CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La psychologie sociale repose sur une problématique-carrefour, celle de l’intersubjectivité, qui se trouve de fait à mi-chemin entre l’individuel et le social. Il est donc logique qu’on la retrouve aussi au carrefour de plusieurs disciplines des sciences sociales comme la sociologie et la science politique notamment. À l’heure où les variables sociologiques dites lourdes (classes sociales, statuts, âges, sexes...) paraissent moins explicatives des comportements sociaux, où l’influence des structures collectives semble moins prégnante sur les comportements individuels, de nombreux sociologues redécouvrent la nécessité de penser une articulation plus complexe de l’individuel et du collectif. Longtemps, la description des positions occupées par les individus dans un entrelacs de forces agissantes et de relations sociales a servi de principe explicatif des conduites à la sociologie. Désormais, il faut faire place dans l’analyse à une singularisation croissante des trajectoires individuelles, face à un univers social sans doute plus morcelé, moins porteur de significations mobilisatrices. L’injonction de l’auto-accomplissement de soi aurait même fini par supplanter les logiques socialisatrices d’incorporation de modèles sociaux et d’intégration dans des cadres existants.

2En tous cas, la question de l’individu devient centrale. Le sociologue Danilo Martuccelli tente de reconstituer les Grammaires de l’individu (Gallimard, 2002) en posant que « le primat analytique doit être accordé aux dimensions de l’individu et non aux positionnements sociaux » (p. 37) et en livrant une « sociologie de la subjectivité ». Au même moment, Marcel Gauchet insiste sur la « désinstitutionnalisation de la famille » et souligne les conséquences de « ce nouvel âge de la personnalité » sur le lien social et donc politique (La Démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002, p. 229-262).

3Les auteurs réunis ici illustrent chacun à leur manière, la difficulté de saisir aujourd’hui le social en passant par la voie de l’individuel, mais aussi la nécessité de le faire, en utilisant plus ou moins les acquis de la psychosociologie. Ces chassés-croisés disciplinaires sont facteur d’enrichissement mais aussi de tensions. Si nombre de psychosociologues ne peuvent que se réjouir de voir ainsi le cœur de leur démarche scientifique remis au centre de l’analyse du social, la question demeure : est-ce une victoire à la Pyrrhus ? Certains sociologues font-ils de l’analyse psychosociale sans le savoir vraiment ? N’en utilisent-ils pas certains concepts sans tenir compte de toutes leurs implications ? Ne redécouvrent-ils pas la Lune ? Une chose est sûre, il faudra dans les années à venir que ces chercheurs et analyses se croisent, se fécondent pour avancer ensemble vers une meilleure intelligence du social.

Mis en ligne sur Cairn.info le 19/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/8964
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