CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre 2005 par l’Unesco constitue un document relativement aride pour le non-initié, dont on peut douter qu’il pénètre immédiatement toutes les arcanes. C’est pourquoi, en 2007, l’Unesco a fort commodément mis en ligne un « kit d’information » destiné à lui faciliter la tâche.

2Néanmoins, ni le kit en question, ni le texte de la Convention n’analysent les objections, parfois très vives, qu’a suscitées et que continuera probablement à susciter ce texte qui entend donner un cadre juridique international contraignant à la défense de la diversité culturelle. Pour mieux comprendre ces résistances, c’est sur un autre document que l’on s’appuiera : La Liberté culturelle dans un monde différencié (Rapport mondial sur le développement humain, 2004), publié par le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), dont l’un des principaux inspirateurs aura été Amartya Sen.

La « Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle » et les événements du 11 septembre 2001

3On fait souvent remonter la Convention à la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle et, puisque celle-ci a été adoptée à la suite des événements du 11 septembre 2001, on établit entre les trois une relation de cause à effet. Certes, le lien avec le 11 septembre est souligné par le Directeur général lui-même, Koichiro Matsuura, en préambule de la Déclaration, adoptée le 2 novembre 2001 (Matsuura, 2001). Quant au lien entre la Déclaration et la Convention, il est encore plus évident, la seconde en étant le prolongement direct. Mais ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg : la Convention est en réalité l’aboutissement d’un processus bien plus complexe, qu’il convient de situer dans un contexte historique plus large et dont on rappellera brièvement les quatre étapes essentielles :

  1. L’élargissement du concept de culture à celui de « diversité culturelle » (années 1950 et 1960).
  2. La prise de conscience des liens entre culture et développement (années 1970 et 1980) : « Pendant cette période, l’Unesco […] commence à mettre l’accent sur les emprunts réciproques entre pays et sociétés afin d’ouvrir la voie à un premier partenariat fondé sur un pied d’égalité » (Unesco, 2007, p. 3).
  3. La prise en compte des « aspirations et des fondements culturels dans la construction des démocraties » (années 1980 et 1990).
  4. La période présente (années 1990 et 2000) qui voit la mise en valeur du « dialogue des cultures et des civilisations » afin, notamment, « d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble entre personnes et groupes aux identités culturelles plurielles, variées et dynamiques » (ibidem).
Il est vrai que, dès son Acte fondateur (1946), l’Unesco avait été investie d’un double rôle : celui de « promouvoir la féconde diversité des cultures » et de « faciliter la libre circulation des idées, par le mot et par l’image ». Effectivement, la logique qui se dessine dans cette division quadripartite, c’est celle de la montée en puissance de la sphère culturelle, ce que Dominique Wolton appelle « l’autre mondialisation » (2003).

4Il y a enfin une reconnaissance de la réalité autonome de la culture, et l’on n’en reste plus à la simple déclaration de principes (ce qu’est, en substance, la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle). En effet, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles constitue un « instrument juridique international contraignant » (Unesco, 2007, p. 3), de loin le plus important à ce jour dans ce domaine : « Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du droit international, la culture trouve sa juste place sur l’agenda politique, dans un souci d’humaniser la mondialisation » (idem, p. 6).

5La Convention insiste en particulier sur les points suivants : « la nécessité de reconnaître que les biens et services culturels sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, et ne peuvent être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres » (idem, p. 4) ; « la nécessité pour les États de prendre toutes les mesures en vue de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles tout en assurant la libre circulation des idées et des œuvres » (ibidem) ; « la nécessité de redéfinir la coopération internationale, clef de voûte de la Convention, chaque forme de création portant en elle les germes d’un dialogue permanent » (ibidem).

6Notons aussi que la Convention sur la diversité des expressions culturelles de 2005 vient s’ajouter à d’autres conventions portant sur des domaines plus spécialisés :

  1. La Convention universelle sur le droit de l’auteur (1952, révisée en 1971).
  2. La Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (premier protocole 1954, deuxième protocole 1999).
  3. La Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (1970).
  4. La Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972).
  5. La Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique (2001).
  6. La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003).

Les résistances à la « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles »

7La Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle a été adoptée à l’unanimité. La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (Unesco, 2005) exigeait, pour être ratifiée, que 30 États y souscrivent, l’entrée en vigueur étant effective dans les trois mois suivants. Jamais une ratification n’aura été aussi rapide : elle fut acquise dès le 18 mars 2007, et l’on en était, en décembre de cette même année, à 75 parties contractantes (74 pays et l’Union européenne en tant qu’organisation d’intégration économique régionale). Cependant, pour être véritablement suivie d’effets, la Convention devrait se donner pour objectif d’atteindre la masse critique de 125, voire de 150 États (Pilon, 2007). Dans ces conditions, comment s’expliquent les réticences, voire les oppositions tranchées qui demeurent ?

8Deux cas de figure principaux se dégagent : le premier est celui de l’« exception culturelle » (Cohen, 2004), dont le Canada et la France ont été les principaux défenseurs, avant d’obtenir gain de cause. Dans ce domaine, la principale résistance se situe du côté des États-Unis, qui ont été les seuls, avec Israël, à voter contre la Convention, alors que 148 Etats ont voté pour (quatre se sont abstenus). Pour être tout à fait complet, il faudrait remonter au cycle de l’Uruguay Round ou des accords de l’ALENA entre le Canada et les États-Unis (Pnud, 2004, p. 96), mais le cas est suffisamment connu pour qu’on n’ait pas besoin d’y revenir ici (Mattelart, 2005). L’opposition des États-Unis a été surmontée, mais les problèmes liés à la mise en œuvre de la Convention n’en sont pour autant complètement résolus.

9Un deuxième cas de figure est, cependant, à prendre en considération. Nous vivons aujourd’hui dans un monde ayant à faire face à la montée des revendications identitaires, qui, si elles sont mal gérées, sont susceptibles de déboucher sur des conflits d’une extrême violence. Le rapport La Liberté culturelle dans un monde différencié ne sous-estime pas cette éventualité, mais considère qu’il est également possible de les gérer de manière positive. Or, pour cela il faut se débarrasser de cinq « mythes » (Pnud, 2004, p. 2-5) :

  1. Les identités ethniques des individus font concurrence à leur attachement à l’État ; il faut donc trouver un compromis entre la reconnaissance de la diversité et l’unité de l’État.
  2. Les groupes ethniques sont enclins à entrer violemment en conflit entre eux sur des valeurs incompatibles ; il faut donc trouver un compromis entre respect de la diversité et maintien de la paix.
  3. La liberté culturelle nécessite de protéger les pratiques traditionnelles ; il faudrait donc trouver un compromis entre la reconnaissance de la diversité culturelle et les autres priorités du développement
    humain, telles que le progrès économique, la démocratie ou les droits de l’homme.
  4. Les pays ethniquement divers sont moins aptes à se développer ; il y a donc un compromis à établir entre le respect de la diversité et la promotion du développement.
  5. Certaines cultures sont plus susceptibles que d’autres de se développer, et les valeurs démocratiques sont inhérentes à certaines cultures alors que ce n’est pas le cas pour d’autres ; il faut donc trouver un compromis entre la prise en compte de certaines cultures et la promotion du développement et de la démocratie.
Une des conclusions auxquelles aboutit le rapport est la suivante : « Les identités culturelles des individus doivent être reconnues et l’État doit leur accorder une place. Les individus doivent être libre d’exprimer ces identités sans être victimes de discrimination dans d’autres domaines de leur existence. » (idem, p. 6). Or c’est une question qui est loin d’aller de soi dans un grand nombre de pays, que ce soit dans le monde occidental ou ailleurs.

Conclusion

10La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ne concerne pas tous les aspects de la diversité culturelle (Unesco, 2007, p. 4). Néanmoins, elle présuppose la reconnaissance, à terme, du droit à la diversité culturelle à l’intérieur de chaque État signataire, avec toutes les implications politiques que cela entraîne. C’est là sa force mais également sa faiblesse : elle dépend de la volonté des États. Et, à parcourir le Rapport mondial sur le développement humain, 2004, du Pnud il n’est pas sûr que celle-ci soit toujours très affirmée. Bien au contraire ! Voilà pourquoi l’Unesco a bien fait de mettre en place des « mécanismes de suivi » (Conférence des parties, Comité intergouvernemental) et un « organisme de règlement des différends ». Pour que la Convention, sous sa forme actuelle, marque véritablement un tournant, encore faut-il que les États s’en donnent les moyens.

Français

On fait souvent remonter la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles à la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle et aux événements du 11 septembre 2001. Les points clés de la Convention ne sont pas à placer uniquement dans cette perspective, mais également dans celle de la montée en puissance des questions d’ordre culturel depuis 1945. Ces points clés marquent un tournant, dans la mesure où la Convention n’obéit plus à la logique traditionnelle de l’État-nation. C’est là leur force et leur faiblesse, car c’est de la volonté des États que dépend leur mise en œuvre.

Mots-clés

  • Convention de l’Unesco
  • Déclaration universelle de l’Unesco
  • événements du 11 septembre 2001
  • diversité des expressions culturelles
  • États-nations
  • politiques culturelles

Références bibliographiques

  • Cohen, E. « Économie de l’exception culturelle », document d’appui pour Pnud, La Liberté culturelle dans un monde diversifié (Rapport mondial sur le développement humain, 2004), Paris, Economica, 2004. En ligne sur <http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr2004/chapters/french/>.
  • Matsuura, K., « Préambule », Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, Paris, Unesco, 2002. En ligne sur <http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001271/127160m.pdf>.
  • Mattelart, A., « Bataille à l’Unesco sur la diversité culturelle », Le Monde diplomatique, octobre 2005. En ligne sur <http://www.monde-diplomatique.fr/2005/10/mattelart/12802>.
  • Pilon, R., « La Convention de l’Unesco sur la diversité culturelle entre en vigueur demain », Le Devoir, 17-18 mars 2007. En ligne sur <http://www.ledevoir.com/2007/03/17/135336.html>.
  • Pnud (Programme des Nations Unies pour le développement), La Liberté culturelle dans un monde diversifié (Rapport mondial sur le développement humain, 2004), Paris, Economica, 2004. En ligne sur <http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr2004/chapters/french/>.
  • Unesco, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Paris, 2005. En ligne sur <http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-url_id=33232&url_do=do_topic&url_section=201.html>.
  • Unesco, Dix clés pour la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Paris, 2007. En ligne sur <http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-url_id=35405&url_do=do_topic&url_section=201.html>.
  • Wolton, D., L’Autre Mondialisation, Paris, Flammarion, 2003.
Michaël Oustinoff
Michaël Oustinoff est maître de conférences HDR à l’Institut du monde anglophone, Université Paris III - Sorbonne Nouvelle, et membre du Tract (Traduction et communication transculturelle anglais/ français - français/anglais) au sein de l’EA 3980 LILT. Il fait également partie du comité de rédaction de la revue Palimpsestes et il a, entre autres, publié Bilinguisme d’écriture et auto-traduction. Julien Green, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov (L’Harmattan, 2001) et La Traduction (coll. « Que sais-je ? », PUF, nlle éd. 2007).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/24177
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...