1Bronislaw Geremek est mort dans un accident de la route le 13 juillet 2008. La Pologne et l’Europe lui ont rendu un hommage unanime en saluant un intellectuel devenu homme politique qui a mené un combat pour la démocratie et ensuite pour l’unification européenne.
2Né le 6 mars 1932 à Varsovie, dans une famille juive, il est privé d’enfance car il se retrouve enfermé dans le ghetto. Sauvé avec sa mère par un Polonais chrétien qui deviendra son beau-père, il se dit à jamais marqué par cette période qu’il n’a pas pu raconter.
3Étudiant, il décide de se consacrer à la vie intellectuelle en choisissant l’histoire du Moyen Âge comme domaine d’étude. Sa sensibilité sociale le dirigea très tôt vers la France où il put se rendre pour poursuivre ses recherches sur les marginaux et les pauvres au Moyen Âge. Sa thèse porta précisément sur les marginaux parisiens aux xive et xve siècles. Il effectua plusieurs séjours d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et il devint adepte de l’école des Annales. Il noua à cette occasion des liens très étroits avec les universitaires français, notamment Jacques Le Goff. Plus tard, dans les années 1960, il dirigea le Centre de civilisation polonaise à la Sorbonne.
4Devenu professeur à l’Université de Varsovie, il resta membre du Parti communiste polonais jusqu’au Printemps de Prague, moment où il quitta définitivement le Parti en signe de protestation contre l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie. Il devint alors un opposant actif au régime communiste en participant aux actions de l’« Université volante » et du KOR (Comité de défense des ouvriers). Figure emblématique du mouvement Solidarnosc, il a été l’un des négociateurs des « Accords de la Table ronde » qui ont abouti en Pologne à la passation pacifique du pouvoir en 1989.
5Exerçant ensuite de hautes fonctions publiques (député au parlement polonais, ministre des Affaires étrangères, président de la commission des Affaires étrangères du parlement polonais) il a été perçu en Pologne comme un homme politique de premier plan. Lech Walesa souhaitait le voir Président de la Pologne. Il lui vouait une amitié et une admiration qu’il comparait seulement à celles qu’il accordait au pape polonais. Tout le monde ne partageait pas cet enthousiasme pour le « Professeur ». Ses prises de positions ont souvent été controversées, notamment lors du débat sur la lustration en Pologne (voir l’article d’Andrzej Paczkowski dans le présent volume).
6Ce grand Européen, élu au parlement européen en 2004, s’est fait connaître pour sa culture et son art de présenter la voix des pays de l’Est avec nuance et fermeté. Polyglotte, excellent négociateur, Bronislaw Geremek était doté d’un véritable talent de pédagogue et il a souvent su convaincre là où les diplomates traditionnels échouaient. Ses activités politiques ne l’empêchaient pas d’exercer un rôle important au sein du Collège d’Europe de Bruges et de Natolin où il dirigeait la chaire de civilisation européenne. En 2006 il est devenu président de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe.
7Dans une Europe en voie de réunification après la chute du communisme à l’Est où les tensions idéologiques et les règlements de comptes ne manquent pas, cette figure de sage, passeur entre les deux Europe, entre les religions, entre les disciplines, entre l’Université et la politique, en disparaissant brutalement, a provoqué un vide qu’il sera difficile de combler.