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L’informatisation, un processus de communication sociale pour une démocratie technique

1L’informatisation est souvent l’affaire d’un État qui tente de renouveler les formes de communication avec ses citoyens. Tous les gouvernements, européens comme asiatiques, ont créé des sites Internet pour faciliter la communication avec leurs administrés et aussi pour gérer l’espace public du xxie siècle. Cependant, la mise en œuvre de ces infrastructures de « démocratie technique » nécessite des processus de communication entre les différents acteurs sociaux (Callon, 2001). Parallèlement, l’État est-il prêt à mettre en place des dispositifs juridiques pour faire face à diverses questions telles que les données personnelles et la propriété intellectuelle ? Quel mode de délibération faut-il pour médiatiser les différentes revendications ?

2En Corée du Sud, le processus d’informatisation est vu plutôt comme l’une des stratégies du gouvernement pour sortir de la crise économique survenue à la fin des années 1990. La Corée du Sud, qui l’a vécue un peu plus tardivement que les autres pays d’Asie orientale, a dû procéder à la restructuration totale de son système économique, notamment avec l’aide du FMI (Fonds monétaire international). Dans ce contexte, le gouvernement de l’époque a choisi les TIC (technologies de l’information et de la communication) comme moteur stratégique pour relancer la croissance du pays autour d’un plan gouvernemental nommé « Cyber Korea 21 ». De ce fait, le pays est reconnu comme l’un des pays disposant d’une infrastructure d’excellence dans le domaine des TIC, avec l’Internet en haut-débit, l’appropriation de la téléphonie mobile et la mise en place de l’e-gouvernement [1].

3Les décideurs politiques n’avaient pourtant pas prévu que cette mise en place technique bouleverserait également la société coréenne en profondeur. En effet, en 2002, les réseaux ont permis d’élire comme chef d’État Roh Moo-hyun, qui a été surnommé Internet President. Le journal électronique OhmyNews a révolutionné et révolutionne encore le champ de la presse écrite, dans lequel les principaux médias existants étaient trois quotidiens nationaux, de tendance conservatrice, n’ayant guère de points de vue diversifiés. L’usage des téléphones portables permet de rassembler les citoyens de toutes tendances lorsqu’une mobilisation sociale prend corps, comme la manifestation contre l’accord de libre-échange (FTA, Free Trade Agreement) avec les États-Unis. Et la liste devient de plus en plus longue.

4L’examen des modalités de communication entre État et société civile a attiré beaucoup de théoriciens du domaine, à commencer par J. Habermas (1978), qui considérait que l’espace public du xviiie siècle en Europe avait joué un rôle considérable pour y développer l’idéal de la démocratie. La gouvernance, notion qui a récemment émergé dans un contexte de recherche d’un autre mode de régulation, s’efforce d’utiliser les moyens de la démocratie non seulement par la délégation mais aussi par la participation et la délibération en incitant à l’intégration des citoyens dans le processus communicationnel (Lavelle, 2006, p. 106-108).

5Nous voulons illustrer ce changement sociétal coréen en nous penchant sur une expérience d’informatisation dans le secteur de l’éducation, à savoir le NEIS (National Education Information System). Ce cas démontre comment la société civile par différents moyens de communication a su infléchir les décisions politiques concernant ce projet qui visait à consigner des informations sur la vie des écoliers, des élèves et du corps enseignant. Ce processus communicationnel sera analysé en observant les logiques de plusieurs acteurs sociaux, et en mettant l’accent sur la relation entre ces derniers et les moyens de communication mobilisés. Il s’agit de mener une analyse systémique de la communication nous permettant de voir le phénomène communicationnel selon deux instances : le contexte et le contenu (Mucchielli, 2006).

6Cette approche systémique de la communication a d’ailleurs beaucoup de points communs avec la vision orientale des relations humaines que l’on trouve dans les théories du Yin et du Yang. La cosmologie chinoise (Chu-yuk) est le fruit de l’époque Chunqui et Zhanguo (du viie au iie siècle av. J.-C.) [l’« Époque des printemps et automnes des royaumes combattants »] durant laquelle plusieurs royaumes combattaient uniquement pour la richesse économique et l’affirmation de leur force militaire, abandonnant les valeurs sociales existantes. Après le déclin de la période « Zhou », cette partie du monde a été à la recherche d’autres valeurs permettant une nouvelle forme d’unité politique. À ce moment naissent la plupart des pensées orientales importantes telles que le confucianisme, le taoïsme, le légisme et le moïsme [2], qui chacune tente de trouver des réponses à cette crise politique et économique.

7C’est donc une très ancienne version du « libéralisme » politique que l’on vit à l’heure de la mondialisation. Paradoxalement, c’est aussi le moment où différents discours concourent à la recherche de la vérité dans un monde où tout paraît éphémère. La théorie du Yin et du Yang, née à cette époque en Asie, traduit une certaine conception des relations humaines. Yin et Yang sont deux concepts qui ne se séparent jamais, car ils proviennent de la même racine, ce qui est peut-être difficilement compréhensible pour un Occidental ayant plutôt un esprit dialectique. Ils s’activent toujours pour l’harmonie et l’infini du monde. Il n’y a donc pas de cause ni d’effet, mais une interaction permanente qui crée le monde. L’importance ne tient pas à leur existence en tant que telle mais à la relation de l’un qui se construit avec l’autre.

Le contexte général du NEIS

8Dans un pays où l’on utilise depuis les années 1970 des techniques biométriques, telles que les empreintes sur la carte d’identité, la question du NEIS – avec le militantisme qu’elle a suscité – a été un des premiers cas ayant fait surgir la protection des données personnelles en tant que droit de l’homme, et elle a fait couler beaucoup d’encre parmi les partisans et opposants du projet. Le NEIS était l’un des onze programmes de « e-gouvernement » ayant pour but de gérer des données administratives dans les écoles de niveau primaire et secondaire [3]. Le ministère de l’Éducation justifiait cette proposition avec différents arguments : faciliter la communication des dossiers administratifs ; personnaliser l’offre éducative aux élèves ; effectuer des statistiques fiables.

9Débuté en 2002, le projet a été réalisé en 2003, après avoir subi certains changements demandés par les acteurs sociaux, principalement un syndicat d’enseignants, la Korean Teachers and Education Workers’ Union (KTEW) [4], en étroite collaboration avec les associations civiles. En effet, la liste des données ayant fait l’objet de désapprobations est longue (27 catégories). Certaines ont été sources de conflits entre acteurs : informations sur la vie des élèves (avis du professeur sur la relation avec ses collègues et sur la personnalité, notes de résultats d’examens) ; informations sur l’entrée à l’école et les établissements fréquentés, sur la santé et la situation sanitaire des institutions ; etc. L’autre problème posé a été l’inter-opérabilité de ces bases de données entre rectorats via Internet, pouvant permettre à d’autres acteurs d’en user abusivement (par exemple les entreprises privées spécialisées en soutien scolaire).

Infraction aux droits de l’homme vs efficacité administrative

10Entre les acteurs, le conflit commence par la façon même de prononcer le sigle « NEIS » en coréen. Le ministère de l’Éducation, initiateur du projet, avec certaines organisations qui le soutiennent, suggèrent de prononcer [nays] en supposant que c’est une « bonne » (nice) chose pour l’éducation. Au contraire, les défenseurs des droits de l’homme et la KTEW le prononcent [nèys], voire [nèyz] qui fait penser au sida (aids) [5].

11Dès le lancement expérimental du NEIS à l’initiative du ministère de l’Éducation, la KTEW a critiqué le comportement du ministère pour n’avoir pas effectué une consultation préalable avec les parties prenantes. Deuxièmement, une revendication portait sur la quantité d’informations que demandait le système et qui risquait, aux yeux des syndiqués de la KTEW, de violer les droits sur la protection des données personnelles. Le manque de précision sur la finalité de cette collecte a été mis en cause d’autant que le droit à la rectification avait aussi été négligé, puisque les élèves n’avaient pas de droit d’accès à ce système [6].

12Des associations ont rejoint cette protestation, utilisant plusieurs moyens de communication, des technologies de pointe jusqu’à d’anciennes méthodes parfois extrêmes. Premièrement, on trouve un regroupement d’associations sous le drapeau de « Jinbonet » [7], réseau organisé par le biais d’Internet, notamment sur les questions des droits de l’homme. Jinbonet relie une quarantaine d’associations de la société civile, y compris des partis politiques progressistes. Un « Comité mixte de lutte pour protéger les droits de l’homme dans la société de l’information et contre le NEIS » a été créé [8]. Deuxièmement, OhmyNews, premier journal électronique coréen, a d’une certaine façon contribué à augmenter l’intérêt des citoyens sur ce sujet. Revendiquant que « tous les citoyens sont journalistes », le site a publié plus de 600 articles sur le sujet, écrits par des personnes aux profils très divers. La troisième façon de mobiliser les citoyens a été le rassemblement nocturne à la bougie, mode de participation typiquement coréen [9]. Il s’agit de rassemblements de citoyens de tout genre, lycéens, femmes au foyer avec leurs bébés en poussette ou salariés, qui ne répondent à l’appel d’aucun parti, d’aucun syndicat. Cette foule se regroupe en s’informant sur la Toile (notamment par le biais des blogs et des espaces de discussions comme « Daum agora ») et par des messages sur téléphone portable.

13En France, un article du journal Le Monde du 1er juillet 2008, « Jacquerie high-tech en Corée du Sud », présente cette forme de démocratie à la coréenne à l’occasion d’un sujet concernant la levée de l’embargo sur la viande de bœuf américain. Débutée en 2002, lorsque des chars de l’armée américaine ont tué deux petites filles coréennes, cette mobilisation des citoyens est bien installée en Corée et se déploie à chaque événement politique et social. Paradoxalement, cette réussite est liée à l’interdiction des manifestations non déclarées, bruyantes et nocturnes selon les lois coréennes. Les citoyens coréens ont alors opté pour des rassemblements à caractère culturel afin d’exprimer leurs revendications sociopolitiques. La manifestation solitaire d’une personne, n’ayant pas obligation de déclaration, est une autre forme de revendication couramment utilisée en Corée du Sud, dans cette affaire comme dans d’autres événements récents [10]. Enfin, la grève de la faim par les dirigeants de la KTEW a été une dernière solution montrant ici la fermeté de ce syndicat.

Des facteurs de risques

14Face à ces revendications, un autre organisme représentant une partie du personnel de l’éducation publique, la KFTA (Korean Federation of Teachers’ Associations) [11] a réagi contre la KTEW et le ministère de l’Éducation, alors sur le point d’envisager un compromis. Selon la KFTA, il convient de sauvegarder le projet initial, car il est en accord avec les lois coréennes sur la protection des données personnelles dans les organismes publics. Quant aux normes internationales, comme les lignes directrices de l’OCDE, il n’est pas nécessaire d’en tenir compte puisqu’elles ne sont que des recommandations non obligatoires.

15La KFTA voit les revendications de la KTEW comme une crainte infondée de « bigbrotherisme » face aux lois existantes [12]. En effet, tous les autres systèmes d’informations contiennent presque les mêmes renseignements quantitatifs et qualitatifs que le NEIS. Il n’est donc pas cohérent qu’on modifie uniquement le système du NEIS tout en laissant les autres inchangés. La logique des droits de l’homme n’est qu’une excuse pour faire obstacle aux politiques actuelles du ministère de l’Éducation. Selon ce syndicat, dans ce contexte, le ministère doit persister dans son projet sans rien modifier [13].

16Un autre désaccord est la conception du risque de sécurité informatique. L’inter-opérabilité que permet Internet a d’autres effets sur la sécurité informatique, comme le hacking et la possibilité de transférer des données entre les organismes publics et privés pour des raisons commerciales [14]. Le risque potentiel ne peut pas, selon la KFTA, être une raison pour refuser le NEIS vu l’importance du financement sur un tel projet de portée nationale. De plus, le système actuel d’information basé sur le LAN (Local Area Network), nommé CS (Client Server), présente plus de risques informatiques que le NEIS basé sur Internet [15]. À l’opposé, le réseau des réseaux a pour la KTEW un fort potentiel de risque dont on ne peut pas encore mesurer la gravité en cas de problème. Un bon exemple est la crise du 25 janvier 2003 causé par le SQL Slammer Worm[16] dont la Corée du Sud a été l’une des premières victimes [17].

17Il s’agit en fait d’une conception différente du « risque » qu’on doit prendre en compte dans les processus communicationnels. En effet, le risque est un objet de la communication sociale de plus en plus primordial dans le monde contemporain, notamment avec l’augmentation des risques provoqués par les TIC [18]. La notion de « risque » a attiré l’attention des chercheurs en sciences sociales grâce à Ulrich Beck. Dans son ouvrage La Société du risque, il explique que c’est une clé permettant de comprendre le système social d’aujourd’hui. En effet, chaque acteur et chaque groupe social acceptent un niveau de risque selon un point de vue différent. Le débat actuel sur les risques du champ électromagnétique montre bien par exemple le décalage de perception entre les experts et les citoyens. Le rôle du gouvernement est alors de concilier ces niveaux. Le gouvernement coréen n’a pas réussi à assumer ce rôle de médiateur qui aurait permis de « construire » le niveau et le caractère du risque acceptable par tous les acteurs sociaux.

Les différents acteurs de la communication sociale sur le NEIS[19][20]

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Principaux acteurs Groupes soutenant les principaux acteurs Arguments Propositions Ministère de l’Éducation Allègement du travail administratif des enseignants Communication plus directe avec les parents d’élèves par Internet Projet national d’informatisation Mise en œuvre du NEIS en supprimant les trois catégories qui ont été mises en cause KTEW Comité mixte de lutte comprenant une quarantaine d’organisations associatives, organisé par Jinbonet. Parti Démocratique National Human Rights Commission of the Republic of Korea Hakbumo19 (association de parents d’élèves) Infraction aux droits de l’homme concernant la protection des données personnelles Début : suppression totale du NEIS ou réexamen du dossier en intégrant les avis de la société civile. Acceptation de l’avis de la National Human Rights Commission of the Republic of Korea KFTA Grand Parti National Association des directeurs et proviseurs Haksamo 20 (association de parents d’élèves) Efficacité administrative par la collecte et communication des informations via Internet Mise en place du NEIS qui est considéré comme techniquement supérieur au système précédent (CS)

Les différents acteurs de la communication sociale sur le NEIS[19][20]

Analyse anthropologique des problèmes communicationnels

18Plusieurs chercheurs coréens, à commencer par JO H.S. (2004), regardent cette affaire comme la manifestation d’une transition de la Corée du Sud d’une société autoritaire vers une société démocratique. Pour sa part, HONG S.G. (2004) constate que ces conflits sont dus à la façon dont l’État coréen met en place sa politique sans processus de discussions, comme cela avait été le cas dans les années 1970 durant lesquelles la population avait globalement accepté cette disposition puisqu’il existait un objectif national de développement économique, quitte à parfois renoncer à la démocratie.

19Pourtant, il ne s’agit pas seulement d’une transition, mais de la coexistence de deux caractères culturels. La société coréenne contemporaine, selon plusieurs auteurs ayant étudié cette question, possède une double dimension culturelle dans la communication. Comme l’explique CHEONG S.B. (2007), la Corée du Sud a deux grammaires culturelles : une grammaire fondamentale et une grammaire dérivée. La grammaire fondamentale se caractérise par les religions et les traditions qui existaient avant le contact avec l’Occident, donc avant le xixe siècle : les traditions du confucianisme, du bouddhisme, du taoïsme et du chamanisme. La grammaire dérivée commence à se former au xixe siècle avec l’arrivée du christianisme et du socialisme en Corée. Comme en Occident à cette époque, les conceptions de l’homme et du monde se sont modifiées sous l’effet des changements sociaux, religieux et politiques. Dès le milieu du xixe siècle, de nombreux lettrés influents comprirent alors la nécessité de s’adapter pour répondre aux défis de la modernité et de l’Occident. P. Thiébault (2006, p. 306) remarque que « la pensée coréenne au XIXe siècle a été affectée par l’introduction du catholicisme en Corée, entraînant une nouvelle dynamique entre bouddhisme et confucianisme ». Une autre condition est due à l’influence idéologique occidentale véhiculée par le protestantisme américain.

20Par conséquent, comme dans d’autres domaines, les problèmes causés par le NEIS expriment des conflits sur la conception hiérarchique du pouvoir et sur la question des droits de l’homme, opposant l’État et de nombreux citoyens [21]. Cela n’empêche pas ces derniers d’avoir une dynamique de rassemblement pour influencer le gouvernement. Il est donc peut-être normal que la Corée du Sud souffre d’un manque d’instances institutionnelles de délibération, contrairement à la France où l’on constate souvent l’effort du gouvernement pour les mettre en place, ce qui est le cas de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et du Forum des droits sur Internet.

21En revanche, cet événement social a été une chance pour les responsables politiques de reconnaître le besoin vital de dispositifs juridiques afin de mener en même temps le développement de l’informatisation de la société et la protection des données personnelles. Il permet aussi de repenser sérieusement les normes internationales en vigueur comme les lignes directrices de l’OCDE, de l’ONU et de l’UE. En effet, la Corée du Sud a une stratégie d’activités normatives visant à passer de « taker » à « maker » dans le secteur des TIC, en accord avec le développement technique dans le domaine. Ayant été depuis les années 1960 un des pays qui suivaient des normes définies par les pays développés dans un cadre international de normalisation, la Corée du Sud a désormais l’objectif de les « proposer » plus activement à des instances normatives comme l’ISO, l’UIT et la CEI. Cependant, si elle ne tient pas compte des contextes culturels pour la normalisation, cet objectif sera loin d’être réalisable.

22Il faut enfin mentionner le dernier problème communicationnel qu’on a pu observer dans cette affaire. Il s’agit d’un manque de transparence entre acteurs qui agissent uniquement selon leurs propres stratégies politiques et ne sont pas vraiment à l’écoute des autres. Les médias conservateurs ont renchéri en présentant le problème du NEIS comme un combat hégémonique entre les deux organisations d’enseignants, KFTA et KTEW. De plus, les associations et certains députés opposés au projet ont suspecté une alliance entre le ministère de l’Éducation et Samsung SDS pour le déroulement du projet. Ce projet a été en effet critiqué par certains politiciens comme CHU Mi-ae, député du Parti Démocratique de l’époque qui le voit comme « un projet aussi dangereux que celui de la carte d’identité électronique. […] Derrière ce genre de programme, NEIS ou carte d’identité électronique, il y a toujours des entreprises qui jouent en créant le discours de l’efficience technique. Derrière le plan NEIS, il y a Samsung SDS par exemple. En effet pour les entreprises, ces stratégies sont une occasion de créer un marché sans payer leur coût de recherche et développement et en ayant le soutien financier du gouvernement. [22] » Les débats ont alors porté sur ce conflit entre intéressés plutôt que sur une délibération nationale constructive sur la question essentielle : la protection des données personnelles. C’est le moment où l’intersubjectivité habermassienne échoue dans la pratique de l’agir communicationnel.

Conclusion

23Finalement, l’ambition du gouvernement de systématiser toutes les informations concernant les élèves a été abandonnée, en grande partie à cause des revendications de la société civile, notamment après l’avis de la National Human Rights Commission of the Republic of Korea qui, le 12 mai 2003, abonda dans leurs sens. En particulier, il fut décidé de faire disparaître les parties concernant la vie privée des élèves comme la santé, la vie familiale, etc. [23]

24L’affaire du NEIS nous apprend que la société civile coréenne, bien qu’elle soit hors d’un processus institutionnel, a su réagir par de multiples moyens de communication face au projet d’informatisation dirigé sans concertation préalable par l’État. Dans ce cas, l’autonomie et le dynamisme de la société civile pour faire pression sur le gouvernement ont été efficaces à tel point que le ministère de l’Éducation a fini par accepter les propositions de la société civile. Le pays cherche depuis cet événement à stabiliser le processus délibératif pour faire face aux nouvelles questions engendrées par le développement des TIC. L’évaluation des options technologiques (Technical Assessment) réalisée pour la RFID en 2005 en est un bon exemple. Il est temps de réfléchir aux modalités d’instance qui permettent une gouvernance de bottom-up tout en gardant le dynamisme des mouvements de la société civile constamment enrichis par de nouveaux moyens technologiques.

Notes

Français

La communication sur le projet d’informatisation dans le secteur de l’éducation, le National Education Information System (NEIS) montre comment la société civile en Corée du Sud a réussi à faire valoir ses revendications, bien qu’elle soit souvent exclue du processus institutionnel de décision politique. Les trois principaux acteurs (les deux syndicats KTEW et KFTA, et le ministère de l’Éducation), à la recherche d’un compromis, ont débattu sur la protection des données personnelles et sur l’efficacité administrative en utilisant de multiples moyens de communication.

Mots-clés

  • NEIS
  • Corée du Sud
  • informatisation
  • communication sociale

Références bibliographiques

  • Callon, M., Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001, 358 p.
  • Cheong, S.B., Les Grammaires de la culture coréenne, Séoul, 2007, 600 p. [en coréen]
  • Habermas, J., L’Espace Public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, traduit de l’allemand par Marc B. de Launay, Paris, Payot, 1978, 324 p.
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  • Hwang, J.-S. et Choi, S.H., Politiques de l’e-gouvernement et données personnelles : le cas du NEIS, KISDI (Korea Information Strategy Development Institute), 2003, 32 p. [en coréen]
  • Jo, H.S., « Étude sur le NEIS en termes de gouvernance », Politiques publiques sur l’informatisation, vol. 11, n° 1, 2004, p. 36-50. [en coréen]
  • Lakel, A., Analyse des fondements des politiques publiques des NTIC en France (1994-2004), thèse de doctorat, Université de Paris X, 2005, 580 p.
  • Lavelle, S., Science, technologie et éthique : conflits de rationalité et discussions démocratiques, Paris, Ellipses, 2006, 288 p.
  • Mucchielli, A., Étude des communications : nouvelles approches, Paris, A. Colin, 2006, 220 p.
  • Thiébault, P., La Pensée coréenne : aux sources de l’Esprit-Cœur, Gémenos, éd. Autre Temps, 2006, 400 p.
Jin-rang Lee
LEE Jin-rang est doctorante en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris X (laboratoire CRIS) où elle prépare une thèse sur Le Processus communicationnel de la normalisation en matière de TIC en Corée du Sud et en France. Elle a mené également des recherches sur « la fracture numérique chez les étudiants » et « les plans d’action gouvernementaux pour la société de l’information en France (PAGSI) et en Corée du Sud (Cyber Korea 21) ».
Courriel : <jrlee2003@hotmail.com>.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/31514
Pour citer cet article
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