1À quel titre suis-je fondé à traiter des relations entre l’Économie politique de la communication et les sciences de l’information et de la communication, et particulièrement des apports de l’une (que par commodité on présentera sous l’abréviation d’EPC) aux autres (dont l’abréviation, plus ou moins heureuse, de Sic s’est imposée) ?
2La question permet déjà d’entrer dans le sujet : d’une part elle met en doute les possibilités de prise de distance de quelqu’un qui pendant environ trois décennies a suivi de près les avancées de l’une comme des autres, d’autre part elle conduit à s’interroger sur le fait d’être plus ou moins considéré comme l’un des représentants qualifiés (autorisés ?) d’un courant théorique marqué par la diversité. Autant j’avoue ne plus hésiter à contribuer à l’histoire de l’interdiscipline des Sic, [notamment Meyriat et Miège, in Boure (coordonné par), 2002], car ce genre de contribution fondée sur la connaissance directe et indirecte, et appuyée sur une méthodologie relevant des travaux historiques, est assez normalement soumise à la critique, autant je ne voudrais pas laisser supposer que je « représente » de quelque façon que ce soit l’EPC : si je fais miennes depuis longtemps quelques-unes de ses propositions centrales, pour autant, je ne me suis jamais identifié à l’EPC proprement dite et je crois n’avoir jamais fait référence à ce courant (sauf bien sûr dans un ouvrage « la pensée communicationnelle » qui dressait le tableau des théories amenées à traiter de l’information et de la communication) ; les raisons de cette non identification apparaîtront sans doute mieux à la fin de cet article. Il reste que l’EPC est de fait très peu connue par ceux qui se reconnaissent dans les Sic ; cela tient avant tout à ce que les processus de diffusion des idées restent marqués par une centration autour d’un espace francophone (voire hexagonal), les influences extérieures étant admises en fonction de filtres assez fermement contrôlés.
Émergence et convergence
3Il est généralement admis que l’EPC émerge à la fin des années 1960 et surtout au cours des années 1970. Malgré les apports de quelques auteurs importants (Schiller H. I., 1969 et 1976 ; Guback, 1969 ; Smythe, 1977, mais avec un premier ouvrage datant de 1957 ; sous certains aspects Williams, 1975 ; Garnham, 1979; Mattelart A., 1976 ; ainsi que Nordenstreng avec Schiller H. I., 1979 ; Hamelink, 1983 ; Murdock, 1979), on ne trouvera pas de texte marquant pouvant être considéré comme fondateur et surtout d’ouvrage fondamental ouvrant sur l’ensemble des perspectives théoriques. Vincent Mosco qui s’est efforcé de retracer l’évolution de l’EPC dans un ouvrage très documenté (Mosco, 1996) situe à juste raison son émergence dans la filiation des réflexions autour de l’Économie politique, et particulièrement dans la perspective de la critique des théories dominantes, les théories classiques et néo-classiques, soit pour réintroduire les rapports sociaux, et spécialement les relations de pouvoir dans l’analyse de la production, de la distribution et des échanges de ressources, soit pour étudier les phénomènes de contrôle et de reproduction (survival) dans le vie sociale. Les auteurs précités et quelques autres sont avant tout des universitaires qui se trouvent aux prises avec une approche dominante et étouffante de l’économie ; s’inspirant des analyses de Marx, mais le plus souvent en dehors des orthodoxies alors prégnantes, ils mettent l’accent sur la production plutôt que sur la consommation, sur l’activité créative des acteurs sociaux, sur les phénomènes de déséquilibre et de domination, et sur la diversité des formes institutionnelles ; la plupart sont des économistes, mais des économistes insatisfaits du découpage disciplinaire, qui met alors (et aujourd’hui encore) l’économie à part des autres sciences humaines et sociales. Ce serait en tout cas une erreur que de chercher une communauté de vues théoriques dans leurs approches ; les fondements théoriques sont diversifiés, et ce trait vient essentiellement de ce que la plupart sont des Britanniques et surtout des Nord-Américains, moins habitués que nous ne le sommes aux discussions conceptuelles et aux réflexions théoriques abstraites, et plus concernés par les questions liées aux pratiques sociales.
4Qu’est-ce qui explique que ces auteurs et d’autres se soient intéressés à la communication (ou pour certains de façon plus spécifique à l’information ou à la culture) ? On doit ici rappeler que les mouvements de contestation des années 1968 ont tous accordé une place de premier plan à la culture et à l’information, donnant ainsi une diffusion inconnue jusque-là aux thèses de l’École de Francfort et d’autres courants critiques : la contestation des médias dominants et l’aspiration à de nouvelles expressions ou pratiques culturelles sont partout présentes, donnant lieu à une effervescence artistique et à une créativité visant à renouveler radicalement les formes et les modes de la vie culturelle. Mais ce n’est pas tout : les années 1970 sont en quelque sorte le point de départ et le laboratoire des techniques de communication qui se développeront dans les deux décennies suivantes ; l’audiovisuel, les télécommunications et même l’informatique qui ne connaît pas encore les micro-ordinateurs donnent lieu aux premiers débats, non seulement sur l’informatisation de la société, mais sur la perspective d’une société post-industrielle qui serait basée sur l’information. Enfin, les États démocratiques sont le lieu de débats et de polémiques sur le contrôle public des médias audiovisuels, et les firmes multinationales (à dominante américaine) sont à l’offensive en Amérique latine et en Europe de l’Ouest, et leurs stratégies conquérantes sont préoccupantes.
5Tous ces éléments concourent (déjà) à faire de la communication un enjeu de première importance, sans cependant que les connaissances validées et organisées soient disponibles. On comprend dès lors que, de tous côtés, sans concertation entre les auteurs, émergent des travaux aux orientations voisines et aux thématiques proches. On se doit cependant de signaler qu’entre eux les contacts vont trouver dans les réunions entre 1977 et 1980 organisées à l’Unesco sur le Nomic (Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication) une sorte d’élément catalyseur : plusieurs des auteurs précités participent aux réunions des groupes de travail, d’autres rédigent des contributions, et à partir de là des textes circulent et des débats se déroulent ; l’IAMCR-AIERI, à travers ses congrès bi-annuels et sa section spécialisée, jouent un rôle effectif de coordination, ou du moins de diffusion des travaux. Il serait sans doute excessif d’y voir comme l’existence d’une « communauté invisible », mais la circulation des idées participant de l’EPC est alors effective, même si les contacts directs ou par les moyens de communication sont rares (leur essor date seulement des années 1980).
6Ces échanges et ces débats n’entraînent pas nécessairement une homogénéisation des préoccupations et les propositions théoriques restent assez différentes sinon hétérogènes. S’affirment des façons de voir assez spécifiques aux auteurs et même aux régions du monde. Armand Mattelart joue en quelque sorte le rôle de passeur : très au fait des perceptions latino-américaines, connaissant bien les thèmes des ouvrages d’Herbert Schiller, il insiste dans plusieurs livres (1976, 1979) sur l’importance du nouveau type d’appareil idéologique qui accompagne la restructuration et l’offensive de l’impérialisme américain ; y prennent part non seulement les majors du cinéma et de la presse, les grandes agences publicitaires (se réorientant vers le marketing politique), les firmes produisant des téléséries éducatives, mais aussi des firmes d’électronique et même des producteurs de technologies spatiales (à visées militaires) ; et selon lui, l’hégémonie prend dès lors place dans le champ du savoir et de la communication technologique. Ce sont ces analyses qui seront connues sous le syntagme d’« impérialisme culturel » : Schiller et Mattelart participent dès décembre 1974 à un dossier du Monde Diplomatique sur ce thème, et inlassablement, le professeur de l’université de Californie à San Diego continuera à publier des études documentées sur le sujet, saluées par des auteurs importants, à des titres divers : Gerbner, Chomsky, Postman, Stuart Ewen, etc.
Incomplétude et addenda
7Il serait trop long, dans le cadre de cet article, de dresser la liste de ceux qui ont poursuivi et creusé le sillon ainsi tracé, le plus souvent avec le souci d’approfondir l’analyse avec les outils théoriques de l’analyse économique et un appareil statistique adapté aux objets qu’ils envisageaient : concentration monopoliste, spécificités du produit culturel, phénomènes de domination, place de la communication dans la crise du capitalisme « avancé » … : Enrique Bustamante et Ramon Zallo (1988), Ramon Zallo à nouveau (1988), Nicholas Garnham tout particulièrement (1990), Alain Herscovici (1994), jusqu’à Edward S. Herman et R. Mc Chesney (1997) et Cesar Bolano (2000).
8Cependant rares sont ceux qui, se reconnaissant plus ou moins dans les orientations fondatrices de l’EPC, telles qu’elles se sont affirmées dans les années 1970, en sont restés à ces perspectives, avant tout centrées sur des interrogations d’ordre économique. Qu’est-ce qui est à l’origine du constat qu’ils ont fait, le plus souvent chacun de leur côté, des limites de ces travaux et de la nécessité d’y apporter des compléments, à la fois thématiques, disciplinaires et théoriques ? La question est complexe, et on ne peut y apporter de réponse unique. On peut cependant avancer une explication : tout en restant attachés aux apports des travaux que nous venons de mentionner, qui se révèlent toujours pertinents à la fois dans la critique des courants économiques classiques et néo-classiques (ceux-ci assez peu empressés finalement à se confronter aux questions posées par la communication, sauf dans la perspective étroite de l’économie industrielle), et dans la mise en évidence des mutations du mode de production dominant (avec ses conséquences sociales et culturelles souvent brutales), ils ont estimé indispensable de prendre en compte d’autres questionnements, provenant tout autant du constat qu’ils faisaient d’évolutions en cours et d’enjeux qui se renforçaient, de propositions ou d’interrogations d’ordre théorique venant d’autres horizons, et des échanges ou débats scientifiques provoqués par l’explosion de la communication. Les contextes socio-institutionnels dans lesquels ces chercheurs étaient placés ont évidemment eu leur importance, certains se trouvant en quelque sorte contraints de se limiter à l’analyse économique plus ou moins strictement configurée, d’autres bénéficiant des ouvertures inter-disciplinaires désormais offertes, il est vrai avec des décalages importants selon les politiques universitaires. Ainsi peut s’interpréter, pour le cas de la France, la « rencontre » entre l’EPC et les sciences de l’information et de la communication, non sans qu’une précision soit apportée d’emblée : cette congruence fut à la fois minoritaire, assez tardive, composite (mais non disparate) et ses effets restent difficiles à apprécier.
9Quoi qu’il en soit, dès la fin des années 1970 et surtout au cours de la décennie 1980 puis 1990, s’expriment puis se confortent toute une série de lignes de recherche, qui, de façon explicite ou non, se donnent pour but de compléter, de prolonger et d’adapter l’EPC aux conditions nouvelles. Je ne peux faire plus que de les citer successivement, sans chercher à les positionner les unes par rapport aux autres, ni à vérifier rigoureusement les moments de leur émergence.
10Au moment où une publication nouvelle de l’ouvrage d’Yves de la Haye « Journalisme, mode d’emploi : des manières d’écrire l’actualité » est annoncée, il me paraît justifié de rappeler que l’ouvrage publié pour la première fois en 1985, donc après la mort de l’auteur, est en fait une réécriture d’une thèse de sociologie soutenue en 1973, sous la direction de Roland Barthes, auprès de ce qui était encore l’École pratique des hautes études. Journaliste de formation et sociologue, formateur en communication, de la Haye se donnait comme projet de montrer comment les écritures de presse, dans leurs rubriques, leurs formes dominantes et leurs registres différenciés « sont des machines à produire un semblant de sérénité … et à dépouiller l’actualité de ses aspects contradictoires ». Son projet, depuis sa thèse, était d’articuler sociologie et sémiologie pour traiter non des œuvres artistiques mais des textes communicationnels. On trouvera sans doute aujourd’hui que certains des passages de son ouvrage sont marqués par le structuralisme ambiant. Il me paraît difficile de ne pas reconnaître ses préoccupations dans les travaux actuellement réalisés dans ce qui se présente comme une « sémio-pragmatique ». Très critique vis-à-vis du fonctionnalisme qui régnait alors en maître dans les études de journalisme et dans les quelques recherches effectuées sur l’information, il avait publié en 1979 chez International General un petit ouvrage malheureusement méconnu Marx & Engels : on the Means of Communication, donc une sélection de textes des « pères » du marxisme précédée d’une longue préface. Nous avions formé le projet d’inviter à Grenoble pour une conférence Herbert I. Schiller, et Herbert est effectivement venu, au début de 1983, malheureusement au moment de la disparition d’Yves.
11Déjà avec des ouvrages parus autour de 1980, Armand Mattelart s’était ouvert à des questions nouvelles relevant des champs du politique et de la culture, sortant du cadre de départ de l’EPC. On peut mentionner l’ouvrage en collaboration avec Ariel Dorfman sur Le Mythe Donald, qui fut édité en de multiples langues. C’est surtout, me semble-t-il, avec Penser les médias, écrit avec Michèle Mattelart (Mattelart et Mattelart, 1986), qu’est formulée cette problématique élargie ; les auteurs citent parmi les nouveaux champs de réflexion : l’économie des industries culturelles, l’intérêt pour les pratiques des usagers, les interrogations sur les processus intersubjectifs de la communication, l’importance du moment de la réception, les modalités de l’innovation, les médias nouveaux face aux médias traditionnels, le rôle de la création publicitaire, la sociologie des professionnels, les équilibres entre création et programmation, l’internationalisation des systèmes de communication dans les systèmes européens, etc. et concluent : « les nouveaux paradigmes appellent la transversalité. N’ébranlent-ils pas les relations univoques que la pensée linéaire a établies entre la cause et l’effet, l’émetteur et le récepteur, le centre et la périphérie ? Ne remettent-ils pas en question le déterminisme exclusif qui a marqué une conception de l’histoire et du progrès ? Toutes visions linéaires qui se sont longtemps accommodées des cloisonnements des catégories conceptuelles et des disciplines. » (Mattelart et Mattelart, 1986, p. 262). Cet intérêt pour les nouveaux régimes de vérité, pour les nouvelles formes de pouvoir et les nouveaux modes d’intégration des sociétés humaines, s’inspire des œuvres de Michel Foucauld ; il éclaire largement des productions majeures ultérieures sur « l’invention de la communication » (Mattelart, 1992) et « la communication-monde » (Mattelart, 1994).
12La question des industries culturelles (présentée parfois comme la « théorie des industries culturelles ») est beaucoup mieux connue. Une abondante littérature lui est maintenant consacrée, et il est possible de se faire une idée précise de l’évolution de la question, des apports théoriques successifs auxquels elle a donné lieu [voir Lacroix et Tremblay (dir.), 1986 ; Tremblay (dir.), 1990 ; Miège, 1989 ; Miège, 2000 ; et la thèse de David Hesmondalgh, publiée chez Sage en 2002]. À son sujet, il convient de mettre en évidence plusieurs traits en relation directe avec notre propos :
- elle émerge à la fin des années 1970, non seulement parce que les enjeux économiques et culturels prennent un peu partout de l’ampleur, mais aussi comme une réponse aux insatisfactions théoriques et pratiques provoquées autant par la thèse de l’industrie culturelle chez T.W. Adorno que par celle de l’impérialisme culturel (et notamment par la version vulgate qui en a été répandue) ;
- elle est une « production » à la fois collective et individuelle, en ce sens que les apports individuels identifiables s’ajoutent aux travaux collectifs, et s’observent, parfois parallèlement, dans des lieux éloignés et peu connectés ;
- l’intérêt pour elle n’a cessé de se renforcer avec la montée des nouveaux médias et des techniques nouvelles de l’information et de la communication ; en ce sens, ayant émergé non pas en dehors mais à côté de l’EPC, elle en constitue aujourd’hui sans doute une composante décisive pour la compréhension du fonctionnement des industries du contenu.
Des enjeux présents
13Ces extensions récentes de l’EPC peuvent être interprétées différemment. Pour certains, elles traduisent une certaine perte de l’identité originelle de l’EPC, voire sa dilution dans des problématiques qui lui sont extérieures, en particulier celles qui s’intéressent aux processus discursifs ou textuels et/ou à la construction du social à partir des relations interindividuelles et intersubjectives ; dès lors il y aurait lieu soit de reconnaître que l’EPC a achevé sa tâche historique et d’admettre la pluralité des approches disciplinaires et la multiplicité des positionnements théoriques. Pour d’autres, partant des mêmes constats mais refusant ce positionnement relativiste, il convient au contraire d’en revenir aux caractéristiques de départ, en insistant sur la nécessité pour l’EPC de prendre en compte le « fait social total » et de s’en tenir pour l’essentiel à une approche essentiellement économique dans laquelle le politique est présent. Pour d’autres encore, l’EPC n’en a pas fini de montrer sa pertinence dans le traitement des phénomènes pluridimensionnels et « stratégiques » de l’information, de la culture et de la communication ; mais la nécessité de se confronter avec d’autres approches (socio-discursives, socio-anthropologiques, socio-institutionnelles, socio-culturelles) s’impose, en raison même des changements intervenus et des mutations observables.
14Entre les auteurs plus ou moins concernés par ces trois orientations, il n’y a pas vraiment de débat approfondi, et sans doute les oppositions sont-elles moins tranchées que nous avons été contraints de les présenter. Si les échanges se multiplient, les occasions de débat restent rares. Et surtout, les approches demeurent et les représentations intellectuelles varient assez sensiblement d’une région du monde à l’autre ; ainsi, les priorités ne sont-elles pas les mêmes en Amérique du Nord, en Amérique latine ou en Europe. Dans ce contexte, il apparaît difficile de tracer des perspectives et à plus forte raison de définir des priorités.
15À notre sens, le projet de l’EPC est toujours aussi actuel (Comment ne pas voir dans certains développements récents, en correspondance avec la mondialisation néo-libérale, des similarités avec les préoccupations insistantes des acteurs du Nomic, voici un quart de siècle ? Comment ne pas ressentir le caractère pressant de « demandes sociales » portées par des mouvements sociaux ?) ; il est, aujourd’hui comme alors, tout aussi urgent de ne pas séparer le politique (et ajoutons : le sociétal) d’une analyse économique exigeante du secteur de la communication, mais un certain nombre d’exigences (nouvelles) ne peuvent dorénavant être éludées :
- l’articulation des dimensions macro-, meso- et micro- ;
- la prise en compte, dans les phénomènes de communication, de ce qu’ils sont à la fois socio-discursifs, socio-anthropologiques, etc., et par conséquent que seules des approches inter-scientifiques peuvent en rendre compte avec pertinence ;
- l’insistance sur la structuration sociale des pratiques de communication (autour des appartenances de classes, mais pas seulement) ;
- la non-réduction des relations de pouvoir (liées à la communication) à des actions manipulatoires ou à des phénomènes d’influence ;
- et l’acceptation de ce qui est encore souvent un axiome : à savoir la non-limitation de la communication (dans les sociétés à orientation démocratique) à des relations de domination systémique.
16Le projet de l’EPC ne peut se satisfaire d’un tel cloisonnement comme il ne peut envisager de traiter de toute la communication. Il est donc préférable de poursuivre dans la voie des extensions et des coopérations avec d’autres approches. Il reste que l’EPC se trouve mieux à même de prendre en charge un certain nombre de questions actuelles, ou en tout cas d’y apporter des réponses argumentées à partir de ses acquis. C’est particulièrement le cas de la critique de la société de l’information, de la constitution de puissants groupes de communication transnationaux, sur la base de stratégies financières offensives (qui ont d’ailleurs rencontré quelques déboires !), de l’inégal accès aux techniques de l’information et de la communication, tant dans les pays dominants que dans les pays émergeants ou même dans certaines zones des pays les plus pauvres.
17Ces pistes suffisent à montrer que l’EPC n’en a pas fini d’affirmer sa pertinence théorique. Cependant, comment ne pas voir que dans les sociétés contemporaines, et au travers de la question des médias, ce sont des interrogations centrales de la théorie sociale qui s’expriment ? C’est la position défendue par Nicholas Garnham dans un livre qui, selon nous, a trop peu retenu l’attention (Garnham, 2000), mais dont on doit toutefois discuter la proposition de faire retour à Kant (chez qui la raison est « not foundationnalist ») et à des prolongements de la pensée du philosophe allemand par Annah Ahrendt pour fonder sa démarche. Pour notre part (Miège, 1997), tout en marquant des différences significatives, nous sommes redevables à Jürgen Habermas, autant à ses travaux sur l’espace public et la publicisation des opinions qu’aux perspectives qu’il trace autour de l’agir communicationnel, d’un intérêt pour suivre la construction de « normes de l’action communicationnelle », articulant sphère du travail et sphère de la vie domestique. Les médias et les techniques de l’information et de la communication en effet, entraînent désormais à des questionnements que seules des méthodologies croisant des théories et des disciplines, apparemment distinctes, peuvent prendre en compte.