CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’objet de cet article est de donner une description sommaire du paysage culturel de la téléphonie mobile au Pays du matin calme, où les nouvelles technologies de l’information et de la communication connaissent un développement fulgurant depuis environ une décennie. Nous essayerons de nous focaliser sur la tension dynamique et subtile entre l’expansion globale de la communication mobile et les réactions locales ; ce qui ne peut être simplifié ni en un sens unique du global au local, ni en un déterminisme technologique. Les propos de ce travail se déroulent donc en trois étapes. En premier lieu, nous nous efforçons de souligner la distinction catégorielle des trois niveaux d’analyse que sont l’anthropologique, le global et le local, dans le cadre d’un fondement épistémologique des études mobiles. En deuxième lieu, un rapport bref des usages et des circonstances culturelles et économiques de la téléphonie mobile en Corée sera fourni avec quelques explications hypothétiques pour réfléchir sur les causes de l’effervescence technologique de ce peuple qui, mieux que tout autre, s’adapte au nomadisme numérique. En troisième et dernier lieu, nous envisageons de noter quelques traits culturels de la téléphonie mobile dans une complexité des rapports entre les TIC, la globalisation et la tradition, qui peuvent se résumer en trois points : un féminisme renforcé par la promotion sociale des femmes dans l’usage de la technologie mobile ; un techno-nationalisme marqué ; une coexistence des valeurs (post-) modernes et traditionnelles.

Anthropologie de la téléphonie mobile : l’Homo mobilicus

2Y a t-il un lieu pour repérer les caractéristiques socioculturelles spécifiques d’une région ou d’un pays sur la technologie mobile et la technologie numérique en général, étant donné que celles-ci uniformisent et globalisent les comportements verbaux et gestuels de l’homme postmoderne et provoquent des transformations profondes dans les modalités du travail, du jeu et des loisirs à l’échelle mondiale ? (Plant, 2001). Le téléphone mobile annonce la mort du lien rituel en mettant l’Homo communicans dans une solitude absolue (Benesayang et Del Rey, 2006 ; Caron et Caronia, 2005). Le paysage de la téléphonie mobile est tellement similaire sur la planète que l’on entend la même sonnerie partout, dans un temple bouddhiste de Kyoto comme dans une église parisienne. Dans ce contexte, j’appelle Homo mobilicus cette nouvelle espèce d’humanité, dans mon ouvrage sur l’écologie culturelle du média mobile. En vue de construire une matrice théorique de l’épistémologie des études mobiles, j’ai établi les six axes de cette écologie culturelle : culture, société, langage, mentalité, temps, espace (Kim S.D., 2008).

3En parallèle à cette universalisation culturelle de la nouvelle technologie, ou si je m’amuse d’une expression, de cette « nokiasation » ou « samsungisation » du monde contemporain (je pense ici à la macdonaldisation), il apparaît une voie de recherche qui pourrait montrer les variations locales de la téléphonie mobile dans différents domaines, de la politique à la culture. Il va de soi que ces variations culturelles du niveau local sont interdépendantes par rapport aux structures globales, car un courant culturel se transfère à d’autres régions en temps réel dans notre ère des média globaux basés sur les plates-formes satellites, la multiplication des chaînes des télévisons transnationales et les communautés. L’Asie est exemplaire à cet égard (Kim Y.A., 2008).

4Une autre remarque s’impose à propos de l’état actuel des études sur le téléphone mobile : on compte déjà une centaine d’ouvrages de diverses approches consacrés à ce média. Au point qu’un nouveau genre émerge dans les pays anglophones ; il s’agit des Mobile Studies (Nylri, 2007 ; Katz, 2008 ; Goggin et Hjorth, 2009) dont l’équivalent n’est pas encore apparu clairement dans le monde francophone (Jauréguiberry, 2003 ; Gonord et Menrath, 2005 ; Lardellier, 2006 ; Martin, 2007).

5Il est possible dorénavant de parler d’un tournant dans la communication quotidienne dans la mesure où la téléphonie mobile permet des contacts permanents (Katz et Aakhus, 2002). À cet égard, la téléphonie mobile nous apparaît comme l’outil technologique contemporain qui condense le plus et représente le mieux les enjeux culturels du tournant provoqué par les nouvelles technologies de la communication (Caron et Caronia 2005, p. 6). Elle apparaît aussi comme l’icône de la nouvelle culture de libération et comme l’instrument d’une efficacité pragmatique maximale.

6La fonction purement pratique n’est que la surface d’enjeux ontologiques, éthiques et esthétiques bien plus fondamentaux, puisque ces pratiques de communication exigent de construire une phénoménologie de l’expérience humaine et une sémiotique des codes culturels partagés. Par exemple, dans le domaine social, nous voyons apparaître une nouvelle chorégraphie de la communication mobile qui pourrait risquer de provoquer des déséquilibres psychologiques et physiques, affectant les comportements des acteurs sur la scène publique. Bien sûr, on connaît déjà les scénarios du mieux et du pire. Citons quelques exemples de la deuxième catégorie : la colonisation de l’espace public par la communication privée, l’instrumentalisation de la communication, l’acrobatie temporelle. Les niveaux des discours anthropologique, global et local sont à distinguer. Dans cet article, je m’efforce donc de présenter une description brève du paysage socioculturel de la téléphonie mobile en Corée.

7Avant tout, il convient de décrire les multiples facettes de cet objet en mutation permanente dont on n’a pas fini d’exploiter les potentialités technologiques et culturelles (Katz, 2006). En effet, il existe une anthropologie de la téléphonie mobile. Les évaluations sont polarisées : de l’esclavage à l’émancipation, de la liberté au contrôle. Les usages sont aussi variés : de l’usage religieux aux abus pornographiques, du paiement bancaire à la pêche. Dans une étude japonaise récente, 47 fonctions sont énumérées (Itami 2006, p. 342-343). En somme, la téléphonie mobile s’est transformée : d’un simple outil de communication, elle est devenue une technologie culturelle avec ses fonctions sophistiquées de multimédia (Gogging, 2006, p. 6-16).

8Pour la jeune génération, les portables ne sont pas seulement un objet pragmatique permettant la communication, mais aussi un objet investi de sens symboliques jouant un rôle essentiel dans la constitution d’une personnalité. Si la téléphonie mobile est utilisée pour la communication verbale, elle sert de plus en plus pour les applications des données, le multimédia et le jeu. Et les deux traits majeurs de la téléphonie du futur sont prévus : les détecteurs et l’identification de la radiofréquence (REID). Cet appareil sera finalement biologique. Par exemple, la marque coréenne a déjà lancé un nouveau modèle équipé de détecteurs d’empreintes pour déterminer l’identité du possesseur de l’appareil. Aux fonctions de la biométrie et de la sécurité, l’inclusion des détecteurs dans la téléphonie mobile rendra possible les autres applications : la nanotechnologie permettra de développer les capacités olfactives et détecter les changements chimiques dans l’environnement (Srivastava, 2008).

Un panorama de la téléphonie mobile en Corée

9En Corée, on assiste à une évolution phénoménale des TIC et de la téléphonie mobile en particulier. Voici quelques chiffres qui le montrent bien. La Corée est actuellement l’un des pays les plus connectés en haut débit avec 38 millions d’internautes en 2008 (presque 80 % de la population). En 2007, la Corée a lancé le média mobile 4G, qui dispose des facilités d’un multimédia et permet le haut débit. Sur 42,3 millions d’abonnés aux services de téléphonie mobile (88 % de la population), 85 % des Coréens abonnés possèdent un mobile avec accès Internet et l’utilisent quatre heures par semaine, que ce soit pour jouer en ligne, accéder à un système de paiement en ligne, réaliser des transactions commerciales ou télécharger de la musique. Au Pays du matin calme, leader mondial avec près de 10 millions d’utilisateurs, la télévision mobile personnelle n’est pas seulement une réalité mais un véritable phénomène de société. Le téléphone portable a depuis longtemps dépassé le simple statut d’outil de communication vocale et il est devenu un véritable appareil culturel multimédia avec des contenus riches et variés.

10Au-delà de ces chiffres montrant une adoption massive des nouvelles technologies, il y a le résultat symbolique d’un sondage réalisé par une entreprise de services funéraires qui a posé la question suivante : quel est l’objet le plus désiré que vous voulez emporter dans votre tombeau après la mort ? La réponse numéro un était le portable. Pourquoi ? Parce que les répondeurs voulaient communiquer avec leur famille par le portable.

11Sur un marché saturé, les opérateurs coréens (SKT, KTF, LG Telecom) proposent toujours plus de contenus aux utilisateurs (musique, vidéo, jeux) grâce à une offre élargie de services multimédia (visiophonie, échange de photos, téléchargement rapide, visionnage de la télévision, de bandes-annonces, jeux multi-joueurs, Cyworld, Mobile Banking). Principalement utilisée dans les transports en commun, la télévision mobile personnelle (les services de Digital MultiMédia Broadcasting) connaît un succès immense en Corée depuis son lancement en 2005, avec dix millions d’utilisateurs. La visioconférence est encore peu répandue même si elle a contribué au succès du lancement de Show et 3 G+. Les jeux en ligne sont également très populaires avec une offre locale très riche en jeux multi-joueurs. Les débits des réseaux actuels permettent aujourd’hui à chacun de jouer en ligne avec plusieurs autres abonnés et ils surpassent les jeux sur console. Le commerce électronique est admis comme un mode de transaction indispensable. L’achat en ligne est également très répandu chez les particuliers. Dans 4 500 sites de commerce électronique, le téléphone mobile est le premier moyen de paiement, devant la carte de crédit (Rapport de la Mission économique 2008).

12L’internaute coréen aime appartenir à une communauté sociale virtuelle grâce à des avatars pour se créer des personnalités fictives et il appartient en moyenne à cinq communautés différentes. Un exemple typique de la communauté virtuelle du multimédia est le Cyworld, un service coréen de réseau social. Lancé en 2001, 90 % des Sud-Coréens parmi les 20-30 ans sont des usagers réguliers inscrits au Cyworld qui compte 19 millions de membres. Le trait le plus intéressant du Cyworld est la nature des relations sociales entre les usagers (Kang, 2008). Celles-ci sont facilitées par un service appelé « Minihompy », qui comprend : un album permettant d’exposer des photos sans limites, un bulletin souvent utilisé comme journal personnel, un livre sur lequel les visiteurs laissent des messages auxquels le possesseur du Minihompy peut répondre.

13Ce qui rend le Cyworld différent des blogs traditionnels comme Blogger et LiveJournal est son support puissant pour la customisation. Les usagers peuvent acheter de la musique et d’autres éléments comme des meubles, de l’art ou la télé numérique pour la décoration de leur Minihompy. On définit cette forme d’expression comme une « esthétique du cute » (mignon) : celle-ci permet à l’individu de se construire une identité, une mythologie personnelle et un imaginaire particulier grâce à certaines formes visuelles séduisantes telles que les avatars et mascottes (Hjorth, 2008). Dans la mesure où les usagers du Cyworld estiment que la customisation doit refléter leur vraie identité en ligne, le Cyworld peut être conçu comme un instrument de l’expression personnelle.

14Comment expliquer cette effervescence technologique ? Pour répondre à cette question, il faut repenser ce processus en termes de rapports complexes entre une technologie et une communauté d’usagers. Les causes de la percée de la haute technologie dans ce pays s’expliquent par trois grands facteurs.

15En premier lieu, il faut souligner la volonté et l’efficacité du gouvernement coréen qui a encouragé la coopération entre la recherche publique et les grands industriels. Actuellement, 16 % du produit intérieur brut (PIB) de la Corée du Sud provient des secteurs industriels de pointe et des TIC. Depuis 1998, l’industrie des nouvelles technologies connaît une croissance annuelle de 18,8 %. Le grand succès de la nouvelle technologie numérique (Internet et le portable en particulier) est considéré comme exemplaire dans le monde entier par les études de la politique de l’information. Par exemple, une étude récente a noté cette exemplarité sous l’angle des politiques d’IT (technologies d’information) dans les formes de techno-nationalisme (West, 2006).

16Le deuxième facteur est la dimension esthétique et culturelle : la sensibilité technologique du peuple coréen avec un goût particulier pour le dernier cri qui touche toute la population. Forte de l’appétence de ses citoyens pour les nouveautés, mais aussi du dynamisme de ses opérateurs et de l’agressivité de ses fabricants, la Corée est depuis quelques années un laboratoire des nouvelles tendances en matière de téléphonie mobile. Les Coréens raffolent de nouvelles fonctions, même si celles-ci sont souvent inutiles et compliquent l’utilisation des produits. De fait, les Coréens sont tellement connectés que la cyberdépendance est maintenant devenue une pathologie répandue.

17En troisième lieu, il convient d’évoquer une valorisation de la rapidité (ppalippali signifiant « vite »), qui s’adapte parfaitement au nomadisme numérique.

18Dans un tel contexte, Jacques Attali a présenté la Corée comme exemplaire de la nouvelle civilisation nomade (Attali, 2003). Mais il faudra aussi examiner les autres circonstances propices à l’expansion des nouvelles technologies et au dynamisme du marché.

Les TIC, la globalisation et la tradition : le cas de la Corée

19Dans cette section, je voudrais sommairement évoquer quelques traits culturels de la téléphonie mobile en Corée : le féminisme, le techno-nationalisme et l’ambivalence des valeurs (post-) modernes et traditionnelles.

20Il convient d’abord de montrer comment les nouvelles pratiques dans les TIC – et la téléphone mobile en particulier – transforment les coutumes relatives aux relations sociales, à la rencontre des sexes opposés et à l’intimité personnelle, et comment elles reflètent et contestent à la fois les mentalités et les normes traditionnelles du nationalisme et du confucianisme. Pour une bonne analyse, il faut comprendre comment ces nouvelles pratiques remettent en question la domination masculine dans la maîtrise technologique, dans la vie familiale et dans le monde politique. Divers commentateurs affirment que, derrière l’image globale d’une Corée innovatrice dans ses technologies mobiles et exemplaire pour ses capacités de haut débit, il y a une mutation importante dans l’utilisation des médias accompagnant une participation de plus en plus active des femmes (Hjorth, 2009). Comme certaines études l’ont montré, le changement des codes représentationnels et l’accessibilité nouvelle en termes de production, de distribution et de consommation fournissent des opportunités à des groupes qui avaient été exclus auparavant du domaine, les femmes en particulier. Ainsi, les femmes sont plus actives dans l’adoption des multifonctions de la téléphonie mobile (Lee, 2004).

21La construction de la Corée comme un symbole emblématique de la postmodernité et de la globalisation vis-à-vis des technologies mobiles a produit une stratégie discursive telle que le Hyoja (le « fils exemplaire »), symbole du succès de l’industrie de la téléphonie mobile. Il faut rappeler les premiers slogans de Samsung Anycall pour un portable national : « Le premier en géographie coréenne ! ». Les dimensions symboliques au niveau de la nation sont aussi reflétées à travers les procédés avec lesquels les hommes et les femmes utilisent les technologies en vue de représenter leurs féminité et masculinité propres. En même temps, on peut observer la stéréotypisation du rôle des femmes contribuant au rôle symbolique de l’identité nationale basée sur l’idéologie confucianiste de la famille. En somme, il se manifeste un parallélisme assez contradictoire dans l’usage personnel des femmes de la téléphonie mobile : de nouveaux modes, transformant la performativité sexualisée conventionnelle, en même temps qu’un renforcement de l’image traditionnelle de la femme dans la famille et dans la société.

22Sur le plan de la société, certains chercheurs coréens ont analysé le rôle des technologies mobiles comme une forme de résistance contre une hiérarchisation traditionnelle. Divers auteurs ont montré que l’ancien président Roh, qui s’est suicidé après avoir été accusé de corruption pendant son mandat, avait pu gagner l’élection présidentielle de 2002 grâce à l’exploitation efficace des potentialités politiques des technologies mobiles (Rheingold, 2003). Après le régime du président Roh qui envisageait de déconstruire la culture politique autoritaire du passé, le capitalisme confucianiste de la Corée est devenu instable au fur et à mesure que les notions de société civile et de démocratie s’imposaient. Comme dans l’exemple de la femme, on voit un double mouvement : les technologies mobiles renforcent et déstabilisent à la fois les relations familiales et hiérarchiques de la vie quotidienne.

23En Corée, les espaces de l’Internet et de la téléphonie mobile ont rendu possible l’émergence de nouvelles formes de démocratie (Kim S.D., 2003). L’intérêt de ces espaces technologiques n’est pas de substituer le virtuel au réel, mais d’élargir les rapports actuels. L’émergence de la technologie de la téléphonie mobile a été liée au développement des cultures des jeunes et de leurs usages subversifs. On leur a donné comme surnom « Les enfants confucéens du cybermonde » (Yoon, 2006). Le portable en tant que support susceptible de représenter, de maintenir et de renforcer le rôle essentiel de la famille dans l’identité culturelle et nationale de la Corée est toujours présent. À cet égard, l’usage d’une expression coréenne comme Kukmin-Kajok (nation-famille) [symbolisant une fusion de la nation et de la famille], dans les discours des technologies mobiles sert très efficacement pour reconnecter la tradition et l’idéologie établie avec la postmodernité ou une idéologie subversive, en établissant une révision du capitalisme confucianiste. En somme, la consommation des technologies mobiles en Corée est immanquablement liée aux formes explicites et implicites du nationalisme (Hjorth, 2008, p. 127).

24Pour les Coréens, la globalisation est perçue comme ayant le potentiel de polluer la Coréanité et les fondements axiologiques de la nation. À cet égard, dans le processus rapide de mondialisation, la grande utilisation des portables parmi les jeunes Coréens a provoqué de nombreuses critiques à l’égard de ces modes de communication individualisés. Les jeunes Coréens ont été récemment décrits dans les médias et dans la littérature académique comme oublieux de leurs obligations sociales familiales à cause de leur utilisation excessive des technologies de communication telles que la téléphonie mobile. L’usage du portable a suscité une vaste inquiétude quant à l’abandon des normes sociales traditionnelles par les jeunes Coréens. Il existe une crainte que les TIC viennent détruire les valeurs familiales collectives et qu’elles individualisent les relations humaines. La téléphonie mobile est ainsi perçue comme un élément susceptible de détruire les solidarités communautaires.

25Dans les études actuelles sur les jeunes usagers, la tendance générale consiste à mettre l’accent sur les aspects de libération personnelle procurés par la téléphonie mobile. On peut rétorquer que la conséquence est que les jeunes gens perdent leurs cadres sociaux traditionnels. Mais des études empiriques ont aussi suggéré que les normes traditionnelles peuvent être renforcées à travers l’usage du portable. Il est à souligner que les jeunes Coréens ont essayé de maintenir une sociabilité locale, par exemple, en utilisant le téléphone mobile pour partager leurs émotions avec d’autres. Il s’agit là de l’espace du Cheong (une émotion intersubjective propre aux Coréens).

26Ainsi, dans certains contextes, la globalisation peut évoluer en une sociabilité locale profondément prégnante, qui permet de s’harmoniser avec les vertus de la tradition. Contrairement à la thèse du désencadrement de la jeunesse, dû à la rupture avec la tradition, des chercheurs ont observé que dans la vie quotidienne des jeunes, certaines normes de sociabilité demeurent cruciales dans un contexte de rapports sociaux encore fortement hiérarchisés. Il faut donc conclure que les représentations individualisées et globalisées que l’on se fait des adolescents coréens négligent les aspects ordinaires de la vie courante en surestimant des transformations spectaculaires mais superficielles communes aux jeunesses du monde entier. En particulier, l’exigence de la conformité dans la culture confucéenne de l’Extrême-Orient a conduit les jeunes à une individualisation uniformisée qui est en fait similaire à une conformité collective plutôt qu’à une individualisation dans le sens occidental (Yoon, 2003, p. 341). Dans l’utilisation des nouvelles technologies, les relations sociales exigées par la tradition confucéenne trouvent une nouvelle articulation, c’est-à-dire que les TIC sont perçues et consommées à travers des filtrages locaux incluant notamment les normes sociales officielles (Yoon, 2006, p. 767).

Français

Cet article présente une esquisse du paysage culturel de la téléphonie mobile en Corée et il évoque l’uniformisation croissante des comportements verbaux et gestuels provoqués par cette technologie. En introduction, la distinction entre trois niveaux d’analyse, l’anthropologique, le global et le local, permet de construire le cadre de l’étude. La section suivante décrit brièvement l’état actuel de l’usage de la téléphonie mobile dans le « Pays du matin calme » et elle fournit des hypothèses afin d’expliquer le goût des Coréens pour la technologie. Dans la troisième section, trois traits culturels sont convoqués pour caractériser la téléphonie mobile en Corée : le féminisme, le techno-nationalisme et l’ambivalence des valeurs (post) modernes et traditionnelles, en particulier la persistance de ces dernières.

Mots-clés

  • téléphonie mobile
  • Corée
  • TIC
  • tradition
  • Homo mobilicus

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Sung-do Kim
KIM Sung-do est professeur de sémiologie et de culture visuelle à Séoul. Il a publié une centaine d’articles en coréen, en français et en anglais dans des revues internationales comme Semiotica et Degrés, dans les domaines des études saussuriennes, de l’hypermédia et de la sémiotique culturelle et visuelle. Il travaille actuellement sur la poétique de l’espace urbain et les racines anthropologiques de la médiation.
Courriel : <dodo@korea.ac.kr>.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/31499
Pour citer cet article
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