Introduction
1Les avancées technologiques ont créé des nouveaux supports informatiques de traitement de l’information et ont conduit ainsi à un engouement pour de nouvelles pratiques d’information, par exemple l’utilisation de cédéroms scolaires et l’interrogation d’Internet. Cependant ces nouvelles pratiques doivent être examinées du point de vue sociologique ainsi que du point de vue des processus cognitifs mis en jeu. Certaines recherches montrent, par exemple, le rôle positif important joué par l’expertise technique et par l’expertise dans le domaine de recherche dans l’efficacité de telles pratiques (Ciaccia, 2003 ; Ihadjadene et Martins, Hermès, ce même numéro). Or ces expertises dépendent fortement du milieu – favorisé ou défavorisé – auquel appartient l’utilisateur. Sur ce point, de nombreux auteurs signalent le danger d’une nouvelle fracture sociale pouvant conduire à « une nouvelle forme d’exclusion que l’on peut résumer par l’expression d’illectronisme » (Rouet, 2000).
2Une autre difficulté propre à ces nouvelles technologies, cette fois-ci du point de vue cognitif, est que l’utilisateur a souvent l’impression d’être noyé sous les informations sans pourtant être sûr d’avoir trouvé les plus importantes et les plus pertinentes. Ces difficultés proviennent de ce que l’outil n’est pas adapté aux contraintes du fonctionnement de son système cognitif. Ces difficultés apparaissent notamment dans la lecture et la compréhension de textes, présentés sur cédérom et, d’autre part, dans l’activité de recherche d’information sur Internet, (Heurley, 2002 ; Rouet et Tricot, 1996).
3Ces nouvelles techniques se sont aussi implantées dans le domaine de l’orientation scolaire et professionnelle créant ainsi de nouvelles pratiques. En effet, si le matériel imprimé dans des brochures reste l’outil privilégié des professionnels de l’orientation, la majeure partie du public jeune qui cherche à s’orienter, utilise préférentiellement l’outil informatique, particulièrement les cédéroms hypertextuels élaborés par les chercheurs dans le domaine (Tricot et Rufino, 1996) et ceux proposés par l’Onisep (Office national de l’information sur les enseignements et les professions).
4L’objectif de cette recherche est double. Premièrement, il s’agit de comparer l’efficacité du point de vue cognitif de deux modalités de présentation d’informations professionnelles – brochure classique et cédérom. Deuxièmement, il s’agit d’analyser l’influence de la signalisation dans la réalisation de la recherche d’informations professionnelles et dans la rétention de ces informations. La signalisation est une caractéristique très utilisée, d’une part dans les textes, et, d’autre part, dans les publications relatives à l’orientation des jeunes, avec l’idée sous-jacente que l’information signalée est une information importante par rapport à l’ensemble du texte. Deux formes de signalisation seront examinées dans ce travail : d’une part la mise en gras et, d’autre part, le questionnement.
Considérations théoriques
5La recherche d’informations sur n’importe quel support – papier ou électronique – débute par la lecture et la compréhension d’informations verbales et s’arrête quand l’utilisateur pense avoir trouvé l’information recherchée. La psychologie cognitive a montré que la lecture et la compréhension renvoient à un grand nombre de processus mentaux, processus qui dépendent, d’une part, du contenu du texte, de sa présentation, (par exemple, présentation classique ou présentation électronique) et, d’autre part, de la tâche, elle-même : lire seulement pour comprendre ou lire en vue d’atteindre un but, (par exemple, lire le contenu d’une notice pour monter une bibliothèque ou lire pour trouver une information cible), (Coirier, Gaonac’h et Passerault, 1996).
6Une des difficultés dans la lecture de textes électroniques est celle qui consiste à se représenter mentalement la structure d’ensemble du texte en raison des caractéristiques dynamiques, ouvertes et peu structurées des informations hypertextuelles, (Le Gros et Crinon, 2002).
7Cependant les textes comportent souvent des signalisations (mises en gras, soulignements, titres) censées améliorer leur compréhension en attirant l’attention des sujets sur la structuration textuelle, (Mayer, 1996).
8Des effets positifs de la signalisation (exemple : souligner) dans les processus de sélection et d’intégration de l’information en mémoire ont été mis en évidence par Lorch et Lorch (1996). Ces études montrent que les signaux typographiques fournissent un mécanisme simple pour diriger la recherche d’informations spécifiques dans un texte car ils rendent saillantes visuellement les informations, surtout dans le cas où la complexité textuelle est élevée. Il s’ensuit que les informations textuelles signalées sont souvent mieux mémorisées et rappelées que les informations non signalées.
9Dans le cas des textes électroniques de nombreuses recherches ont été aussi réalisées sur le rôle de la signalisation. Ces recherches montrent, par exemple, que l’ajout de la barre des menus lors d’une consultation dans un système analogue à celui que nous utilisons ici, apporte un effet positif à la fois dans le rappel et dans l’efficacité des procédures de navigation (Tricot et Ruffino, 1996). D’autres types d’aides de surface tels que la surimpression, l’emploi de colorations peuvent produire un effet positif. Caro et Bisseret (1997) et Jamet (2002) ont montré que la signalisation par escamots (pop-up) produit des effets bénéfiques dans le rappel d’informations et dans la vitesse de la recherche d’informations.
10On peut cependant mettre en évidence d’autres éléments ayant aussi une fonction de sélection mais qui ne relèvent pas de la surface du texte. En effet, les consignes de lecture (par exemple, « vous lirez ce texte en vous focalisant sur les informations relatives aux procédures d’inscription au concours qui vous intéresse, … »), ou la recherche d’une information impliquant un questionnement précis (du type «Cherchez des informations sur le métier de boulanger: comment devenir boulanger, quelles sont les qualités requises?, … ») ont pour conséquence de diriger la lecture vers des informations-cibles spécifiques.
11Selon Reynolds et Anderson (1982), les questions posées au lecteur conduisent à une meilleure mémorisation des informations relatives aux questions posées. En effet, les questions, en tant qu’incitateurs à rechercher des informations précises permettent, comme les signaux typographiques, de focaliser l’attention sur des informations-cibles particulières, contenues dans le texte.
Questions de la recherche
12Un ensemble d’informations relatives à des professions sera proposé pour lecture, les sujets devant chercher des réponses à des questions posées, ces réponses étant parfois mises en valeur par le signal typographique caractère gras. Le même contenu verbal sera présenté sous la forme d’une brochure et sous la forme d’un cédérom.
13Les processus cognitifs sont-ils les mêmes en matière de recherche d’information, de compréhension et de mémorisation de l’information lorsque les informations verbales sont présentées sous ces deux formes: brochure et cédérom? La manipulation du matériel pour rechercher une information et la présentation visuelle impliquée par les supports sont autant de points qui distinguent une brochure d’un cédérom. Est-ce que la signalisation est traitée de la même manière dans les deux modalités de présentation?
14Deux indicateurs principaux sont pris en considération dans l’analyse : le temps mis pour fournir une réponse correcte aux diverses questions et le rappel de certains éléments du texte.
Méthode
15Les 24 participants sont des collégiens, élèves de troisième, âgés en moyenne de 14 ans (11 filles et 13 garçons). Tous les participants appartenaient à une classe dite « science » dans laquelle des travaux sur Internet avaient été réalisés au cours de l’année scolaire ; en outre, ils avaient travaillé sur le logiciel « photoshop » ; la plupart d’entre eux possédaient un micro-ordinateur à la maison et un certain nombre d’entre eux disposaient de courrier électronique. Au vu de ces comportements, on peut considérer que les collégiens sont relativement experts dans l’usage de l’outil informatique.
16Dans l’expérience décrite ci-dessous, un groupe de 12 collégiens a travaillé avec la brochure et l’autre groupe de 12 collégiens a travaillé avec le cédérom, sous format Word.
17Le matériel est composé d’un texte présenté sous forme classique dans une brochure ou sous cédérom. Ce texte a été composé et adapté à partir du cédérom « Les Fiches métiers » de l’Onisep. Dans la forme cédérom-Word, les participants sont confrontés à une page d’accueil où sont présentés les intitulés de trois fiches métiers : barman, fleuriste, infirmier(e). Chaque fiche contient des informations classées en 8 rubriques : activités, conditions de travail, carrière, qualités requises, salaires, se documenter, formation, formation continue. Le contenu de chaque rubrique se présente comme un texte d’environ 12 phrases et 180 mots.
18Dans la forme classique, les participants sont soumis à une brochure comprenant aussi une page « Sommaire d’accueil » comprenant les intitulés des 8 rubriques, chacune renvoyant à la description de chaque rubrique.
19Dans un premier temps, tous les participants ont été soumis à une épreuve de recherche d’information consistant à répondre à 6 questions (deux par métier) en lisant et en cherchant l’information dans l’une des 8 rubriques. Dans la version cédérom les participants cliquaient sur l’intitulé de la rubrique pour trouver le contenu et dans la version brochure il suffisait de tourner les pages. Une fois l’information trouvée, les sujets devaient l’écrire et ensuite lire tout le contenu de la rubrique. La moitié des réponses correspondant aux questions (informations ciblées par des questions) était signalée au moyen du caractère gras et l’autre moitié n’était pas signalée. Le texte présenté et les questions posées dans les deux conditions – cédérom et brochure – sont identiques.
20Voici deux exemples de questions posées : « Dans quelle ville les débouchés sont-ils les plus intéressants pour exercer le métier de barman ?» ; « Quelles sont les trois possibilités de carrière quand on exerce le métier de fleuriste ?»
21Dans un deuxième temps, tous les participants ont été soumis à une tâche de rappel en répondant à un questionnaire final. Ce questionnaire était constitué, pour moitié, des questions précédemment posées dans la première phase (6 questions anciennes) et, pour moitié, de 6 questions nouvelles, portant sur des informations appartenant à la rubrique, que les sujets avaient lue lors de la première phase de la tâche ; ces informations se trouvaient proches des informations ciblées par les questions. Une moitié de ces informations avait été mise en gras et l’autre moitié sans mise en gras.
22Deux mesures ont été effectuées. Dans la première phase, on a mesuré le temps mis par les sujets pour trouver l’information correcte correspondant à chaque question posée, ce temps étant ici considéré comme un indicateur du processus de l’encodage sélectif. Dans la deuxième phase, on a comptabilisé les réponses correctes obtenues au rappel d’informations précédemment soumises à la recherche (questions anciennes), puis les réponses correctes obtenues au rappel d’informations soumises uniquement à la lecture (questions nouvelles).
Résultats
23Les participants ont répondu correctement à 90 % des questions posées lors de la première phase – lire pour rechercher des informations – et ce pourcentage est équivalent que les participants aient utilisé la brochure ou le cédérom. Le taux élevé des réponses correctes montre que la tâche de questionnement (phase 1) était facile avec les deux types de support.
24On a observé un effet significatif de la signalisation sur la rapidité des temps de recherche des réponses correctes. En effet, les informations signalées en gras sont trouvées plus rapidement (une minute en moyenne par question) que les informations non signalées (deux minutes) et ceci dans les deux conditions de présentation des textes, brochure et cédérom.
25Les moyennes des réponses correctes au questionnaire final sont présentées dans le tableau n° 1. Un effet significatif du type de questions posées sur la performance au rappel dans le questionnaire final a été mis en évidence : le rappel moyen des informations recherchées (phase 1) est meilleur que le rappel moyen des informations uniquement lues mais non recherchées, lors du questionnement, phase 1, (2, 229 versus 0, 937).
26L’analyse des moyennes montre aussi que la signalisation en gras améliore le rappel des informations relatives aux réponses aux questions nouvellement posées ; en revanche la signalisation en gras n’a aucune incidence sur le rappel des informations aux questions anciennes, auxquelles les participants avaient déjà répondu au cours de la lecture (la différence entre 2,000 et 2,458 est négligeable du point de vue statistique).
Moyennes des réponses rappelées correctement en fonction de la signalisation en gras et en fonction des questions (anciennes et nouvelles)

Moyennes des réponses rappelées correctement en fonction de la signalisation en gras et en fonction des questions (anciennes et nouvelles)
Discussion des résultats
27Après la lecture d’un texte dont le but était de chercher des réponses à des questions, les informations ciblées, sont mieux rappelées que les informations non ciblées par les questions. Ces résultats suggèrent que les questions permettent aux informations ciblées d’être efficacement intégrées dans la mémoire, sans doute parce que la recherche d’information implique un traitement plus approfondi que la simple lecture des informations proches des cibles.
28Les résultats suggèrent aussi que l’influence positive de la recherche d’informations guidée par des questions sur le rappel n’est pas améliorée par la signalisation typographique. On peut penser que l’activité de recherche d’information mobilise suffisamment les ressources attentionnelles du sujet de telle sorte que l’influence de la signalisation périphérique « caractère gras » n’a plus de portée, en termes d’efficacité. Ainsi, c’est surtout l’activité de recherche d’informations qui guide le traitement en profondeur et moins la signalisation externe lexicale.
29Ces résultats soulèvent une problématique intéressante. Il est en effet probable que la signalisation périphérique, associée à une tâche de recherche d’information guidée par des questions, n’augmente pas le rappel de l’information recherchée. Ces données suggèrent ainsi que les processus centraux de traitement de l’information sont prépondérants par rapport au traitement des éléments de surface, telle que la signalisation typographique périphérique. Le système typographique joue un rôle positif uniquement sur la vitesse de sélection de l’information de la première phase et ce de manière équivalente dans la brochure et dans le cédérom.
30Les deux supports – brochure et cédérom – conduisent à une vitesse équivalente dans l’accès aux informations à rechercher, d’une part, et d’autre part, à un rappel similaire. Il est probable que l’absence de différences soit en partie due à la familiarité des collégiens dans l’utilisation d’Internet et des systèmes informatiques. On peut penser que l’expertise des collégiens dans le maniement du système informatique joue ici un rôle important, en effaçant les difficultés liées à l’éventuelle nouveauté de l’outil.
Conclusion
31Deux résultats ressortent de ce travail. Le premier porte sur le peu d’efficacité de la signalisation par le caractère gras dans la mémorisation et l’intégration des informations soumises au questionnement ; le second résultat porte sur l’absence de différences observées entre la présentation par brochure et la présentation par cédérom.
32Il est possible que la signalisation périphérique externe de l’information influence faiblement le processus complexe de recherche d’information, qui s’apparente à la résolution de problème. Ainsi le fait de mobiliser des ressources attentionnelles importantes pour trouver la réponse exacte à une question (processus cognitif élaboré) conduirait le participant à porter moins d’attention à la signalisation périphérique. Il est intéressant de remarquer cependant que la signalisation (par le caractère gras) a un effet positif sur la mémorisation des informations, mais uniquement de celles qui n’ont pas été objet d’une question.
33Le deuxième résultat est que, globalement, la présentation des informations par cédérom conduit à des résultats similaires à ceux observés avec la brochure. Il est vrai que les participants avaient une certaine expertise dans le maniement du système informatique.
34Deux orientations de recherche se dégagent de ce travail :
35– La première orientation porte sur la signalisation dont on a vu qu’elle peut porter sur des mécanismes cognitifs plutôt périphériques (caractère gras, soulignement, italiques, escamots) et, d’autre part, sur des mécanismes plus complexes et élaborés dans lesquels le sujet est plus actif : répondre à des questions, lire attentivement les titres et les résumés insérés avant le texte ou le paragraphe, traiter activement les escamots. Il est probable que l’acquisition d’expertise dans l’utilisation des nouveaux systèmes doive tenir compte de l’efficacité relative de ces différentes signalisations.
36– La deuxième orientation consiste à préciser la notion d’expertise et à identifier les facteurs sociaux, cognitifs et pédagogiques déterminants de son acquisition. Cette orientation est à mettre en relation avec le problème de la fracture sociale indiquée dans l’introduction. Il s’agit de mobiliser les différentes disciplines relevant des sciences humaines et sociales dans le but de faire accéder au plus grand nombre l’usage cognitivement et socialement adapté de ces nouvelles technologies.