CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La littérature académique sur la communication électorale par Internet s’est considérablement enrichie ces dernières années, mettant l’accent sur les pratiques interactives offertes par les sites des partis et candidats, et sur les possibilités de transformations de la compétition électorale que recélerait ce média (Beauvallet, 2007 ; Davis et al., 2008 ; Thieulin et al., 2007 ; Vedel et Cann, 2008). Cependant, cette réflexion est rarement reliée aux transformations observées hors ligne, à la fois dans les stratégies et les pratiques de campagnes, et dans l’organisation des partis politiques. Les « net-campagnes » électorales procèdent-elles de formes post-modernes marquées par l’omniprésence du marketing politique ? Préfigurent-elles la constitution de « cyber-partis » (Margetts, 2006), c’est-à-dire d’organisations dans lesquelles les relations entre électeurs et direction se désinstitutionnalisent, deviennent plus ponctuelles et sont médiatisées par la technique ? Ne présentent-elles pas, au-delà de ces tendances globales, des particularités liées au cadre institutionnel, au système de partis, à l’accès aux médias dans chaque pays ? Ces questionnements fondent la présente analyse du contenu des sites Web des partis lors des campagnes législatives tenues en France et au Québec en 2007.

Internet et l’évolution de la communication politique

2Les potentialités politiques de l’outil Internet sont connues : il permet une circulation rapide de l’information, une stimulation du débat politique, une interactivité accrue entre les partis politiques et le public, et un travail de mobilisation plus efficace (Gibson et al., 2003 ; Vedel, 2003). Dans une perspective historico-techniciste, développée notamment par Blumler et Kavanagh (1999), et Farrell et Webb (2000), ces usages s’inscriraient dans un « troisième âge de la communication » [1]. Après la période de « l’âge d’or » des partis de masse, où les discours partisans étaient perçus comme source essentielle du débat social et étaient transmis par la presse partisane, les affiches, les réunions publiques et les contacts interpersonnels, la généralisation de la télévision dans les années 1960 a entraîné le recours à des professionnels de la communication, chargés par les partis et candidats d’adapter leurs messages aux attentes, devenues plus « flottantes », des électeurs.

3Le contact interpersonnel entre les politiques et le public a été remplacé par une relation médiatisée par la télévision. Le « troisième âge » de la communication est caractérisé par une campagne permanente menée à l’aide de supports plus nombreux du fait de l’apparition des nouveaux médias. Ceux-ci permettent aux partis de cibler leurs messages vers des segments spécifiques de la population, et aux citoyens d’investir de nouvelles formes d’engagements politiques et d’interagir avec les politiques. Les partis et les candidats sont de plus en plus poussés à modeler et cibler leurs messages en fonction des attentes des électeurs, plutôt que de porter des propositions programmatiques élaborées en interne.

4Cette évolution ne serait pas étrangère à une influence américaine dont la diffusion s’effectue par des magazines professionnels, des ouvrages pratiques sur la manière de mener une campagne gagnante et des séminaires animés par des consultants (Scammell, 1998). Selon ce paradigme, il est possible de formuler l’hypothèse que les usages des nouveaux médias par les partis politiques, comme l’ensemble de la communication politique, deviendraient standardisés puisqu’ils seraient partout portés par des conseillers en communication maîtrisant les techniques du marketing politique, et mus par la double nécessité de faire campagne de façon permanente et de s’ajuster aux attentes des électeurs.

5D’autres auteurs soutiennent toutefois qu’une diversité de facteurs conditionnent le déroulement des campagnes électorales et que celles-ci peuvent combiner des caractéristiques associées à plusieurs des trois âges de la communication politique. Norris (2001, p. 140) croit ainsi que les similarités observées entre les pays s’expliqueraient davantage par des conditions communes à plusieurs démocraties industrialisées que par la diffusion d’une influence américaine. Au sein d’un même pays, cette évolution dans la façon de faire campagne peut varier d’un parti à l’autre selon leur organisation, leurs ressources internes et l’usage qu’ils font des techniques d’information et de communication (Gibson et Römmele, 2001). Blumler et Kavanagh reconnaissent eux-mêmes que la validité transnationale de leur schéma évolutif vers un troisième âge de la communication politique, inspiré par les expériences américaine et britannique, demeure une question ouverte à laquelle des analyses comparatives doivent répondre (1999, p. 210). Cet article apporte des éléments de réponse en comparant l’usage d’Internet par les partis lors de campagnes électorales tenues en France et au Québec, deux États où des contextes médiatique et institutionnel différents sont susceptibles d’influencer cette utilisation du Web.

L’analyse de contenu des sites partisans

6Dans la lignée d’analyses précédentes (Gibson et Ward, 2000 ; Small, 2008), nous avons relevé la présence ou l’absence d’une série de caractéristiques du contenu des sites partisans. Plus précisément, notre étude quantifie trois dimensions essentielles des net-campagnes. La première, informationnelle, correspond au contenu habituellement diffusé par les partis politiques en campagne électorale sur des supports « traditionnels » tels que tracts, presse du parti et spots officiels à la télévision. Il s’agit ici de considérer l’usage du Web suivant un schéma top-down, de la direction du parti vers ses soutiens potentiels. Nous avons recherché 29 éléments de contenu et créé une échelle de 0 à 31 [2]. Cette liste comprend de l’information sur le parti (historique, structure, statuts), son leader et ses candidats, la présentation de sections ciblant certains segments de l’électorat (jeunes, femmes, communautés culturelles, etc.), ainsi que des communiqués de presse, des discours importants, des publicités électorales, etc.

7La deuxième thématique met l’accent sur des pratiques interactives spécifiques à Internet, que les partis ne pourraient pas offrir s’ils ne disposaient pas de cet outil, mais qui n’impliquent pas nécessairement un soutien de l’internaute à l’organisation. Quinze items ont permis de constituer une échelle de 0 à 16 pour cette dimension. La possibilité de poser une question par email, de participer à un forum de discussion, de s’abonner à un fil RSS, constituent des indicateurs de ces relations horizontales, impliquant un échange entre parti et internautes, mais qui ne visent pas – explicitement – une mobilisation en faveur du parti.

8Enfin, la troisième dimension répertorie des modalités de mobilisation de l’électorat, impliquant un engagement de la part des internautes. L’échelle est construite avec huit éléments et elle prend une valeur variant entre 0 et 14. Il s’agit par exemple d’adhérer au parti en ligne, de faire un don, de télécharger et imprimer du matériel de campagne, de contribuer au site, de mobiliser ses amis.

9L’analyse de contenu s’appuie sur des aspirations de sites réalisées au cours des mois de février/mars 2007 au Québec et mai 2007 en France [3]. Comme le degré de fragmentation varie entre les systèmes partisans québécois et français, nous avons sélectionné différemment les partis dont les sites Web ont été retenus. Au Québec, seulement huit partis politiques étaient dûment enregistrés auprès du Directeur général des élections au moment de la campagne électorale. Ils sont tous inclus dans cette étude. Trois de ces partis ont fait élire des députés à l’Assemblée nationale : le Parti libéral du Québec (PLQ, centre-droit), le Parti québécois (PQ, centre-gauche) et l’Action démocratique du Québec (ADQ, droite). Le Parti vert du Québec (PVQ) et Québec solidaire (QS) ont connu une forte progression par rapport à l’élection précédente, mais ils n’ont fait élire aucun candidat. Le Bloc Pot, le Parti de la démocratie chrétienne du Québec (PDCQ) et le Parti marxiste-léniniste du Québec (PMLQ) sont demeurés marginaux. En France, plus de 80 partis ont présenté des candidats aux législatives de 2007. Pour cette étude, nous avons seulement analysé les sites des 11 partis qui avaient présenté un candidat lors de l’élection présidentielle précédent de quelques semaines les législatives. Ils concentrent près de 90 % des suffrages exprimés au premier tour mais, parmi eux, seuls les six premiers ont obtenu des sièges à l’Assemblée nationale (tableau 1).

Tableau 1

Sites Web et performances électorales des partis politiques

Tableau 1
A. FRANCE ENTIÈRE Élection législative de 2007 % des suffrages exprimés Nombre de sièges 1er tour 2e tour 1er et 2e tours Partis ou tendances politiques ayant des sièges au Parlement UMP (www.u-m-p.org/site/index.php) 39,5 46,4 313 Majorité présidentielle 2,4 2,1 22 PS (www.parti-socialiste.fr) 24,7 42,3 186 Divers gauche 2,0 2,5 15 PCF (www.pcf.fr) 4,3 2,3 15 Parti radical de gauche 1,3 1,6 7 Divers droite 2,5 1,2 9 UDF-Modem (www.udf.org/index.html) 7,6 0,5 3 Partis régionalistes 0,5 0,5 1 Les Verts (lesverts.fr/) 3,3 0,4 4 Divers (dont Pôle Républicain en 2002) 1,0 0,1 1 MPF (www.pourlafrance.fr/) 1,2 — 1 Partis non parlementaires Extrême gauche, dont : 3,4 — 0 – LCR (www.lcr-rouge.org) – LO (www.lutte-ouvriere.org) – PT (www.parti-des-travailleurs.org/index.php) Autres écologistes 0,8 — 0 CPNT (www.cpnt.asso.fr) 0,8 — 0 FN (www.frontnational.com) 4,3 0,1 0 Autres extrême droite 0,4 — 0 B. QUÉBEC Élection générale de 2007 % des suffrages exprimés Nombre de sièges Partis ayant des sièges au Parlement PLQ (www.plq.org) 33,1 48 ADQ (www.adq.qc.ca) 30,8 41 PQ (www.pq.org) 28,4 36 Partis non parlementaires PVQ (www.pvq.qc.ca) 3,9 0 QS (www.quebecsolidaire.net) 3,6 0 PMLQ (www.pmlq.qc.ca) 0,1 0 Bloc pot (www.blocpot.qc.ca) 0,04 0 PDCQ (www.partidcq.qc.ca) 0,04 0

Sites Web et performances électorales des partis politiques

Sources des statistiques électorales : ministère de l’Intérieur et Assemblée nationale française ; Directeur général des élections du Québec

Des usages d’Internet encore largement verticaux

10Les résultats de l’analyse de contenu des sites de partis (tableau 2) révèlent que la plupart des partis politiques tardent à maximiser l’utilisation des fonctions d’Internet pour dialoguer avec les citoyens. En effet, c’est sur l’échelle de l’interactivité que les partis obtiennent les scores les plus faibles en France (34 %) comme au Québec (24%). Les échanges horizontaux se limitent généralement à la possibilité d’envoyer un courriel au parti ou à une personnalité politique en particulier (le chef ou un candidat). Plusieurs sites permettent de s’abonner à la newsletter du parti, une pratique particulièrement généralisée en France. L’outil blog, pouvant favoriser les interactions entre candidats (ou partis) et citoyens, a été partiellement exploité en 2007. Olivier Besancenot, Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers possédaient un blog associé au site de leur parti.

Tableau 2

Contenu des sites partisans

Tableau 2
Diffusion d’information (0 – 31) Interactivité (0 – 16) Mobilisation politique (0 – 14) A. FRANCE Total % Total % Total % UMP 16 51,6 8 50,0 9 64,3 Parti socialiste 17 54,8 6 37,5 11 78,6 PCF 15 48,4 8 50,0 7 50,0 UDF-Modem 16 51,6 7 43,7 3 21,4 Verts 13 41,9 5 31,2 4 28,6 MPF 15 48,4 6 37,5 4 28,6 Moyenne – Partis parlementaires 15,3 49,4 6,7 41,6 6,3 45,2 LCR 13 41,9 7 43,7 4 28,6 LO 7 22,6 2 12,5 1 7,1 PT 5 16,1 1 6,2 1 7,1 CPNT 11 35,5 5 31,2 3 21,4 FN 16 51,6 4 25,0 7 50,0 Moyenne – Partis non parlementaires 10,4 33,5 3,8 23,7 3,2 22,9 Moyenne – France 13,1 42,2 5,4 33,5 4,9 40,9 B. QUÉBEC Total % Total % Total % ADQ 7 22,6 4 25,0 8 57,1 PLQ 14 45,2 4 25,0 2 14,3 PQ 19 61,3 7 43,8 10 71,4 Moyenne – Partis parlementaires 13,3 42,9 5,0 31,3 6,7 47,9 Bloc pot 11 35,5 4 25,0 9 64,3 PDCQ 3 9,7 3 18,8 2 14,3 PMLQ 6 19,4 0 0,0 3 21,4 PVQ 15 48,4 6 37,5 8 57,1 QS 19 61,3 2 12,5 8 57,1 Moyenne – Partis non parlementaires 10,8 34,8 3,0 18,8 6,0 42,9 Moyenne – Québec 11,8 38,1 3,8 23,8 6,3 45,0

Contenu des sites partisans

11De même, trois partis québécois usaient du blog. Ceux du PLQ et du PQ ont été particulièrement actifs alors que celui du PVQ, un parti non parlementaire, comptait moins d’entrées et suscitait moins de réactions. Les forums qui permettaient aux citoyens de proposer eux-mêmes un sujet de discussion étaient beaucoup plus rares. En France, la logique « participative » du site Désirs d’avenirs de Ségolène Royal s’était interrompue avant l’ouverture officielle de la campagne présidentielle. Et durant ces deux campagnes électorales, un seul « tchat » avec un représentant d’un parti a été repéré (sur le site de la LCR). Par ailleurs, le PQ s’est distingué en permettant aux usagers de s’abonner à un service de messagerie texte (SMS) et ainsi de recevoir des messages du parti.

12Les partis politiques recourent davantage à l’interactivité pour mobiliser leurs soutiens. Les sites des partis français et québécois ont obtenu sur cette échelle un score moyen de 41 % et 45 % respectivement. Presque tous les sites proposent aux citoyens d’adhérer et de contribuer financièrement aux activités du parti. Dans la plupart des cas, les transactions en ligne sont possibles et sécurisées. Les « boutiques » en ligne fleurissent, avec des variations sensibles. Ainsi, la « e-boutique » de l’UMP, comme celle du PS, du FN ou de la LCR, propose de nombreux objets militants, alors que le site des Verts consacre une page à une librairie écologiste.

13Les partis incitent aussi leurs partisans à poser des gestes de militantisme en ligne, à occuper l’espace du Web. Le PS offrait ainsi une « boîte à outils du militant », comportant du matériel de campagne destiné aux membres et sympathisants du parti. Le site du FN, dans sa rubrique « militantisme », présentait un onglet « forum » encourageant les sympathisants à intervenir sur les espaces de discussion, qui « constituent un bon vecteur de diffusion de [nos] idées ». Au Québec, le PQ encourageait ses partisans à participer à des débats en ligne, à écrire sur les blogs et à créer et diffuser dans le Web des vidéos. Cependant, les potentialités techniques du Web 2.0, par exemple la co-production de contenus par les usagers (par l’envoi de fichiers de photos, vidéos, voire textes) n’étaient exploitées ni en France ni au Québec.

14La diffusion d’information demeure une dimension importante de l’utilisation des sites Web par les partis politiques. Le score moyen obtenu par l’ensemble des partis sur l’échelle d’information est assez semblable en France (42%) et au Québec (38%). On y retrouve communément des communiqués de presse, des nouvelles électorales, un calendrier des événements partisans de la campagne, des informations sur les candidats, les programmes électoraux et des pages de renseignements sur des enjeux spécifiques. Les sections visant des segments particuliers de l’électorat sont relativement peu nombreuses. Les jeunes constituent le seul groupe auquel plusieurs partis consacrent un espace distinct de leur site.

15Globalement, le contenu des sites partisans peut être rapproché au Québec et en France. Le site Web, outil de campagne investi par l’ensemble des partis, constitue prioritairement un vecteur d’informations, construites par l’organisation ou le candidat, non « filtrées » par d’autres médias, constamment remaniées et mises à jour ; et un moyen de mobilisation destiné à rendre les internautes fréquentant le site acteurs de la campagne, en ligne et hors ligne. Dans une certaine mesure, le « cyber-parti » évoqué par Margetts (2006) existe dans cet espace, mais il se caractérise par un modèle organisationnel vertical, en contradiction avec les potentialités réticulaires du média Internet.

Des usages d’Internet mis en contexte

16Ce rapprochement n’implique pas pour autant une homogénéité des sites. Les indicateurs retenus indiquent des différences significatives entre les sites de partis parlementaires et non parlementaires. Les écarts entre ces deux catégories de partis apparaissent plus faibles au Québec qu’en France. Sur l’échelle de la diffusion d’information, l’écart entre la moyenne des deux types de partis est de 2,5 points au Québec et de 4,9 points en France. Les écarts équivalents sont de 2,0 points et 2,9 points pour l’échelle de l’interactivité, ainsi que 0,7 point et 3,1 points pour l’échelle de mobilisation [4].

17Comment expliquer ces différences ? Il est probable que le contexte médiatique et institutionnel dans lequel se déroulent les élections intervienne dans l’investissement d’Internet par les partis. Si le développement d’un site Web semble aller de soi pour les partis les mieux établis, les autres formations politiques, dont les ressources sont plus limitées et doivent être utilisées stratégiquement, y ont un intérêt plus grand si la population visée accède à Internet en grand nombre. Cette condition apparaît plus clairement au Québec qu’en France. Selon l’édition 2007 de NETendances, la principale enquête sur les usages d’Internet au Québec, 71 % des adultes québécois naviguaient sur Internet et 72 % habitaient un domicile branché [5]. En France, seulement 57% de la population de onze ans ou plus déclaraient avoir utilisé ce média en mars 2007 et 46 % des foyers possédaient une connexion à domicile [6]. Toutefois, les sites de partis politiques demeuraient peu fréquentés. L’enquête NETendances indique que si 28% des Québécois se sont informés par Internet sur la campagne électorale de 2007, seulement 17 % ont visité des sites Web de partis ou de candidats. En France, une étude de l’Ifop de l’automne 2006 [7] montrait que 40% des internautes utilisaient le Web pour s’informer sur la campagne mais qu’une minorité de 15 % d’entre eux déclaraient visiter « souvent » ou « de temps en temps » un site de parti ou formation politique.

18Le contexte institutionnel, en influençant l’accès des partis aux médias traditionnels, peut aussi intervenir. Au Québec, ni la législation ni la réglementation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) ne régissent strictement la couverture des campagnes dans le cadre des émissions d’information. Ce sont les radiodiffuseurs qui décident de la part de couverture consacrée à chaque parti politique. Généralement, il en résulte une couverture qui marginalise les partis non parlementaires et qui accorde une prime de visibilité au parti gouvernemental (Monière et Guay, 1995). En outre, les partis politiques qui en ont les moyens financiers peuvent acheter des espaces publicitaires à la télévision. Ils bénéficient également de temps d’antennes gratuits (courts et souvent relégués à l’extérieur des heures de grande écoute) répartis « équitablement » entre les partis, ce qui tend à reproduire les rapports de force existants. Le contexte institutionnel est différent en France car la publicité payante est interdite à la télévision et à la radio, et parce que le CSA émet des recommandations visant à l’équité de traitement des candidats par les chaînes de télévision et de radio, notamment pour l’ensemble des comptes-rendus de campagne [8].

Conclusion

19Les stratégies Internet des partis politiques français et québécois lors des campagnes législatives de 2007 présentent des traits caractéristiques du troisième âge de la communication électorale tels qu’esquissés par Blumler et Kavanagh (1999). Le fait que tous les partis politiques retenus dans notre analyse aient mis en ligne un site Web est un premier élément en ce sens. Le recours au Web pour mobiliser les soutiens partisans en est un second. Dans l’ensemble, on constate également que l’usage du Web par les partis en temps de campagne est similaire dans les deux États. Ce sont essentiellement les fonctions de mobilisation et d’information qui sont exploitées alors que les échanges horizontaux sont moins prisés.

20En revanche, les différences institutionnelles entre la France et le Québec semblent avoir un effet limité et incertain. Cet effet concerne essentiellement l’investissement moindre d’Internet par les partis non parlementaires là où la pénétration de ce média dans les foyers est plus limitée et où les règles institutionnelles leur assurent un certain accès aux médias traditionnels. Cependant, il demeure incertain car il est possible que cet écart entre les partis parlementaires et non parlementaires s’amenuise au fil du temps. D’autres analyses lors des prochaines campagnes permettraient de vérifier si les écarts entre ces deux types de partis sont durables ou temporaires.

21L’analyse de contenu des sites Web permet une observation systématique et comparable. Elle revêt cependant des limites importantes, notamment parce que l’usage d’Internet revêt des formes toujours plus diversifiées, avec notamment la croissance des blogs et le développement de réseaux sociaux en ligne comme Facebook ou Twitter. Pour mieux établir les similarités et les différences entre les net-campagnes des partis politiques dans plusieurs pays, il faudra nécessairement prendre en considération ces autres manifestations de campagnes virtuelles.

Notes

  • [1]
    Pour une synthèse en français de cette littérature, voir Gerstlé (2004), p. 131-136.
  • [2]
    Pour chacune des trois dimensions, une valeur de 0 ou 1 est accordée selon que l’élément recherché est absent ou présent dans le site. Cependant, pour quelques items, jusqu’à 3 points pouvaient être accordés afin de nuancer leur degré de développement. Par exemple, pour l’item « faire un don au parti », les sites étaient distingués selon qu’ils ne comportaient aucun renseignement utile (0), qu’ils offraient un formulaire à imprimer (1), un formulaire en ligne (2) et la possibilité de faire une transaction électronique (3). La liste détaillée des items retenus est disponible sur demande auprès des auteurs.
  • [3]
    Nous remercions l’équipe Pacte-CNRS (Grenoble) d’avoir réalisé les aspirations des sites français dans le cadre du projet « Formation du jugement politique ».
  • [4]
    Quatre partis non parlementaires (le FN et la LCR en France ; QS et le PVQ au Québec) constituent des exceptions notables. Ils enregistrent également des scores électoraux relativement élevés ; ils possèdent vraisemblablement des ressources financières et organisationnelles suffisantes pour investir les nouveaux médias.
  • [5]
    Cefrio, NETendances 2007 : site <http://www.cefrio.qc.ca/fckupload/DEPL_netquebec_web_SECUR.pdf>.
  • [6]
    Statistiques Médiamétrie, mars 2007.
  • [7]
  • [8]
    Ces dispositions n’empêchent toutefois pas des déséquilibres dans les temps de parole et le « traitement des candidats », ainsi que l’atteste une pétition lancée par des journalistes pendant la campagne présidentielle (Monceau, 2008, p. 42).

Références bibliographiques

  • En ligneBeauvallet, G., « Parti de campagne : militer en ligne au sein de “Désirs d’avenir” », Hermès, n° 47, 2007, p. 155-166.
  • En ligneBlumler, J. G., Kavanagh, D., « The Three Ages of Political Communication: Influences and Features », Political Communication, vol. 16, n° 3, 1999, p. 209-230.
  • Davis, R., Owen, D., Taras, D, Ward, S. J., Making a Difference: a Comparative View of the Role of the Internet in Election Politics, Lanham MD, Lexington Books, 2008, 306 p.
  • En ligneFarrell, D. M., Webb, P., « Parties as Campaign Organizations », in Dalton, R., Wattenberg, J., Martin, P., Parties without partisans, Oxford University Press, 2000, p. 102-129.
  • Gerstlé, J., La Communication politique, Paris, Armand Colin, 2004, 298 p.
  • Gibson, R., Nixon, P., Ward, S., Political Parties and the Internet: Net Gain?, Londres, Routldege, 2003, 252 p.
  • En ligneGibson, R., Römmele, A., « Changing Campaign Communications: a Party-Centered Theory of Professionalized Campaigning », Harvard International Journal of Press/Politics, vol. 6, n° 4, 2001, p. 31-43.
  • En ligneGibson, R., Ward, S., « A Proposed Methodology for Studying the Function and Effectiveness of Party and Candidate Web Sites », Social Science Computer Review, vol. 18, n° 3, 2000, p. 301-319.
  • En ligneMargetts, H., « Cyberparties », in Katz, R. S., Crotty, W., Handbook of Party Politics, London, Sage, 2006, p. 528-535.
  • Monceau, N., « Le rôle de la télévision et des radios dans les campagnes : permanences et mutations », Revue politique et parlementaire, n° 1044, 2008, p. 40-44.
  • Monière, D., Guay, J. H., La Bataille du Québec : les élections québécoises de 1994, Montréal, Fides, 1995, 268 p.
  • Norris, P., A Virtuous Circle: Political Communications in Post-Industrial Societies, New York, Cambridge University Press, 2001, 398 p.
  • En ligneScammel, M., « The Wisdom of the War Room: US Campaigning and Americanization », Media, Culture & Society, vol. 20, n° 2, 1998, p. 251-275.
  • En ligneSmall, T., « Equal Access, Unequal Success - Major and Minor Canadian Parties on the Net », Party Politics, vol. 14, n° 1, 2008, p. 51-70.
  • Thieulin, B., Senèze, V., Maarek, P., « La campagne française pour le référendum sur Internet », in Maarek, P., Chronique d’un « non » annoncé : la communication politique et l’Europe, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 183-192.
  • En ligneVedel, T., « Internet et les pratiques politiques », in Gingras, A.-M., La Communication politique : état des savoirs, enjeux et perspectives, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2003, p. 189-214.
  • En ligneVedel, T., Cann, Y.-M., « Internet, une communication électorale de rupture ? », in Perrineau, P., Le Vote de rupture, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 51-75.
Frédérick Bastien
Frédérick Bastien est professeur adjoint au département d’information et de communication de l’Université Laval à Québec. Détenteur d’un doctorat en sciences politiques, il est spécialiste de la communication politique. Il s’intéresse particulièrement à l’hybridation entre l’information et le divertissement à la télévision, aux usages politiques d’Internet et aux sondages. Il a publié des articles dans Politique et sociétés et la Revue canadienne de science politique, et il a collaboré à l’ouvrage Communication politique : état des savoirs, enjeux et perspectives dirigé par Anne-Marie Gingras (Presses de l’Université du Québec).
Fabienne Greffet
Fabienne Greffet est maître de conférences en sciences politiques à l’Université Nancy II, chercheuse à l’Irénée (Institut de recherches sur l’évolution de la Nation et de l’État) et chercheuse associée à l’équipe Pacte de Grenoble (Politiques publiques, Action politique, Territoires). Elle s’intéresse aux usages politiques de l’Internet, principalement lorsqu’ils accompagnent les transformations des partis politiques et les modalités d’expression des citoyens. En septembre 2008, elle a coordonné, avec Stéphanie Wojcik, le numéro 150 de la revue Réseaux consacré aux discussions politiques en ligne. Elle a également publié des articles dans les revues Communication et Questions de communication.
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/31762
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...