1Gabriel Thoveron, professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles, nous a quittés en février 2007 à l’âge de 75 ans. Né à Liège le 19 août 1931, il n’avait jamais oublié ses racines bretonnes qui lui procuraient une certaine fierté, et qui expliquent un intérêt constant et une proximité culturelle et affective intense avec la France, son histoire, sa vie politique, ses médias, sa culture. D’ailleurs, il aimait parfois jouer sur cette double appartenance nationale pour s’afficher comme Français en Belgique, comme Belge en France.
2Après des études en sciences sociales à l’Université de Liège, Gabriel Thoveron rejoignit l’Institut de sociologie de l’Université Libre de Bruxelles en 1958. Ses recherches au Centre d’étude des techniques de diffusion collective, complétées par une collaboration avec le service de l’enquête permanente de la RTB (Radio-Télévision belge de service public) et par une licence en journalisme, conduisirent Gabriel Thoveron à soutenir, en 1971, une thèse de doctorat intitulée Radio et télévision dans la vie quotidienne. Il devint ainsi le premier docteur en journalisme et communication de l’ULB. Deux ans plus tôt, il avait été amené à reprendre les enseignements de Roger Clausse, pionnier précurseur des études universitaires en journalisme et en communication.
3C’est dans le cadre de cette collaboration avec la RTB que Thoveron manifesta pour la première fois ce talent si particulier qui lui permettait de combiner avec aisance sa rigueur scientifique et son érudition académique avec les contraintes matérielles et institutionnelles auxquelles se heurtent les enquêtes de terrain, sans jamais sombrer dans les excès de l’empirisme fonctionnaliste, sans jamais compromettre la probité du chercheur. Il put ainsi à la fois faire progresser les études d’audience de radio et de télévision, et introduire ces problématiques dans les recherches et les enseignements universitaires dont il avait la charge.
4Au-delà des études sur les publics, les travaux de Gabriel Thoveron se sont déployés dans un deuxième domaine de prédilection, celui de la communication politique. C’est d’ailleurs tout particulièrement dans ce registre que ses recherches et ses publications prirent une ampleur internationale, notamment au sein du « European Elections Communication Research Group » (de 1978 à 1984). Il collabora avec d’éminents collègues qui, en Europe et au Québec, comme lui, s’employaient déjà à ancrer la recherche en communication dans des démarches et des perspectives empreintes de rigueur et d’intelligence : Jay G. Blumler, André Caron, Roland Cayrol, Denis McQuail, Michel Souchon, Dominique Wolton, pour n’en citer que quelques-uns. L’ouvrage La Télévision fait-elle l’élection ? qu’il publia avec Blumler et Cayrol en 1978 demeure une référence incontournable dans toute bibliographie relative à la place de la télévision dans la communication politique et électorale. De même, La Communication politique aujourd’hui, publiée en 1990, s’est imposée comme une synthèse remarquée et un manuel très demandé.
5La troisième passion de Gabriel Thoveron, moins connue, se situait au croisement de la littérature et de la culture populaire : la paralittérature. Depuis toujours, il dévorait avec ferveur quantité de romans policiers. Mais cette passion ne se fit jour qu’à partir du moment où il trouva le temps d’ordonner méticuleusement un savoir accumulé tout au long d’une vie d’amateur éclairé, sur un genre littéraire qui l’intéressait d’autant plus qu’il lui semblait maintenu dans une sorte de mépris dédaigneux par ceux qui ne voyaient dans les romans de gare qu’un sous-genre sans grand intérêt. Gabriel Thoveron publia en 1996 Deux siècles de paralittératures, ouvrage magistral explorant de façon pénétrante le monde fascinant de la littérature de bas étage en plus de 500 pages qui se veulent, selon ses propres termes, à la fois amusantes et instructives.
6Gabriel Thoveron était un érudit qui aimait et qui savait partager son savoir et ses idées. Avec notamment Le Troisième Âge du quatrième pouvoir (1999), La Marchandisation de la politique : du débat à la communication (2003) ou La Télévision dont vous êtes le héros (2004), il a offert des essais nuancés et stimulants destinés à susciter le débat autant qu’à apporter un éclairage critique sur l’évolution des pratiques médiatiques et de la communication politique.
7Enfin, très récemment, Thoveron avait réalisé un vieux rêve, celui de publier un roman qu’il pourrait nourrir de cette énorme accumulation de lectures d’ouvrages de paralittérature, de restituer un peu de toute cette substance dont il s’était imprégné durant tant d’années et de s’essayer lui-même à la construction de la narration d’un roman policier. Dans Qui fait peur à Virginia Woolf ? (2006), il parvient à monter une trame complexe, imperceptiblement mais remarquablement documentée, où se croisent Virginia Woolf, Arsène Lupin et Sherlock Holmes dans une intrigue policière passionnante.
8Gabriel Thoveron fut aussi un enseignant très apprécié des innombrables étudiants qui ont fréquenté ses cours pendant près de trente ans, à Bruxelles et partout où il fut invité à enseigner : Montréal, Berlin, Lille, Ouagadougou et surtout Paris où il enseigna pendant dix ans le cours « Histoire comparée des médias » à l’Institut d’études politiques. Il a également dirigé des centaines de mémoires et plusieurs thèses de doctorat.
9L’insatiable curiosité de Thoveron et son sens de l’anticipation l’ont conduit à s’intéresser à des domaines exceptionnellement variés et dans lesquels il s’est imposé comme un expert de premier plan en appliquant inlassablement la rigueur, la curiosité et le sens critique qui habitaient le sociologue, l’historien et l’érudit qu’il était.