1Le développement des sciences de l’information et de la communication a sans conteste été porté par un mouvement politique, économique et social plus large, faisant des phénomènes d’information et de communication des facteurs décisifs de transformation des cultures et des sociétés. Après le triomphe d’une utopie de la communication dans les années 1980, la mode serait plutôt aujourd’hui à la « société de l’information », qui, pour être fort difficile à cerner, entre idéaux politiques, performances techniques et marchés industriels, impose son ardente obligation sur fond de télécommunications planétaires. De l’une à l’autre survivent les valeurs de transparence et d’accessibilité, qui sont censées fournir un nouvel horizon de progrès et de prospérité à une société orpheline de ses idéologies. Ce qui est évidemment une idéologie.
2Être portées par cette vague des réseaux, de l’information, de la communication est sans doute un avantage pragmatique pour les sciences de l’information et de la communication, mais cela les expose à de grands risques et leur impose de grandes responsabilités. Tout en prenant la mesure de cette importance nouvelle attribuée à la communication et à ses outils (qui évidemment ne sont pas nés d’hier), les auteurs qui s’expriment dans cette partie s’emploient à démêler, derrière les annonces séduisantes, de réels enjeux, de réels pouvoirs, de réelles logiques sociales. Car si les phénomènes d’information et de communication ont été de tout temps essentiels pour les cités et les cultures, le rôle de la recherche est bien de contribuer à en rendre visibles les enjeux et discutables les effets, même quand la folie du tout communicationnel risque de rendre invisibles les pouvoirs de la communication. Cette partie ne vise pas à « couvrir » tous les problèmes sociaux de la communication, elle propose des démarches complémentaires pour interroger le rapport entre enjeux et savoirs.
3Dominique Wolton ouvre cette partie consacrée aux enjeux sociaux et politiques de la communication, en tant que chercheur consacrant ses travaux à cette question et en tant qu’animateur de recherches. Il souligne la distance considérable qui sépare le développement des outils et techniques d’information et de communication d’une réelle recherche en la matière, qui suppose la prise en compte entière de la dimension culturelle, anthropologique et politique de la communication ; il esquisse sur cette base dix chantiers de recherche pour l’avenir.
4Si l’analyse des évolutions actuelles est délicate, c’est que les enjeux sociaux sont souvent masqués derrière une technicité et une neutralité apparentes des outils d’information. Analysant le cas des normes et standards qui sont en train de se mettre en place au niveau international en matière d’apprentissage en ligne, J. Perriault met en évidence la dimension politique des décisions techniques : il montre que le travail de normalisation est porteur de lourdes conséquences en matière de logiques de communication, de conceptions et d’usage du savoir, de répartition des initiatives et des contraintes, d’autonomie ou de dépendances économiques et politiques. Il appelle les chercheurs en information et en communication à s’engager plus nombreux dans cette recherche appliquée, où ils doivent exprimer une conception large et pluridimensionnelle de l’information : appel qui sonne aussi comme un avertissement, devant le risque de voir ces questions confisquées par des acteurs indifférents aux dimensions symbolique et culturelle de l’information.
5Le développement des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement est l’un des grands secteurs dans lesquels la confrontation des intentions et des réalisations est instructive. Si l’éducation a toujours reposé sur des objets techniques, l’industrialisation des innovations, puissamment promue, s’est peu à peu présentée, de plus en plus ouvertement, comme un instrument de transformation ou de remise en cause des institutions éducatives. B. Ollivier et F. Thibault observent que face à ces « grandes man œuvres », la recherche a peine à se structurer dans un secteur où l’expérimentation locale et la fascination pour la nouveauté font obstacle à la constitution de problématiques solides. Les disciplines instrumentales (informatique, sciences cognitives) ont d’emblée pris le pas sur les sciences sociales, et, à l’intérieur de ces dernières, les Sic paraissent dominées par une approche descriptive des usages, plus ou moins inféodée à la promotion de techniques. Ils en appellent au développement d’une recherche critique et ambitieuse dans ses questionnements. Une telle recherche a un rôle à jouer dans la capacité de dessiner un avenir des pratiques d’enseignement et de formation qui ne soit pas confisqué par les logiques techniques et marchandes.
6Travaillant sur les rapports entre communication et culture, B. Dufrêne et M. Gellereau reviennent sur le succès considérable qu’a connu ces dernières décennies la notion de « médiation culturelle ». Une notion représentative d’une rencontre entre logiques sociales et problématiques de recherche, qui a servi à structurer des études de terrain, des formations et des actions institutionnelles, soudant des liens entre communautés scientifiques et communautés associatives et professionnelles. Le point de vue retenu consiste à travailler précisément l’ambiguïté de la notion. Les auteurs montrent le rôle fécond que celle-ci a joué pour faire apparaître des dimensions et des secteurs de la pratique culturelle jusque là négligés, ainsi que pour poser la question des valeurs dans des termes affranchis d’une hiérarchie préexistante. Elles s’interrogent à partir de là sur les liens qui s’établissent entre postures de recherche et politiques publiques, montrant que l’idée de médiation est porteuse d’un certain imaginaire politique, dont elles s’emploient à faire apparaître les effets, en formation et en intervention.
7Le numéro se clôt par l’examen d’un champ dans lequel les sciences de l’information et de la communication ne jouent pas le rôle qu’elles pourraient jouer. L. Mermet propose cette analyse du point de vue des sciences de gestion, à partir d’un secteur assez méconnu en Sic, celui des recherches prospectives, que les enjeux sociaux et environnementaux d’aujourd’hui nécessitent. Il fait apparaître la dimension communicationnelle de ce travail, qui suppose, pour se constituer théoriquement, une analyse des dispositifs d’échanges sur lesquels reposent la productivité et la légitimité du travail prospectif et une compréhension en profondeur du travail narratif que suppose tout scénario d’avenir. Ainsi le numéro s’achève-t-il sur une provocation, adressée aux sciences de l’information et de la communication, qui se sont si souvent montrées déçues de ne pas être assez considérées. Prises au sérieux et prises au mot, elles sont invitées à montrer leur capacité, sinon à exporter leurs savoirs, du moins à en montrer la fécondité dans un champ construit autour d’autres perspectives disciplinaires.