1Les Sciences de l’information et de la communication (Sic) et les Sciences de l’éducation (Sed) ont un certain nombre de points communs. Toutes deux sont jeunes – seconde moitié du xxe siècle en France –, empruntent aux diverses disciplines des sciences humaines et sociales, aspirent au statut de science par un processus de disciplinarisation « secondaire ». Elles sont nées et se sont développées en étroite liaison avec des savoirs et des champs professionnels préalables, les pratiques pédagogiques pour l’une, les métiers de la communication pour l’autre – et se sont toutes deux institutionnalisées, parallèlement à de grands changements : profonde mutation des systèmes éducatifs dans les années 1960, accélération des évolutions médiatiques dans les années 1970/1980. Les deux mouvements se conjuguent actuellement, ce qui explique l’urgence de leur rapprochement, notamment pour faire face aux logiques de médiatisation qui imprègnent les modes de transmission des informations et des savoirs et pour échapper à une conception gestionnaire de l’organisation éducative et plus largement sociale.
2Ce qui fait à la fois le défi et la chance de ces deux disciplines « transversales » quand elles s’intéressent à un sujet nouveau, c’est qu’elles sont moins encombrées que d’autres par des traditions paralysantes et peut-être, comme l’a souligné Armand Mattelart « moins prétentieuses que d’autres à proposer des réponses à des questions mal posées ».
3Á condition, bien sûr, de renoncer chacune à leur prérogative supposée pour contribuer à l’élaboration d’une problématique pertinente et transformer un sujet concret en « objet de recherche ». Comment étudier, par exemple, les processus d’apprentissage via un multimédia éducatif sans un sémiologue, pour qui l’interprétation est déterminée par le jeu des signes, un didacticien, visant dans l’apprentissage la modification des représentations préalables et un ergonome chargé de réduire les efforts de l’apprenant ? Ou encore, comment étudier un dispositif médiatisé de formation à distance sans articuler l’approche organisationnelle propre à l’entreprise ou à l’institution, les déterminants socio-économiques des médias impliqués, et les dimensions psycho-sociologiques des enjeux et modalités de ladite formation ?
4Outre ces « objets » de recherche à examiner en commun, en co-construisant des méthodologies spécifiques, ces deux disciplines ont aussi à travailler des notions voire des concepts que toutes deux revendiquent : les notions d’« usage », de « dispositif », d’« interactivité » ou de « médiation », pour ne prendre que quelques exemples.
5Le mouvement d’industrialisation progressive de l’éducation et de la formation ne doit pas échapper à une étude critique que l’analyse empirique aussi bien des ressources que des systèmes rend chaque jour plus urgente. Á ne pas la mener, on risque fort de légitimer, sans le vouloir, des visées dérégulatrices touchant au statut du service public. Car il s’agit toujours d’étudier le champ disciplinaire dans son inscription sociale pour comprendre comment les avancées de la connaissance s’articulent aux pratiques sociales et professionnelles et les transforment tout en étant réciproquement modifiées par elles. Finalement, dans ce processus en perpétuelle évolution que la constitution des savoirs scientifiques représente, Sed et Sic apparaissent comme un « laboratoire » où s’élaborent de nouveaux rapports entre les sciences humaines et sociales pour construire de nouveaux savoirs.