Claude Chabrol et Miruna Radu, Psychologie de la communication et persuasion : théories et applications, Bruxelles, De Boeck, coll. « Ouvertures psychologiques », 2008, 316 p.
1L’ouvrage de Claude Chabrol et Miruna Radu repose sur un important travail de synthèse autour de la question de la persuasion et des influences de la communication. Pour cela, les auteurs inscrivent clairement leur travail dans un champ dépendant tant de la psychologie sociale que des sciences de la communication : la psychologie sociale de la communication. Les auteurs proposent ici un livre de référence en langue française sur le thème de la communication persuasive et de l’influence des médias : le panorama proposé est complet et quasi-exhaustif (le « quasi » sera explicité plus loin). Il articule les courants de recherches anglo-saxons fondateurs et les travaux en langue française les plus récents (la cinquantaine de pages de bibliographie témoigne de la densité des références analysées). Le champ balayé est très vaste, tant aux niveaux des disciplines convoquées (psychologie sociale et cognitive, sciences du langage, sémiotique, sciences de la communication) et des concepts et théories appelés (changements d’attitudes, contrat de communication, action planifiée, cognitions et émotions...) que des objets étudiés (l’ouvrage propose de nombreux exemples et illustrations empiriques sur les médias en général, la publicité, les campagnes de prévention de santé publique ou de sécurité routière...).
2Il faut saluer la volonté des auteurs d’accompagner le lecteur dans la compréhension du champ à travers une démarche didactique. En témoigne la publication dans une collection proposant un appareil pédagogique très développé : nombreux encadrés reprenant les concepts-clés qui enrichissent les chapitres, rappels très pédagogiques en fin de chapitre intégrant un résumé, des références-clés, des mots-clés, une rubrique « Questions » et un très utile glossaire en fin d’ouvrage. Pour autant, il ne s’agit pas d’un simple manuel mais d’un véritable panorama des recherches sur le thème de la persuasion dans une perspective interdisciplinaire.
3La première partie de l’ouvrage est consacrée à la persuasion en tant que processus de traitement de l’information, alliant émotions et cognitions. Elle s’intéresse particulièrement aux modèles anglo-saxons duaux de traitement de l’information qui, dès les années 1980, ont focalisé l’attention des chercheurs sur l’interaction entre les caractéristiques du récepteur et celles du message, considérant dès lors la persuasion comme un processus complexe. Une place importante est accordée aux modèles d’appel à la peur mais aussi de résistance à la persuasion, très discutés actuellement, notamment pour les questions environnementales et de sécurité routière. Enfin, les auteurs proposent une réflexion sur la communication engageante fondée sur les théories de l’engagement.
4La deuxième partie s’intéresse à la communication persuasive et aux modèles socio-cognitifs. Les auteurs y proposent un aperçu des questions théoriques sous-tendant le champ de la psychologie de la communication. Ils reviennent sur l’importance des jugements et hypothèses heuristiques dans les prises de décision de la vie quotidienne, proposent une modélisation « agentive » du sujet communicant et développent la « théorie de l’action planifiée » qui tente d’expliquer les comportements humains dans des contextes spécifiques.
5La troisième et dernière partie du livre envisage la communication persuasive comme une co-construction psycho-socio-pragmatique. Elle élargit donc le champ de la communication médiatique en intégrant l’analyse des conversations et en reprenant les apports de la philosophie du langage. Les auteurs abordent la pragmatique de la communication, les actes de langage et le contrat de communication. Ils se penchent également sur les stéréotypes et les études de genre. Enfin, l’ouvrage se termine en développant les émotions produites par les discours médiatiques et leurs effets sur les traitements.
6Au-delà des grandes qualités scientifiques et pédagogiques de l’ouvrage, nous souhaitons souligner deux limites. La première est d’ordre théorique. En effet face à l’ampleur du travail proposé, on aurait aimé que Claude Chabrol et Miruna Radu intègrent et mettent en perspective les récents travaux sur les influences non conscientes des médias évoquant le changement d’attitude implicites, les automatismes et micro-processus cognitifs impliqués dans la réception des médias. Il manque en effet à ce panorama de la communication persuasive et de l’influence des médias, une partie traitant des influences qui opèrent lors des contacts furtifs, rapides et aussitôt oubliés avec des messages médiatiques (voir les travaux sur l’influence de la publicité perçue en vision périphérique, dans Questions de Communication, n° 14, 2008, ou sur les changements d’attitude implicite et explicite, dans Psychological Bulletin, n° 132, 2006).
7La seconde limite est d’ordre épistémologique. En effet, l’ouvrage présente une grande majorité de travaux issus de recherches expérimentales et une petite minorité d’études, notamment d’actes de langages, plutôt fondées sur une approche herméneutique. Une posture épistémologique explicitant l’articulation (possible ou non ?) des travaux de types expérimentaux et herméneutiques aurait été la bienvenue. Mais Claude Chabrol a plus d’un tour dans son sac et ce manque n’en est pas vraiment un, puisque cette réflexion a déjà été en partie menée dans son précédent livre, co-dirigé avec Isabelle Olry-Louis, Interactions communicatives et Psychologie (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2007).
8Marie-Pierre Fourquet-Courbet
9Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Cyrille Ferraton, Associations et coopératives : une autre histoire économique, Toulouse, Érès, 2007, 238 p.
10À l’heure où la crise économique bat son plein, ce livre d’un historien de l’économie montre qu’il est possible de sortir du cycle étatisation-libéralisation qui rythme les politiques économiques depuis plus d’un siècle.
11Cet ouvrage porte sur les théories économiques qui, au dix-neuvième et au début du vingtième siècle, se sont intéressées à la question de l’association, c’est-à-dire une organisation économique caractérisée par l’autogestion des ouvriers mettant en commun leurs outils de production. Ce texte éclairant se décompose en trois parties. La première s’intitule « L’association : une solution à la question sociale ? » et porte sur la période 1830-1852. La deuxième nommée « De l’association à la coopération », s’intéresse à la période 1863-1928. Tandis que la troisième « Association, coopération et économie solidaire », interroge les ressemblances et les différences entre les théories passées de l’association et les théories actuelles de l’économie solidaire (définies comme l’ensemble des engagements citoyens visant à démocratiser l’économie – voir Hermès n° 36, « Économie solidaire et démocratie », 2003).
12L’ouvrage de Cyrille Ferraton est écrit dans un style simple et rappelle la diversité des approches possibles face à une crise sociale. En effet, non seulement les théories des premiers socialistes comme Pierre Leroux, inventeur de ce terme, Prosper Enfantin ou Pierre-Joseph Proudhon, sont convoquées mais, pour chaque période, l’auteur interroge également les auteurs libéraux comme Tocqueville (première partie), Paul Leroy-Beaulieu ou Albert Schatz (deuxième partie). Il y a, dans toutes ces réflexions, une riche matière conceptuelle pour qui voudrait réfléchir aux moyens concrets de trouver des modèles d’organisation performants du point de vue économique et, en même temps, réducteurs des inégalités sociales.
13Cet ouvrage stimulant n’est pas dénué de certaines faiblesses : il s’achève un peu en queue de poisson, il ne mentionne que très peu la pensée anarchiste et libertaire sur ces questions et reste dans un cadre franco-français un peu étriqué. Mais ces (légers) défauts ne parviennent pas à gâcher une recherche historique sérieuse s’appuyant sur des lectures nombreuses d’œuvres souvent méconnues. Surtout, la troisième partie ouvre des perspectives riches. D’une part, l’auteur souligne, à la lumière des théories antérieures, certaines limites actuelles de l’économie solidaire comme sa portée politique, la question de l’éducation économique ou son lien avec la sphère symbolique. D’autre part, toujours dans cette dernière partie, Cyrille Ferraton soutient une thèse forte : si les théoriciens de l’économie solidaire se réclament explicitement des travaux associationnistes de la première moitié du dix-neuvième c’est, en réalité, avec la pensée de Charles Gide et de Marcel Mauss que les conceptions de l’économie solidaire ont le plus de points communs. Thèse qui ne peut que pousser chacun à retourner vers ces grands auteurs, ce qui n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage.
14Un livre riche qui nourrira aussi bien les débats internes de l’économie solidaire que la réflexion d’un public curieux de trouver des instruments d’analyse de la crise faisant cruellement défaut au sein du débat économique médiatique contemporain.
15Éric Dacheux
16Clermont Université, groupe « Communication et Solidarité »