CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En conclusion de l’article consacré à Abraham Moles (1920-1992) dans Hermès[1] après son décès, nous avions formulé un étonnement et un espoir. Le premier, peut-être dû à une naïveté non épuisée à l’égard du milieu de la recherche, portait sur « l’écho relatif que les travaux de cet esprit libre ont eu en France » ; le second était l’espoir d’une relecture de son œuvre par la communauté scientifique. La démarche consistant à retrouver les « racines oubliées » des Sciences de l’information et de la communication répond à cet étonnement et à cet espoir. « Père fondateur négligé », Moles a eu une trajectoire qui est une application du cycle socioculturel qu’il a décrit, de même qu’il a analysé le processus d’oubli dans la gestion des savoirs à propos du sociologue Georg Simmel. Comme l’a rappelé Jean Devèze, sa démarche tout comme ses apports théoriques en ont fait « un exceptionnel passeur transdisciplinaire ».

Un parcours initial original

2Dans l’étude des origines de la communication sociale (Mathien, 1992), nous avions pointé que nous avions en Abraham Moles un ingénieur porté par et sur les sciences physiques ou sciences dites « exactes », dans leurs perspectives cartésiennes et positivistes, qui, en se fondant sur l’empirisme anglo-saxon, est passé aux sciences sociales, encore dites « sciences de l’esprit ». En elles, il voyait un nouveau dynamisme comparable à celui des sciences de la nature de sa propre jeunesse. Ce basculement vers l’étude scientifique de la quotidienneté s’est fait à partir de sa formation d’ingénieur électricien à l’Institut polytechnique de Grenoble, de sa spécialisation en électro-acoustique et de la manipulation des outils électroniques au Laboratoire de physique des métaux, puis à Marseille, de 1945 à 1954, au Laboratoire d’acoustique et de vibrations, le futur Laboratoire d’études mécaniques du CNRS. Ses premières publications, portant sur les problèmes posés par l’acoustique des salles de spectacle, l’insonorisation et la physique des sols, la réverbération du champ sonore, paraissent dans le Journal de physique et sous forme de comptes-rendus de l’Académie des sciences. L’intérêt pour les problématiques générales de la communication vient ensuite via les expérimentations sur les haut-parleurs, les microphones et les interactions entre les divers aspects du spectre d’un phénomène sonore variable au cours du temps... Notamment à cette étape de l’évolution conduisant à l’âge électronique.

3Ses « objets initiaux », la parole et la musique se situent dans une perspective, celle de La Structure physique du signal musical et phonétique, sous la direction de René Lucas et Edmond Bauer, ses maîtres de l’époque. Ses recherches aboutissent, en 1952, au doctorat d’État en Sciences physiques de la Sorbonne, avec les deux thèses d’alors intitulées La Structure physique du signal acoustique et Les Amplificateurs à gain variable en électroacoustique, déjà empreintes de réflexivité sur les sciences dures. Ses travaux contenaient déjà les bases d’une théorie de l’information appliquée à la perception-réception, ne serait-ce que du fait qu’il avait suivi, pendant sept années, les cours et séminaires de philosophie et de psychologie de Gaston Berger à l’Université d’Aix ! Et de s’intéresser à l’au-delà des phénomènes sonores tels que vus par les spécialistes du domaine, à savoir les faisceaux nerveux de l’appareil auditif ne fonctionnant pas dans la logique de périodicité développée par les mathématiciens. Autrement dit à l’individu récepteur, à sa perception et à sa réactivité personnelle. Son premier ouvrage en 1952, Physique et technique du bruit, rappelle que le bruit ambiant est une réalité de l’environnement quotidien et que, non désiré, il implique des réactions pour y faire face, voire s’y opposer, à commencer dans l’espace public urbanisé et dans les habitations. « L’approche physique des sciences de l’homme » [2], comme nous avons voulu résumer son cheminement avec d’anciens collègues ou élèves, s’inscrit dans un tel contexte. Elle résulte d’une ouverture précoce à d’autres approches scientifiques ou, plus simplement, de la curiosité aux choses humaines, aux passions et comportements résultant des techniques et outils de communication émergents ou en cours de démultiplication.

4De façon plus ou moins concomitante, dans son laboratoire comme dans sa démarche doctorale, il s’est intéressé à la radiodiffusion et à la musique expérimentale (Moles, 1961). Tout comme les travaux amorcés à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), dont la cybernétique de Norbert Wiener (1894-1964) et la théorie mathématique de la communication de Claude Shannon (1916-2001), vont l’inciter à poursuivre un mode de pensée consistant, dans une certaine mesure, à appliquer aux sciences humaines les principes de rigueur des sciences exactes. Quand des préoccupations scientifiques émergent en des lieux séparés, il y a des chances qu’elles convergent à un moment de leur évolution. Ceci s’est produit à propos des chercheurs cités, mais aussi à propos de Pierre Schaeffer (1910-1995) en France, avec qui il contribuera à établir la communication comme science indépendante de ses supports en raison des transformations quantitatives basées sur les techniques émergeantes d’alors.

La radio comme lien physique avec la communication

5Moles a rencontré Schaeffer à Paris, en 1945, alors que cet ingénieur travaillait sur une nouvelle forme de composition des sons qui deviendra la « musique concrète ». Dans le cadre de la Radiodiffusion française (RDF), Moles intégrera le Centre d’études radiophoniques où collaboreront des professionnels comme Jean Tardieu et Bernard Blin, le futur Studio d’essai accueillant des stagiaires ultérieurement prestigieux comme Stockhausen, Xenakis, Pierre Henry… Comme il le dira plus tard, et abstraction faite du cas des laboratoires Bell : « Dans ce Paris assez pauvre et désert de la Libération, au moment de la reconstruction, ce centre est devenu un laboratoire des communications sociales, le premier institut du monde consacré à cela. […] On y faisait de l’expérimentation sur la communication sociale, psychologique, musicale, phonétique etc. […] Et je suis allé y travailler volontairement en me disant, moi, ce que je fais dans mon laboratoire… il y a quelqu’un qui fait d’autres choses sur un plan esthétique et artistique, quels sont les rapports entre nous deux ? Des rapports se sont établis, j’ai servi de théoricien de cette musique concrète qui était en train de s’élaborer. [3] »

6L’un et l’autre travaillaient sur le concept d’« objet sonore », comme « forme isolable », et sur les usages qui pouvaient en être tirés dans la création au sein de ce courant musical, avec les découpes et reconstructions possibles de la bande magnétique dans l’industrie phonographique. Ceci se situe après l’invention du magnétophone avant-guerre, les débuts de la haute-fidélité, mais bien avant l’essor de l’informatique et sa banalisation en fin de siècle. Les deux se séparent sur des choix d’orientation, notamment à propos de l’utilisation des ordinateurs dans le développement de la musique électronique. Selon Moles, Schaeffer était réservé sur ces machines qui allaient inaugurer une autre époque dans l’histoire des techniques. Pourtant, la coopération d’origine de ces deux personnalités sera affirmée réciproquement. Dans Machines à communiquer (1970-1972), dans lequel il reprend le schéma du « cycle socioculturel de la communication » de la Sociodynamique de la culture (Moles, 1967), Schaeffer évoque leur complicité due à une même filiation scientifique quant à une compréhension première du processus quasi mécanique de la culture de masse (Schaeffer, 1972, p. 41-42) [4].

7Par la suite, dans ses publications comme dans ses cours ou conférences, Moles fera souvent référence à cette « niche de chercheurs » qu’a été le premier Service de la recherche du service public de la radio-télévision, quitte à utiliser le terme de « machines » pour désigner aussi bien les médias que la société en tant que telle. La publication régulière de Radio française, puis des Cahiers d’études de radiotélévision, à partir de 1954, témoignent d’une richesse de travaux sur les usages de la radio et ses mutations. Le nom de Moles (avec encore pour prénom André) figure parmi les contributeurs. Ainsi, après une publication dans le numéro 1 portant sur « Musique et technique », son article dans le numéro suivant, intitulé « Rôle des facteurs dynamiques dans la caractérisation physique du discours », metil l’accent sur « le signal vocal » ou « matière sonore » émise par l’être humain, sujet alors peu étudié, et non pas sur le discours avec ses éléments subjectifs.

8Dans cette phase, Moles crée la Revue du son (1953) avec l’appui de Georges Giniaux. Il met en avant les perspectives émergentes de la haute-fidélité dans le domaine du son et de la musique et développe le concept de « paysage sonore » donnant lieu à nombreuses applications, dans des espaces voués à la culture comme au commerce. Après un séjour aux États-Unis, au MIT et à l’Université de Columbia, au cours duquel il rencontre Wiener et Shannon qui l’encouragent dans ses projets, il participe au Service des écoutes de ce qui est devenu la Radiotélévision française (RTF). Il s’intéresse aux études sur la réception des programmes qui constituent pour lui une base d’observation des comportements des acteurs qui nourriront l’argumentation de la dynamique socioculturelle impliquant au premier chef les mass media.

9Son orientation, ensuite, se porte ouvertement sur la philosophie. Sous la direction de Gaston Bachelard, il présente un second doctorat d’État – en Philosophie – portant sur La Création scientifique et La Théorie de l’information et la perception esthétique (1956). Ses deux thèses, qui seront éditées, indiquent la relation qu’il faisait – et qu’il développera dans de nombreuses publications – entre une approche fondée sur des problématiques télé-communicationnelles et la réception de simples messages non pas forcément réduits en quantités de bits, mais aussi de la transmission de « formes » confrontées à leurs critères esthétiques.

La cybernétique comme approche transdisciplinaire

10Moles avait très tôt intégré La Théorie mathématique de la communication telle qu’exprimée à partir de 1946 par Shannon dans ses trois articles dans le Bell System Technical Journal. Ingénieur électricien, lui aussi, il a montré que l’algèbre de Boole – selon laquelle tout problème peut être résolu en ne recourant qu’à deux états ou deux symboles – trouve son application dans les circuits à relais électriques, un relais ouvert est associé au chiffre 1 et un relais fermé au 0. Toute information transmise (texte, son, image), en fait assimilée à un signal électrique, peut être exprimée sous forme binaire, d’où l’expression de binary digit ou de bit ayant fait florès. Le mot information n’est pas compris comme message ou nouvelle, mais comme un ensemble de données physiques sans liens avec les aspects sémantiques de la communication. Il se traduit en termes de probabilités, autrement dit en degré de hasard ou d’incertitude, ou en corrélation avec la notion d’entropie ou de désordre de la thermodynamique. Cette sémantique-là traduisait la préoccupation d’ingénieurs électriciens soucieux de transmettre des données via un canal ou support électronique, limité dans ses capacités physiques et lui-même sujet aux avatars de son environnement, d’où les notions d’incertitude dans la perception-réception et de « bruits ».

11Du cadre théorique et du schéma de la communication de Shannon (reliant la source d’un message à un destinataire via un émetteur, un canal et un récepteur placés dans le cadre d’un processus de codage/décodage), Moles retient certes la dimension mathématique définissant l’information, en tant que contenu physique, par le logarithme du nombre de possibilités ou de choix. Mais ce schéma incluant sa propre circularité par les processus d’interaction et de rétroaction, il y a vu les extrapolations et perspectives métaphoriques qu’il pourra développer dans l’observation des communications humaines (Moles, 1958 et 1967). Y compris sur le registre de la schématisation théorisée à partir de son expérience professorale à la Hochschule für Gestaltung d’Ulm (1961-1968) et du courant qu’elle a représenté sur le plan de la perception (Gestalt = forme représentant « une quantité d’information visuelle »), quitte à répéter une citation du philosophe Edmond Goblot (1858-1935) « penser, c’est schématiser » [5]. Le « cycle socioculturel » justifiant l’analyse de la Sociodynamique de la culture représente un exemple patent de cette démarche. Devenu un classique, il est une extension du « schéma canonique » aux activités des médias de masse insérés dans un système social.

12Ce changement d’échelle dans l’observation de l’objet scientifique n’est pas surprenant. Il résulte de la conjonction des apports de Shannon et du courant concomitant qu’est la cybernétique, fondée à même époque par un des maîtres du précédent, Wiener, professeur de mathématiques au MIT. Par un article publié dès 1950, Moles figure parmi les premiers scientifiques français à encourager les applications de la cybernétique hors des sciences dures, en particulier en psychologie considérée par lui comme « étude rationnelle de l’irrationalité de l’homme », notamment dans sa dimension expérimentale, en usant notamment de l’analogie comme méthode [6]. Malgré la double dimension originelle de la cybernétique, physique et mathématique, dimension qu’il maîtrisait comme en témoignent ses publications remplies de formules précises mais pouvant déjà être symboliques dans leur vocation théorique ou didactique, voire en raison d’elles, il a porté de plus en plus son regard sur les êtres humains. A priori comme Wiener lui-même qui s’en est justifié dans la version revue de 1950 de son ouvrage originel Cybernetics de 1948, traduite en français en 1952, alors qu’un débat plus ou moins polémique s’était engagé.

13Parmi d’autres approches, la sociométrie – inventée en 1932 par Jacob Moreno (1889-1974) – sera aussi largement utilisée dans l’extension que Moles fera de la mesure quantitative des relations individuelles à des entités dépassant de loin le cadre affectif initial examiné par son fondateur au sein des groupes. Elle constituera chez lui une « chimie sociale » où chaque être humain, isolé dans sa « coquille » ou « sphère personnelle » est un atome, une métaphore qui ne devrait pas faire bondir Marcellin Berthelot. Ainsi, en recherchant les points de rencontre des savoirs sur un même objet, Moles est d’autant plus devenu transdisciplinaire qu’il traverse les disciplines tout en les transcendant [7].

L’humain dans son cadre de vie

14Toutes ces références prises chez lui ont valeur de paradigmes, tant il sera innovant dans ses démarches et considérations théoriques. Elles nourrissent aussi bien l’argumentation descriptive et théorique de la Sociodynamique de la culture déjà citée que ses ouvrages ultérieurs comme L’Image, communication fonctionnelle (1981), ou Théorie structurale de la communication et société (1986) où il profile déjà, non sans interrogations sur les usages et sur les limites inhérentes à l’être humain, la « société de l’information » du xxie siècle. Il place toujours l’humain, pris isolément ou collectivement, dans son environnement, et utilise l’approche cybernétique, puis celle fondée sur la théorie des systèmes (ou systémique) qui en prendra le relais, pour observer et expliquer des jeux de relations et d’interactions entre les acteurs sociaux. Comme d’autres, à l’instar d’Edgar Morin, il s’en sert pour penser la complexité à partir des techniques et processus de communication au sein du système social et des usages observés. Quitte à explorer une direction nouvelle, celle de la micropsychologie désignant « l’ensemble des phénomènes de la vie psychologique de l’individu dont la grandeur se situe en dessous du seuil de perception conscient de ce dernier » [8].

15Comme pour l’acoustique ou les paysages sonores initiaux, ceux du théâtre ou de l’opéra [9], Moles a observé les cadres artificiels construits par les êtres humains (structures ou systèmes) et qui les conditionnent, nolens volens, dans leur quotidienneté. Il fut un des premiers à réfléchir sur l’usage de l’informatique en émergence. Art et ordinateur (1977) est un prolongement réflexif de Théorie de l’information et perception esthétique qui peut aussi être lu comme une approche structuraliste de la perception en lien avec la théorie de la forme. Pour lui, les techniques en soi n’ont pas de sens. Quand elles s’imposent dans le « cadre social », avant toute signification donnée à la Cité, elles sont à la fois désignées dans leurs fonctions par leurs concepteurs-créateurs et expérimentées comme telles par leurs usagers-utilisateurs qui peuvent éventuellement les détourner par leurs propres pratiques de découvertes.

16Sur le plan professionnel, après avoir occupé divers emplois de chercheurs sous contrats, en 1961, Moles succède, dans la chaire de sociologie de la faculté des Lettres de l’Université de Strasbourg, à Henri Lefèbvre (1901-1991) déjà connu pour ses travaux sur la vie quotidienne [10], et qui l’avait sollicité. En 1966, il intègre la faculté de Psychologie où il crée « son » Institut de psychologie sociale des communications. Ce changement souligne que ses recherches intéressaient l’institution universitaire dans un contexte de mutation où les techniques et modes de communication (personnels, collectifs ou de masse) induisaient de nouveaux comportements dans les rapports humains. Un signe qu’elle n’a pas reproduit à son départ en 1987, bien que Moles ait été reconnu dans la dynamique pluri et transdisciplinaire qu’il a développée, notamment dans les Sciences de l’information et de la communication dont il est l’un des précurseurs.

17C’est dans ce contexte que Moles préside à la publication en français en 1975 de la Théorie mathématique de la communication de Shannon (avec le texte d’accompagnement de Warren Weaver, « un des meilleurs philosophes de la communication »), vingt-cinq ans après sa parution en anglais. Dans sa préface, Moles remet l’ouvrage dans son contexte et son évolution. Il y précise notamment : « En fait, ce livre constitue une sorte de catalyseur d’un ensemble d’idées liées à la notion (encore vague à l’époque) de communication qui étaient courantes dans le cadre de la pensée scientifique des années 1950 à 1960. Servant de référence, il était pris quelquefois de façon arbitraire comme caution. Mais si l’on mesure le mérite d’un père fondateur à la somme des erreurs et des trahisons qu’on fait subir à sa pensée, il n’est pas douteux que Shannon soit le père fondateur de la science des communications. » Une analyse et un compliment que nous pourrions reprendre au sujet de son auteur.

Une œuvre ouverte

18Face à la démarche de réécriture de la genèse des Sciences de l’information et de la communication, tout ne saurait être écrit sur Moles dans la période considérée. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, dont beaucoup ont été traduits en anglais, en allemand, en espagnol, et plus de 800 articles recensés (toutes langues confondues). Penseur de la complexité humaine, sa perspective transdisciplinaire fondée à l’origine sur les sciences physiques et ouvertes sur les sciences sociales, est loin d’avoir abouti à des impasses. Bien au contraire, son œuvre centrée sur l’être humain, communiquant, agissant et évoluant à partir de sa « coquille », ouvre en permanence des perspectives nouvelles que certains semblent parfois redécouvrir. Même s’il dresse un bilan de sa recherche, de ses choix épistémologiques et méthodologiques face à l’évolution des sciences en général (Moles, 1990), il n’en tire pas une conclusion d’échec dans les relations avec les sciences exactes ou physiques qui ont évolué dans leurs propres logiques contextuelles. Il n’a jamais envisagé de calquer une « science molle » sur une « science dure », encore moins de se fonder sur des approches réductionnistes comme on a souvent qualifié la cybernétique et la systémique [11].

19Son œuvre traduit une évolution personnelle, elle-même placée dans l’évolution scientifique de son temps. À bien des égards, des comparaisons pourraient être faites entre ses propres approches des phénomènes communicationnels humains et celles des sciences de l’observation des espèces animales ayant abouti à l’écologie comportementale venue supplanter l’éthologie. Par les théories exposées, les modèles développés, les paradigmes utilisés et les perspectives envisagées, l’œuvre de Moles invite les tenants des sciences sociales, dont l’objet est le vague ou le flou, à plus de rigueur et de rationalité dans l’analyse des phénomènes irrationnels liés essentiellement aux comportements humains, dans leurs particularités comme dans leurs globalités. A fortiori dans les Sciences de l’information et de la communication toujours concernées par son œuvre.

Notes

  • [1]
    M. Mathien, « L’approche physique de la communication sociale », Hermès, n° 11-12, CNRS Éditions, 1992, p. 331-340.
  • [2]
    Voir M. Mathien (dir.), La Physique des sciences de l’Homme. Mélanges pour Abraham Moles, Strasbourg, Éd. Oberlin, 1989, 208 p.
  • [3]
    Entretiens avec Gérard Gromer sur France-Culture, 8-12 avril 1991. Entretien n° 1 du 8 avril.
  • [4]
    P. Shaeffer, Machines à communiquer, tome 1, Genèse des simulacres, Paris, 1970, tome 2, Pouvoir et communication, Paris, 1972.
  • [5]
    Voir M. Mathien, « “Penser, c’est schématiser”. Moles et la communication », Revue de bibliologie. Schéma et schématisation, n° 40, Paris, 1994, p. 6-15.
  • [6]
    A. Moles, « Le rôle de la Cybernétique dans le développement de la psychophysiologie », Revue générale des sciences pures et appliquées, tome 57, n° 11-12, 1950, p. 253-261. Article paru après la présentation de Cybernetics, dans Le Monde du 28 décembre 1948, par le père Dominique Dubarlé, et avant le colloque du CNRS de 1951 sur Les Machines à calculer et la pensée humaine (Éd. du CNRS, Paris, 1953).
  • [7]
    Voir M. Mathien, « L’étude des médias : un champ ouvert à la transdisciplinarité », Communication et Langages, n ° 106, Retz, p. 77-88. Par ce type d’approche, Moles, Morin et d’autres prédisposent à la réflexion prospective.
  • [8]
    Définition de Moles dans le Dictionnaire de psychologie de Norbert Sillamy, Bordas, 1980, p. 747 sq.
  • [9]
    Voir par exemple, « Peut-on construire une sémiologie des actes à travers une représentation théâtrale ? » in A. Helbo (dir.), Approches de l’Opéra, Klincksieck, 1986, 336 p., p. 26-41.
  • [10]
    Voir H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, Grasset, 1947, puis Le Langage et la société, Gallimard, 1966, et La Vie quotidienne dans le monde moderne, Gallimard, 1968.
  • [11]
    Contrairement à l’appréciation d’Éric Maigret dans Sociologie de la communication et des médias (Armand Colin, 2003, 288 p.) dans les passages consacrés à Moles (« La trompeuse analogie avec l’humain », p. 92-94), qui mériterait un développement en soi tant nous n’y reconnaissons pas l’homme que nous avons connu.
Français

Cet article présente les débuts des travaux et modes d’approches des Sciences de l’information et de la communication dans l’œuvre d’Abraham Moles. En tant qu’ingénieur, porté par la philosophie et converti aux sciences sociales et la psychologie, il ne rejeta pas l’approche rationnelle de l’être humain, dans ses relations avec autrui et dans le contexte des technologies de la communication ou dans l’environnement des mass media. La théorie mathématique de la communication, la cybernétique et la systémique ont été chez lui des méthodes pour une approche globale des phénomènes individuels ou sociaux de la communication.

Mots clés

  • cadre artificiel
  • lien physique
  • micropsychologie
  • objet sonore
  • situation canonique

Références bibliographiques

  • Moles, A., Physique et technique du bruit, Paris, Dunod, 1952, 168 p.
  • Moles, A., Théorie de l’information et perception esthétique, Paris, Flammarion, 1958, 250 p.
  • Moles, A., Les Musiques expérimentales, Zurich, Cercle d’art contemporain, 1961.
  • En ligneMoles, A., Sociodynamique de la culture, La Haye, Mouton, 1967, 342 p.
  • Moles, A., L’Image, communication fonctionnelle, Paris, Casterman, 1981, 272 p.
  • Moles, A., Théorie structurale de la communication et société, Paris, Masson, 1986, 294 p.
  • Moles, A., Les Sciences de l’imprécis, Paris, Le Seuil, 1990, 304 p.
  • Weaver, W., Shannon, C. E., Théorie mathématique de la communication, Paris, Retz, 1975, 188 p. (traduction de J. Cosnier, G. Dahan et S. Economidès).
  • Wiener, N., Cybernétique et société. L’usage humain des être humains, Paris, Deux Rives, 1952, 188 p. (traduction de Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine, 1948).
Michel Mathien
Michel Mathien est professeur de Sciences de l’information et de la communication, au Centre universitaire d’enseignement du journalisme et à l’Institut des hautes études européennes (Université Robert Schuman de Strasbourg). Il y anime aussi le Centre d’études et de recherches interdisciplinaires sur les médias en Europe (Cérime). Il a écrit une vingtaine d’ouvrages et est également responsable de la rubrique « Médias » de l’Annuaire français de relations internationales.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/24107
Pour citer cet article
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