1Peut-on, en étant voisins, se connaître et travailler ensemble ?
2Tout champ a ses voisins. Mitoyenneté, bornage et frontières : immédiatement surgissent les problèmes de voisinage. Et dans les sciences ? Toute approche scientifique s’appuie sur ce que d’autres ont déjà dit et fait. Pour parodier Héraclite, nous descendons toujours dans les mêmes eaux, reprenons les mêmes chemins – même si, comme on l’a vu dans la première partie, les eaux sont renouvelées et les chemins retracés en permanence.
3Quelles relations la dernière venue peut-elle établir avec des disciplines plus anciennes, avec celles qui observent les mêmes réalités ? Comment voit-on ses voisins, et surtout, comment les voisins construisent-ils, de leur côté, leur regard, leur représentation, leurs relations en face d’un champ qui s’élabore à côté d’eux ? Le premier mouvement de tout en chacun, dit l’un des auteurs, est de marquer sa différence pour exister et prouver son identité, en particulier de se démarquer des plus proches, d’exacerber les conflits frontaliers.
4Au-delà de cette posture, on se demande ici si les Sic apportent, vis-à-vis des sciences qui les jouxtent, quelque chose de nouveau. Se contentent-t-elles de leur emprunter des méthodes, des concepts, des outils, pour s’arroger le droit de les utiliser de leur côté ? Permettent-elles d’offrir un point de vue nouveau sur des questions déjà traitées par d’autres ?
5Avec une des plus anciennes, la rhétorique, les liens semblent évidents. La rhétorique disait comment bien parler pour convaincre. Les Sic observent les médias, la communication de masse et la manipulation symbolique. En revisitant la Rhétorique d’Aristote, et en la confrontant aux concepts de public, de texte, et à des préoccupations éthiques, G. Soulez retrace un long parcours. Symétriquement, pour mieux cerner une question posée par la communication contemporaine, il doit dissiper la perception caricaturale que nous avons du projet rhétorique, qui porte une profonde pensée des modèles de communication circulant dans le social. Une véritable culture de l’argumentation et de la rhétorique serait donc le meilleur moyen de démontrer l’interaction entre publics et discours, au lieu de laisser se développer des fantasmes sur le besoin de manipulation qu’éprouveraient les masses.
6Avec une voisine plus récente, la sémiotique, le face à face a quelquefois tourné au malentendu. J.-J. Boutaud retrace l’histoire de cette relation entre ceux qui pensent la signification et ceux qui pensent la communication. Tous étudient l’image, le texte, leurs effets. Mais d’un point de vue différent. Le meilleur moyen n’est-il pas de voir comment ils se définissent mutuellement et comprennent les uns les autres leurs apports respectifs ? Avec la prise en compte commune du sujet de l’énonciation et du « social », mais aussi avec un élargissement des phénomènes communicationnels au-delà du seul modèle langagier, les deux champs scientifiques semblent entrer dans une période de compréhension mutuelle, qui ne va pas sans imposer, de part et d’autre, de lourdes remises en cause.
7C’est Outre-Atlantique qu’Yves Winkin choisit d’explorer les influences et les contiguïtés entre les sciences de la communication et ses proches. L’enseignement de la rhétorique, depuis le xixe siècle au moins, celui du journalisme, la recherche sur la communication de masse y règnent en maîtres, à travers les départements de Speech et de journalisme. Mais le développement des disciplines semble parfois obéir à des lois peu évidentes. On voit bien que dans les deux pays, pour des raisons institutionnelles, personnelles, sociales, les développements scientifiques suivent des voies différentes, ce qui laisse ouvertes des questions pour l’avenir desdites sciences.
8Autre voisine, à la fois proche et lointaine, la sociologie. Qu’il s’agisse de sociologie de la communication, de sociologie des médias, des méthodes en sciences sociales, le voisinage est net. Bien longtemps il a été vécu comme un affrontement, un clivage ou une imposture. De même que la relation entre les Sic et les Cultural Studies, qu’elles soient britanniques ou d’inspiration étasunienne, s’est construite le plus souvent sur l’ignorance ou le déni. Cette époque semble passée, écrit E. Maigret, pour qui l’approche esthétique des productions de la communication de masse pourrait être un terrain d’investigation commun aux deux champs scientifiques.
9En somme, la question des frontières reste, envers et contre tout, fondamentale, et elle structure bien des débats et des oppositions, en amont quelquefois de toute argumentation scientifique. Les dispositifs frontaliers, de répression, d’exil, de reconnaissance, sont les mêmes dans toutes les activités humaines, observe A.-M. Laulan. Les disciplines scientifiques n’y font pas exception. Mais, somme toute, les conflits frontaliers permettent de progresser. Ils nous induisent à mieux travailler dans le respect des autres, en cette époque de bouleversements qui rendent l’autre présent dans l’espace que nous avions pu croire être les seuls à occuper.
10Finalement, une discipline est une manière d’interroger certains objets concrets, de les constituer en objets scientifiques. Mais le propre des objets communicationnels est qu’ils ont à la fois une dimension sociale, une dimension technique et une dimension sémiotique. J.-B. Perret se demande comment on passe du constat qu’il y a de la communication dans beaucoup de pratiques humaines au projet de définir une approche communicationnelle des phénomènes sociaux. Il note que les sciences de la communication ont souvent construit leurs objets aux marges de ce que les autres disciplines considéraient comme scientifiquement observable (la presse, la culture populaire, les médias de masse …). Il se demande comment envisager aujourd’hui cette spécificité des études de communication.