1La construction du rituel comme objet scientifique a pris sa source puis s’est longuement développée dans le champ du religieux. En anthropologie, elle s’est inscrite tout d’abord dans le domaine du sacré avant de gagner celui du profane. Après les travaux pionniers de Frazer, ceux de Van Gennep (2000) sur les différentes étapes du cycle de vie de l’individu ont constitué un pas important dans la compréhension de la fonction et des structures des rituels. Durkheim (1960) définira à son tour les rites comme des règles de conduites qui prescrivent comment l’homme doit se comporter avec des choses sacrées. En créant du sens, le rite devient un symbole (Douglas, 2001) ; il ordonne le réel en reproduisant un ordre social [1]. Dès les années 1960, le rite intègre le domaine du profane, le sacré ne se limitant plus alors au seul domaine du religieux. Il va s’étendre à de nouveaux champs comme les fêtes, les cérémonies politiques ou civiles comme les pratiques sportives. Autrement dit, les rituels vont permettre aux institutions de remplir leur fonction sociale (Wulf, 2002). C’est dans cette perspective que nous allons questionner les formes prises par quelques rituels de séduction dans différentes sociétés qui impliquent autant des jeux d’acteurs que des jeux de corps en reflétant des formes d’organisation sociale propre à chaque groupe humain.
Le rituel
2À l’heure actuelle, les recherches en sciences sociales portent sur la nature polysémique du rite et sur les formes nouvelles qu’il adopte en fonction des transformations du social. Dans ce déplacement sémantique, la définition du rite se trouve élargie et insiste sur les normes culturelles observables dans des comportements codifiés : « structures d’actions séquentielles, de rôles théâtralisés, de valeurs et de finalités, de moyens réels et symboliques, de communication par système codé » (Rivière, 1996, p. 232). Le rite profane se différencie ainsi du rite religieux, qui lui s’attache à l’« être moral » de la société et au rapport entre l’individu et le divin. Le rite s’inscrit dans un rapport à l’altérité, dans un réseau de relations, dans lequel il devient un facteur d’intégration identitaire. Le rite se distingue du rituel, ce dernier se référant plus spécifiquement à un ensemble de déploiement cérémoniel (Smith, 2000). Le rituel se définit comme « des formes codifiées, des modèles de conduite pour orienter les pratiques ; il tend notamment à faciliter les communications à l’intérieur d’un groupe, à contenir et canaliser les pulsions et émotions qui pourraient menacer les rapports interpersonnels » (Picard, 1996, p. 240) [2]. Le rituel est ainsi envisagé davantage comme une relation spécifique, « un rapport de l’homme aux choses et aux personnes » (Gruau, 1999, p. 35) fondé sur des valeurs codifiées, qui engendre une répétitivité des comportements.
3Dans les recherches de « ritologie », le corps occupe une place privilégiée centrale. Pivot de l’être social, il incorpore les émotions et révèle l’action selon des normes de la société. D’après Rivière, les rituels du corps ont pour fonction d’inhiber « les conduites qui ne répondraient pas au code collectif de l’échange fondé sur la présentation d’un corps socialisé et sexué » (1995, p. 147). De nombreux actes sur le corps intègrent les rituels profanes, leur fonction étant de parfaire la nature, d’enlever l’éphémère et l’illusoire pour inscrire le corps dans l’ordre de la culture, et par extension dans le sacré. Les pratiques diverses comme le savoir-vivre (Picard, 1996), l’alimentation, la parure ou le sport (Roland, 1992) s’inscrivent dans une ritualisation quotidienne ; elles engendrent des comportements répétés et signifiants socialement. Dans la continuité des travaux de Goffman (1996), de nombreux chercheurs parlent alors d’attitudes rituelles, notamment lors d’interactions sociales nécessitant une codification comportementale, selon le statut et les rapports sociaux des individus. Ces attitudes rituelles se fondent sur des pratiques et des représentations qui définissent « l’image de soi et de l’autre et qui portent le sens d’une relation » (Baudry, 1992, p. 149).
La séduction
4La notion de séduction est peu définie en sciences humaines, les auteurs l’emploient en général dans un sens commun sans opérer une réflexion tant méthodologique que théorique. Elle est traitée par les historiens ou les littéraires à travers une image-type de la séductrice (courtisanes vénitiennes) ou du séducteur comme Don Juan [3]. La démarche anthropologique va à l’encontre de la création de telles typologies qui apparaissent peu pertinentes, voire vides de significations quant à l’usage individuel et collectif de la séduction. Une confusion de sens provient du fait qu’elle se trouve associée à d’autres notions telles que la sexualité, le fantasme, l’érotisme, la drague ou le charme. Il apparaît nécessaire, dans un premier temps, d’isoler cette notion pour la définir, puis dans un second temps, de voir quelles corrélations elle entretient avec d’autres notions. Certaines recherches évoquent l’existence de rituels de séduction [4], la question posée est de savoir si la séduction a besoin d’un rituel, c’est-à-dire d’un ensemble de règles de comportement, pour se réaliser.
5Selon Canto-Sperber, la séduction se construit sur une invention de l’individu par lui-même dans l’image qu’il choisit d’endosser afin de susciter un lien avec l’autre sexe. Étant un mode spécifique de communication, la séduction a besoin de passer par un rituel, qui construit à la fois l’acte de parole et l’attitude gestuelle prise dans le sens d’un positionnement particulier du corps. Ces codes doivent être partagés par les deux individus pour pouvoir être perçus, lus et déchiffrés. Ainsi, un rire ou un regard partagé établissent une communication en apparence ludique et spontanée. Mais le fondement de celle-ci relève davantage de la création d’un personnage fictif. Tout dans ce jeu est en réalité construit [5], le vêtement, l’intonation de la voix, la posture choisie révèlent la mise en scène d’une stratégie pour plaire. L’individu séducteur est un émetteur [6] auquel le récepteur sera plus ou moins sensible. La séduction doit alors être entendue comme une communication verbale ou non verbale, intentionnelle et consciente [7]. Elle mobilise les sens humains, notamment le champ du visuel, pour capturer l’autre, interpréter ses réactions verbales ou gestuelles et réagir en fonction des effets produits sur le récepteur en adaptant ses propres comportements. Elle franchit une distance pour établir une proximité, elle permet de maintenir l’interaction en tension, en jouant conjointement du réel et du ludique. Selon Baudrillard (1998), la construction de la séduction passe par un vaste système de représentations qui vont s’incorporer dans un mouvement, afin de le rendre signifiant. Le passage de cet univers symbolique dans la réalité vécue se réalise selon l’auteur par un jeu codé ou un « simulacre des apparences ».
6Divers exemples ethnographiques [8] démontrent que la séduction se fonde sur une image corporelle façonnée par certains traits culturels comme au travers de l’art de parler ou de chanter, par un mode d’exécution des techniques corporelles comme la danse ou à travers des pratiques esthétiques comme le maquillage. La séduction est toujours l’objet d’une codification sociale, quelle que soit la société étudiée, qui tend à inscrire les modalités de l’acte de séduire dans la ritualité. Si les rituels de séduction sont des invariants, les formes qu’ils prennent ne le sont pas, car ils dépendent d’éléments culturellement définis qui déterminent la codification comportementale. La séduction s’élabore sur des normes à la fois sociales et/ou esthétiques qui fournissent un cadre de références et de symboles dans une société donnée. En conséquence, elle possède par nature un caractère évolutif, car dépendante elle demeure soumise à des canons esthétiques et à divers codes tels que le vêtement, la bienséance, la mode. Ces normes socio-esthétiques se transforment au cours du temps en fonction de nombreux facteurs corrélés [9].
7La séduction doit être distinguée du charme [10] qui ne représente pas une attitude codifiée. En effet, le charme est conçu comme une émanation de la personne, une « aura » pensée comme naturelle, mais qui n’est ni spontanée, ni immédiate, et dont pourtant l’effet peut être rapproché de la séduction. Pierre Bourdieu associe le charme à la capacité de l’individu à maîtriser et à transmettre une certaine image corporelle [11]. La séduction cristallise un ensemble de significations, de référents communs, qui, combinés ensemble, vont conférer un sens en rompant les relations sociales interpersonnelles [12]. Dans cette communication orientée, nous retrouvons l’image du comédien sur scène, chère à Goffman, c’est-à-dire celle de la façade adoptée par tout individu pour qu’il puisse maintenir un rôle (2000). La séduction s’élabore sur des rites du paraître [13], notamment lors d’apparitions en public comme pour les meetings politiques. La séduction établit une communication souvent comparée au jeu amoureux, sans avoir forcément une finalité sexuelle. Le rapport entre la séduction et la sexualité est étroit, car la séduction s’élabore sur une mise en valeur de parties du corps. En effet, la féminité comme la masculinité sont mis en scène à travers la parure et les pratiques vestimentaires, qui valorisent les attributs sexuels.
8L’idée qu’il existerait un rituel de séduction a déjà été proposée par Maertens (1978) et Rivière (1995), mais celui-ci ne concernerait, pour eux, que la transformation corporelle de manière temporaire (maquillage) ou permanente (tatouage) : « la visée de séduction, malgré un caractère fragile et superficiel, relève de la ritualité occidentale en ce qu’il est action symbolique, repérable et identifiable historiquement, manière d’agir qu’impose soit la mode, soit les circonstances, série d’opérations répétées avec plusieurs agents de coloration […] pour transformer le donné naturel en le rendant auto-satisfaisant, plus seyant, agréable au regard, selon les critères culturels particuliers » (Rivière, 1995, p. 148). Pourtant, le rituel ne peut se réduire à cette seule catégorie opératoire ; déjà Leach associait la communication au rituel la communication : « conduites qui font partie d’un système de signalisation et servent à transmettre de l’information, non pas en raison d’un lien mécanique entre moyens et fins, mais à cause de l’existence d’un code de communication culturellement défini » (1980, p. 323). Le rituel comporte une transmission d’informations codifiées selon des normes qui s’appliquent à la séduction. Cette dernière, pour être performative ou efficace, a besoin du rituel pour pouvoir être déchiffrée comme jouée par l’émetteur, sans lequel elle serait incompréhensible ou mal interprétée par le destinataire du message. À travers trois exemples de rituels de séduction, nous allons voir que le rituel prend diverses formes et qu’il concerne de manière différenciée les deux sexes.
9Dans les sociétés occidentales, les individus élaborent des images d’eux-mêmes à partir de mythes et des images véhiculés par les médias (presse et cinéma), qui contrôlent la dynamique des formes du rituel de séduction. Dans les travaux menés par Baudrillard (1970) et Lipovetsky (1999), la séduction est analysée comme un ensemble de techniques de commercialisation de modèles à travers certains phénomènes, comme la presse féminine. Les médias définissent des normes esthétiques de la féminité et de la masculinité, qui agissent comme « une instance transcendante et diverses valeurs d’ordre socio-culturel, politique, économique voire éthique lui sont associées » (Faivre, 1989, p. 107). Ils servent de référents aux rituels de séduction et les font évoluer. Ils sont bien sûr étroitement associés à l’appartenance sexuelle, qui va déterminer les modalités comme les réactions établies lors de la relation. Ces rituels prennent différentes formes qui dépendent du statut social de l’individu et de son pouvoir économique, notamment dans le cas des hommes. Si auparavant, la femme était dominée économiquement, le rituel de séduction se fondait sur une relation de pouvoir dissymétrique, mais suite à la révolution sexuelle et à l’indépendance économique des femmes, les formes rituelles de séduction ont changé. La question à poser est celle d’une neutralité sexuée des rituels de séduction : « Ce qu’on a coutume d’appeler séduction a en effet perdu une grande partie de son sens dans une société comme la nôtre (moderne), où les femmes sont désormais beaucoup plus sexuellement accessibles aux hommes que jamais auparavant. » (Giddens, 2004, p. 107). Sous l’impulsion des médias et publicités, les vêtements et les soins du corps transforment autant les pratiques masculines que féminines, pour correspondre à un idéal de beauté fondé sur la santé et la jeunesse. Les hommes ne peuvent plus désormais séduire uniquement par leur statut social, mais ils doivent savoir façonner leur apparence comme les femmes. À l’inverse des positions de Giddens pour qui l’affichage de la sexualité dans une société signifie que la séduction est moins opérante, il apparaît que les rituels actuels mettent en scène des codes similaires aux deux sexes.
10Dans d’autres systèmes culturels, les formes du rituel se sont construites selon d’autres normes. Ainsi au Japon, les geishas ou « celles qui excellent dans les arts du monde flottant » [14] subissent un long apprentissage, de l’élocution, du chant, de la musique (notamment du shamisen), de la danse en public, de l’art des fleurs et du thé. Elles sont également initiées à l’art du maintien et du divertissement, puis à l’art du maquillage et du port du kimono. À l’issue de cette longue éducation, chaque geisha possède l’art de converser avec les hommes quelque soit leur statut, comme une spécialité artistique, qui va contribuer à sa renommée lors des banquets ou des soirées masculines dans les maisons de thé. L’ensemble des qualités possédées par les geishas comme la loyauté, la discrétion et le raffinement est est très prisé dans la société japonaise ; autrefois, elles étaient les garantes du code de l’honneur masculin et de certaines traditions. Pour Buisson, « les geishas élevèrent ainsi la séduction au rang d’une esthétique où il fallait sans cesse redéfinir la science raffinée des prémices » (2004, p. 75), les attitudes verbales et gestuelles des geishas sont extrêmement ritualisées pour manifester une retenue affichée associée à une maîtrise parfaite du corps. La geisha tient son statut dans la société japonaise du fait qu’elle n’est pas mariée et qu’elle représente une image positive de la femme « les geishas passent pour être séduisantes, artistes et spirituelles, là où les épouses sont censées être ternes » (Dalby, 1992, p. 10). La séduction féminine au Japon provient d’attributs corporels comme la chevelure noire, le cou et les pieds, qui sont des parties du corps jugées érotiques. Leur mise en valeur se réalise par le code des pratiques vestimentaires et des couleurs. Le col du kimono constitue ainsi la première parure de la femme japonaise et la forme du vêtement est étroitement associée au charme. Le maquillage blanc de la nuque est mis en valeur par le noir du cheveu et par la coiffure en chignon comme par le col blanc et rouge de la doublure du kimono. Le rituel de séduction s’élabore aussi sur le maintien corporel et l’art de suggestion de la peau. Dans la démarche, la femme remonte le pan de son kimono, ce qui laisse entrevoir la cheville et le pied, le poignet laisse entrevoir le bras à travers la manche.
11Ce qui est à la fois caché et suggéré est jugé élégant et séduisant ; à l’inverse, montrer une nudité est un signe de vulgarité. La conception japonaise de la séduction lie la beauté corporelle à l’art et à l’esprit, « la vie devient un art permanent », car il s’agit autant de se discipliner soi-même que de maîtriser des techniques artistiques (Dalby, 1992, p. 222). Le rituel de séduction intègre la notion japonaise d’iki (Shûzô, 2004) qui désigne l’élégance, un idéal moral fondé sur la vaillance et la conscience, qui provoque le désir envers l’autre sexe, mais renvoie aussi à la résistance à ce désir. Par la vaillance, l’individu conquiert le c œur de l’autre. Ainsi, le maquillage des geishas intègre l’iki : « la finalité sans fin de l’iki est objectivée par le sceau du rouge à lèvre … On choisira pour l’expression de l’iki au travers du sourire, le mode mineur, plaintif, plutôt que le mode majeur, vif et enjoué » (Shûzô, 2004, p. 69).
12La séduction constitue également un élément central de cérémonies rituelles, comme c’est le cas chez les Peuls du Niger. Le gerewol est une cérémonie peule annuelle [15] qui dure sept jours, au cours de laquelle sont désignés les hommes jugés les plus beaux. Cette cérémonie constitue une endurance physique pour les hommes, tant par l’effort fourni durant les danses que par une prise de nourriture restreinte en conformité aux règles de la honte [16]. Le maquillage est un des actes fondateurs de la fête : les hommes se recouvrent d’une poudre ocre rouge le visage, puis ajoutent de la graisse pour le faire briller. Après avoir mis du khôl sur les yeux, ils tracent des points sur les joues, suivis d’un trait vertical sur le menton. Enfin, ils noircissent leurs lèvres et leurs sourcils à l’aide de cendres et de beurre. Sur un pantalon, ils ajoutent un pagne serré pour obliger les danseurs à effectuer des petits pas et on place par-dessus plusieurs ceintures décorées. Le reste de la parure se compose de colliers et de bandeaux de couleurs différentes ornant la tête, dans lesquels est insérée une plume d’autruche, symbole sexuel phallique. Pour terminer, ils placent un anneau de cheville avec des grelots qui va rythmer la danse et se munir d’un plumet de queue de cheval. Ils boivent diverses potions d’herbe, d’écorces mélangées à du lait, qui sont sensées « faire sortir leur beauté » (Van Offelen, 1996, p. 174). La cérémonie du gerewol s’élabore autour d’une danse où les hommes parés se tiennent en ligne droite, tandis que les femmes regroupées en face vont les juger. À la lumière de grands feux, une cinquantaine de danseurs soulèvent leurs pieds et leurs épaules, en balançant les bras vers l’avant. Lors de la danse, les hommes WoDaaBe jouent sur l’ouverture et la fermeture de leurs yeux, car c’est en conférant une expressivité au regard que la séduction s’opère. Les jeunes femmes s’avancent vers les danseurs, les toisent, se moquent d’eux, puis elles élisent les vainqueurs sous l’attention du public [17].
13Lors de cette cérémonie, deux lignages s’affrontent selon une logique de compétition égalitaire : chaque groupe d’hommes est jugé par les jeunes femmes du lignage opposé et vice et versa à tour de rôle. Les hommes des lignages opposés se livrent une « guerre » par des charmes magiques [18], en rivalisant pendant les danses pour que les femmes séduites ne partent pas dans l’autre lignage : « The jeerewol is the ware dance … which means the invitation to competition and ritual choosing » (Bovin, 2001, p. 50). Parallèlement, cette cérémonie favorise la mobilité sociale, en accroissant la cohésion du groupe par le rapprochement de lignages de différents campements et par l’échange de femmes (Lombart, 1981, p. 189) [19]. Ce rituel peul de séduction renouvelle ainsi un ordre social à travers la compétition et la danse comparées à une guerre rituelle. Suivant « un caractère simili guerrier » (Dupire, 1957, p. 404), cette fête contribue à la fois à augmenter le prestige des hommes et à les intégrer dans la mémoire collective par l’obtention d’un statut particulier [20].
Conclusion
14L’expression « rituel de séduction » semble contradictoire avec le concept donné par Wulf (2002) d’actions sans paroles. En effet, le rituel serait un processus d’enregistrement réactualisé des normes sociales, alors que la séduction nécessite des mises en scène codifiées pour « faire tomber l’autre ». Les exemples proposés démontrent que les rituels de séduction peuvent avoir recours à la parole, mais aussi à divers niveaux de la réalité sociale. Le rituel de séduction renvoie aussi à des interprétations de la vie sociale et à des mimesis en tant que relations de représentation. On peut ainsi se poser la question de savoir si les rituels de séduction ont bien la fonction qu’ils s’assignent (séduire l’autre) ou encore de savoir si ce qui est en jeu ne soit pas la séduction (pour soi) mais le rituel. Ainsi, le rituel de séduction, malgré l’apparente mise en œuvre de techniques gestuelles performatives visant à « posséder l’autre », laisse à penser que le rituel – pris ici en tant qu’auto-représentation scénique et corporelle – prime sur l’action de séduire. Dans la séduction, le rituel mis en œuvre relève à la fois de l’auto-séduction, de la théâtralisation et de la mimesis.
Notes
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[1]
C’est ce que démontre P. Bourdieu à travers l’analyse des rites d’institution (1982) qui légitiment le pouvoir des autorités en sanctifiant un ordre social établi.
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[2]
Le sociologue J. Maisonneuve propose une définition du rituel différente : « un comportement social, collectif, dans lequel apparaît plus nettement à la fois le caractère du rite, qui se distingue des conduites rationnellement adaptées à un but utilitaire » ou « système de conduites codifiées, ayant une signification et une valeur symboliques pour ses acteurs et ses publics, impliquant toujours le corps et un certain rapport au sacré » (1989, p. 103).
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[3]
Nous en trouvons des exemples avec l’ouvrage de Sansot (2004) sur les différents types de séducteurs et celui de Heyden-Rynsch (2004) sur les figures historiques incarnant la galanterie en Europe.
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[4]
Un exemple récent se trouve chez l’historien Matthews-Grieco (2005) lorsqu’il décrit la sexualité dans l’Europe d’Ancien Régime.
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[5]
À l’inverse de ce que laisse sous-entendre Gudin (2003) qui confond la séduction humaine et animale.
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[6]
En conformité avec les analyses de Duflot-Priot (1987 et 1976) sur l’apparence, qu’elle appréhende comme une communication non verbale avec un émetteur et un récepteur.
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[7]
À l’inverse de ce qu’affirme Canto-Sperber (2001), pour qui la séduction ne constitue pas une stratégie mais davantage une réaction émotionnelle et cognitive.
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[8]
Comme par exemple: Fortier (2004) pour la société maure ou Gast (1992) pour les Touaregs ou encore Malinowski (2000) chez les Trobriandais.
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[9]
Se référer aux travaux d’historiens comme Vigarello (2004) et Perrot (1984), ou de sociologues comme Elias (1973).
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[10]
Charmer provient du latin carmen qui signifie « chant magique ». D’après Sansot : « le charme, tel que je l’entends, me semble préférable à la séduction à laquelle il s’oppose de quelque manière. Celle-ci laisse entendre une entreprise calculée, intelligente, au service d’une volonté qui s’est fixée un but et ses moments apparents d’abandon participent à une stratégie. Le charme suppose, semble-t-il, l’intrusion d’une force étrangère mystérieuse dont on ne sait d’où elle vient et ce qu’elle a en tête » (2004, p. 21).
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[11]
« le charme et le charisme désignent en fait le pouvoir que détient un agent de s’approprier le pouvoir que détiennent les autres agents de s’approprier sa vérité propre ; ou en d’autres termes, le pouvoir d’imposer comme représentation objective et collective de son corps et de son être propres la représentation que lui-même s’en fait, d’obtenir d’autrui, comme dans l’amour ou la croyance, qu’il abdique son pouvoir générique d’objectivation pour le déléguer à celui qui en serait l’objet et qui se trouve ainsi constitué en sujet absolu, sans extérieur, pleinement justifié d’exister, légitimé » (1977, p. 52).
-
[12]
« La séduction est le coup de théâtre d’une continuité imprévisible, qui parvient à se produire là où il y avait du discontinu entre des unités discrètes comme le disent les linguistes. » (Fleischer, 2002, p. 68).
-
[13]
Les rites du paraître se définissent comme un « ensemble d’attitudes codifiées qui se doublent d’emblèmes complétifs ou substitutifs de la représentation personnelle ou collective » (Bromberger, 1990, p. 6).
-
[14]
Il faut distinguer la geisha de la prostituée par l’éducation artistique qu’elle a reçue et par l’existence de codes différents comme, par exemple, le vêtement ou le maquillage.
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[15]
Elle a lieu vers la fin des transhumances durant l’hivernage, en brousse. Le lieu est déterminé en partie par la nécessité de la présence sur le site d’un acacia, qui sert de point de repère dans la répartition du public féminin et masculin.
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[16]
Le lignage organisateur de la cérémonie offre durant la semaine les vivres, mais les invités de l’autre lignage ne peuvent s’alimenter ni boire selon leurs besoins par signe de respect.
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[17]
Les publics jouent un rôle important dans cette cérémonie, par leurs commentaires et réactions face aux danseurs. Les jeunes filles agissent de telle manière à maintenir leur attention.
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[18]
« On dit même qu’ils enterrent dans le sable une pastèque (qui contiendrait des sortilèges ayant pour effet d’amoindrir la séduction des danseurs) sur le lieu choisi pour la première danse. » (Van Offelen, 1996, p. 173).
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[19]
Les deux lignages s’échangent des femmes en simulant dans la nuit un rapt à la fin des sept jours. On retrouve dans cette cérémonie une « violence » socialement ritualisée qui recrée du lien social, comme le remarquait Piette : « Les rituels servent toujours à lier, à casser pour lier mieux et à combler tous les écarts ou les vides créés par l’hétérogénéité à l’intérieur du système social. » (1992, p. 167).
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[20]
D’après M. Bovin « the winners of the beauty contest will be remembered for a very, very long time, yes for several generations their names will be pronounced and celebrated » (2001, p. 52).