CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il y aurait toute une histoire à écrire sur l’impulsion donnée par l’Église catholique en matière de conception, d’enseignement, de formation et d’encouragement à l’utilisation des techniques de diffusion.

2L’ambition de cet article est moindre, puisqu’il s’agit seulement de présenter le rôle de certaines figures clés dans le développement de la discipline de la communication en Belgique, en ce qui concerne l’enseignement et la recherche.

3On notera que le vocable « techniques de diffusion » utilisé par l’Église catholique se veut plus large que celui, davantage contemporain, de médias, puisqu’il recouvre à côté de la presse, les relations publiques et la publicité, ainsi que l’ensemble des outils d’information et de divertissement.

4En outre, dans la conception de l’Église, l’expression « utilisation des techniques de diffusion » est à prendre dans son sens polysémique le plus large. À savoir usage par l’ensemble des agents du secteur de l’information, depuis les techniciens d’imprimerie jusqu’aux dirigeants de presse, en passant par les producteurs de textes, d’images et de maquettes. Également usage par ceux qui « reçoivent et accueillent » les techniques de diffusion comme « de merveilleux instruments de savoirs, de connaissances et de formation des opinions et des représentations ».

5En effet, l’Église catholique a, dès 1948, proposé une conception très large de l’information, comme résultat d’un travail collectif. L’inscription sous-jacente ne se réduit pas à celle de la constitution d’un corps d’agents producteurs, les journalistes, mais s’étend à la formation d’une « foule » de personnes contribuant à l’exécution de la production, de la diffusion et de la transmission des informations et des opinions. La vision pragmatique des techniques de diffusion par l’Église peut ainsi se rapprocher de la visée sociologique théorisée par Howard Becker (1982) en matière du monde de l’art. Ce n’est pas le travail exclusif du journaliste qui permet aux médias d’exister et de se développer, tout comme ce n’est pas l’artiste seul qui crée, produit ou fait l’art.

Une intéressante homologie structurale

6En 1992, Sandrine Jacquet [1] réalisa à l’Université de Liège, sous la direction d’Yves Winkin, un mémoire montrant que les milieux du catholicisme social contribuèrent pour une grande part à la propagation de la discipline des relations publiques en Belgique. L’auteur étaye son argumentation par le fait que les missions économiques, envoyées aux États-Unis par l’Office belge pour la productivité (Obap), dans le cadre de l’impulsion du plan Marshall, ont concouru à récolter un vaste ensemble de connaissances sur la façon dont se développaient les États de l’Union. Elle épingle tout particulièrement le fait que, sur base de leur représentation propre de l’économie, les cadres et fonctionnaires chrétiens ayant pris part à ces voyages ont été frappés par les techniques d’information, de relations publiques et de relations humaines. Comme l’écrira Jacques Ellul en 1963, ils remarquèrent que l’entreprise était devenue un agent d’information sur elle-même et de relations avec tous ceux qui composent son environnement. Cette appropriation particulière par les chrétiens des relations humaines et des relations publiques pratiquées en Amérique à l’époque s’explique, aux yeux de S. Jacquet, par une certaine « proximité mentale » voire par une homologie structurale, selon les termes empruntés à Erwin Panofsky, entre les conceptions chrétiennes de l’économie et de la société d’une part et « l’idéologie » des relations publiques d’autre part.

7Ainsi, le côté humain, voire humaniste des relations publiques à l’américaine trouva écho auprès de ces dirigeants et cadres supérieurs chrétiens faisant partie des personnalités qui prirent part aux missions de l’Obap. Ils pensaient y trouver un modèle de développement qui attribue à l’homme une place au sein de la société. Dès lors, ce sont essentiellement ces personnalités-là qui vont contribuer à la diffusion des relations publiques en Belgique en introduisant dans le pays l’idée de l’importance pour les entreprises, les administrations et les organisations publiques de soigner leurs relations et d’introduire de l’humain dans leur gestion sociale et informationnelle. La lecture donnée aux relations publiques par les chrétiens de l’époque consista en une interprétation des relations publiques américaines à la lueur de leurs propres convictions, d’autres personnes y voyant surtout des techniques de management, plus ou moins proches du marketing.

8Certes, le premier ouvrage publié en Belgique qui fait date fut rédigé par le Suisse Éric Cyprès, conseiller en relations publiques en Belgique, mais très vite le relais est pris par des chrétiens plus ou moins militants, dont certains contribueront à la naissance de l’Adic (Association des dirigeants et cadres chrétiens, fondée en 1963 dans la foulée de l’Association des patrons et ingénieurs catholiques). William Ugeux, qui rédigera un livre fort remarqué, Les Relations publiques, une nouvelle fonction sociale, est une figure particulièrement influente de ce mouvement, puisqu’il contribua très largement à la propagation de « ce que sont les relations publiques » par des conférences, des cours à l’UCL (Université catholique de Louvain), la création d’associations corporatives et une activité professionnelle en tant que responsable de l’information étatique ou gouvernementale.

9Malgré une expérience du Congo belge limitée à quelques voyages, il fut nommé en 1955 directeur général d’un nouvel institut chargé de montrer les aspects positifs de la Belgique dans son œuvre coloniale, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et des infrastructures. Inforcongo, office de l’information et des relations publiques pour le Congo et le Rwanda-Urundi, contribua à améliorer l’image de la Belgique sur la scène internationale et nationale, et à réaliser de grandes campagnes de communication et d’information au Congo.

10Revenu en Belgique, à la suite de l’indépendance du Congo, William Ugeux créa en 1961 avec Arthur Haulot et Jan Van Overloop une association sans but lucratif, chargée de continuer dans le pays l’œuvre de défense d’image commencée au Congo. Il lui donna le nom d’Inbel (Institut belge d’information et de documentation). Une année plus tard, « le gouvernement Lefèvre-Spaak officialisa l’existence d’Inbel en transformant l’ASBL en établissement d’utilité publique, en le dotant d’un conseil d’administration pluraliste et en le plaçant sous la tutelle du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères » (Balteau, 1997, p. 143). Comme le dit William Ugeux, « Inbel fut le fruit d’une longue réflexion. Il me paraissait évident qu’il fallait doter l’État belge d’un appareil d’information » [2]. Parce que « gouverner, c’est faire de l’information ».

Non seulement les relations publiques, mais avant elles le journalisme

11Présenté ci-dessus comme un des grands artisans et diffuseurs en Belgique des relations publiques, William Ugeux est davantage connu encore pour le rôle considérable qu’il joua précédemment, entre 1936 et 1955, comme directeur de journaux quotidiens, qu’il s’agisse du xxe Siècle, de La Cité nouvelle ou de La Cité, et pour sa contribution intellectuelle au groupe de réflexion politique La Relève. Celui qui se considérait, sans fausse modestie, mais avec une fameuse dose d’humour, comme « le grand-oncle de Tintin [3] » et comme « le grand-père de la presse belge » fut avant tout un homme d’opinion, très ouvert au pluralisme, et de presse, marquant profondément le journalisme belge.

12Dans ce domaine, tout comme en relations publiques, il contribua grandement au développement de l’enseignement et de la recherche universitaires. Déjà, à Londres, durant l’exil dû à la Seconde Guerre mondiale, William Ugeux, avec quelques autres chrétiens [4], avait envisagé la création d’un « Institut des techniques de diffusion », qui sera proposé dès 1945 au recteur de l’UCL. Dans la foulée, ce dernier annonça son intention de fonder un enseignement supérieur de journalisme et le mettra en place.

13Les premiers enseignants désignés furent, du côté francophone [5], Marc Delforge et Jean Vieujean, ainsi que Maurice Hankard, directeur de la radio et Victor Bachy, spécialiste du cinéma et animateur de ciné-clubs, c’est-à-dire des personnalités fortement marquées par une perspective chrétienne de la vie économique et sociale. Comme William Ugeux et comme Vincent Levaux quelques années plus tard, ils sont profondément convaincus que la finalité de l’économie réside moins dans la génération de bénéfices que dans la constitution d’un bien-être social généralisé. William Ugeux les rejoignit en 1955 pour donner un cours de droit et de déontologie de l’information et des séminaires de journalisme, et patronner l’enseignement en relations publiques.

14Avec le concours de ces diverses personnalités naquit ainsi, au sein de l’UCL, une « Section spéciale des techniques de diffusion et relations publiques ». La large ouverture à l’ensemble des techniques de diffusion correspond au vœu exprimé par Pie XII, le 8 septembre 1957, dans son encyclique Miranda prorsus. Fut ensuite fondé en 1961 le Centre des techniques de diffusion et de relations publiques (Cetedi) qui se développa grâce à l’aide d’une série de jeunes universitaires engagés comme assistants-chercheurs.

15Les premières recherches quantitatives et qualitatives commencèrent à se développer dans tous les secteurs de la communication, en recourant aux diverses disciplines des sciences sociales et humaines, Victor Bachy s’entourant, fort judicieusement, d’une équipe de collaborateurs composée de psychologues, de sociologues, de psychosociologues, de docteurs en droit, de philosophes et de spécialistes en communication interpersonnelle, en vue de donner consistance et interdisciplinarité aux recherches menées dans son centre [6].

16On ne peut comprendre la genèse de l’enseignement universitaire en communication en Belgique francophone, si l’on ne reconnaît pas à sa juste valeur la mission d’éducation aux médias qui y fut donnée. Si aider à la formation des cadres professionnels fut proposé comme un des buts essentiels de l’enseignement, une priorité fut confiée à l’animation socioculturelle et à la mission d’éducation de tous, jeunes, adultes, travailleurs et cadres dirigeants. L’enseignement s’élabora en concertation plus ou moins étroite avec les lieux de sensibilisation au cinéma (ciné-clubs, par exemple) et aux autres techniques. Dans cette effervescence qui donna lieu aux premiers enseignements, puis aux premières recherches, la place des mouvements d’action sociale et d’éducation permanente fut donc essentielle.

17Sans pouvoir réaliser la même récolte d’informations en ce qui concerne l’évolution de la communication à l’Université libre de Bruxelles (ULB), soulignons le fait qu’un même type d’ancrage dans les mouvements d’éducation permanente semble avoir largement contribué à son enseignement.

La communication sociale

18Vers 1960, le concile de Vatican II publia un décret demandant que soit créée une commission des moyens de communication sociale, laquelle donna naissance à Inter Mirifica (décembre 1963). Ce dernier place les médias parmi « les merveilleuses découvertes techniques qu’avec l’aide de Dieu, le génie de l’homme a tirées de la création ».

19S’en suivra, en 1971, Communion et Progrès. La vision positive, et parfois problématique des médias, y est confirmée. S’inscrivant dans la vision déjà instaurée à propos du cinéma et de la télévision, Communion et Progrès insistait déjà sur ce qu’on appelle aujourd’hui un espace public, en notant que « les moyens de communication constituent une sorte de place publique où l’on échange des nouvelles, où s’expriment et s’affrontent de multiples opinions. La vie sociale en est profondément marquée et enrichie, et son évolution en est accélérée [7] ». Communion et Progrès accorde une importance considérable au droit d’exprimer sa propre opinion, au droit pour chacun d’être informé et au droit d’informer, ainsi qu’à la formation des usagers et des responsables des médias. Ainsi les usagers doivent-ils être « formés à tirer le plus grand profit des médias, non seulement pour leur avantage personnel, mais pour une participation effective aux échanges sociaux et pour une collaboration efficace entre membres de la communauté humaine [8] ». Il y est très clairement stipulé qu’il serait « opportun de fonder, au niveau de l’enseignement supérieur, des chaires de communication sociale… En ce domaine propre aux médias, il convient de joindre la science à la pratique [9] ».

20Dès lors, les dénominations changent. À l’UCL, la « Section technique de diffusion et relations publiques » devient dès 1967 un département délivrant un diplôme de 2e cycle de licencié en Communication sociale. De nouvelles disciplines sont inscrites au programme : analyse de l’image, filmologie, psychosociologie… Les questions liées à « la profession de spécialiste en communication sociale » deviennent centrales : journalisme, radio, télévision, cinéma, relations publiques.

21Ainsi, tout à la fois, les appellations de 1967 et celles de 1975 sont teintées de l’idéologie ou de la doctrine chrétienne. De même, se poursuivent certaines proximités de pensée et s’élaborent des systèmes de transmission entre les hommes et les femmes qui œuvrent à la communication. L’éducation permanente de tous, l’animation et le développement socioculturel y occupent une place importante, vite rejointe par les questions de coopération Nord-Sud [10].

22En 1972 se constituèrent les « Rencontres interuniversitaires des chercheurs en communication sociale » [11]. L’UCL organisa la première d’entre elles, suivie par l’Université de Liège et l’ULB, la collaboration entre les universités de la communauté française de Belgique s’affirmant encore davantage. Il est à noter que se créa dans la foulée de la section en question un « département de Communication sociale ».

23Mais cette constitution marque déjà une nouvelle histoire. En 1991, l’intitulé changera à nouveau pour devenir « département de Communication », commençant peu à peu à délivrer des diplômes en information et communication, à un nombre sans cesse croissant d’étudiants.

Notes

  • [1]
    S. Jacquet, Catholicisme social et relations publiques. Éléments pour une histoire des relations publiques en Belgique dans les années 50 et 60, Université de Liège, 1992.
  • [2]
    Inbel s’inspira d’une expérience hollandaise et d’un organisme du même nom situé à Londres durant la période du gouvernement belge en exil.
  • [3]
    Vu le fait que le jeune personnage d’Hergé vit le jour dans Le Petit xxe, qui était le supplément pour jeune du xxe Siècle.
  • [4]
    Il s’agit de Marc Delforge, directeur du quotidien namurois Vers l’Avenir et de Paul M. G. Lévy, haute figure lui aussi de la résistance belge, au même titre que William Ugeux. Paul Lévy fut reporter à la radio belge avant 1940, puis attaché du ministre de l’Information à Londres pendant la guerre. De même que W. Ugeux, il fut militant de l’Union démocratique belge. Enfin, il devint directeur de l’information au Conseil de l’Europe où il contribua notamment au choix du drapeau européen, avant d’être nommé professeur en information à Strasbourg puis à l’UCL dans les années 1970.
  • [5]
    À l’époque, l’UCL est encore bilingue.
  • [6]
    Le lecteur intéressé par les premières recherches en communication se référera à l’article de L. Boone et A. Gryspeerdt consacré à la Belgique, publié dans les Cahiers de la Communication, n° 4-5, « Communication et médias : les orientations de la recherche en Europe », Dunod, Paris, 1982, p. 326 à 342.
  • [7]
    Instruction pastorale, Communion et Progrès sur les moyens de communication sociale, élaborée par mandat spécial du concile œcuménique Vatican II, 23 mai 1971, article 24.
  • [8]
    Idem, article 65.
  • [9]
    Idem, article 71.
  • [10]
    L’intérêt pour les rapports Nord-Sud se traduit, outre l’accueil déjà ancien d’un grand nombre d’étudiants du Tiers-Monde, par l’introduction de cours spécifiques dans le programme, ainsi que par la création d’un enseignement en communication à l’université Lovanium de Kinshasa dans les années 1970.
  • [11]
    Les textes produits par les chercheurs au cours de ces rencontres seront publiés au sein des Cahiers JEB du ministère de l’Éducation nationale et de la Culture française. Voir notamment à ce propos, Gabriel Thoveron, « Huit et demi », in Information et media, Cahier JEB, 1/79, Bruxelles, 1979, p. 11 à 14.
Français

Tant à l’intérieur de la Belgique que dans sa colonie du Congo, les dirigeants et les universitaires, forts de leur appartenance chrétienne, dotent leurs actions respectives de préoccupations sociales et humanistes, qui permettent de créer une image très positive dans les médias. De même, des chaires de « communication » seront créées dès 1967 avant même que la France le fasse.

Mots clés

  • communication sociale
  • christianisme
  • vie associative
  • Congo belge

Références bibliographiques

  • Balteau, B. (entretien avec…), William Ugeux. Un témoin du siècle, Bruxelles, Racine, 1997.
  • Becker, H., Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1982.
  • Groupe Mediatech, Les Médias. Textes de l’Église, Paris, Centurion, 1990.
  • Lits, M. (dir.), revue Recherches en Communication, n° 11, Un demi-siècle d’études en communication, Louvain-la-Neuve, 1999.
  • Ugeux, W., Les Relations publiques. Une fonction nouvelle sociale, Verviers, Marabout, 1973.
Axel Gryspeerdt
Axel Gryspeerdt est professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique). Il a publié dès 1982 des articles dans les Cahiers de la Communication (Dunod) et il dirige depuis 2000 le Laboratoire d’analyse des systèmes de communication d’organisation (Lasco). Il est membre élu du Conseil d’administration de la Société française des sciences de l’information et de la communication.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/24095
Pour citer cet article
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