CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La scène politique internationale fut fortement perturbée pendant les premiers mois de l’année 2003 à cause de la crise irakienne, entraînant des désaccords entre les États européens qui ne firent que s’aggraver lorsque le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld, utilisant une « typologie » assez peu diplomatique, opposa la « vieille » Europe, l’adjectif étant épuré de toute connotation positive, à la « nouvelle » Europe, seule capable de prendre des décisions énergiques et rapides.

2La « Lettre des huit pays » ralliés à Washington – à laquelle se joignirent, sous le nom de « groupe de Vilnius », des pays de l’Europe autrefois communiste, candidats à l’entrée dans l’Otan, y compris la Roumanie et la Bulgarie – aggrava la crise par leur prompt alignement sur la position américaine. Le président Jacques Chirac réagit à cette situation dans une conférence de presse (lundi 17 février 2003), par des déclarations sévères à l’adresse de ceux qui, quoique candidats à l’entrée dans l’UE, avaient choisi, en exprimant leur option transatlantique, d’ouvrir une faille dans l’unité européenne.

3Comme on pouvait s’y attendre, les propos de Jacques Chirac furent tout de suite largement commentés dans la presse roumaine : mais auparavant il aura fallu qu’on les traduise, et cette traduction ou, mieux, ces traductions (car presque chaque journal a produit sa propre version des phrases de Chirac sur l’appui de la Roumanie à la position américaine) en disent long sur le métier du traducteur et du malaise d’une profession en manque de repères éthiques.

Séquences analysées

4Voici, dans l’ordre où elles furent prononcées par le président français (Le Monde diplomatique, 2006), les séquences des réponses aux questions des journalistes qui allaient déchaîner un tollé dans la presse écrite de Roumanie :

  1. « Concernant, en tous les cas, les pays candidats, je ne parle pas des pays qui ne sont pas candidats, mais des pays candidats, honnêtement, je trouve qu’ils se sont comportés avec une certaine légèreté. Car entrer dans l’Union européenne, cela suppose tout de même un minimum de considération pour les autres, un minimum de concertation. Si, sur le premier sujet difficile, on se met à donner son point de vue indépendamment de toute concertation avec l’ensemble dans lequel, par ailleurs, on veut entrer, alors, ce n’est pas un comportement bien responsable. En tous les cas, ce n’est pas très bien élevé. Donc je crois qu’ils ont manqué une bonne occasion de se taire. »
  2. « Or, il suffit d’un seul pays qui ne ratifie pas par référendum pour que cela ne marche pas. Donc, ces pays ont été, je dirais, à la fois, disons le mot, pas très bien élevés et un peu inconscients des dangers que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine. »
  3. « Je trouve que la Roumanie et la Bulgarie ont été particulièrement légères de se lancer ainsi, alors que leur position est déjà très délicate à l’égard de l’Europe. Si elles avaient voulu diminuer leurs chances de rentrer dans l’Europe, elles ne pouvaient pas trouver meilleur moyen. »
Ces trois séquences sont des fragments – probablement ceux que la presse roumaine a considéré comme les plus provocateurs – extraits de la réponse donnée par Chirac à deux questions différentes : la première demandait au président français de se prononcer (séquences 1 et 2) sur la « mini-crise » née de la crise irakienne en réaction à la lettre du groupe de Vilnius ; l’autre lui demandait d’expliquer pourquoi il faisait une différence entre ce que pouvaient se permettre, d’une part, les pays récemment admis dans l’UE qui avaient co-signé la Lettre des huit, et, d’autre part, les pays candidats, dont l’attitude, quoique similaire à celle des autres pays, lui avait semblé inacceptable. La séquence 3 était précédée par la clarification suivante de Jacques Chirac : « Parce que les uns sont candidats et que les autres sont déjà dans la famille. Quand on est dans la famille, on a tout de même plus de droits que lorsque l’on demande à entrer, que l’on frappe à la porte. Vous comprenez, je ne critique personne. Mais ce n’est pas convenable. »

5Du point de vue de l’organisation du discours, la réplique de Chirac sur la « mini-crise » est parfaitement structurée : la différence entre les pays membres et les candidats est axée sur la dichotomie dedansdehors. Lorsqu’on est dedans, on a des droits dont ne bénéficient pas ceux qui sont dehors ; il ne sied pas de prétendre, lorsqu’on frappe à une porte, avant même qu’elle ne s’ouvre, avoir des droits ; celui qui manque aux règles de courtoisie n’est ni bien élevé, ni raisonnable. Le registre de ce petit récit moralisateur est, d’un bout à l’autre, homogène : c’est l’histoire, ancestrale, du bon fonctionnement de la famille. Ces éléments-là auraient dus être rendus dans la langue cible, quelle qu’elle soit, par un traducteur respectueux de la déontologie de sa profession.

6Le thème, à savoir qu’une union fonctionne en vertu de règles, d’un code librement accepté, fondé sur la solidarité et le respect réciproque, est développé par un enchaînement d’arguments qui structurent le discours, en le projetant dans un registre moralisateur par le biais du modèle de la famille. Ceux qui en font déjà partie doivent respecter le code, tout en bénéficiant d’une certaine marge de liberté dans l’observation de ses normes, liberté dont ne sauraient jouir ceux qui, se trouvant dehors, aspirent à y être acceptés, sous peine d’être accusés de duplicité et d’avoir une position immorale et inconvenante. La cohérence sémantique du texte émane ainsi de l’axiome qui place implicitement le signe de l’identité entre l’UE et une famille : c’est aussi ce qui doit se retrouver dans la traduction, à condition que le traducteur ou la traductrice ne se découvre pas des velléités de mari ou d’épouse adultères.

Traduction et déontologie journalistique

7Selon les théories fonctionnalistes de la traduction, le texte journalistique, la déclaration officielle, le document politique font partie des textes « à dominante informative » (Reiss, 2002, p. 44-48). Sans minimiser les liens indissolubles entre la forme et le fond, le texte informatif, étant axé sur le contenu, doit être traduit en fonction des rapports entre sa forme et sa sémantique, sa grammaire et sa stylistique, d’autant plus que, dans certaines de ses sous-espèces, la forme respecte des normes très strictes. Mais ce qui prend le dessus dans la traduction de pareils textes c’est à chaque fois le contenu informationnel, autrement dit le thème et les arguments, et ceux-ci doivent être intégralement traduits. D’autre part, la traduction des textes de presse dont nous nous occupons ici est d’un genre à part : jamais signée en tant que telle, elle reste insérée dans un éditorial ou un commentaire journalistique, et son signataire devient ainsi auteur de la traduction, dont il assume implicitement la responsabilité.

8À la limite, il ne s’agit même pas d’une traduction au sens propre du terme : « Une traduction n’existe pleinement que grâce à la croyance, de la part du récepteur, que tel texte, nommé traduction, a été produit selon un processus qui s’appelle le traduire, et que tel autre, nommé source ou original, est le point de départ de ce processus…» (Pym, p. 76). Ce que Anthony Pym appelle « pseudo-traduction » pose avec une acuité encore plus grande le problème de la responsabilité du traducteur, dont dépend l’état dans lequel l’original sera livré au récepteur.

9D’autant plus que cette catégorie très spéciale de traducteurs doit résoudre le problème (schizophrénique) de la scission de la personnalité : auteurs d’éditoriaux, là où la subjectivité, les convictions intimes, conduisent le fil de l’argumentation, ils semblent être en même temps traducteurs, autrement dit responsables, pour ainsi dire, de la sauvegarde du sens de séquences textuelles exprimées dans une autre langue que leur langue maternelle, avec lequel ils ne sont pas toujours en accord, et qui, une fois inséré dans leur propre texte, les obligerait à le respecter (au moins tant qu’ils endossent les vêtements du traducteur). On s’aperçoit, en analysant les éditions du mercredi 19 février 2003 des plus grands quotidiens roumains, que la plupart d’entre eux ont eu grand-peine à gérer simultanément cette double personnalité.

Analyse des décalages entre texte source et texte cible

10L’article de fond de Adevarul utilise deux traductions différentes pour une partie de la séquence 3, la première figurant dans le sous-titre de la une, inexacte du point de vue de l’organisation des temps verbaux. La modulation de la formule positive du début de la phrase, « Si elles avaient voulu », est rendue en roumain par une négation appuyée, nici daca [1], qui modifie l’équilibre des accents et la focalisation de la phrase, en surenchérissant l’agressivité du verdict :

11« Si elles avaient voulu diminuer leurs chances de rentrer dans l’Europe, elles ne pouvaient pas trouver meilleur moyen. »

12« Nici daca ar fi dorit sa-si diminueze sansele de a intra în Europa nu gaseau o cale mai potrivita. »

13Cette version est d’ailleurs reprise dans le corps même de l’article, mais dans une variante retouchée, comme si Jacques Chirac s’était paraphrasé lui-même, atténuant en cours de route la sévérité de ses propres opinions.

14La traduction de la séquence 2, qui renvoie explicitement à l’attitude de la Roumanie et de la Bulgarie, a été tronquée, pour n’en reproduire que la partie la plus tranchante, en supprimant en même temps les nuances atténuant le ton dur de la réplique. Le président français avait cependant pris le soin diplomatique d’introduire sa phrase par une formule adoucissante et un conditionnel qui centraient le verdict sur une opinion explicitement exprimée en son propre nom (« Donc, ces pays ont été, je dirais, à la fois, disons le mot […] »), et non par une voix impersonnelle proclamant des vérités absolues, comme dans la version roumaine (« s-au dovedit, în acelasi timp, nu foarte bine crescute, si un pic inconstiente de pericolele pe care le presupune o aliniere prea rapida la pozitia americana »).

15L’analyse des erreurs qui s’accumulent dans la traduction des extraits de la conférence de presse donnée par Jacques Chirac dans Curentul, dans le commentaire signé par Andreea Enea, pourrait recouvrir à lui tout seul des pages entières. « Declaratia de la Vilnius a aratat ca tarile semnatare sunt prost crescute si, în acelasi timp, inconstiente » : difficile d’imaginer que le président d’un pays européen – et d’autant plus d’un pays dont la tradition dans le maniement de la rhétorique diplomatique est celle de la France – pourrait s’exprimer ainsi ! Si Chirac avait voulu dire, sans mettre de gants « prost crescut », il aurait dit « mal élevés » : mais son comportement linguistique est à la mesure de sa fonction, et il choisit soigneusement le registre approprié. La première partie de la phrase ne se retrouve même pas dans les propos de Chirac, qui, au contraire, fait une différence entre les pays candidats et les pays non candidats, en soulignant qu’il ne commente que l’attitude des premiers.

16Le président français dit alors « pas très bien élevés et un peu inconscients ». Nous sommes très loin de la brutalité de la phrase roumaine, qui n’est pas sans rappeler certaines particularités du discours politique autochtone. La traductrice a bien « simplifié » sa tâche en ne se posant pas la moindre question éthique : la modération de « un peu inconscients » s’est transformée tout simplement en « inconstiente », pour ne rien dire de « pas très bien élevés », qui est devenu « prost crescute ».

17Force est de reconnaître ici un des procédés décrits par Jean-Pierre Vinay et Jean Darbelnet (1977) : la traduction procède à un changement radical du point de vue en présentant sous une lumière négative ce qui était vu dans l’original sous un angle positif, avec, comme conséquence, la modification de l’intentionnalité sémantique du texte source mais aussi de l’intentionnalité pragmatique du texte cible auprès du récepteur roumain. Une chose est de dire que quelqu’un n’est pas très bien élevé, où bien comporte une charge positive, qui atténue le sens du terme qu’il détermine, une autre de lui dire carrément qu’il est mal élevé.

18La plupart des traductions que nous avons consultées ont changé l’ordre original des séquences, avec la conséquence que la séquence 3, qui conclut tout un parcours argumentatif, se métamorphose en verdict dont les prémisses restent obscures et dont l’avertissement se transforme en admonestation. Ce genre de traduction journalistique est basée sur la manipulation de l’original, les desiderata de la fidélité étant court-circuités en faveur d’une logique journalistique visant à créer un événement médiatique. Dans le cas présent, les traductions dilatent l’agressivité du texte source pour obtenir l’effet escompté, en occurrence l’appel à l’orgueil (national) blessé du récepteur.

19Le leitmotiv de l’amitié multiséculaire, avec tout son éventail de clichés du type « Bucarest – petit Paris » ou « la France, sœur aînée de la Roumanie », la fierté d’appartenir à la francophonie, etc., se pulvérisent à une vitesse directement proportionnelle à l’accroissement de la densité des termes qui renvoient à l’orgueil national lésé : choisissant un lexique non seulement marqué, familier à l’excès face au ton neutre du registre standard d’origine, les éditorialistes-traducteurs refusent de manière délibérée et symbolique le lexique d’origine française et latine, en lui préférant un lexique d’origine slave, magyare ou turque.

20Lorsque cependant ils recourent au lexique d’origine française ou latine, ces mêmes éditorialistes-traducteurs s’expriment dans des termes qui vont du degré zéro du registre informatif (« le président Chirac attaque durement », dans Adevarul), jusqu’à parler du « chantage » ou des « tactiques d’intimidation » de la France (dans Ziarul de Iasi), d’un Chirac qui nous « accuse », de la France qui « nous élimine de l’Europe » (dans Jurnalul national) ou qui « tire les oreilles des Est-Européens » (dans Evenimentul zilei), en passant par des paronomases plus ou moins inspirées comme « Jac et Irak » (dans Evenimentul zilei) ou « Chirac la atac » (Chirac attaque) comme dans Curentul, où l’on titre aussi que le président français nous « insulte et pratique le chantage ».

21La problématique européenne est ainsi transposée, par un terrible malentendu, dans un registre spécifique aux États-nations du xixe siècle, avec leurs rapports de force, très loin de l’organisation européenne qui se veut le garant de rapports démocratiques basés sur la consultation, la négociation et la solidarité. De là, il n’y a plus qu’un pas à faire jusqu’à la barrière symbolique de la langue porteuse d’une idéologie de type colonialiste, suggérée d’ailleurs dans Ziarul de Iasi, où l’on annonce que, assumant la désillusion de Romano Prodi, la Commission européenne… « vorbeste frantuzeste » (parle français !).

22Le recours à ce registre lexical ne rajoute pas seulement de la couleur au profil d’un « événement » médiatique, mais, ce qui est encore plus grave, trahit lourdement l’isotopie de base du texte source, la symbolique de la famille, en la déplaçant vers celle de l’orgueil national blessé, des relations de type dominé-dominant et, à la limite, infériorité-supériorité : ce n’est pas par hasard si ce lexique ressuscite les périodes de domination turco-phanariotes dans la mémoire collective. Les « journalistes-traducteurs » ont eu des difficultés non seulement à construire la cohérence sémantique de leur version, mais aussi à trouver le registre conforme au texte source.

23L’analyse de ce type de traduction journalistique fait ainsi ressortir le danger auquel on s’expose lorsqu’on fait du skopos, l’objectif ultime de l’acte traductif, autrement dit, lorsque, en l’absence de toute « considération éthique » qui ne saurait s’exercer que dans le respect de la lettre et de l’intentionnalité du texte source, on préfère à la traduction par équivalences sémantiques une traduction de type ethnocentrique, qui surenchérit l’effet visé auprès du récepteur.

24Au traducteur de bien déchiffrer la visée éthique et, ensuite, d’en évaluer les exigences en fonction du type de texte à traduire, avant d’assumer la tâche de sa transposition en langue cible. Une décision comme celle de traduire « pas très bien élevé » par « prost crescut » (mal élevé), par une modulation qui trahit le genre même du texte source, aurait pu être évitée par une analyse traductologique, dont la qualité dépend de l’éthique qui sous-tend l’acte traductif et de la responsabilité de celui qui l’assume. L’embarras d’une décision responsable est due aussi au fait que le traducteur ne se déplace pas dans un espace homogène mais, au contraire, qu’il a la mission délicate (et, encore un fois, la responsabilité) d’assurer l’équilibre entre des espaces hétérogènes – la culture du texte original et de celle où va s’inscrire la version traduite – dans lesquels s’ouvrent parfois de profondes failles.

25La plupart des traductions des déclarations de Jacques Chirac sont faites en fonction du « client », le journal pour qui travaillent les « journalistes-traducteurs », et de l’horizon d’attente du lecteur sympathisant de sa ligne politique, dans l’esprit d’une « responsabilité » exagérée envers celui-ci. Ainsi, la construction argumentative du texte source, dont la cohérence sémantique se cristallise autour du thème symbolique de la famille et de son code de conduite, est brutalement modifiée.

26Il aura fallu expulser les réseaux sémantiques renvoyant au code de conduite selon lequel fonctionne une union pour que ces traductions outrageusement ethnocentriques leur substituent des thèmes totalement absents du texte source, en le rendant ainsi contradictoire dans son essence argumentative. L’orgueil national blessé, l’autonomie de l’État-nation, thèmes développés dans les paratextes où sont insérées ces traductions, ravivent, en s’aidant de la charge symbolique d’un lexique d’origine turque, slave ou magyare, un passé où les rapports entre les États étaient axés sur la dichotomie opprimant/opprimé.

Conclusion

27Le but de la traduction, c’est-à-dire la transmission du contenu du texte original est massivement raté : au message source, qui parlait des mécanismes de la coopération et, le cas échéant, du consensus obtenu par négociation, on a substitué en cours de route, via le processus de traduction, la révolte blessée et belliqueuse du persécuté. Au lieu de servir l’intercompréhension, ce qui est la tâche même de la traduction, celle-ci ne fait qu’approfondir la mésentente, confirmant ainsi la belle définition de Walter Benjamin de la mauvaise traduction : la « transmission inexacte d’un contenu inessentiel ».

28La traditionnelle métaphore du traducteur-passeur entre deux cultures peut tourner en stéréotype ou en « métaphore complaisante » : ce qui est importe n’est pas de faire passer, observait Henri Meschonnic (1999, p. 17), mais « dans quel état arrive ce qu’on a transporté de l’autre côté. Dans l’autre langue. Charon aussi est un passeur. Mais il passe des morts. Qui ont perdu la mémoire ». En ce sens, les traducteurs des textes qu’on a analysés ne sont pas des professionnels, car ils ont métamorphosé l’original, en le maltraitant et en modifiant son intentionnalité pour l’exploiter dans leurs propres intérêts : leurs traductions rejoignent la « grande masse de traductions qui, intentionnellement ou par stratégie de parti pris instinctif, lit et interprète l’original en le travestissant à des fins de prosélytisme, de propagande ou de polémique » (Steiner, 1997, p. 181).

29Or, pour qu’une traduction existe en tant que telle, et non pas comme paraphrase, résumé, pastiche, « belle infidèle », elle doit entretenir une certaine relation avec le texte source : le traducteur qui n’a pas acquis une identité interculturelle, grâce à laquelle la filiation qui le rattache à sa langue maternelle s’harmonise avec son statut de « fils naturel » de la culture « étrangère », ne pourra jamais apprendre l’art exact de la traduction : « Le texte original a engendré la traduction et doit conserver sa présence génératrice au sein de la traduction, quels que soient le brio et l’immense fortune de celle-ci. Le texte doit demeurer “commun aux deux”, à l’auteur et au traducteur, même où – peut-être doublement où – le statut autonome de l’auteur, son auctoritas, se trouve assombri par le temps et la distance linguistique. […] Cette préservation – serva – est le produit d’un art exact » (ibid., p. 186). C’est dans ce désir de préservation que se profile l’éthique de la traduction.

Note

  • [1]
    Pour des raisons d’ordre typographique, les caractères spécifiques à la langue roumaine (aussi bien pour les voyelles que pour les consonnes) n’ont malheureusement pu être conservés. L’orthographe a été adaptée en conséquence.
Français

Cet article propose une analyse des traductions roumaines, parues dans les quotidiens de Roumanie, de trois séquences extraites de la conférence de presse donnée par Jacques Chirac le 17 février 2003, lorsque la « mini-crise » irakienne provoquée par l’alignement des pays est-européens, parmi lesquels la Roumanie, sur les positions américaines, battait son plein. Les traducteurs étant en même temps les auteurs des éditoriaux où sont insérées ces traductions, la fidélité au texte source est lourdement mise à mal.
Tiraillé entre deux désirs contradictoires, d’une part, la fidélité au texte source, de l’autre, le désir de venir au devant de ses récepteurs, le (pseudo-)traducteur finit par faire le deuil de l’éthique de sa profession.

Mots-clés

  • traduction journalistique
  • pseudo-traducteur
  • pseudo-traduction
  • éthique de la traduction

Références bibliographiques

  • Conférence de presse de M. Jacques Chirac (17 février 2003). En ligne sur le site du Monde diplomatique, 2006 : <http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/europe/conf-chirac>.
  • Meschonnic, H., Poétique du traduire, Paris, Verdier, 1999.
  • Pym, A., Pour une éthique du traducteur, Arras, Artois Presses Université et Presses de l’Université d’Ottawa, 1997.
  • Reiss, K., La Critique des traductions, ses possibilités et ses limites, trad. de l’allemand par Catherine Bocquet, Artois Presse Université, Cahiers de l’Université d’Artois, n° 23, 2002.
  • Steiner, G., Passions impunies, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Louis Évrard, Paris, Gallimard, 1997.
  • Vinay, J.-P., Darbelnet, J., Stylistique comparée du français et de l’anglais. Méthode de traduction, Didier, Paris, 1958 (nlle éd., 1977).
Magda Jeanrenaud
Magda Jeanrenaud, maître de conférences au département de français de l’Université Alexandru Ion Cuza de Iasi (Roumanie) et auteur notamment des ouvrages Introduction à la poétique (en français, Presses universitaires de Iasi, 1995), Tzvetan Todorov. De l’hégémonie du modèle linguistique à l’horizon de l’éthique (en roumain, Presses universitaires de Iasi, 1999) et Les Universaux de la traduction. Études de traductologie (en roumain, Polirom, 2006). Elle a traduit en roumain de nombreux ouvrages de sciences humaines et travaille actuellement à un dictionnaire de termes et de notions de traductologie.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/10/2013
https://doi.org/10.4267/2042/24137
Pour citer cet article
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