1La bande dessinée est considérée comme un élément réducteur de l’imagination ou, au contraire, comme un véritable facteur de développement de l’imaginaire. Elle fut accusée par les pédagogues de détourner les jeunes de la lecture, mais elle se voit aujourd’hui utilisée pour rendre accessibles quelques grands auteurs. Par exemple, la vie de Freud et ses concepts ont été adaptés en bande dessinée [1]. Ce n’est pas le lien unique entre psychanalyse et BD. En effet, cette dernière est composée d’un grand nombre d’illustrations complétées de textes présents dans les bulles, ce qui multiplie les niveaux de lecture correspondant à différentes couches de l’inconscient superposées les unes sur les autres.
La BD, porte ouverte sur l’inconscient de l’auteur
2Comme tout art, la BD est source de révélation pour l’auteur. Elle lui permet de se délivrer de ses propres angoisses, de trouver une certaine délivrance. C’est ce que montre, en tout cas, Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste. Partant de l’idée que « ce sont les relations que l’homme établit avec les images qu’il produit à l’intérieur de lui qui constituent le prototype des relations qu’il tente ensuite d’établir avec toutes celles qui l’entourent » [2], il tente d’analyser l’inconscient d’Hergé à travers les caractéristiques des personnages comme le capitaine Haddock (qui incarne les émotions profondes vécues par l’auteur, longtemps condamné à l’étouffement de son univers familial) ou la Castafiore (qui représente la figure maternelle et symbolise les rapports qu’entretient Hergé avec sa propre mère).
3Chez Franquin, le personnage de Gaston Lagaffe pourrait symboliser l’accès direct à notre inconscient, chacune de ses actions est révélatrice d’actes manqués, de lapsus ; il est guidé par ses pulsions qui l’amènent à se retrouver dans des situations ubuesques. Il passe son temps à dormir et le rêve est selon Freud « la voie royale vers l’inconscient » comme l’illustre d’ailleurs les inventions de Lagaffe qui détournent les objets de leur fonction première (les panneaux de sens interdits deviennent des sucettes géantes, les fauteuils de bureaux des monorails, etc.).
La BD, porte ouverte sur l’inconscient du lecteur
4Lire une bande dessinée n’est pas un acte anodin ; cela amène le lecteur à s’immerger dans un univers particulier, lui permettant de se représenter son état psychique. Les arts de l’image par leurs caractéristiques, sont un instrument privilégié pour l’exploration du fonctionnement psychique inconscient. L’image permet les représentations intermédiaires entre les choses et les mots. Elle permet le processus de symbolisation qui est semblable à certaines caractéristiques de l’inconscient. Par le biais des opérations symboliques, le lecteur tente de cerner son monde intérieur et environnant. L’image nourrit ses synthèses personnelles, influence ses gestes, ses comportements. L’image est l’expression d’un songe qu’elle illustre et explique, elle est la voie royale de l’ouverture au rêve et au psychisme. Elle permet au lecteur de se distancier de la réalité qu’elle transforme et recompose. Elle illustre ainsi le texte en le rendant sensible, en lui apportant une dimension féerique, imaginaire. L’image incite le lecteur à devenir l’être imaginant, prêt à rencontrer l’inconnu, l’imprévu, le mystère.
La BD porte ouverte sur l’inconscient collectif
5La BD ne renvoie pas une réalité bien délimitée dont elle serait le reflet, elle ne se renferme pas sur elle-même mais bien au contraire, elle traverse la réalité, l’épure, lui apporte une tout autre dimension, elle la manipule et la caricature. D’un côté, elle propose un monde enchanté, une utopie communautaire et écologiste (les Schtroumpfs) qui reflète, en creux, nos sociétés urbaines et faiblement rencontrantes. De l’autre, elle propose des univers désenchantés tout entier centrés sur l’un des maux du monde occidental. C’est ainsi qu’au cours de ses multiples aventures, Axle Munshine, le Vagabond des limbes (personnage créé par Christian Godard et Julio Ribera), explorera la planète Casino où tout, y compris la justice et la santé, se joue à la roulette, une planète de jouvence ou des gens âgés se réincarnent dans des corps neufs (ce qui n’est possible qu’en capturant de jeunes gens que l’on vide de leurs âmes), une planète où tout est prévu même la mort (ceux qui échappent à leur mort programmée sont des DEF, abréviation de défunts, et vivent comme des sauvages), etc. En jouant avec la doxa, en conjuguant nos mythes au futur (Le Dernier Troyen) et en envoyant le présent dans le passé (Blake et Mortimer), la BD se nourrit et nourrit en retour l’inconscient collectif.
6La BD est universelle. Elle s’adresse à toutes les classes sociales. C’est pourquoi, elle reflète les attentes et les angoisses d’une époque. C’est aussi un art graphique qui permet à l’auteur d’échapper à ses névroses et qui offre un plaisir narcissique ouvrant au lecteur les portes de son imaginaire. Un antidépresseur à consommer sans modération.
