1Dans le domaine de la bande dessinée francophone, aucune autre maison d’édition que « L’Association » – dont le nom officiel est d’ailleurs « L’Association (à la Pulpe) » – n’incarne mieux, face aux majors du secteur, l’émergence d’une idée d’indépendance.
2Officiellement créée en mai 1990 sur les bases de l’Aanal (Association pour l’apologie du neuvième art libre), L’Association pourrait sembler se construire dans l’espace délimité par les expériences antérieures de ses fondateurs ; d’une part, un fanzinat actif avec la publication de plusieurs comix comme Le Lynx à tifs ou Approximate Continuum Comix Institute, d’autre part, des collaborations ou des projets éditoriaux plus officiels, notamment avec Futuropolis et sa collection X. Le projet n’est pourtant en rien une voie clairement définie ou tracée : à l’image de sa mascotte symbolique, l’hydre, L’Association est avant tout la réunion de personnalités différentes et divergentes : pour le lecteur lambda, il serait en effet difficile de voir, au premier abord, ce qui a pu réunir six auteurs comme Jean-Claude Menu, Stanilas, Matt Konture, Killofer, Lewis Trondheim et David B.
3À travers une politique d’édition et de diffusion qui doit autant certainement à des choix marqués par l’individualité et les parti-pris qu’à une vision collective des potentialités des bandes dessinées, L’Association se déplace sur un terrain toujours mouvant et déroutant (à l’image de sa revue Lapin qui a connu pas moins de quatre formules depuis 1992). Refusant les formats et les usages traditionnels, la maison d’édition met ainsi en avant des collections atypiques comme « Patte de mouche » (de petits ouvrages de 24 pages), « Côtelette » (proche des dimensions habituellement réservées aux livres de poche) ou « Éprouvette » (consacrée au champ théorique et polémique).
4Il est donc aussi inutile que futile de réduire L’Association à ce qui a pu être qualifié de « nouvelle bande dessinée » – Joann Sfar, Pascal Rabaté ou encore Emmanuel Guibert figurant à son catalogue – que de voir en elle la simple élaboration et expression d’une bande dessinée autobiographique. Si ce courant a été initié par L’Association (à travers des œuvres comme Le Journal d’un album de Dupuy et Berberian, Livret de Phamille de Menu, Pyongyang de Delisle, Les Carnets de bord de Trondheim ou Les Contures de Konture) qui lui doit d’ailleurs une partie de ses succès publics avec L’Ascension du Haut-Mal de David B. et surtout Persepolis de Marjane Satrapi, il n’est qu’un de ses aspects. Les ramifications du catalogue de l’Association illustrent d’ailleurs cette complexité : des auteurs classiques (Tardi, Forest, Baudoin) voisinent ainsi avec les francs-tireurs d’une bande dessinée européenne (entre autres, le Finlandais Matti Hagelberg, l’Autrichien Nicolas Malher, le Suédois Max Andersson, le Suisse Thomas Ott) ou internationale (la Canadienne Julie Doucet, l’Américain Jim Woodring, le Sud-Africain Joe Daly ou le Néo-Zélandais Dylan Horrocks).
5Il n’est donc pas étonnant que L’Association ait été le berceau de l’Oubapo (Ouvroir de bandes dessinées potentielles, créé en 1992) ou ait mené à son terme un projet comme celui du Comix 2000 (album de 2 000 pages de bande dessinée muette dessinées par 324 auteurs venant de 29 pays différents).
6Poursuivant ses reptations et ses ondulations malgré les dissensions et les défections (David B. démissionne en 2005, Lewis Trondheim, suivi de Stanilas et Killofer, en 2006), l’hydre ne s’est ni réellement institutionnalisée ni totalement dispersée : son implication testimoniale tout comme sa promotion des nouvelles générations se révèlent toujours aussi fécondes. Ainsi, en 2007, le 34e festival d’Angoulême donne le prix du patrimoine au Sergent Laterreur de Touïs et Frydman, tandis que Panier de singe de Florent Rupert et Jérôme Mulot se voit attribuer le prix Révélation dans la catégorie Essentiels.
7Considérée comme la maison d’édition indépendante la plus importante et la plus influente, L’Association a certainement contribué à fournir, à défaut d’un modèle, un exemple : on peut penser ici à « Atrabile », basé à Genève, dont certains des auteurs phares, tels Frédérik Peeters ou Alex Baladi, ont épisodiquement collaboré avec L’Association. La diversité actuelle du panorama éditorial français lui doit certainement beaucoup. Creusant le sillon de la veine autobiographique, il est possible de mentionner des maisons d’édition comme « Ego comme X » avec des auteurs comme Fabrice Neaud ou Xavier Mussat ou, dans des registres plutôt alternatifs, comme « Le Dernier Cri » de Pakito Bolino et Caroline Sury (cette dernière ayant été aussi publiée par L’Association). De manière plus large, L’Association a sans doute aussi contraint certains éditeurs classiques à s’ouvrir à des récits moins mainstream, notamment à travers la création de collections spécialisées comme « Écritures » chez Casterman en 2002.