CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans l’index de nombreux livres contemporains sur les « études culturelles » ou Cultural Studies[1], on cherchera en vain, entre politique et postmoderne, un terme comme populaire. Cette omission paraît d’autant plus singulière que le champ des études culturelles a, jusqu’à nos jours, des liens très forts, historiques aussi bien que théoriques, avec l’étude, voire la défense de la culture populaire (au sens non folklorique du terme). Et pourtant ce silence s’explique : si le sens (globalement positif) de « populaire » n’a pas radicalement changé, ni au fond l’attitude (également positive) des études culturelles à l’égard de la culture populaire, le mot même (et partant la chose, suppose-t-on) se voit concurrencé de plus en plus par un grand nombre de termes qui correspondent mieux à la démarche récente, postmoderne et multiculturelle, des Cultural Studies. Quant au « peuple » (qui n’est pas the people, nettement moins marqué sociologiquement et politiquement), il est toujours apparu dans les études culturelles sous le parapluie du concept de « culture populaire ». Pour cette raison, la présente étude se focalisera essentiellement sur l’adjectif « populaire » plutôt que sur le substantif « peuple ».

La culture populaire n’existe pas...

2Nées en Grande-Bretagne dans les années 1950 dans le sillage de la démocratisation émergente de l’enseignement, les études culturelles ont redéfini radicalement notre conception de la culture. Au lieu de limiter la culture aux goûts de l’homme cultivé (c’est la célèbre définition de Mathew Arnold, lequel ne fait du reste que prolonger une longue lignée d’auteurs et d’artistes opposant ce que lui nomme culture et anarchie : « le meilleur de ce que l’on a pensé et de ce que l’on a écrit [2] »), elles ont imposé une approche plus anthropologique des phénomènes culturels, définis comme l’ensemble des pratiques symboliques et matérielles d’une société. Plus concrètement, elles s’attachent à décrire les manières dont les hommes donnent un sens à ce qu’ils vivent. C’était ouvrir la voie à l’étude sérieuse et non paternaliste de la culture populaire, même si dans un premier temps les notions de culture populaire et de culture ouvrière se chevauchaient insensiblement.

3Très vite, les études culturelles ont formulé la thèse que ces significations n’ont rien de naturel ou d’immuable, mais qu’elles sont « construites » sous la forme de représentations, c’est-à-dire de symbolisations d’un rapport au réel (que les hommes reçoivent et subissent en même temps qu’ils les modifient). Variables dans le temps, ces représentations divergent aussi synchroniquement : plusieurs représentations concurrentes circulent, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont identiques. Comme toujours, les unes sont plus égales que d’autres et suivant les rapports de force entre les groupes dont émanent ces représentations, les unes seront dominées et les autres, dominantes. Dans les sociétés modernes, ces rapports ne passent plus par la force brute, qui pousserait les représentations dominantes à censurer les représentations dominées, mais par des stratégies plus subtiles. Les représentations dominantes sont alors celles qui arrivent à se faire accepter par le plus grand nombre comme « naturelles » et « évidentes », voire comme « universelles ». Les études culturelles en déduisent un programme : analyser comment la structure des représentations cache autre chose, à savoir des rapports de force d’une grande inégalité, puis proposer des alternatives à des structures culturelles qui puissent faire entendre la voix des groupes dominés.

4Le grand intérêt des études culturelles n’est pas d’avoir plaidé la cause de la culture populaire (bien d’autres l’avaient fait avant elles), mais d’avoir montré que la culture populaire n’existe pas et que les manières d’en parler sont tout sauf innocentes. En effet, pour les études culturelles on ne peut connaître la culture populaire qu’à travers les représentations qui s’en donnent. De plus, ces représentations de la culture populaire ne sont jamais construites de l’intérieur : ceux qui « vivent » la culture populaire ne sont jamais ceux qui en (re)construisent la représentation. Depuis qu’on parle de culture populaire (grosso modo, dans la vision la plus répandue de nos jours, depuis l’irruption de la première révolution industrielle) [3], c’est toujours de l’extérieur qu’on en parle, que ce soit pour en donner une image idyllique et pastorale ou pour en dénoncer les turpitudes et les dangers. Cependant, l’enjeu politique de ces discours est toujours le même : minimiser autant que possible l’importance de la culture ouvrière qui commence à se manifester de manière visible, et visiblement gênante, au moment de l’industrialisation et dont les caractéristiques majeures (goût du divertissement, appel aux instincts les plus « bas », notamment) menacent les évidences de la culture dominante.

… mais voici comment je la vois

5La définition de la culture populaire n’est donc jamais « essentielle », mais toujours construite, historiquement déterminée, fonction de plusieurs variables, inévitablement marquée par son opposition à un pôle positif, celui de la culture bourgeoise ou d’élite, laquelle se prend (bien entendu) pour la culture tout court. Cependant, l’extrême diversité des points de vue sur la culture populaire et les variations considérables que ces perspectives ont subies au cours du temps, n’ont jamais empêché les critiques de la culture populaire de s’abandonner à des généralisations souvent excessives dont le caractère récurrent permet malgré tout d’esquisser comme un portrait-robot de la culture dominée vue par la culture dominante. Il est important de connaître ces caractéristiques, car elles aident à mieux comprendre ce qui pose durablement problème à l’étude « sérieuse » (universitaire) de la culture populaire.

6Certaines propriétés de la culture populaire, telles que les pense la culture d’élite, sont trop connues pour qu’on s’y attarde : vulgarité, grossièreté, manque de sérieux et de profondeur, commercialisation, goût du choc et insouciance de la durée, préférence donnée au corps au détriment de l’esprit, mise en avant du grand nombre et refus de l’individu, etc. En soi, cette liste n’est pas étonnante, mais elle met bien en exergue les difficultés presque insurmontables que pose l’étude, inévitablement « externe », de la culture populaire. Trois groupes de traits sont ici décisifs. D’une part, la culture populaire semble refuser tout ce qui touche de près ou de loin à la distance : c’est une culture qui exige la participation, l’imprégnation, souvent à la limite de la perte de soi (mais il convient de ne pas oublier que les notions mêmes de « soi » et de « quant-à-soi » sont dans ce contexte terriblement connotées, tellement elles sont caractéristiques de la culture d’élite soucieuse de se distinguer des instincts du troupeau). D’autre part, c’est une culture qui insiste non seulement sur le corps, mais aussi et surtout sur le plaisir, souvent, mais pas nécessairement, dans des formes excédant les règles en vigueur de la bienséance [4]. Le rejet persistant du plaisir dans les débats sur le goût et le jugement esthétique montre bien que ce qui est en cause est moins le caractère socialement inacceptable de certaines formes de plaisir que la notion de plaisir même, qui se voit comme proscrite des discussions contemporaines sur l’art [5]. À quoi s’ajoute encore, et c’est un troisième aspect, le grand écart entre la pauvreté apparente des objets que produit ou affectionne la culture populaire et la grande densité des significations dont ces objets se trouvent revêtus : contrairement à ce qui semble se passer dans la culture d’élite ou bourgeoise, les objets de la culture populaire n’ont pas de valeur « objective » et restent parfaitement interchangeables entre eux, mais ils deviennent le vecteur d’une surcharge sémantique que rien ne trahit de l’extérieur (un bel exemple en sont les fleurs en plastique que les membres des classes populaires du Brésil moderne aiment mettre sur leur appareil de télévision et qu’ils préfèrent pour mille et une raisons aux fleurs naturelles, Real, 1990).

7Le manque de recul, qui fait que la culture relève avant tout de l’ordre de l’expérience, puis la revendication du plaisir, qui devient très vite un plaisir interdit, enfin la densité paradoxale des objets, aussi « bêtes » que chargés de sens, font évidemment que la culture populaire se dérobe facilement à l’éthos scientifique de n’importe quel chercheur, même familier des techniques de l’observation participante, des interviews en profondeur et d’autres méthodes socio-anthropologiques. La culture populaire se vit, elle s’étudie mal, et le passage d’une attitude à l’autre (s’y plonger, s’en extirper, y replonger, revenir une nouvelle fois à une attitude distante et austère, et ainsi de suite) est loin d’être un problème de détail : pour bien parler de la culture populaire, il faut coller à son sujet ; pour se faire accepter par la communauté scientifique, il importe de parler aussi sa langue à elle. Quand bien même les études culturelles en ont parfaitement conscience, la scission du dit et du vécu n’est pas étrangère à la reproduction même de l’opposition entre culture populaire et culture d’élite que la discipline essaie pourtant de dépasser.

La culture populaire comme forme de résistance

8Comme le projet des études culturelles est en Grande-Bretagne un projet politique, on s’efforce de montrer que la culture populaire est une culture de résistance. D’abord contre la culture dominante de l’élite sociale, qui se trouve refusée en bloc. Ensuite contre la culture marchande des mass media. Autant que l’abus de la culture d’élite, les premiers porte-parole du mouvement dénonçaient en effet l’influence maléfique de la culture de masse venue d’outre-Atlantique. La plus grande menace pour la survie et de le développement de la culture ouvrière n’était pas le mépris des couches « supérieures » de la société, mais le nivellement et l’esprit de consommation suscités par les produits commerciaux des industries culturelles américaines. Hoggart, par exemple, dont La Culture du pauvre (1957), une étude mianthropologique mi-autobiographique de la culture ouvrière des années 1920 et 1930, passe pour le premier manifeste des études culturelles, n’a pas de mots assez durs pour l’introduction du juke-box dans les pubs, qui se traduit par l’érosion du chant en commun et de toutes les valeurs sociales relatives.

9Cette résistance est surtout pensée au niveau de la réception des produits de la culture de masse. Refusant le facile clivage des médias manipulateurs et du public manipulé, les tenants des Cultural Studies mettent au point un système d’analyse qui permet de rendre compte de la diversité réelle de la réception des produits de la culture de masse, que l’on peut soit accepter, soit rejeter, soit se réapproprier en donnant un sens nouveau aux sens que proposent ou insinuent ceux qui contrôlent les mass media et la société de consommation qui s’y appuie. Un exemple célèbre de réappopriation a été donné par Richard Dyer (1992), dont les études du musical critiquent sérieusement l’interprétation traditionnelle de ce genre cinématographique comme exemple-type de la sous-culture de l’évasion et du lavage de cerveau. Insistant sur ce que le divertissement a d’utopique, Dyer parvient à revaloriser fortement le genre, y compris sur le plan politique. Des analyses comparables seront faites pour les soaps, les romans Harlequin ou encore les messages publicitaires. Dans tous les cas, la culture populaire y apparaît comme une force susceptible de se jouer des messages et des significations qu’on cherche à lui imposer. Même si la plupart des chercheurs sont devenus à nouveau plus sceptiques du potentiel de résistance du public « ordinaire », à tel point que l’on redevient plus sensible au message des grands critiques des industries culturelles, Adorno et Horkheimer, l’apport des études culturelles en ce domaine peut vraiment être qualifié de décisif. Les premières, elles ont introduit du jeu entre le message censé être proposé par les mass media et la réception supposée passive d’un public dûment segmenté en strates sociologiques préconçues. Grâce aux études culturelles, la méfiance du public populaire à l’égard des grands médias de communication a pu être articulée d’une manière très différenciée (Brunt, 1992). Corollairement, elles sont parvenues aussi à inverser le sens du mot « populaire », qui s’est vu arraché au champ sémantique de la passivité, de la reproduction, du réactionnaire et du kitsch, pour se voir associé de plein droit à la créativité et à l’inventivité jusque-là réservées aux seules sphères de la culture d’élite.

10Populaire, enfin, cesse d’être synonyme de populiste. Suite aux attaques virulentes de populisme dont les études culturelles continuent à être régulièrement la cible, cette question est devenue en effet un des fils rouges de toutes ses recherches sur la culture populaire. Si, comme le pose Ien Ang, auteur d’une étude « anthropologique » sur les spectateurs de Dallas[6], le populisme est d’abord une anti-idéologie (« j’aime ce qui me plaît et on ne peut discuter des goûts de chaque individu, un point c’est tout »), elle est aussi et surtout une attitude « émotionelle » que la démarche « theorique » du chercheur a tout autant de mal à correctement saisir que la culture populaire en général dont les traits distinctifs (manque de distance, insistance sur le plaisir, densité paradoxale de l’objet pauvre) s’opposent catégoriquement à son propre noyau. Toujours selon Ang, qui représente bien le point de vue global des études culturelles en ce domaine, la question du populisme devrait être étudiée de l’intérieur : cela permettrait non seulement de voir que ce que les chercheurs politiquement corrects nomment populisme peut cacher (ou plutôt dévoiler) bien des formes de résistance, mais aussi d’insister sur la nécessité de ne jamais dissocier le débat sur le populisme de celui sur la culture populaire (le premier terme étant souvent l’épouvantail qui encourage le refoulement du second).

De la culture du melting pot à la culture arc-en-ciel

11À mesure que les études culturelles s’installent comme discipline en Grande-Bretagne, l’identification implicite ou explicite de la culture populaire à la culture ouvrière devient cependant de plus en plus problématique. Tout comme la culture d’élite à laquelle elle résiste à bien des égards, la culture ouvrière est en effet souvent une culture machiste (et partant sexiste), « blanche » (et partant raciste) et homophobe. Or, les années 1960 et 1970 voient naître de nouvelles formes de contestation sociale, dont le vecteur principal n’est plus tellement celui de classe sociale, mais celui de la triade sex, gender, race : les mouvements féministe, homosexuel, antiraciste vont peser de plus en plus sur la manière d’envisager les rapports entre dominant et dominé. Sur ce plan, l’apport des études culturelles made in USA va s’avérer décisif.

12Aux États-Unis, les premières études culturelles prolongent certes les a priori anti-élitistes des Cultural Studies à l’anglaise, mais elles s’en distinguent aussi sur un point très précis. Contrairement aux chercheurs européens, les exilés Adorno et Horkheimer en tête, les Américains ne se sont en règle générale guère inquiétés des méfaits réels ou supposés de la culture de masse, c’est-à-dire des industries culturelles. Au contraire, la culture de masse est souvent vue comme une culture démocratique, vivante, libre, bref une culture à l’image (de soi) de l’homo americanus. La culture américaine du melting pot semblait mieux accepter (pour mieux les absorber, pour mieux les éliminer ?) les différences culturelles que les cultures européennes apparemment plus monolithiques. Les attaques récurrentes lancées contre Hollywood, par exemple, seront dénoncées à leur tour comme le reflet d’une mentalité « eurocentrique » (sous-entendu : inégalitaire, voire antidémocratique). S’ils véhiculent incontestablement des représentations nocives aux intérêts et à l’intégrité des groupes dominés de la société, les mass media ne sont pas comme tels tenus pour responsables de ces images.

13Cela ne rend pas la réaction contre ces images et les rapports de force qu’elles masquent ou renforcent moins violente. Dans le sillage du féminisme, du mouvement pour les droits civils et des luttes pour la reconnaissance des droits des homosexuels, les études culturelles changent radicalement d’orientation (pour s’en rendre compte, il suffit de comparer les tables de matières respectives des deux anthologies principales dans le domaine des études culturelles, celle de During et celle de Grossberg). Le changement principal concerne le sens de « populaire » : la notion de classe sociale s’efface de plus en plus au profit de la notion de minorité et de communauté (c’est un peu cette vaste mosaïque que couvre de nos jours l’étiquette de culture arc-en-ciel). De plus, l’idée traditionnelle de l’étude des réprésentations est remplacée de plus en plus par la démarche militante des groupes concernés, qui vont réclamer, puis prendre la parole eux-mêmes et donner voix à leurs revendications en assumant, c’est-à-dire en affichant des modes de vie longtemps refoulés. De plus en plus, la représentation culturelle tend à être vécue sur le mode de l’autoreprésentation. L’aspect le plus visible, car le plus récent, est le glissement des études culturelles aux études queer, qui radicalisent la défense de l’homosexualité en brouillant la frontière même de l’homo et de l’hétéro (Cusset, 2002).

14Pour les tenants « classiques » des études culturelles, en Europe comme aux États-Unis, l’évaporation progressive des notions de classe, de populaire, ou encore de socialisme, n’est pas toujours vue d’un bon œil. Nombreux sont ceux qui, à des intervalles réguliers, plaident pour un retour aux sources, c’est-à-dire à l’étude et à la défense de la culture populaire et de la promotion d’une certaine idée de la société qui en est, ou devrait en être, le prolongement logique et naturel (Hall, 1990).

La culture populaire, parent pauvre des études modernes de la culture ?

15En dépit du fait que les études culturelles sont devenues un véritable paradigme, un modèle dominant dans l’analyse culturelle contemporaine, on peut en effet se demander, et beaucoup de critiques se posent cette question, si cette explosion de la discipline a bénéficié à la culture populaire proprement dite. Certes, le mépris de la culture non légitime semble avoir disparu de nos sociétés postmodernes et la culture de masse a cessé d’être dépréciée au seul profit de la culture d’élite. Il n’empêche toutefois que les inégalités résistent elles aussi, jusque dans une société que le goût populaire paraît imprégner et dominer à tous les niveaux.

16Un symptôme certain en est la critique persistante de la culture de masse comme populiste, c’est-à-dire comme antidémocratique, non tolérante et totalitaire (en tant qu’anti-idéologie, le populisme est l’idéologie qui refuse, au nom des droits de l’individu, le dialogue et le partage). Les études culturelles ont beaucoup critiqué les motivations parfois douteuses de ceux qui, de manière paternaliste, se sont opposés au populisme au nom du peuple, pour protéger « les gens » d’eux-mêmes. Elles ont dénoncé l’infantilisation élitiste du grand public, qui est souvent moins dupe des effets massmédiatiques que les chercheurs eux-mêmes. Cependant, le rappel des abus des mass media dans les années 1930 ou la tentation éternelle des hommes et femmes politiques de se servir de la télévision, entre autres, font que le soupçon du populisme n’est jamais totalement absent. Qu’il y ait un rapport possible entre certaines formes de culture populaire et certaines formes de populisme (au sens politique du terme), est tout à fait possible. Cependant, les études culturelles nous ont appris à interroger aussi qui énonce un jugement pareil, la dénonciation du populisme pouvant bien dissimuler une dénonciation autre et plus ancienne, celle de la culture populaire elle-même. Une remarque analogue pourrait se formuler au sujet de la culture « omnivore », que certains considèrent aujourd’hui comme le nec plus ultra du dépassement postmoderne de la rupture entre culture d’élite et culture populaire. Or, comme l’a bien souligné l’inventeur de l’étiquette, le sociologue américain Richard Peterson, la pluralité des goûts et la possibilité de tout combiner est justement une des stratégies les plus perverses par lesquelles le nouveau public d’élite se distingue d’un public populaire moins évolué, davantage enfermé dans un type de préférences culturelles. Ici encore, il convient de se souvenir de la grande leçon des études culturelles : à qui profite cet amour de la culture populaire ?

Notes

  • [1]
    Les études culturelles parlent en effet anglais. À leur décharge, signalons qu’elles ont maintenu quelques excellentes habitudes de l’édition américaine, comme par exemple le goût des… index.
  • [2]
    Culture and Anarchy de Mathew Arnold (qui tenait la chaire de poésie à Oxford) date de 1882. Une des premières études historiques de cette problématique, combinant heureusement les traditions française, allemande et anglo-saxonne, se trouve dans un livre de Leo Lowenthal (1961). Actuellement, l’étude la plus fouillée est sans doute donnée par John Storey (2003).
  • [3]
    Un auteur comme Lowenthal défend toutefois l’idée, non sans de bons arguments d’ailleurs, que le clivage entre culture d’élite et culture populaire remonte en fait à la Renaissance, voire à l’époque des Communes au Moyen Âge, quand commence à émerger, entre noblesse, clergé et peuple, une nouvelle classe, celle des marchands, dont les progrès vont ébranler peu à peu l’architecture féodale d’une culture qui n’avait encore rien de « national ».
  • [4]
    La carnavalisation caractéristique de la culture populaire est un bon exemple de la manière dont le refus des bienséances peut être socialement et politiquement récupéré, en l’occurrence par une restriction hypercodée du défoulement dans le temps et dans l’espace.
  • [5]
    Cf. Jean-Marie Schaeffer (1993). Le sujet de ce livre est certes tout sauf la culture populaire, mais le travail de Schaeffer a l’avantage de mettre à nu certains préjugés de la culture dominante, notamment sa véritable haine du plaisir (y compris sous ses formes les plus distinguées, celle de la jouissance de la beauté d’une œuvre d’art).
  • [6]
    Il convient d’opposer à l’étude de Ang celle, d’inspiration nettement plus adornienne, de J. Gripsrud. À la différence de Ang, Gripsrud n’a pas peur de taxer de plus ou moins populiste la réception de la série américiane (qu’il étudie aussi dans la perspective plus large de la « libéralisation » des ondes, en l’occurrence norvégiennes).
Français

Cet article fait le point sur la grande diversité de la manière dont la notion de populaire est perçue dans les « Cultural Studies ». Grosso modo, les différences qui se manifestent tiennent d’abord au fait que les études culturelles ne constituent pas une discipline homogène : le poids des traditions nationales pèse en effet très fortement sur la manière dont le populaire est conçu et jugé en Grande-Bretagne et aux États-Unis (l’Europe continentale ne jouant pas un rôle de premier plan). Elles sont liées ensuite au fait que le populaire en soi a fait l’objet d’évaluations très contrastées au cours du développement des études culturelles, qui se sont détachées progressivement (et pour certains à tort) de leur défense inconditionnelle de la culture ouvrière. L’émergence du populisme et ses rapports avec le néo-libéralisme s’avèrent décisifs dans les nouvelles évolutions du populaire.

Mots-clés

  • Cultural Studies
  • culture ouvrière
  • résistance
  • postmodernité

Références bibliographiques

  • Ang, I., Watching Dallas, New York, Methuen, 1985.
  • Arnold, M., Culture and Anarchy, New York, Macmillan and Co., 1882.
  • Brunt, R., « Engaging with the popular : audiences for mass culture and what to say about them », in GRossberg, L., et al. (dir.), Cultural Studies, Londres, Routledge, 1992, p. 69-80.
  • Cusset, F., Queer critics, Paris, PUF, 2002.
  • During, S., The Cultural Studies Reader, Londres, Routledge, 2001.
  • Dyer, R., Only Entertainment, Londres Routledge, 1992.
  • Gripsrud, J., The Dynasty Years, Londres, Routledge, 1995.
  • Grossberg, L. et al. (dir.), Cultural Studies, Londres, Routledge, 1992.
  • En ligneHall, S., « The emergence of Cultural Studies and the crisis of humanities », October, n° 53, 1990, p. 11-24.
  • Hoggart, R., La Culture du pauvre, Paris, Minuit, 1971 (1957).
  • Lowenthal, L., Literature, Popular Culture, and Society, Englewood Cliffs, N. J., Prentice-Hall, 1961.
  • En lignePeterson, R., « Understanding audience segmentation : from elite and mass to omnivore and univore », Poetics, vol. 21, 1992, p. 243-258.
  • En ligneReal, O. F., « Popular taste and erudite repertoire : the place and space of television in Brazil », Cultural Studies, vol. 4-1, 1990, p. 19-29.
  • Schaeffer, J.-M., L’Art de l’âge moderne : l’esthétique et la philosophie de l’art du xviiie siècle à nos jours, Paris, Gallimard, 1993.
  • Storey, J., Inventing Popular Culture, Oxford, Blackwell, 2003.
Jan Baetens
Jan Baetens, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven, Instituut voor Culturele Studies & Lieven Gevaert Research Centre for Photography and Visual Studies.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/10/2013
https://doi.org/10.4267/2042/8984
Pour citer cet article
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