1Les indications chronologiques de notre titre ne signifient évidemment pas qu’une sorte de formation politique aurait vu le jour avec la Révolution pour cesser d’exister avec la Commune. Elles délimitent simplement une période durant laquelle il nous semble que certains comportements politiques d’une part importante des couches populaires se sont manifestés avec une intensité spectaculaire, notamment durant la Révolution de 1789, puis ont perduré jusqu’à l’écrasement de l’insurrection parisienne de 1871 et la liquidation symbolique de la Garde nationale qui en est résultée. Nous avons cru devoir parler à ce propos de « politique du peuple » (Dupuy, 2002) dans la mesure où ces comportements ont paru infléchir de façon significative le cours des événements. Il s’agit au fond de tenter d’en savoir plus sur ce qui fait agir le peuple dont, depuis deux siècles, historiens et politologues célèbrent ou déplorent le rôle déterminant durant les journées révolutionnaires. Pour ce qui est de la première moitié du xixe siècle, notamment Thiers, Rémusat ou encore Tocqueville et bien sûr Michelet, constatent que le phénomène révolutionnaire procède du peuple et que, sans lui, il ne peut s’imposer. Chaque fois, il faut d’abord que le peuple s’anime pour que les politiques puissent intervenir et infléchir cette force brutale que la vue du sang « encolère » et qui ne pense plus alors qu’à la vengeance. C’est seulement quand l’insurrection paraît triompher que les politiques se manifestent pour combler le vide laissé par l’éviction du régime vaincu. Par des articles de journaux, des proclamations enflammées, on propose aux vainqueurs les équipes de rechange. Quant aux émeutiers, il semble bien qu’ils acceptent ce scénario à trois temps qui leur réserve l’initiative et le combat pour leur proposer ensuite une issue qu’il s’agit de leur faire accepter, le plus tôt possible, dans l’exaltation de la victoire.
2C’est bien cette scansion ternaire que décrit concrètement Charles de Rémusat dans le tome II de ses Mémoires à propos des « Trois glorieuses » (Rémusat, 1959, p. 336). Quant à Tocqueville, dans L’Ancien Régime et la Révolution (p. 227-228), il constate que c’est un des mystères de la période révolutionnaire que le rôle qu’y tient le peuple. Du coup, il le rend seul responsable de ce paradoxe tragique d’une révolution voulue par des philanthropes pour le bonheur du genre humain et qui s’accomplit dans les violences sanglantes de la Terreur. Et il s’échine dans les quatre derniers chapitres de son livre à prouver que c’est le réformisme de la monarchie qui a fait prendre conscience au peuple de ses misères et d’une humiliation séculaire et intolérable, l’incitant indirectement à une vengeance réparatrice et donc légitime. Ce que constate Tocqueville, dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, c’est l’importance de ce que les historiens et les sociologues désignent aujourd’hui par les termes d’acculturation politique concernant ce qu’il est convenu d’appeler les masses populaires.
3Mais cette volonté de repérer, à tout prix, ce qui à la fin de l’Ancien Régime annonce ou facilite le processus révolutionnaire, débouche sur une vision téléologique du réel qui n’est pas de stricte orthodoxie historienne. La plupart des historiens actuels qui ont travaillé sur cette période s’en méfient (Arlette Farge, Roger Chartier, Daniel Roche, Jean Nicolas) mais Michel Vovelle revendique une telle polarisation comme l’aboutissement logique des rapports de force inhérents aux conflits de la société d’Ancien Régime. Pour lui, il ne peut y avoir de politique du peuple sous l’Ancien Régime, et les émeutes populaires, qu’elles soient frumentaires, fiscales ou autres, ne débouchent sur aucun projet de changement politique ou social et ne sont donc que les manifestations spasmodiques, archaïques d’une infra-politique, sorte de prurit collectif qui se répète depuis la nuit des temps et relève de la précarité des conditions de vie des classes miséreuses. Si la Jacquerie rurale proteste contre les innovations fiscales ou foncières, c’est pour exiger le retour à l’ordre ancien jugé seul légitime avec ses accommodements paternels et ses compensations d’un jour (carnaval, charivari). Il faut attendre le second semestre de 1788 pour qu’une acculturation politique du peuple s’amorce du fait de la stratégie unitaire des élites bourgeoises du tiers état qui prétendent parler au nom de la Nation tout entière, englobant de ce fait des masses populaires que la crise frumentaire et les difficultés économiques consécutives au traité de libre-échange de 1776 rendent perméables aux revendications orchestrées par les bourgeois. En ce dernier tiers du xviiie siècle, seuls nobles et bourgeois peuvent accéder à une conscience politique effective.
4Les progrès récents de l’anthropologie historique qui s’intéresse désormais aux modalités de la politique au village, qui propose une typologie des pouvoirs locaux, en reconstitue les processus de légitimation et les mécanismes de recrutement (Abélès et Jeudy, 1997), nous incitent à contester ce refus de concéder une forme d’existence politique véritable aux couches populaires de l’Ancien Régime. Certes, il ne s’agit pas de chercher au xviiie siècle l’équivalent du militantisme républicain du siècle suivant ; ce qu’il faut postuler, c’est l’existence d’une conscience collective des conditions de survie des plus pauvres. Ils sont le plus grand nombre et défendent, sans avoir eu besoin de lire Rousseau, leur juste part de ce modeste bonheur que des conditions générales de vie, moins tragiques qu’auparavant, leur permettent d’espérer.
La politique du peuple
5Depuis une trentaine d’années, les travaux des historiens modernistes sur les rituels de la révolte et de la fête en milieu populaire (émeutes, charivari, procès pour violences, pèlerinages, fêtes votives, etc.) permettent d’avancer l’existence d’une politique populaire forgée dans le temps long et assurant aux communautés rurales et à la plèbe urbaine les conditions de leur survie. En nous inspirant des propositions de Raymond Huard (in Nicolas, 1985), caractérisons cette politique par six ensembles de notions structurant la vie des communautés populaires et de leurs membres : localisme identitaire et solidarité communautaire structurés par l’Église et une religiosité propitiatoire ; immédiateté des comportements des habitants concernés dans l’espace et dans le temps ; respect de la hiérarchie sociale et égalitarisme latent ; clientélisme et contractualisation des rapports d’autorité ; oralité de la communication et du patrimoine culturel ; violence comme recours populaire ultime : violence fondatrice, sélective, réparatrice et restauratrice.
6L’élément déterminant de cette politique populaire, c’est l’imbrication étroite entre l’appartenance locale des habitants et leurs réseaux de solidarité : elle construit le sentiment identitaire des membres de la communauté, paroisse rurale ou quartier urbain. Elle peut faire obstacle, surtout en milieu rural, à d’autres identifications concurrentes comme nation, patrie ou république que les bourgeois révolutionnaires voudront imposer comme prioritaires. Substitution rendue encore plus difficile localement par l’existence d’autres identités englobantes déjà présentes et profondément ancrées, qu’elles soient d’origine ethnique ou religieuse.
7Encore faudrait-il préciser ce que nous devons considérer comme étant le peuple. Si l’on s’en tient au Dictionnaire Universel de Furetière (1690), le peuple est appelé ainsi par « opposition à ceux qui sont nobles, riches et éclairés ». Il est donc essentiellement composé des pauvres et presque pauvres qui, sous l’Ancien Régime, se répartissaient en strates superposées : la plus dense, au bas de la hiérarchie, était composée de ceux qui, n’ayant aucune propriété ni aucun revenu stable, vivaient de mendicité ou de menus travaux à la journée. Leur nombre variait en fonction de la dureté des temps et surtout de la qualité des récoltes, mais ils constituaient environ 20 à 30 % de la population sans aucun espoir d’échapper à leur condition de « pauvres structurels ». S’y ajoutaient ceux qui possédaient une masure et quelques lopins de terre, mais dépendaient encore d’autrui pour faire vivre leur famille, soit 20 % de la population, payant une livre de capitation ou à peine plus. Une troisième strate serait constituée par les « pauvres conjoncturels » (10 à 20 %), c’est-à-dire par tous ceux qui, par leur travail, leur obstination et beaucoup de chance, ont franchi le seuil de l’autonomie de subsistance et ont pu même amorcer une politique de capitalisation pour arrondir leur bien, doter une fille et envoyer un fils à l’école et peut-être au collège. Mais ce mieux-être est fragile et se délite rapidement quand la météo se gâte et fait flamber le prix du grain ou si les ennuis de santé se multiplient, acculant à l’emprunt et à la spirale fatale de l’endettement. Et l’on peut ajouter que ce ne sont pas les 30% de « pauvres structurels » qui protestent contre la misère des temps, mais bien les « pauvres conjoncturels » qui, supportant mal leur rechute, cherchent des coupables et font une lecture politique de la conjoncture économique en termes d’impuissance réelle ou apparente d’un pouvoir facilement accusé de spéculer avec les nantis de la richesse sur la misère du peuple.
8Malgré la dureté de sa situation, le peuple dans sa majorité se révèle comme profondément conformiste : sur un fond d’égalitarisme latent, il accepte la hiérarchie sociale et l’autorité des puissants, mais dans un rapport implicite de contractualisation. Le seigneur avec ses droits coutumiers est toléré dans la mesure où il rend des services à la communauté paysanne, ne serait-ce qu’en lui affermant la plus grande part de ses domaines. Mais les droits seigneuriaux deviennent des abus quand ils ne sont plus la contrepartie de services rendus : protection contre le fisc royal et la milice, justice de proximité, facilité des échanges économiques (halles, routes et ponts). Et les abus, lorsqu’ils s’accumulent, après la guérilla de la résistance passive, peuvent provoquer l’émeute dont la caractéristique essentielle est l’immédiateté : mobilisation du voisinage dans la multiplicité de ses strates et punition tout aussi immédiate de celui qui incarne le préjudice collectivement éprouvé (le seigneur ou à défaut son procureur fiscal, un notaire ou un huissier), sorte de bouc émissaire dont le sacrifice permet le retour à une norme que les abus avaient bafouée. L’émeute est, à sa manière, un acte de justice. Les coupables sont connus, la cause entendue, le peuple indigné ne tolère plus les lenteurs de la justice ordinaire dont il sait qu’elle a toujours profité aux puissants et à leurs protégés.
9La violence apparaît donc comme le recours ultime d’une collectivité qui s’estime bafouée, exaspérée par des abus répétés que le pouvoir royal, trompé dans sa sollicitude paternelle, a pu tolérer. L’émeute est à la fois un acte de justice et un rituel festif qui célèbre la victoire légitime de la communauté. On pille, on boit, on danse sur les débris fumants du château ou du bourg mis à sac, autour du corps des vaincus. Les duels ne sont pas réservés aux seuls aristocrates, l’individu qui s’estime insulté se doit de défendre son honneur sous peine de perdre la face et sa réputation. Robert Muchembled a largement démontré l’omniprésence, à l’âge moderne, d’une violence à la fois fondatrice des nécessaires émancipations juvéniles et de la sélection des leaders et réparatrice de tous les manquements au statut des individus et des groupes.
10Pour conclure provisoirement, nous dirons, en adoptant un langage anachronique, que la politique du peuple ne serait ni de droite ni de gauche à proprement parler, faisant alterner un adhésion résignée et lucide à l’ordre établi et les flambées d’une émeute vengeresse, en voie de raréfaction au fil du siècle jusqu’à l’explosion prémonitoire et spectaculaire de la « guerre des farines » en 1785. C’est du moins ce que l’on prétendait avant le livre de Jean Nicolas (2002) qui a démontré l’extrême prolifération des incidents tout au long du xviiie siècle, traduisant la mise en accusation croissante du régime seigneurial et la dénonciation de l’incapacité du roi à prévenir la disette et les spéculations intolérables qui l’accompagnent. La politique du peuple maintient donc une pression permanente contre l’ordre établi, mais, en même temps, son conformisme apparent masque l’exaspération de la revendication, trompant la noblesse et même la bourgeoisie sur les sentiments réels du populaire.
11Ce que dit Michel Vovelle (1992) d’une géographie régionale des comportements politiques déjà visible sous l’Ancien Régime rejoint la mosaïque des entités locales constatée par Pierre Goubert nous décrivant la France des xviie et xviiie siècles et plaidant pour un royaume très composite. Contraintes climatiques, qualité des terroirs, modes d’exploitation se combinent pour façonner le paysage et les hommes ; et les communautés rurales n’ont évidemment pas les mêmes apparences ni la même consistance, quand elles sont diluées dans le bocage armoricain ou concentrées dans les gros bourgs d’allure citadine du midi, quand elles subissent l’autorité d’une aristocratie de gros laboureurs, ou lorsque l’omniprésence de la vigne entraîne une sorte de démocratie de petits propriétaires. Mais le clivage majeur séparait naturellement les couches populaires du monde rural de celles des grandes villes (Paris, Lyon, Marseille, Rouen, Bordeaux) qui sont même en conflit latent avec le monde rural pour le partage des grains disponibles en période de disette. Malgré ses jacqueries, le monde rural, dilué dans le plat pays, semble moins dangereux que la plèbe urbaine concentrée dans certains quartiers et dont on déplore de plus en plus qu’elle commence à savoir lire et peut donc se mettre à lire de mauvais livres. De plus, le populaire urbain, dans la seconde moitié du xviiie siècle, a participé au conflit récurrent entre Parlements et absolutisme monarchique, le plus souvent au côté de la noblesse, ce qui brouille encore plus son image et fait qu’en 1789, les aristocrates ne désespèrent pas de pouvoir mobiliser la plèbe contre les gros bourgeois. Ils y parviennent encore à Rennes, en janvier 1789.
12En reconnaissant la hiérarchie sociale en place, la politique du peuple accepte une sorte de frontière intérieure séparant la sphère politique où évoluent les élites de celle où se cantonnent les couches populaires. Elles s’y préoccupent essentiellement de survivre ou de consolider le statu quo, et cela passe par la location des lopins de terre disponibles, le choix des activités de complément et le placement des enfants, la quête du conjoint et celle des témoins, une fois le mariage décidé, puis celle des parrains et marraines pour les enfants survenus et enfin les possibles responsabilités dans les confréries de la paroisse. C’est la somme de tous ces choix individuels qui détermine l’influence de certains notables, les clivages entre clans rivaux, mais les antagonismes locaux s’estompent le plus souvent face à la brutale ingérence d’un péril extérieur, à moins qu’une partie de la communauté fasse cause commune avec l’agresseur.
13Il en résulte que les décisions imposées d’en haut doivent composer avec les convictions majeures et les intérêts dominants de la politique du peuple. Si les oukases du pouvoir recoupent ses convictions et ses intérêts, leur adoption en sera facilitée, mais si les injonctions de Versailles ou de Paris les ignorent, les froissent ou les bousculent, l’obéissance à un pouvoir devenu illégitime rencontrera des résistances qui pourront s’amplifier jusqu’à la révolte. Il y a bien là matière à politique, d’autant que le pouvoir peut jouer sur les clivages existants pour imposer sa volonté.
La politique du peuple, une première forme de populisme ?
14Quelles similitudes pourraient exister entre les agissements politiques provoqués par la politique du peuple et ce que disent aujourd’hui les spécialistes des comportements politiques populistes ? Pour s’en tenir à la période révolutionnaire, il nous semble a priori curieux que le peuple, dans ses composantes les plus modestes, ait joué, dès juillet et août 1789, un rôle essentiel dans la mise en route du processus révolutionnaire, en provoquant les ruptures que la majorité des députés du tiers état osaient à peine envisager, comme si le travail d’acculturation politique avait provoqué une maturation accélérée des couches populaires, non seulement à Paris, où l’on pourrait en effet l’expliquer par une sorte de pression idéologique maximale, mais jusqu’au fin fond des provinces. Tout devient plus vraisemblable si on y voit les manifestations classiques de la politique du peuple : à Paris, il s’agit de s’opposer aux menaces d’une répression militaire destinée à mettre fin aux décisions du tiers état jugées attentatoires à l’autorité du roi ; dans les campagnes, les paysans s’arment pour mettre fin aux pillages que la rumeur attribue à des brigands stipendiés par une noblesse décidée à punir les prétentions des bourgeois aux États généraux.
15En octobre 1789, la marche sur Versailles des femmes exaspérées par le prix du pain obéit, elle aussi, à une impulsion populaire et La Fayette, tout comme les meneurs du Palais Royal, l’ont suivie plus qu’ils ne l’ont provoquée. De la même façon, il semble évident que, deux ans plus tard, le programme de la sans-culotterie cumule la peur de l’invasion, celle du complot aristocratique et l’exaspération face à une disette toujours menaçante, c’est-à-dire tout ce qui faisait, depuis toujours, bouger le peuple. La Terreur est fondamentalement d’origine populaire, c’est bien la violence punitive, préventive et fondatrice de la politique du peuple élevée, du fait de la guerre et du poids spécifique de la sans-culotterie dans Paris, à l’éminente dignité d’un principe nouveau que les élites doivent momentanément entériner. Le rôle ambigu d’un Marat n’est plus celui d’un simple démagogue, sorte de paranoïaque obsédé par des pulsions meurtrières, il devient le politique qui, intuitivement, a compris la toute-puissance des couches populaires parisiennes et qui sait que les incantations sanguinaires de L’Ami du Peuple, répondant à leurs angoisses et à leurs exaspérations, s’imposent comme le plus sûr moyen de les mobiliser.
16L’engagement militant de la sans-culotterie parisienne se retrouve dans les autres grandes villes de la République, alors que dans les villes plus modestes l’influence modérée des notables tend à l’emporter dès que les Représentants en mission s’éloignent et que les garnisons partent pour les frontières. Dans les campagnes, la majorité des paysans n’apprécient guère les assignats, les réquisitions et les levées d’hommes au point que dans les bocages de la France de l’Ouest, dans les hautes terres du sud du massif Central, dans les vallées isolées des Alpes ou des Pyrénées on finit par refuser purement et simplement les exigences de la Convention et on prend les armes pour lui résister. Autrement dit, on peut constater que c’est la même politique du peuple qui a donné naissance, dans un contexte urbain, au sans-culottisme parisien ou marseillais et dans les bocages de l’Ouest à l’insurrection vendéenne et chouanne ! En fait, en milieu rural, il semble bien que l’attitude dominante ait été une prudente et apparente adhésion au régime avec, comme toujours, la volonté de survie de la communauté locale tout en tirant le meilleur parti possible de la situation nouvelle : refus du retour des droits féodaux mais désir du rétablissement du culte catholique et romain. Ambivalence d’une attitude qui explique le ralliement enthousiaste des campagnes, un peu plus réticent de la plèbe urbaine, au césarisme d’un Bonaparte qui propose à la politique du peuple un régime répondant à ses souhaits profonds tout autant qu’à ceux de la bourgeoisie « patriote » habituellement reconnue comme l’appui essentiel du coup d’État.
17Naturellement, la politique du peuple ne se borne pas à réagir passivement aux exigences de la Nation révolutionnaire puis de l’Empire napoléonien, l’acculturation politique suit son cours et la transforme, plus rapidement en milieu urbain que rural. La mobilisation de millions d’hommes qui ne sont pas tous restés sur les champs de bataille ou sur la paillasse des hôpitaux, a contribué à enraciner, au début du xixe siècle, l’image d’un peuple conquérant capable d’imposer sa loi aux têtes couronnées de l’Europe entière. Donc, dans une large moitié de l’hexagone un nationalisme militariste de « gauche » s’ajoute aux autres composantes souvent contradictoires de la politique du peuple : méfiance à l’encontre des mandataires du peuple ; peur du retour des nobles pour exiger le rétablissement des droits seigneuriaux. On applaudit à la restauration officielle du culte catholique, mais on s’inquiète de voir, dans les paroisses rurales, les prêtres au service du château, tout en redoutant, après février 1848, une résurgence des violences de 1792 et 1793. Et donc, finalement, adhésion, une fois encore au coup de force de Louis Napoléon qui écarte à la fois le triomphe du « parti-prêtre », celui des notables corruptibles mais aussi la menace du socialisme révolutionnaire tout en incarnant la promesse d’une politique extérieure active, gage d’une gloire nationale retrouvée. Et donc toutes les formes de la politique du peuple y trouvent matière à satisfaction.
18Autant de considérations qui nous incitent à postuler l’existence, à la suite de l’ébranlement révolutionnaire, d’une première et double mouture du populisme (urbaine et rurale) qui s’estompe après l’ultime et tragique flambée de la Commune, mais dont les caractéristiques profondes réapparaissent lors de la crise boulangiste qui n’a pas surgi seulement des débris fumants de la Commune et de la déconsidération d’un parlementarisme affairiste, mais s’enracine dans un passé plus lointain et qui n’a pu se résorber comme par enchantement.