1On connaît la recette pour fabriquer des sujets de dissertation, de débats télévisés et de conversations de bistrot : prendre deux termes en apparence antinomiques et feindre d’avoir à choisir entre eux pour une explication de choses. La nature et la culture, l’inné et l’acquis, le corps et l’esprit ont naguère joué ce rôle dans nos salles de cours et nos forums. Aujourd’hui, ce serait plutôt le développement durable et le profit ou le bonheur et le succès. On connaît aussi la solution à ces dilemmes : il suffit en général de dire qu’un terme ne va pas sans l’autre, que les deux interviennent dans la « réalité » et qu’il faut en conséquence les réconcilier. Une solution plus élégante, une sorte de «dépassement » pseudo-hégélien, consiste à appliquer chaque terme sur son concurrent : dire par exemple que la nature est en fait un objet de culture et la culture un trait de nature ; que l’on peut sans inconfort travailler à son bonheur et trouver son bonheur dans le travail. Bien entendu, tout cela n’est pas très sérieux.
2L’opposition entre l’individuel et le social a une durée de vie plus longue et une histoire plus lourde. Son origine est assez facile à cerner : cette opposition apparaît, non lorsque les individus décident de composer ensemble une société, mais lorsque la société décide qu’elle est composée d’individus. Alors, chacun doit prendre sa place (ou plutôt se la voir assignée) et ménager en même temps la place des autres, ou la leur assigner. Une série de questions s’ensuivent, tantôt paradoxales, tantôt aporiques : celle de l’influence, par exemple, qui fait de chacun une source et une cible, ou celle de la communication entre les individus, dont on ne sait jamais si elle se déploie sur le modèle des rituels magiques et religieux ou s’il convient plutôt de la comprendre en termes d’économie politique.
3On trouvera ici quelques options de solutions. Elles ont en commun de rechercher leurs moyens en dehors de la psychologie sociale du mainstream et de rejeter aussi bien le monadisme cognitiviste que l’intégrisme méthodologique.