CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Lundi 20 septembre 1976, université de Pennsylvanie, département d’anthropologie (University Museum), salle 327, 10 heures : Erving Goffman ouvre son cours intitulé Social Interaction sur le thème « Ritualizations and displays ». Il faut s’accrocher : non qu’il parle particulièrement vite, ou de manière terriblement abstraite, mais il suppose que ses étudiants ont déjà beaucoup lu en éthologie, anthropologie, linguistique. Un peu comme si la bibliographie de 347 références qu’il a distribuée au début du cours était déjà assimilée. Je prends beaucoup de notes mais je décroche par moments : à quoi Goffman fait-il donc allusion ? Je ne retrouve pas l’auteur de La Présentation de soi, un livre qui m’avait ébloui quelques années auparavant.

2Le présent article se donne pour objectif de montrer que la notion de rituel chez Goffman, telle qu’elle s’exprime dans son cours de 1976, est à la croisée de deux grandes traditions intellectuelles : la sociologie religieuse d’inspiration durkheimienne d’une part, l’éthologie classique, d’autre part. Dans ses travaux des années 1950 sur les « rites d’interaction », l’inspiration est quasi-exclusivement durkheimienne. Les interactions sont des cérémonies pleines de tenue et de déférence. Mais les travaux des années 1960, qui aboutissent à la publication de Relations in Public en 1971 font explicitement appel à l’éthologie. Le rituel devient ritualisation, et la dimension symbolique de l’interaction se rétrécit au profit de sa dimension comportementale. Dans les tout derniers travaux de Goffman, l’analyse conversationnelle prend le relais de l’éthologie pour envisager les interactions verbales comme des enchaînements séquentiels gouvernés par la « condition de félicité ». Les dieux sont redevenus des primates, mais des primates polis, qui attendent leur tour pour parler.

« L’idole est à la personne ce que le rite est à l’étiquette »

3Cette phrase un peu mystérieuse est la conclusion des deux pages que Goffman consacre dans sa thèse de doctorat (1953, p. 102-103) au « modèle rituel » de l’interaction sociale : « Plus encore qu’un jeu de gestion informationnelle, l’interaction conversationnelle est un problème de gestion rituelle ». En quelques lignes explicitement inspirées de Durkheim (Goffman renvoie en note à Formes élémentaires de la vie religieuse), les cadres de pensée qui vont informer ses travaux ultérieurs sont mis en place. L’acteur voit les autres comme des « objets sacrés » ; il faut constamment honorer leurs « attributs sociaux » et si injure leur est faite, des actes propitiatoires doivent s’ensuivre. Goffman explique alors que si une telle approche rituelle n’est pas courante, c’est peut-être en raison de l’insistance de G. H. Mead et Weber (oui, Weber, curieusement) sur le fait que l’interaction sociale est le produit de deux personnes qui se prennent mutuellement en considération, alors que l’approche rituelle insiste sur la considération que se donnent deux personnes en interaction. Et Goffman de jouer sur deux résonances sémantiques du mot considération pour opposer les deux modèles : « Par considération, nous avons eu tendance à exprimer le calcul, non l’estime. » (1953, p. 103).

4Poursuivant alors son amplification durkheimienne, Goffman oppose les rites, positifs ou négatifs, que nous accomplissons envers des dieux à ceux que nous offrons à des personnes : « Les personnes, à moins qu’elles ne soient dans de très hautes fonctions, n’ont pas autant de pouvoir sacré ou de mana que les idoles, et ne nécessitent dès lors pas de traitement aussi cérémoniel. Une idole est à une personne ce qu’un rite est à l’étiquette. » (1953, p. 104). Étrange formule, qui reviendrait à dire qu’il faut laisser l’approche rituelle aux dieux – à la sociologie des religions – et n’aborder les personnes qu’à partir d’une sociologie de la politesse. Je pense que Goffman s’est laissé emporter par sa phrase, sans en avoir mesuré toutes les conséquences. D’ailleurs, la phrase précédente autorise une analyse des interactions ordinaires en termes de rites de célébration et de propitiation. Et les articles des années 1955-1956 confirmeront cette approche de manière éclatante.

« Dans notre monde urbain et séculier, la personne se voit impartir une espèce de sacralité »

5Goffman publie « On Face-Work » (en français : « Perdre la face ou faire bonne figure ? ») en août 1955 dans Psychiatry : Journal for the Study of Interpersonal Processes[1]. Malgré un sous-titre prometteur (« Analyse des éléments rituels inhérents aux interactions sociales »), les élaborations conceptuelles quant au rituel sont très ténues ; seule l’idée d’une monstration du respect est évoquée en quelques lignes : « J’emploie le terme rituel parce qu’il s’agit ici d’actes dont le composant symbolique sert à montrer combien la personne agissante est digne de respect, ou combien elle estime que les autres en sont dignes » (Goffman, 1974, p. 21). L’essentiel de l’article est consacré au développement des notions de face et de figuration. C’est en fait dans « La tenue et la déférence », paru initialement en juin 1956 dans American Anthropologist, que Goffman tente « d’édifier un échafaudage conceptuel » à partir de l’idée durkeimienne d’une sacralité de la personne : « La personnalité humaine est chose sacrée ; on n’ose la violer, on se tient à distance de l’enceinte de la personne, en même temps que le bien par excellence, c’est la communion avec autrui » (cité par Goffman, 1974, p. 65). Exploitant les données d’un premier terrain en milieu psychiatrique [2], Goffman va construire les notions de déférence (« Par ce mot, je désigne un composant symbolique de l’activité humaine dont la fonction est d’exprimer dans les règles à un bénéficiaire l’appréciation portée sur lui, ou sur quelque chose dont il est le symbole, l’extension ou l’agent ») et de tenue (« J’appelle tenue cet élément du comportement cérémoniel qui se révèle typiquement à travers le maintien, le vêtement et l’allure, et qui sert à montrer à l’entourage que l’on est une personne douée de certaines qualités, favorables ou défavorables »). Tenue et déférence relèvent des « activités cérémonielles » dans lesquelles s’engagent souvent deux ou plusieurs personnes qui entrent en interaction. Goffman va ainsi parler des salutations, des excuses, des compliments que s’échangent les interactants comme des « rites statutaires » ou des « rites interpersonnels » [3]. Et il retrouve la définition du rite donnée dans « On Face-Work » : « J’emploie le terme rites, car cette activité, aussi simple et aussi séculière soit-elle, représente l’effort que doit faire l’individu pour surveiller et diriger les implications symboliques de ses actes lorsqu’il se trouve en présence d’un objet qui a pour lui une valeur particulière » (1974, p. 51). Ce qui est intéressant ici, c’est qu’il renvoie à la définition du « respect » chez Radcliffe-Brown dont il cite la proposition suivante : « Il existe une relation rituelle dès lors qu’une société impose à ses membres une certaine attitude envers un objet, attitude qui implique un certain degré de respect exprimé par un mode de comportement traditionnel référé à cet objet [4] ». Goffman s’affilie ainsi à l’approche très sécularisée de la notion de rite que l’on peut observer au sein de l’anthropologie sociale britannique, de Leach (1954, 1962) à Gluckman (1962), et qui gagnera ensuite l’anthropologie et la folkloristique américaines (cf. Moore et Myerhoff, 1977). Mais il serait trop rapide d’en conclure que Goffman, tel un anthropologue britannique, sécularise la notion de rite en l’appliquant aux poignées de main autant qu’aux couronnements. Certes, il déloge le rite de sa niche religieuse pour la diffuser dans la « vie séculière urbaine », mais « ce monde profane n’est pas aussi irréligieux qu’il y paraît » (1974, p. 84). À plusieurs reprises, Goffman va répéter que les hommes sont des « objets sacrés » et s’il file jusqu’au bout de ses ressources la métaphore des interactions entendues comme des cérémonies religieuses (« Point besoin d’intermédiaires entre de tels dieux : chacun d’eux sait être son propre prêtre »), ce n’est pas pour rendre son texte poétique – il cherche en fait à faire comprendre que le sacré est au c œur du séculier le plus quotidien.

6Cette prise de position théorique va alors connaître une éclipse pendant une quinzaine d’années dans l’œuvre de Goffman ; ce n’est pas qu’il la rejette mais il ne l’exprime quasiment plus de manière ouverte. C’est ainsi que l’on retrouve encore dans son premier livre, Presentation of Self in Everyday Life (1959/1973), la phrase de Durkheim sur la personnalité humaine comme « chose sacrée ». Mais elle a perdu toute sa force paradigmatique : elle n’est plus qu’un écho d’une réflexion de Simmel sur la « sphère idéale » entourant chaque être humain, que Goffman avait utilisée dans « La tenue et la déférence » pour caractériser les « rites d’évitement » (1974, p. 56). Goffman ne parle plus de ceux-ci dans Présentation de soi, pas plus que des autres catégories de rites. Tout se passe comme si la métaphore théâtrale qui domine Présentation de soi occultait le modèle rituel. Mais dans Behavior in Public Places (1963), qui ne convoque plus la métaphore théâtrale, le vocabulaire des rites est tout aussi absent ; c’est en fait le modèle de la « gestion informationnelle », déjà employé dans sa thèse de doctorat, que Goffman utilise. Encounters (1961) et Strategic Interaction (1969), deux petits livres moins connus en France, font également l’impasse sur ce cadre d’analyse. Et puis, Relations in Public (1971) renoue soudainement, de manière à nouveau très explicite, avec Durkheim, avec les rituels [5] positifs et négatifs, les « rites interpersonnels » et les « rites d’évitement » (disparus depuis 1956). Les « rites de présentation » sont remplacés par des « rituels confirmatifs », qui se démultiplient en « rituels d’identification », « rituels d’entretien », « rituels de reconnaissance », etc. Que s’est-il passé ? La réponse que je propose est simple : Goffman a découvert l’éthologie.

« Un petit patrimoine de sanctitude »

7Déjà présente dans quelques notes subpaginales de Strategic Interaction, l’éthologie est pleinement présente deux ans plus tard dans Relations in Public. Elle va réintroduire la notion de rituel dans les travaux de Goffman, mais elle va en modifier considérablement le sens – un peu comme si les primates prenaient la place des dieux des années 1950. En 1971, il n’est plus question de cérémonies ; il ne s’agit plus que de parades (displays). La définition du rituel est devenue assez technique : « acte formel et conventionnalisé par lequel un individu manifeste son respect et sa considération envers un objet de valeur absolue, à cet objet ou à son représentant (1973, p. 73). Cet « objet de valeur absolue » peut être un autre individu, bien sûr, mais Goffman ne le précise pas. On ne peut manquer de relever aussi qu’il parle dans cette définition de « respect », comme dans la tradition anthropologique britannique sécularisant le rituel. De fait, le rituel goffmanien de 1971 apparaît bien séculier. Mais il faut souligner que Durkheim est de retour : Goffman le convoque explicitement pour rappeler la « thèse classique » distinguant rituels positifs et rituels négatifs. Il faut également noter que le bénéficiaire d’un rituel positif possède encore un « petit patrimoine de sanctitude » (sacredness). Tout se passe en fait comme si la thèse de 1956 quant au caractère sacré des personnes était réduite à la portion congrue mais n’avait pas entièrement disparu. Le symbolique et le comportemental doivent encore co-exister au sein du rituel de 1971. Plus pour longtemps : c’est ce que montre bien le cours du 20 septembre 1976, auquel j’avais assisté sans trop comprendre ses tenants et aboutissants. Ce n’est qu’aujourd’hui, 29 ans plus tard, que je parviens à donner une cohérence d’ensemble à mes notes.

« Le corps est quelque chose que vous portez avec vous »

8Goffman ouvre son cours en évoquant brièvement les rites chez Durkheim comme des « cérémonies de confirmation du rapport des individus au monde » [6]. Mais il ne s’étend pas ; il rappelle seulement comment Parsons, s’appuyant sur Durkheim, va opposer les fonctions instrumentales aux fonctions expressives des rituels. Le reste de la séance est consacré à la notion de « ritualisation », telle que des éthologistes comme Julian Huxley [7] l’ont développée à partir d’une série de caractéristiques formelles. Dans cette perspective, explique Goffman, peut être qualifié de rituel tout « élément de comportement » (bit of behavior) qui montre les propriétés suivantes :

  • formes distinctes qui le rendent stéréotypé ;
  • fréquence régulière de l’accomplissement (performance) ;
  • échelle de l’acte [8] ;
  • exagération de quelques éléments de l’acte ;
  • augmentation ou diminution de la vitesse de (présentation) de certains éléments, au point qu’ils se figent ou se rigidifient ;
  • quelquefois, occurrence hors contexte.
Dans mes notes de septembre 1976, juste après cet alignement des caractéristiques formelles du rituel, j’ai pris au vol un commentaire de Goffman : « Les études sur l’animal sont intéressantes pour nous parce qu’elles nous permettent de voir différemment : nous passons d’actes indifférenciés à des actes très localisés et très structurés (patterned), du comportement ordinaire à la dissection (breaking down) des actes (qui le composent) ». Implicitement, Goffman passe ainsi de la ritualisation animale aux rituels humains, mais sans réduire ceux-ci à celle-là ; il s’agit seulement de se donner les moyens de changer d’optique, de dégager les structures, de travailler en finesse. On retrouve les conclusions de la « Préface » de Relations en public : « Plus important encore, ils (les éthologues – sic) ont mis au point un travail sur le terrain qui les conduit à étudier les conduites animales de très près, en gardant le contrôle idées préconçues. Ils en ont retiré l’aptitude à découper à ses points d’articulation le flux de l’activité animale apparemment fortuite, et à isoler des schémas naturels. Il suffit de faire remarquer ces séquences comportementales à l’observateur pour que sa vision en soit changée » (Goffman, 1973 : 18).

9Goffman veut pouvoir procéder de la même façon avec les conduites humaines, sans être encombré a priori par des considérations sur leur épaisseur culturelle, leur dimension historique ou leur valeur symbolique. Son adoption d’un point de vue éthologique est donc, pourrait-on suggérer, anti-idéaliste. Il s’agit d’abord de voir les interactions entre êtres humains dans toute leur platitude matérielle de corps en circulation dans l’espace. Dans mes notes de septembre 1976, je retrouve ceci : « … le corps est quelque chose que vous portez avec vous … les individus sont des choses matérielles, (dont l’observation) peut être basée sur des indications purement physiques, (à l’instar) de voitures envisagées comme des objets non intentionnels qui sont placés sur une trajectoire ». Je retrouve ici le Goffman qui m’enverra suivre le cours d’éthologie de W. John Smith au zoo de Philadelphie: pendant un semestre, bloc et crayon en main, j’observerai de petits singes perpétuellement en mouvement, en essayant de reconstituer leur parcours à travers l’enclos. L’exercice, au départ fastidieux, est devenu progressivement assez fascinant, parce qu’une relative capacité à prédire leur comportement s’est développée au fil des semaines, sur la base d’un repérage des « points d’articulation » de leurs conduites, qui sont bien moins erratiques qu’une observation superficielle le laisserait croire. Mais Goffman continue, toujours lors de son séminaire du 20 septembre 1976 : « … la ritualisation apparaît avec l’externalisation de l’intentionnalité ». Cette remarque est importante parce qu’elle montre que l’adoption par Goffman d’un point de vue éthologique n’est pas seulement méthodologique, comme son invitation à l’observation des corps, des voitures ou des singes en mouvement le laisserait supposer. Elle est également théorique, comme une petite phrase de Goffman dans sa préface à Relations en public le laisse bien penser : « Les éthologues apportent (donc) des idées neuves ». En l’occurrence, l’éthologie lui donne le moyen d’en finir avec l’éternel débat sur l’intentionnalité du comportement. Pour les éthologistes de la génération que Goffman a pu connaître, les comportements ritualisés « traduisent la motivation momentanée de l’individu », explique MacFarland (1990, p. 787), qui propose l’illustration suivante : « Avant de prendre son envol, l’oiseau se ramasse, plie ses pattes, ramène sa tête en arrière, lève la queue puis il prend son élan, étend la tête et les pattes, abaisse la queue et s’envole. La première phase peut être considérée comme une série de mouvements d’intention qui peuvent être répétés plusieurs fois tant que l’oiseau hésite à s’envoler ». Et de conclure : « Cette forme ritualisée du vol intentionnel est très répandue chez les oiseaux ». John Smith, l’éthologiste auprès de qui Goffman m’avait envoyé, ira une étape plus loin : les « interactions formalisées », comme il les appelle dans The Behavior of Communicating (1977, p. 426-457) sont aussi répandues dans le règne animal que parmi les hommes. Les domaines où il est possible de les observer sont souvent identifiques : salutations, approches de séduction, défis et contestations (challenges). La conversation est sans doute l’apanage de l’espèce humaine, mais elle correspond parfaitement à la définition de la ritualisation, en raison de sa « structure formelle » : démarrage, maintien, clôture. Smith s’appuie sur les travaux de Kendon, Duncan, mais aussi de Sacks et Schegloff, pour montrer comment le comportement de conversation est susceptible d’être analysé séquentiellement de manière rigoureuse.

10On retrouve ici le dernier Goffman, celui de Forms of Talk (1981), qui explique d’entrée de jeu que ses trois objets d’étude sont la ritualisation, les cadres de participation et l’enchâssement. On voit mieux maintenant comment Goffman passe de l’éthologie à l’analyse conversationnelle. Il s’agit d’une même quête des structures formelles. Les « paires adjacentes » sont des séquences relativement prévisibles, au même titre que les battements de queue des oiseaux – pour le dire trop vite. La tenue et la déférence, les composantes symboliques de l’interaction – et d’une interaction qui ne se réduit pas à une conversation – sont désormais très loin [9]. La « condition de félicité », qui est la présupposition ultime de toute conversation selon Goffman (1983/1987), est en fait une condition de pertinence située ; elle ne s’ancre pas dans l’histoire des personnes, des groupes ou des institutions. Curieusement, Goffman semble renouer in fine avec sa thèse de doctorat, qu’il définissait comme « une étude de l’interaction conversationnelle » (1953, p. 1). Et l’on pourrait même se demander si la phrase étrange que j’avais évacuée afin de maintenir son auteur dans le droit-fil d’une approche rituelle de l’interaction, ne retrouve pas maintenant toute sa pertinence : les rites appartiennent aux idoles, comme l’étiquette appartient aux personnes. Il n’y a plus d’idoles, plus de rites, juste une étiquette localisée permettant d’agencer poliment les tours de parole entre les personnes présentes.

Notes

  • [1]
    Il faudrait étudier le rôle de la revue Psychiatry au sein des sciences sociales américaines des années 1950 ; elle accueille, grâce à l’ouverture d’esprit de sa rédactrice en chef, Helen Swick Perry, nombre d’articles qui ne relèvent pas a priori de la psychiatrie. Son fondateur, Harry Stack Sullivan, dont Perry écrira la biographie officielle, voulait maintenir un dialogue permanent entre la psychiatrie et les sciences sociales. Goffman publiera ainsi trois articles dans Psychiatry. La présente note est écrite en hommage à H. Swick Perry, que je n’ai jamais rencontrée, mais avec qui la correspondance en 1992-1993 s’est révélée exceptionnellement généreuse.
  • [2]
    Avant son terrain d’un an à l’hôpital psychiatrique de St. Elizabeths, Goffman mènera au cours de l’automne 1954 une observation participante au Centre clinique du National Institute of Mental Health. Comme il l’explique lui-même dans une note, « Durant deux mois, l’auteur participera à la vie du service en qualité officielle de sujet de contrôle, mangeant et frayant avec les malades le jour, et dormant parfois sur place » (1974, p. 43-44, note 2).
  • [3]
    Ritual en anglais ; je suis la traduction française d’Alain Kihm pour ne pas entrer dans la discussion rite vs. rituel.
  • [4]
    Dans la traduction française, aucune référence n’est mentionnée ; dans le texte original, Goffman renvoie en fait par un « op. cit. p. 123 » à Structure and Function in Primitive Society.
  • [5]
    Dans Relations en public, ritual est traduit par rituel, et non plus par rite.
  • [6]
    Je cite mes notes, qui n’ont pas nécessairement réussi à capter Goffman verbatim.
  • [7]
    Huxley (1887-1975) a coordonné en 1966, à la suite d’un grand colloque sur le même thème, Ritualization of Behaviour in Animals and Man (traduit chez Gallimard en 1971). Goffman mentionne cet ouvrage, qu’il qualifie de « très utile », dans la première note du chapitre 3 de Relations en public, consacrée à la notion de « ritualisation ».
  • [8]
    Tout ce que j’ai noté, c’est « scale of the act ». En m’aidant de l’article « Ritualisation » du Dictionnaire du comportement animal (Mc Farland, 1990), je suggère que Goffman fait allusion au fait que les comportements ritualisés chez les animaux se déploient souvent à une autre échelle (réduite ou agrandie) que les mouvements dont ils sont issus et qu’ils ont transformés en signaux spécifiques (cf. aussi Renck et Servais, 2002 : 76-77).
  • [9]
    Dans un texte très serré, Michel de Fornel montre que Goffman « s’est de plus en plus nettement éloigné d’une théorie de l’échange conversationnel comme rituel » mais qu’il en « maintient le principe fondamental en soutenant l’existence de la condition de félicité » (1989, p. 193). Cette analyse confirme la mienne, tout en l’affinant.
Français

L’article se donne pour objectif de montrer que la notion de rituel chez Goffman est à la croisée de deux grandes traditions intellectuelles : la sociologie religieuse d’inspiration durkheimienne, d’une part, l’éthologie, d’autre part. Dans ses travaux des années 1950 sur les « rites d’interaction », l’inspiration de Goffman est quasi-exclusivement durkheimienne. Les interactions sont des cérémonies que de petits prêtres rendent à de petits dieux. Mais Relations in Public (1971) marque un tournant : l’analyse des interactions, sous l’influence de l’éthologie, devient beaucoup plus comportementale. Le rituel devient une ritualisation. Dans ses tout derniers travaux, l’analyse conversationnelle prend le relais de l’éthologie. Goffman réduit l’interaction à un déroulement de séquences formalisées. Les dieux sont redevenus des primates, mais des primates bavards.

Mots-clés

  • Goffman
  • rituel
  • interaction
  • micro-sociologie
  • histoire des idées

Références bibliographiques

  • De Fornel, M., « Rituel et sens du rituel dans les échanges conversationnels », in collectif, Le Parler frais d’Erving Goffman, Paris, Éditions de Minuit, 1989, p. 180-195.
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  • Goffman, E., The Presentation of Self in Everyday Life, New York, Anchor Books, 1959 ; traduction française par A. Accardo, La Mise en scène de la vie quotidienne, t. I : La Présentation de soi, Paris, Éditions de Minuit, 1973.
  • Goffman, E., Encounters : Two Studies in the Sociology of Interaction, Indianapolis, Bobbs-Merrill, 1961.
  • Goffman, E., Behavior in Public Places : Notes on the Social Organization of Gatherings, Glencoe, Ill., The Free Press, 1963.
  • Goffman, E., Interaction Ritual : Essays on Face to Face Behavior, New York, Doubleday Anchor, 1967 ; traduction française par A. Kihm, Les Rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
  • Goffman, E., Strategic Interaction, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1969.
  • Goffman, E., Relations in Public : Micro-Studies of the Public Order, New York, Basic Books, 1971 ; traduction française par A. Kihm, La Mise en scène de la vie quotidienne, t. II : Les Relations en public, Paris, Éditions de Minuit, 1973.
  • Goffman, E., Forms of Talk, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1981 ; traduction française par A. Kihm, Façons de parler, Paris, Éditions de Minuit, 1987.
  • Leach, E., Political Systems of Highland Burma. A Study of Kachin Social Structure, Londres, Bell and Sons, 1954 ; traduction française : Les Systèmes politiques des hautes terres de Birmanie, Paris, Maspero, 1972.
  • Leach, E., « Ritual », in International Encyclopedia of the Social Sciences, New York, The Free Press, 1968, vol. 13, p. 520-526.
  • Mcfarland, D. (dir.), Dictionnaire du comportement animal, Paris, Robert Laffont, 1990.
  • Moore, S. F., Myerhoff, B. G. (dir.), Secular Ritual, Assen/Amsterdam, Van Gorcum, 1977.
  • Renck, J.-L., Servais, V., L’Éthologie. Histoire naturelle du comportement, Paris, Éditions du Seuil, 2002.
  • En ligneSmith, W. J., The Behavior of Communicating, Boston, Harvard University Press, 1977.
Yves Winkin
École normale supérieure Lettres et sciences humaines, Lyon
Yves Winkin, professeur à l’École normale supérieure Lettres et sciences humaines, Lyon. Laboratoire communication et politique, CNRS, Paris.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/23991
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