Internet fait l’effet d’un tsunami ayant des répercutions mondiales et instantanées, témoin le récent film de Yann Arthus-Bertrand, Home, sorti simultanément dans plus de 100 pays, dans 14 langues différentes, et visionnable en ligne par une bonne partie de la planète. Perçu ici comme un coup médiatique de grande ampleur, là comme un engagement citoyen ou tout « simplement » comme un appel au secours et une sonnette d’alarme lancés en faveur de la protection de l’environnement, sa diffusion mondiale ne pouvait laisser indifférent, mais pour ce faire, inévitablement, il fallait passer par la médiatisation, Internet et la traduction, trois aspects devenus nécessaires à tout lancement de projet de très grande ampleur.
ONG et Traduction : un binôme incontournable
11Face à ce changement de fonctionnement, la question du traitement des langues et du choix des langues retenues pour s’adresser potentiellement à la planète entière se pose. Bien souvent, c’est le cas à l’Unesco, des choix linguistiques sont faits. Pour toucher la majorité de la planète, les ONG optent généralement en priorité pour l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français, le russe, alors que si une association souhaite principalement sensibiliser l’Europe, l’allemand, en tant que première langue européenne en nombre de natifs, devient prioritaire. C’est à ce niveau-là que la traduction joue pleinement son rôle, et pour longtemps encore, espérons-le.
12En effet, la traduction, du latin traductionem, qui vient de traducere, a le sens premier de « faire passer d’un lieu à un autre », on ne saurait mieux dire dans le contexte de mondialisation. L’absence de traduction revient ici exactement à l’inverse, à savoir rester cantonné au pire dans un seul pays, au mieux dans une seule zone linguistique.
13Le fonctionnement traductionnel de quelques ONG. Greenpeace n’a pas de site mondial avec traductions à l’identique, mais différents sites pour chaque pays, mettant ainsi en avant des problématiques planétaires venant s’adapter aux centres d’intérêt les plus explosifs de chaque contexte « régional », le terme région étant ici à prendre à l’échelle d’un continent. La localisation des différents sites est alors une démarche importante de sa politique interne. Chaque pays ou aire linguistique gère le contenu de ses pages de manière autonome ; des constantes apparaissent cependant dans les couleurs (prédominance du vert) et dans le mode de fonctionnement (vidéos, pétitions en ligne, abonnement à la lettre, combats en cours, etc.). La traduction dans ce cas n’est pas gérée par des équipes de traducteurs, chaque équipe fonctionne dans sa langue maternelle. En revanche, dans les pays plurilingues, comme la Suisse ou la Belgique, le site Greenpeace est bilingue et traduit à l’identique, en français et en allemand pour la Suisse, en français et en néerlandais pour la Belgique. WWF a le même fonctionnement que Greenpeace.
14À l’inverse, Médecins sans frontières (MSF), association médicale humanitaire internationale, dont le siège est à Paris, demeure dans son fonctionnement linguistique franco-français. Il s’agit d’une association de type loi 1901 avec une action internationale, mais dont l’adhérent type est principalement francophone, Handicap international fonctionne sur le même schéma que MSF.
15Plusieurs ONG et associations internationales peuvent décider de s’unir pour défendre une même cause ; dans ce cas les réseaux de chacune d’elle sont démultipliés, et l’efficacité n’en est que plus impressionnante. C’est ce qui s’était produit dans le cadre de l’action « L’Ultimatum climatique – Appel pour la conférence de Copenhague 2009 », où Greenpeace, WWF, les Amis de la Terre, le Secours catholique, Care, Action contre la faim, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme, Oxfam France, Réseau action climat, Médecins du monde et la Fondation Nicolas Hulot s’étaient unis pour récolter des signatures dans le cadre d’une pétition. Si certaines de ces associations et ONG sont monolingues, celles qui sont plurilingues, comme WWF ou Greenpeace, font profiter les autres de leur réseau traductologique.
16Dans un contexte de mondialisation, les ONG ont en effet tout intérêt à jouer la carte traductologique et à développer la culture du réseau ouvert (Guillaume, 2008). Dans un tel contexte, l’union fait la force, la traduction étant le ciment indispensable permettant l’ampleur de l’action.
17Avaaz.org, le monde en action. Voilà une jeune ONG engagée qui s’implique politiquement sur des débats de fond et qui a réussi en peu de temps à fédérer un nombre impressionnant de participants, puisqu’elle compte au moins 880 000 adhérents de 168 pays, l’ensemble de ses actions étant traduit dans 13 langues. Cette ONG bénéficie actuellement d’un engouement planétaire marqué, elle est l’une des rares à être en mesure de réunir des millions de signature autour d’un combat, elle est sans aucun doute l’une de celles qui offre le taux de (ré) activité le plus important en termes de visibilité et de diffusion mondiale. Organisation non gouvernementale indépendante à but non lucratif, son objectif est de mener des campagnes mondiales pour faire en sorte que « les opinions et les valeurs des peuples influent sur les décisions mondiales ».
18Ses équipes sont établies à Londres, New York, Paris, Boston, Genève, Buenos Aires et Rio de Janeiro. Elle s’engage sur des actions-phares du type « Un appel à Obama : initiez la paix au Moyen-Orient », « Iran : arrêtez la répression », « Stoppons les catastrophes climatiques », « Tibet, dialogue avec le Dalaï lama », « Cyclone en Birmanie, prêtons main-forte au peuple » ou encore « Zimbabwe, démocratie et droits de l’homme », etc. Son rôle est de mener des campagnes sur des questions mondiales urgentes afin de développer une mondialisation à visage humain. Son objectif est de soulever des mouvements citoyens à l’échelle planétaire, alors qu’avant l’ère Internet une simple pétition à l’échelle municipale prenait des allures de défi insurmontable car nécessitait d’aller sonner à la porte de chacun…
Quelques pistes traductionnelles pour les associations
19Toutes les ONG et associations ne bénéficient pas du réseau d’Avaaz ; elles ont cependant les mêmes désirs de visibilité et d’ouverture au monde. Grâce à la traduction et à l’outil Internet, plusieurs possibilités s’offrent à elles :
201. Lancer des appels à traducteurs bénévoles. Par le biais d’un appel sur la toile, l’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP) a ainsi réussi à réunir une belle petite équipe de traducteurs qui travaillent bénévolement sur la traduction de la Charte européenne du plurilinguisme, du site et de la Lettre électronique mensuelle de l’OEP qui touche désormais plus de 15 000 personnes en Europe et au-delà.
21Leur tâche est essentielle pour les traducteurs tout d’abord, car elle leur permet de compléter un curriculum vitae en travaillant dans le cadre d’une structure largement reconnue en Europe ; pour l’OEP ensuite, car leurs traductions permettent à de nouveaux citoyens européens de découvrir les initiatives de l’OEP, qui n’hésitent plus à entrer en contact avec l’équipe soit pour proposer des idées ou des services, soit pour lancer de nouveaux partenariats scientifiques, soit pour accomplir une veille dans leur pays, soit pour agrandir le réseau de l’OEP. Dans ce cas, la traduction joue son rôle de multiplicateur.
222. S’associer à un centre de recherche ou à une université. En effet, un site qui idéalement devrait être traduit intégralement dans toutes les langues européennes nécessite un travail considérable en temps et en équipes dédiées exclusivement à la traduction. Une solution pour alléger le travail des traducteurs bénévoles est de proposer des textes à traduire à un certain nombre d’enseignants donnant des cours de traduction dans des universités spécialisées en traduction, interprétariat ou langue de spécialité. Ainsi les textes clés du site sont traduits au fur et à mesure.
233. Engager des étudiants traducteurs-stagiaires. De nombreux étudiants spécialisés en traduction souhaitent maintenir leur niveau et continuer de s’exercer à la traduction durant la période estivale. Leur faire un contrat de stagiaire-traducteur en échange de la traduction de certains textes est également une solution qui permet d’apporter une expérience de terrain à un étudiant et d’aider l’association à faire face à ses travaux traductologiques, voire de s’ouvrir à de nouvelles langues.
244. Utiliser les outils en ligne. Certains outils de traduction en ligne gratuits peuvent venir au secours des ONG à effectifs réduits. Ils ne sont pas fiables à 100 %, il faudra obligatoirement avoir recours à un contrôle humain, ils permettent cependant de dégrossir un texte dans les langues non maîtrisées par l’équipe. Ils permettent également de lancer via plusieurs moteurs de recherche des veilles multilingues sur des sujets bien définis. Citons quelques outils utiles tant pour la veille que pour la traduction : Promt/Reverso traduction ; Babylon translator ; Babelfish ; Google Translate ; Fagan translation wizard ; Systran box ; Freelang ; Logosdictionary ; Foreignword ; Reference translate ; PanImages ; Foxlingo ; Quick translation.
255. Utiliser des prototypes libres et open-source. Peu efficaces, les traducteurs en ligne gratuits ne permettent pas encore de rendre un travail fiable pouvant être mis en ligne sur un site officiel sans avoir été précisément contrôlés. Ils peuvent tout au plus être utilisés ponctuellement comme dictionnaire pour aider un stagiaire-traducteur n’ayant pas déjà ses propres outils de traduction. En revanche, certaines entreprises proposent de tester leur prototype de traducteur automatique ou de dictionnaire à des fins commerciales, mais gratuitement dans un premier temps. C’est le cas de l’entreprise Softissimo, qui par la suite fait payer son accès.
26L’association à but non-lucratif Zanchin a développé, quant à elle, un atelier numérique gratuit et open-source de traduction collaborative, avec le soutien entre autres de l’Unesco et de l’Organisation internationale de la francophonie. Traduxio, l’outil prototypal traductionnel qui se trouve sous le lien <http://traduxio.hypertopic.org> ouvre son « bac à sable » (sandbox) à qui souhaite y « jouer », et ce afin d’avoir des retours critiques du plus grand nombre.
276. Répondre à des appels à projets scientifiques. Dans le cadre de son pôle recherche, l’OEP a répondu à plusieurs appels à projets, qu’il s’agisse d’offres de financements de la Commission européenne (programme « l’Europe pour les citoyens ») ou de projets de partenariats avec le CNRS et d’autres équipes de recherche en vue d’organiser des colloques en commun (projet Pirstec, « le plurilinguisme, des substrats neuronaux aux pratiques sociales »). Citons aussi une collaboration de l’OEP avec le Centre de recherche en ingénierie multilingue de l’Inalco, visant à réfléchir en commun sur les thèmes suivants : la toile multilingue ; les corpus alignés ; les moteurs de recherche multilingues ; la traduction automatique.
28Signalons encore le projet Picri, « Traduction multilingue au service de la citoyenneté européenne », lancé en commun avec le laboratoire d’informatique Gaspard-Monge (LIGM) de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Il vise à réaliser une ontologie multilingue adaptée à des outils de traduction automatisée permettant la dissémination multilingue des savoirs et des idées sur le plurilinguisme, le dialogue interculturel et la citoyenneté européenne. L’échange de bons procédés est ici encore réciproque : pour l’OEP, il s’agit d’assurer la lisibilité de son site Internet dans plusieurs langues européennes ; pour le LIGM, unité mixte de recherche dont l’équipe d’informatique linguistique est dirigée par Eric Laporte directement associé au projet, il s’agit de développer une ontologie multilingue et de formaliser les relations entre cette ressource et le système Unitex de traitement de corpus monolingues ou multilingues (Unitex : traitement de corpus utilisant des technologies à états finis).
297. Développer un « serious game » ou « jeu sérieux » traductionnel. Le serious game est un concept récent qui utilise les techniques déployées dans le cadre des jeux vidéo pour les appliquer à des contextes « sérieux », d’où l’appellation serious game. Dans ce contexte également, les associations (mais aussi des institutions telles que le ministère français de l’Économie et des Finances) peuvent lancer des appels à projet ou s’associer à des centres de recherche travaillant sur ce type de produits novateurs, en demandant une application au domaine de la traduction.
30On l’aura compris, dans le contexte de la mondialisation, les questions linguistiques et informatiques occupent une place grandissante dans les stratégies des entreprises, des associations et de la société civile. La mise en place d’outils de traduction automatisée assurant un haut niveau de qualité de traduction est devenue un enjeu économique majeur et un facteur de compétitivité, dont les associations à visée européenne et internationale doivent pouvoir bénéficier. Quelles que soient les formes de partenariat ou de projets à développer, il est toujours possible pour une association ou une ONG de faire avancer la question traductologique au sein de sa structure. Se priver de cet atout revient à se fermer à un grand nombre de contacts et réseaux, à appauvrir le message véhiculé et par conséquent à limiter l’action associative.
Conclusion
31La mutation sociétale que connaît ce début de xxie siècle fera date et ne manquera pas de laisser des traces dans l’histoire et sur quiconque ne saurait prendre le train en marche. La mondialisation, si elle a certes de nombreux aspects négatifs sur le plan humain, épidémique et entreprenarial, présente au moins l’avantage d’avoir rapproché les peuples et leurs différentes cultures comme jamais cela ne fut le cas auparavant ; la traduction a dans ce contexte joué et continuera de jouer un rôle fondamental. En son absence, ce sont des pans entiers de certaines cultures qui seraient amenés à disparaître et dans le cadre des ONG de nombreuses actions humanitaires qui ne pourraient se déployer à grande échelle. La traduction pour les ONG et associations dans une société mondialisée est devenue en moins de dix ans le moyen de faire la différence tant sur le plan de l’envergure actionnelle que sur celui des résultats effectifs.