CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1On peut parler d’un tiers-secteur dans l’économie de la communication si l’on accepte de définir un domaine spécifique d’économie sociale de la communication, dont l’intérêt est de procurer, dans le champ des professions intellectuelles et de création, un cadre propice à la recherche d’une maîtrise des conditions de production : activité économique sans but lucratif ou dans des conditions de « lucrativité » contrôlées ; règles de partage de la décision, indépendantes de la participation à la détention du capital ; pouvoir équitable de vote « un homme, une voix »... Le tiers-secteur se constitue de la sorte comme un secteur extérieur et complémentaire au secteur public et au secteur privé à but lucratif.

2Historiquement, le tiers-secteur de la communication est tributaire d’un mouvement qui ne cesse de se renforcer jusqu’aux années 1930, dans les secteurs privilégiés du crédit, de l’assistance sociale, du commerce et de sociétés coopératives de production à dominante industrielle [1]. Hormis le rôle joué par l’Atelier, conçu pour représenter entre 1840 et 1850 un « journal écrit par les ouvriers pour les ouvriers », la chronologie de développement de médias associatifs et coopératifs est pauvre néanmoins.

3Il faut attendre la loi de 1947 pour voir la volonté d’une réforme étendue de la presse écrite qui soit en mesure de rompre avec les dérives mercantiles et nationalistes connues dans l’avant-guerre. La particularité de ce programme, en accord avec les déclarations de la Fédération nationale de la presse française pour laquelle, en 1945, « la presse [qui] n’est pas un instrument de profit commercial (…) est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale, ni des puissances d’argent mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs », est de s’appuyer sur les solutions offertes par l’économie sociale plus encore que sur le recours à l’État. Ainsi, quand il s’agit de nationaliser la branche « information » d’Havas, le statut de nouvelle « Agence France-Presse » n’est pas seulement celui d’un établissement public, mais une savante formule ad hoc qui réserve une place importante aux clients notamment de la presse des régions. Ainsi également apparaît, souhaitée par le programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944, la loi du 2 avril 1947 qui place le secteur de la distribution des journaux et périodiques dans la situation, semble-t-il encore aujourd’hui unique, d’obéir à un régime exclusif d’exploitation par des sociétés coopératives. La loi, toujours en vigueur aujourd’hui, rend illégal tout investissement en ce domaine de type capitaliste, hormis le cas d’une distribution organisée individuellement par l’éditeur de ces propres titres, et fait appliquer des principes d’égalité de traitement et de péréquation tarifaire. Cet ensemble de dispositions explique pour certains auteurs les caractères de vitalité et de renouvellement de la variété des titres édités [2].

4La tentative de transposition de telles règles au sein de sociétés d’édition, en donnant aux rédacteurs soit l’entièreté du contrôle de leur titre soit une majorité morale, n’a pas abouti de pareille façon, malgré les initiatives répétées de propositions législatives entre 1946 et 1949, peut-être qu’elle correspondait à l’enjeu plus sensible encore de la maîtrise du centre du pouvoir rédactionnel. Malgré l’absence de cadre législatif, inspiré de principes analogues, un mouvement de sociétés de rédacteurs naît au sein du Monde en 1951, s’étend à une vingtaine de titres vers le milieu des années 1960 puis inspire le projet de constitution de Libération en 1973. La situation de cette catégorie de presse dont le pouvoir de direction revient aux journalistes et autres ensembles de personnels est aujourd’hui contrastée. Elle a connu un recul considérable dans la presse quotidienne nationale, depuis l’entrée en 2004 d’investisseurs nouveaux au sein du Monde et de Libération, ayant entraîné respectivement la diminution ou la perte du pouvoir de contrôle détenue par de telles instances. Elle se révèle plus stable dans la presse quotidienne régionale avec les exemples de l’Yonne républicaine et du Courrier picard. Elle recèle un cas convaincant de développement continu avec le mensuel Alternatives économiques, édité sous forme de société coopérative de production. Si, vingt ans après l’expansion d’une Fédération française des sociétés de journalistes, semble renaître une volonté d’organisation au travers d’un Forum permanent des sociétés de journalistes (2005), il s’agit pour la plupart, au sein de la vingtaine de titres représentés, dont plusieurs titres importants de la presse hebdomadaire politique, de structures ne disposant d’un pouvoir statutaire de contrôle de la gestion significatif.

5Le secteur de la radio fait apparaître des formes relevant du tiers-secteur, quoique limitées au statut associatif. Son origine résulte d’une loi de 1982, qui met fin au monopole public des ondes au bénéfice des seules radios à but non-lucratif ; en 1984, les sociétés commerciales sont finalement autorisées. Pour financer le tiers secteur radiophonique, la loi prévoit un fonds de soutien abondé par un prélèvement sur les recettes publicitaires audiovisuelles. Leur nombre passe de 300 à 700 en près de 25 ans, et constitue un domaine original marqué par le pluralisme des expressions, la proximité avec les milieux sociaux environnants et l’importance de l’effort de formation [3]. De même, à la fin des années 1990, un secteur assez comparable de télévisions associatives a connu un début d’expansion, favorisée par l’arrivée des matériels numériques, mais sans reconnaissance juridique [4].

6Que ce soit en presse, dans l’édition, en radio ou en télévision, le tiers-secteur médiatique n’offre pas d’unité d’ensemble, la faute en étant à la diversité des contextes d’apparition, et au manque d’homogénéité des cadres législatifs. Le modèle est pourtant attrayant : le partage des pouvoirs de gestion et d’édition entre les personnels employés trouve un intérêt particulier dans le cas de professions intellectuelles. Elle se prolonge parfois des formes de pouvoir accordé aux associations de lecteurs.

Notes

  • [1]
    Danièle Desmoutiers, L’Économie sociale et solidaire, Syros, 2001.
  • [2]
    Gilles Feyel (dir.), La Distribution et la diffusion de la presse du xviiie siècle au iiie millénaire, Éditions Panthéon-Assas, 2002.
  • [3]
    Jean-Jacques Cheval, Les Radios en France. Histoire, état et enjeux, Éditions Apogée, 1997.
  • [4]
    Christian Pradié, « Le Tiers-secteur, premier entrepreneur de l’audiovisuel local », Dossiers de l’audiovisuel, « La Télévision régionale et locale en France » (sous la direction de Guy Pineau), n° 95, janvier-février 2001, p. 39-41.
Français

L’existence d’un tiers-secteur de la communication, s’appuyant sur la recherche d’une autonomie accrue de la gestion de médias, apparaît à des moments divers et selon des formes variées, en correspondant notamment à différents cadres juridiques. Ainsi dans la période récente, les exemples tiennent à des coopératives d’édition de presse, des télévisions associatives et à un forum regroupant des sociétés de rédacteurs.

Mots-clés

  • tiers-secteur
  • économie sociale
  • sociétés coopératives
  • radios associatives
  • télévisions associatives
Christian Pradié
Christian Pradié, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis. Membre du Groupe de recherche sur les enjeux de la communication, (Gresec, université Stendhal – Grenoble III).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/24023
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