CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dès leur naissance, les Sic sont conçues pour produire un enseignement (la recherche sera reconnue plus tard) mais aussi pour former à des métiers. Dès leur création, elles sont liées à des professions, à des secteurs d’activité, à des champs de pratiques. Cet aspect est suffisamment spécifique pour qu’on s’y attarde un moment. Journalistes, publicitaires, chargés de relations publiques, puis chargés de communication, attachés de presse, directeurs de la communication, webmestres, documentalistes, chargés de la veille technologique, bibliothécaires ... et tant d’autres professions existantes ou en gestation ont partie liée avec les Sic. Non que celles-ci soient impliquées dans toutes les formations qui y mènent, mais parce qu’elles peuvent former à ces métiers.

2Dès leur genèse, elles entretiennent donc une double relation avec les secteurs professionnels. Elles forment à exercer des métiers, et elles doivent être reconnues légitimes par ces professions auxquelles elles forment. Elles forment des futurs professionnels et produisent du discours théorique à destination de secteurs d’activité particuliers (publicité, médias …) ou de postes particuliers dans tous les secteurs (chargés de communication, chargés de documentation, métiers liés aux banques de données et aux réseaux …). Les relations sont-elles symétriques ? Comment cette discipline a-t-elle exporté ses concepts, ses techniques, ses savoirs ? Quel regard porter sur cette particularité qui lie théorie et pratique à la racine même du projet des Sic ?

3Pour aborder cette question, il existe deux positions simplificatrices, dont se gardent les auteurs. La première consiste à produire une image désincarnée des sciences de la communication, à en faire une discipline de pure conceptualisation ou de pure critique, ce qui revient à nier l’ancrage social, économique, professionnel de la recherche ; la seconde consiste, inversement, à stigmatiser une discipline entièrement instrumentalisée, donc colonisée par l’ignorance, ce qui revient à méconnaître les savoirs particuliers qui émanent des pratiques.

4Les Sic vivent dans un échange permanent avec différents secteurs professionnels et sociaux, auxquels elles fournissent des concepts et dont, inversement, elles recyclent à certains égard les idées, sans que ces deux cycles symétriques soient aisés à distinguer. La métaphore du contrat de communication, légitimée par l’analyse de discours en même temps qu’elle était consacrée par les études de marketing, est l’illustration emblématique de cette circulation. Y. Jeanneret et V. Patrin-Leclère relèvent l’efficacité de cette métaphore, dont le pouvoir explicatif apparemment infini peut expliquer le succès. Mais de la modélisation à l’instrumentalisation, le chemin est parfois court. Le succès de la métaphore a entraîné son utilisation dans toutes les organisations sans précautions, jusqu’à concevoir toute situation de communication comme le produit d’un contrat. Dès lors, l’extension du modèle manifeste très clairement sa teneur idéologique.

5En fin de compte, que fait le chercheur en Sic ? Le plus souvent, il cherche à théoriser des pratiques, tout en pratiquant de la recherche théorique. Il réalise donc un double mouvement, des pratiques de l’autre vers la théorie qu’il construit, et de la théorie vers sa propre activité pratique. C’est la question à laquelle s’attache J. Le Marec en prenant l’exemple des études d’usage, qui sont en forte progression aujourd’hui et constituent une demande très nette faite aux Sic. Les commandes d’études sur les usages sont nombreuses, et elles représentent de ressources non négligeables pour les équipes de recherche. Comment les envisager, et comment produire lucidement de telles études aujourd’hui ? C’est ce qu’elle se demande en renvoyant à Michel de Certeau et en montrant que la question des pratiques – pratiques de communication des acteurs, pratiques de communication dans la recherche – garde toute sa complexité.

6Dans les entreprises, la communication, interne ou externe, a remplacé peu à peu les relations publiques. Mais les relations entre la recherche et les professionnels restent en la matière limitées. Les uns incriminent le niveau théorique abscons des productions et leur faible lisibilité, les autres refusent de se laisser instrumentaliser dans une pure perspective d’entreprise. Plutôt que de prendre parti dans ce débat, A. Gryspeerdt montre que ses termes mêmes renvoient aux espaces très différents dans lesquels professionnels et chercheurs légitiment leur action. Il retrace l’histoire de ces relations, en montrant vers quels échanges on pourrait imaginer de s’orienter dans l’avenir.

7La publicité est un lieu particulièrement riche pour observer la conception de nouvelles représentations, la naissance de catégorisations du social qui leur sont liées et leur diffusion à travers les médias de masse. L’exemple donné par A. Defrance de l’invention et de la promotion de la catégorie des seniors, qui supplante de manière générale dans nos pays, la catégorie des « vieux » devenue obsolète, fournit un exemple clair des échanges entre Sic et milieux professionnels. La publicité apparaît dans cette analyse comme l’un des lieux où se construisent des classements qui rendent visibles et invisibles les réalités sociales.

8Les implications en termes d’éthique sont donc plus fortes pour une discipline comme la communication que pour d’autres. Dans son dernier ouvrage, dont nous publions ici un extrait, Jesús Martín-Barbero évoque le projet intellectuel des sciences de la communication et la responsabilité qui est la leur dans l’époque de bouleversements démographiques, économiques et culturels que nous vivons. Il ne faut pas, dit-il, faire de la communication, une nouvelle idéologie qui aurait pour vocation de tout expliquer, comme on a pu l’attendre naguère du marxisme. Bien au contraire, la communication est un lieu d’où l’on peut interroger l’ensemble des secteurs de la société : les médias, l’éducation, la vie politique, la culture, les loisirs … D’où une responsabilité particulière pour les universités. Elles n’ont pas à former de nouvelles élites qui monopoliseraient les nouvelles formes de communication ouvertes par les médias en en spoliant l’ensemble de la population. Ici, comme dans les propos de nombreux auteurs, la préoccupation morale, la prise en compte de la nature démocratique de la société que l’on veut pour demain doivent orienter l’activité de recherche, qui comporte des responsabilités de type éthique.

Yves Jeanneret
Université de Paris 4 Sorbonne (Celsa) Laboratoire Langages, logiques, informatique, communication, cognition (LaLICC), CNRS
Yves Jeanneret, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Paris 4 Sorbonne (Celsa) et chercheur au CNRS, laboratoire Langages, logiques, informatique, communication, cognition (LaLICC). Spécialiste de la trivialité des valeurs culturelles, des formes d’écriture et des transformations médiatiques.
Bruno Ollivier
Université des Antilles et de la Guyane
Gerec-F
Laboratoire communication et politique, CNRS
Bruno Ollivier, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université des Antilles et de la Guyane, Gerec-F, laboratoire communication et politique, CNRS, Paris.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/9437
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