Introduction
1Quel impact les nouvelles technologies de communication ont-elles sur les étudiants qui poursuivent leurs études dans cette situation d’apprentissage ?
2Dans les années 1990, on estimait que la contribution la plus significative des ordinateurs à l’éducation serait de renforcer les interactions entre les apprenants par une communication médiatisée (eg. Harasim, 1990). Durant la même période, on reconnut de plus en plus l’importance des particularités que revêtaient les situations dans lesquelles l’apprentissage se déroule (Bliss, Saljö et Light, 1999 ; Crook et Light, 1999). Les recherches rapportées ici s’inscrivent dans cette lignée théorique. Cela nous a conduits à penser les « sites d’apprentissage » non pas en termes de constructions architecturales : des espaces où le travail constructif se déroule, mais plutôt comme des espaces dotés de leurs propres cultures et de leurs structures de relation de travail.
3Tout comme on affecte dans un bureau de nouveaux équipements à des pratiques habituelles, il en va de même pour l’apprentissage avec les nouvelles technologies.
4Par l’observation fine de ce processus d’assimilation, nous avons cherché à découvrir des critères d’utilité concernant le potentiel de ces technologies et à identifier les caractéristiques, jusque-là inconnues, propres au site d’apprentissage. Plusieurs recherches décrites ici ont été conduites avec le soutien du programme de recherche Economic and Social Research Council, « Virtual Society ?» (Light, Crook et White, 2000). Deux universités britanniques dotées de campus ont participé à une partie des études décrites ici, l’une est une université traditionnelle à dominante recherche et l’autre, une université récente pour la formation continue.
5La réduction des fonds publics par étudiant a conduit les universités, d’une part à une diminution progressive du taux d’encadrement et d’autre part à des réductions corrélatives de la durée des enseignements en présence. La communication par ordinateur a été considérée comme une ressource qui pourrait pallier ce manque à gagner au niveau des interactions éducatives.
Études de cas
6Notre premier et principal terrain d’études fut un cours de licence en psychologie. Un soutien de tutorat assisté par ordinateur a été offert aux étudiants de première année avec, comme objectif, d’en évaluer la qualité et la flexibilité. Les étudiants et les tuteurs transféraient leurs courriels par une liste de diffusion afin que tous puissent les recevoir. Ils pouvaient répondre à ces messages principalement consacrés aux cours et aux travaux dirigés. À partir des discussions, le tuteur tenait à jour une base d’archives et l’organisait en fonction des thèmes principaux. Cette ressource complétait le mélange habituel de cours et de travaux dirigés. Des méthodes de recherches, incluant des questionnaires, des observations, des entretiens semi-directifs et des discussions de groupe, furent utilisées afin de comprendre comment cette ressource était perçue et reçue et comment elle fonctionnait dans cette situation précise (Light et Light, 1999 ; Light, Light, Nesbitt et Harnad, 2000).
7La première année, les observations faites dans les classes en présence montrèrent que les étudiants contribuaient deux fois plus que les étudiantes sans être sollicités. Par contre, il n’y avait pas de différence de genre dans les contributions électroniques. Les étudiants plus âgés participaient plus que les jeunes aux deux situations de communication. Les styles d’apprentissage des étudiants de première année furent évalués en utilisant une mesure des approches dites de « surface » versus celles de « fond » (Tait et Entwhistle, 1996). Ceux qui obtenaient des scores plus élevés en « approche de fond », c’est-à-dire ayant une forte capacité à comprendre le thème du cours, communiquaient significativement plus par ordinateur. À l’inverse, il n’y avait pas de corrélation entre le style d’apprentissage et les contributions aux entretiens avec les tuteurs. De même, tandis que la fréquence des contributions sur ordinateur était corrélée significativement avec le niveau acquis à la fin du cours, les contributions aux situations en présence n’étaient pas corrélées aussi fortement.
8Le médium électronique présentait des avantages significatifs pour les étudiants qui trouvaient difficile de discuter en présence. Ceux qui ressentaient le besoin de prendre le temps nécessaire pour organiser leur pensée en appréciaient l’opportunité. Toutefois, la plupart des étudiants craignaient que les tuteurs (et leurs camarades) puissent prendre connaissance de leurs messages. Aussi les préparaient-ils avec beaucoup de soin. En effet, tous lisaient les messages avec le désir de connaître le niveau des autres. L’archive informatisée a fourni une aide appréciable à ce processus de comparaison sociale.
9Malgré le fait que cette classe particulière comptait plus de cent étudiants, le tuteur était très attentif à leurs questions posées via le médium électronique. La base d’archive était largement constituée des questions posées par les étudiants et des réponses données par le tuteur. Environ la moitié de tous les étudiants a utilisé ce moyen pour poser des questions ; bien plus que ceux qui le firent dans des cours ou des travaux dirigés.
10En seconde année, ces mêmes étudiants furent suivis dans un cours organisé de façon semblable avec un tuteur différent. Celui-ci encouragea beaucoup moins la communication par ordinateur et les niveaux de participation furent beaucoup plus bas. Un petit groupe de jeunes étudiants masculins prit très vite le contrôle du forum de discussion. Ceux qui restèrent en marge ou en dehors de celui-ci, en majorité des étudiantes, étaient intimidés et il en résulta une certaine hostilité envers ceux qui menaient la discussion.
11En troisième année toutefois, une participation plus large à la Communication assistée par ordinateur (CAO) fut rétablie dans le contexte de groupes de séminaires spécialisés, de petite taille. Les messages de l’archive étaient pour la plupart des résumés ou des commentaires d’articles spécifiques. Les étudiants l’utilisaient de telle sorte qu’entre eux, ils pouvaient obtenir plus de littérature scientifique qu’ils n’auraient pu le faire individuellement. Tandis que durant la première année, les messages étaient courts et se présentaient généralement sous forme de questions posées au tuteur, en troisième année, ceux-ci étaient significativement beaucoup plus longs et clairement destinés à leurs camarades. Le fait de travailler en petits groupes et de se connaître grâce aux stages les conduisit à un haut niveau de confiance. Les commentaires échangés furent perçus par les étudiants comme une aide et non comme une menace dans le partage du travail et des informations et comme une excellente préparation pour les classes en présence. Bien qu’encadrée par le tuteur, cette activité ne dépendait pas de son engagement direct dans les échanges électroniques.
12Ainsi pendant ces trois années, nous avons pu observer des usages très différents de l’archive de discussion. Se comparer fut une motivation clé pour les étudiants dans les premières années ; en même temps, le dispositif informatique pour traiter des questions avec le tuteur fut manifestement apprécié par les plus réticents et peut-être aussi par les étudiants les plus studieux. Grâce aux encouragements du tuteur, les étudiants de troisième année trouvèrent dans le médium un support efficace pour l’apprentissage en groupe. Par contre, l’expérience des secondes années a montré que la CAO peut facilement devenir exclusive et fermée ; avec une faible implication du tuteur, la participation se réduit rapidement à une petite « clique » de participants « bavards ».
13L’introduction de la CAO fut étudiée dans d’autres contextes disciplinaires. Les listes de courriels pour soutenir un travail de projet chez des étudiants de licence en tourisme montrèrent d’une part, la variété de réponses des différents groupes et d’autre part, la flexibilité du média. L’utilisation des listes de diffusion, établies par le tuteur avec les adresses électroniques de tous les étudiants participant à un projet donné, fut encouragée.
14Quelques groupes ne se servirent pas de cette fonctionnalité. Ils travaillèrent leurs projets et en parlèrent uniquement lors de rencontres physiques. D’autres groupes firent de même, mais trouvèrent très pratique la liste de diffusion pour organiser les rencontres physiques et échanger à propos de questions administratives. Quelques groupes utilisèrent la communication par ordinateur pour la quasi-totalité de leur travail sur le projet. Ils s’accordèrent sur leurs rôles, partagèrent leur travail via l’ordinateur et l’utilisèrent pour donner forme au produit final. À la fin, toutefois, il n’y eut pas de corrélation significative entre la qualité observée du produit et l’importance de la collaboration par ordinateur pour le réaliser.
15Nous avons observé quelques cas où les nouvelles technologies étaient utilisées pour aider temporairement des étudiants en dehors du campus. Dans l’un de ces cas, un système propriétaire de conférence par ordinateur fut mis à la disposition des étudiants en stage en ingénierie informatique durant la troisième année d’études. Ce fut un échec. Il y avait des incompatibilités significatives entre les contraintes de l’application utilisée et les besoins des étudiants. Une bonne partie de la fonctionnalité fournie par le système de conférence fut considérée comme encombrante et superflue par ces étudiants (très compétents en informatique) et presque tous en revinrent très vite à la fonction plus simple et rapide du courriel. Cela n’a pas fourni d’accès partagé à l’archive escomptée de « problème et solution ». Néanmoins, le courriel soutint de manière satisfaisante les interactions simples entre les étudiants en stage dans différents lieux, entre les étudiants et leurs tuteurs.
16La nature asynchrone du médium de discussion électronique à base de texte, tel qu’utilisé dans les exemples précédemment, offre des avantages et des inconvénients. Tandis qu’il donne du temps aux contributeurs les plus réticents pour mettre en forme et peaufiner leurs interventions, il apparaît aux autres comme manquant de fluidité et de continuité et pénible par sa lenteur. L’échange synchrone entre étudiants est moins utilisé dans les applications de cours à l’intérieur des campus britanniques mais il est souvent utilisé sous la forme de vidéoconférence assistée par ordinateur entre des étudiants qui suivent le même cours sur différents campus.
17Nous avons examiné le cas d’une école d’art dans une université britannique en partenariat avec une école espagnole de mode, entre lesquelles des étudiants faisaient des allers-retours. La vidéoconférence était utilisée par les étudiants pour préparer leurs études à l’étranger, ainsi que dans un travail coopératif sur projet comme substitut possible à des déplacements physiques (Light, Light et Wright, 2000).
18Nous avons observé quatre groupes d’étudiants (chacun comprenant environ six étudiants anglais vivant en Grande-Bretagne et six étudiants espagnols vivant en Espagne) pratiquant hebdomadairement des vidéoconférences d’environ 30 minutes sur une période de sept semaines. Chaque groupe avait un projet à accomplir, conçu pour solliciter l’échange de renseignements entre les étudiants anglais et espagnols. L’évaluation s’est faite à partir d’observations, de questionnaires et d’entretiens.
19Si ces étudiants étaient des utilisateurs expérimentés en ordinateur, ils n’avaient pas d’expérience en vidéoconférence. Les difficultés techniques, lors des premières phases du projet, révélèrent une perte de temps et de la démotivation, surtout chez les Espagnols. En plus d’images figées et d’échos Larsen, des difficultés de langue rendirent les premières sessions difficiles. Bien que capables d’utiliser les courriels et le fax en tant que soutien, les étudiants prirent un mauvais départ. Ces difficultés accusent plus l’effet perturbateur de la communication synchrone que celui de la communication asynchrone. Tant pour les étudiants britanniques qu’espagnols, la gestion des terminaux en simultanéité se révéla difficile. Même s’ils réussirent à surmonter un problème technique et à réorganiser les sessions, leur implication déclina très rapidement.
20Des deux côtés, les difficultés langagières furent ressenties plus fortement que dans des échanges en présence. Ceci est lié en partie à la technologie (les délais de transmission, le manque de fluidité des mouvements des lèvres, etc.) et d’autre part, au caractère plutôt artificiel et à la contrainte de temps de l’interaction. Un mois après la fin du projet de vidéoconférence, tous les étudiants anglais partirent travailler avec leurs collègues espagnols, après quoi les étudiants espagnols vinrent travailler un temps au Royaume-Uni. La plupart des étudiants reconnurent l’utilité de la vidéoconférence pour se voir, mais peu lui attribuaient une valeur significative pour les échanges et personne ne la perçut comme une alternative attrayante.
Conclusions
21Les contrastes de ces différents cas illustrent le fait que la CAO peut avoir différents sens. Même dans des contextes très similaires, elle peut produire des résultats très différents.
22Ce phénomène est en partie dû, sans conteste, à l’attitude du tuteur. Nous en sommes encore dans les universités britanniques à l’étape où beaucoup de tuteurs sont inexpérimentés et non formés à de telles technologies pour l’enseignement. Si bien que les modalités de leur implication sont le plus souvent des manifestations d’un enthousiasme individuel et d’une expertise venant des individus eux-mêmes. La mise en place croissante d’environnements d’enseignement virtuel au niveau de l’institution devrait conduire à plus de cohérence à cet égard.
23Aujourd’hui, la plupart des étudiants que nous avons observés, bien qu’ils aient utilisé le courriel auparavant, ont peu l’expérience secondaire de communication en groupe par les ordinateurs. Cela change rapidement en Grande-Bretagne, avec de plus en plus de ressources de toutes sortes sur des ordinateurs en réseau dans les écoles et les collèges. Les expériences des étudiants ont évolué et nous sommes en droit de nous attendre à ce que leurs réactions changent. Néanmoins, ne nous hâtons pas de conclure qu’il ne s’agit que d’une question de temps pour que la CAO transforme les structures d’apprentissage sur les campus. Les innovations observées et décrites dans cet article ont eu des succès divers et peu se sont ancrées solidement dans les cours en question. Si nous saisissions mieux les facteurs susceptibles de limiter le succès de ces technologies sur les campus, nous saurions mieux l’adapter à l’enseignement supérieur sur campus.
24Sur la base du programme de recherche « Virtual Society ? », Woolgar (2002) a proposé cinq « règles de la virtualité » pour réfléchir sur les cas décrits dans cet article :
– Les craintes et les risques associés aux nouvelles technologies sont inégalement distribués socialement :
Nous avons vu que les groupes de discussion médiatisés par ordinateur peuvent être socialement exclusifs, par exemple en termes de genre, et que dans certains cadres, ils offrent une opportunité aux étudiants réticents à la formation en présence de participer à distance.
– Des technologies virtuelles de complément plutôt que de remplacement : De fait dans le cas présent, les étudiants acquis à la valeur ajoutée de la CAO n’auraient jamais sacrifié des cours en présence pour plus de communication par ordinateur.
– Plus c’est virtuel, plus c’est réel :
Les nouvelles technologies « virtuelles » peuvent stimuler les activités réelles correspondantes. Nous avons vu les étudiants de première année en psychologie pénétrant dans un groupe plus étendu, remarquer que la mise en correspondance des noms (à partir des discussions électroniques) avec des visages (dans tel ou tel endroit) facilitait la conversation. Aussi, les discussions asynchrones maintiennent-elle un vécu du cours plus continu qu’il n’aurait pu l’être sur la base des cours et des travaux dirigés ; elles servent également à évoquer les questions de cours dans les conversations quotidiennes.
– Plus c’est global, plus c’est local :
Une subtile variante de la première règle est qu’elle met en valeur la façon dont les utilisateurs des nouvelles technologies s’efforcent de préserver la normalité des relations existantes, en pratiquant la « technologie à la maison », dans le cadre de pratiques existantes de travail. Nous avons vu des exemples où une forme particulière de relation de travail établie (eg. L’avis autorisé du professeur pour les étudiants de première année en psychologie, ou les habitudes de partage du travail pour les troisièmes années) détermine l’utilisation du nouveau médium.
25Ainsi ces cinq règles cernent-elles la richesse et la complexité des situations étudiées ici. Notre compréhension restreinte des contextes et des dynamiques d’apprentissage au niveau de l’université limite notre capacité à gérer avec efficacité l’introduction des nouvelles technologies. En même temps, l’introduction des nouvelles technologies sur les campus constitue une excellente occasion de mieux comprendre les campus universitaires en tant que « sites d’apprentissage ».