1Les premières associations contemporaines par le biais desquelles des personnes échangent services et biens au moyen d’une comptabilité interne tenue en une monnaie propre ont émergé formellement en 1983, après plusieurs années de gestation et de tâtonnements, sous la forme des LETS (Local Exchange and Trading Systems) au Canada. Elles précèdent de quelques années les premiers travaux sut l’économie solidaire. Progressivement, des organisations de ce type ont été mises en place dans plusieurs pays, presque uniquement occidentaux. Au début de l’année 2000, 22 pays étaient concernés dans lesquels entre 2000 et 2500 associations rassemblaient autour de 250000 membres. Les déclinaisons françaises des LETS, les SEL (Systèmes d’échange local), sont apparus en 1994 (Servet (dir.), 1999). Ces organisations appartiennent à la catégorie plus large du localisme monétaire, forme caractérisée par l’organisation d’une localisation des échanges au sein d’un espace spécifique au moyen d’une organisation monétaire adaptée (Blanc, 2000). En France, un des objectifs revendiqués par les principaux animateurs est l’organisation d’une réciprocité entre les membres des SEL et, au-delà, l’instauration d’un espace au sein duquel l’économique serait au service de valeurs alternatives comme l’égalité entre les savoir-faire intellectuels et manuels, la réciprocité par le don ou la démocratie locale.
2Il existerait donc a priori une certaine parenté entre les objectifs que poursuivent les systèmes d’échange local et les objectifs économiques, politiques et sociaux de l’économie solidaire. Pourtant, nombre de LETS [1] offrent des divergences non négligeables, parfois radicales, et préfèrent se considérer comme de simples bourses d’échange de services de proximité, proposant à leurs membres un système de confrontation des offres et des demandes. Peut-on dès lors considérer cette forme du localisme monétaire comme une variante possible de l’économie solidaire ? Pour répondre à cette question on raisonnera à partir de deux formes archétypales de LETS qui polarisent deux tendances à l’œuvre dans les nombreuses variantes et la diversité des vécus et des expériences de chacun des LETS. On distinguera d’une part des LETS à dominante marchande, qui témoignent d’un projet économique fondé sur l’organisation d’une circulation marchande des biens et des services notamment à destination de personnes en situation de précarité, et d’autre part des LETS à dominante réciprocitaire, qui mettent en avant une réciprocité multilatérale, excluent tout principe marchand et cherchent à développer des liens de solidarité et de convivialité entre leurs membres. Les premiers sont plus ou moins représentés par les objectifs et le vécu des LETS anglo-saxons, les seconds le sont plus ou moins par les objectifs et le vécu des SEL français (Blanc, 2000, p. 251 sq).
3On se propose d’analyser les liens entre LETS et économie solidaire : dans quelle mesure les deux formes de LETS répondent-elles aux principes de l’économie solidaire et quels sont leurs rapports au politique ? Une première partie aborde les rapports étroits entre les principes de l’économie solidaire et les objectifs des LETS. Une seconde partie traite de deux écueils susceptibles d’affecter les LETS au cours de leur développement et entraînant une remise en cause du projet solidaire.
Propriétés des LETS et principes de l’économie solidaire
4L’économie solidaire s’articule autour de deux principes essentiels (Laville, 1995, p. 70-73). Un premier vise à réactualiser les pratiques réciprocitaires au sein de l’organisation économique afin de compléter l’action combinée, jugée insatisfaisante, de la redistribution, par les institutions publiques, et de l’échange, par les organisations privées lucratives. Le fonctionnement réciprocitaire assure un double objectif : un objectif économique par la création d’emplois ou par exemple d’activités de production, et un objectif de justice sociale par une répartition équitable des ressources et par le développement de nouveaux rapports de solidarité. Dans cette perspective, le projet de l’économie solidaire n’est pas tant de subvenir aux besoins économiques que de produire des conditions sociales viables individuellement et collectivement. Le second principe répond à une finalité politique en promouvant la création de micro-espaces publics autour d’objectifs communs de sociabilité, relevant d’initiatives privées et n’ayant pas un but lucratif à titre principal. La participation individuelle qu’induit le passage du privé au public donne dans ce cas les bases sur lesquelles une nouvelle identité citoyenne peut se construire [2]. Cette caractérisation de l’économie solidaire permet d’examiner les rapports que les deux formes archétypales de LETS entretiennent avec elle.
Refus du marché et de la monnaie dans les LETS à dominante réciprocitaire
5Les tenants de LETS à dominante réciprocitaire (fondateurs, organisateurs ou simples membres), dont on peut identifier les principes dans la plupart des SEL français, conçoivent les LETS comme non monétaires et ne leur assignent pas pour objectif principal de subvenir aux besoins économiques de leurs membres mais de promouvoir un échange convivial où celui qui fournit et celui qui reçoit sont liés au-delà de l’échange et de son règlement. Les LETS visent par conséquent à développer des rapports sociaux différents et alternatifs aux relations marchandes, considérées comme dominantes voire envahissantes au sein des sociétés contemporaines. L’équivalence de l’unité interne avec la monnaie nationale est en conséquence refusée, l’objectif étant de promouvoir un autre système de valeurs. La constitution de ce type de LETS procède avant tout d’une fin sociale passant par le double refus de la monnaie et de l’échange marchand.
6Comment alors concevoir l’échange et l’estimation des échanges dans des LETS où l’on refuse monnaie et marché ? Ce qui apparaît le plus fréquemment est soit de fonder la valeur des biens et services sur le temps passé à les produire, soit de demeurer dans un certain flou sur l’estimation et mettre l’accent sur la dimension réciprocitaire des échanges promus au sein du LETS.
7Quelle que soit l’orientation choisie, ce type de LETS vise à promouvoir l’établissement de comportements réciprocitaires entre leurs membres. Il répond bien au principe politique de l’économie solidaire en développant une organisation économique s’appuyant sur des mécanismes politiques égalitaires et participatifs ; la création d’un LETS ne peut s’effectuer en effet sans un engagement volontaire préalable de ses membres, tout autant que son mode de fonctionnement implique des actions réciproques continuelles. Les initiatives de l’économie solidaire partent d’engagements volontaires autour d’un projet commun dans lequel toutes les personnes concernées trouvent des moyens de socialisation et d’intégration sociale en même temps qu’un espace social à l’intérieur duquel elles exercent des actions solidaires ne procédant ni d’activités marchandes, ni de pratiques de solidarité publique redistributive. Le fonctionnement des LETS à dominante réciprocitaire rend bien compte de cette dimension politique de l’économie solidaire. Ce qui fait peut-être la spécificité des LETS parmi d’aurres expériences est l’importance accordée à la convivialité et à l’esprit ludique, qui se retrouvent à travers les noms de l’unité d’échange (un sourire, une pistache), mais aussi dans les bourses d’échanges où l’on « joue à la marchande », au travers de repas collectifs… La dimension politique des LETS est indissociable d’un esprit de convivialité, et l’on pourrait ajouter qu’il s’agit d’une forme moderne de la philia d’Aristote, en tant que sympathie réciproque des membres de la cité.
8À l’inverse, le principe économique ne constitue pas une priorité de ce type de LETS ; il s’agit moins de lutter contre la pauvreté que contre les formes d’exclusion et d’isolement sociaux qu’induit l’organisation marchande de l’économie. On est ainsi en présence d’un paradoxe : ces LETS répondent aux exigences de l’économie solidaire mais du point de vue politique, en refusant sa dimension économique.
Organisation locale de comportements marchands dans les LETS à dominante marchande
9Les LETS à dominante marchande, que l’on trouve en particulier dans les pays anglo-saxons, entretiennent des rapports plus étroits avec l’économie marchande et ne refusent pas l’équivalence entre monnaie nationale et monnaie interne. Il s’agit en fait de reproduire à un niveau local une organisation par le marché en créant une monnaie ad hoc. À la différence des LETS à dominante réciprocitaire, ils visent à combler les déficiences du système économique en luttant contre la pauvreté par une rationalisation des échanges. L’introduction d’une nouvelle monnaie au sein d’un groupe social volontaire permet de développer un échange multilatéral rationalisé d’une part, et de constituer des relations de confiance par l’appartenance au groupe, la connaissance des personnes du groupe et la formalisation monétaire des liens d’autre part.
10Ce type de LETS répond a priori mieux au principe économique de l’économie solidaire que dans le cas précédent ; leur but consiste en effet à redonner aux activités économiques un dynamisme contraint dans l’organisation marchande par le poids que les modalités d’accès au crédit font peser sur l’approvisionnement en monnaie nationale des agents. Pousser la logique de ce type de LETS revient en particulier à développer deux éléments que l’on ne rencontre pas dans les LETS à dominante réciprocitaire et qui impliquent une convertibilité partielle de la monnaie de LETS. Le premier élément consiste en des échanges inter-LETS, à savoir des échanges entre membres de LETS différents. Le second élément consiste à autoriser les échanges bimonétaires, c’est-à-dire à autoriser que des échanges soient réglés pour partie en monnaie de LETS et pour partie en monnaie nationale, notamment pour permettre que des professionnels soient intégrés au dispositif. De fait, cette dernière perspective donne aux échanges pratiqués dans les LETS à dominante marchande un poids potentiellement plus important que dans les LETS à dominante réciprocitaire, limités par l’isolement total de la monnaie interne ; on comprend alors mieux comment les LETS à dominante marchande entendent lutter contre la pauvreté et pourquoi ils inscrivent leurs actions dans le cadre du principe économique de l’économie solidaire. Ils ne portent pas un regard critique comme les SEL français notamment sur l’organisation marchande, mais en font même leur principe de fonctionnement à un niveau local. Les problèmes de sous-emploi, de pauvreté, etc. affectant l’économie sont moins des conséquences des échanges marchands qu’une mauvaise affectation et circulation de la monnaie nationale. La solution consiste alors à réorganiser le marché sur des bases locales afin de contrôler les flux de richesses entre le local et l’extérieur.
Personnalisation des échanges et citoyenneté
11Les LETS à dominante réciprocitaire ou marchande développent chacun des pratiques qui procèdent de l’économie solidaire ; les premiers paraissent plus enclins à en poursuivre les mobiles politiques, les seconds à en assurer certains objectifs économiques. Cependant, cette distinction formelle ne vaut qu’en ce qu’elle permet d’éclairer les activités solidaires a priori hétérogènes entre les différents objectifs et vécus de LETS [3]. Il reste que l’ensemble des LETS se rejoignent sur plusieurs points.
12Ils favorisent d’abord la constitution d’échanges personnalisés et condamnent par là même l’anonymat et le strict calcul individuel qui sont au cœur de l’idéologie de l’économie de marché, même dans les LETS qui promeuvent une localisation des échanges marchands [4]. Au cœur des LETS, en effet, se trouve la question du lien de clientèle, ou lien qui se tisse entre un fournisseur et un acquéreur et perdure au-delà du règlement de la transaction. Payer dans un LETS ne signifie pas rompre un lien et solder les comptes par un principe d’équivalence, bien davantage, il s’agit d’une logique d’alliance. L’objectif de convivialité et de collectivité de taille restreinte de la plupart des LETS signifie que ce sont des organisations qui cherchent à insérer l’échange de biens et de services dans une logique de lien qui l’englobe. Dans les LETS à dominante réciprocitaire, la logique du lien de clientèle s’inscrit dans celle du don contre-don : les membres du LETS s’obligent mutuellement par les dons contre-dons qu’ils réalisent. Dans les LETS à dominante marchande, la logique du lien de clientèle s’inscrit comme déviation ou amélioration de la logique formelle de l’échange marchand impersonnel et fondé sur le strict calcul individuel. Quoi qu’il en soit, le lien de dette, supposant l’inscription des personnes dans la « totalité sociale » constituée par le groupe LETS, se substitue à terme à l’échange contractuel qui implique une stricte indépendance individuelle.
13On retrouve ici dans une certaine mesure deux éléments caractéristiques de l’économie solidaire : pour les LETS à dominante réciprocitaire, l’impulsion et l’organisation réciprocitaire des activités économiques, et, pour les deux formes archétypales de LETS mais sur un mode différent, la critique du fonctionnement marchand de l’économie par la volonté de créer des cercles d’échanges autonomes des relations marchandes et étatiques. Il s’agit donc de développer des formes d’échanges inexistantes dans le système économique, au sein desquelles chaque membre du LETS devient producteur et consommateur.
14Les LETS s’inscrivent enfin dans une démarche citoyenne ; l’institution du localisme monétaire vise en effet à redonner à chaque personne l’autonomie et la liberté individuelles pendues dans l’organisation économique marchande dominante. Le développement de nouvelles formes d’échanges s’apparente alors à des actions collectives dont la revendication politique première est de restituer aux membres des LETS les moyens leur permettant de participer et de contribuer à l’intérêt public, ici par la création de zones de sociabilité et d’autonomie localisées. Ces dernières finalités convergent vers celles de l’économie solidaire en redonnant aux pratiques coopératives au sein de l’espace public (liberté positive) une place perdue dans l’économie marchande dominante.
15De plus, le niveau localisé des échanges permet de rendre lisibles les normes auxquelles répondent les pratiques réalisées au sein des LETS. Cette proximité donne la possibilité à chaque membre de participer à la constitution et à la modification des règles internes du cercle d’échanges ; l’apprentissage en est ainsi facilité. Le sentiment d’appartenance au groupe social est à la fois construit par les liens préexistant à la constitution de ce groupe (par exemple l’appartenance à un même quartier et aux mêmes activités associatives) et construit par les échanges successifs auxquels les membres se livrent dans le cadre du LETS. Pour tous ces points, le LETS apparaît a priori comme une manifestation significative des pratiques de l’économie solidaire.
16La seconde partie de ce texte examine les limites des deux orientations des LETS dans une perspective dynamique.
Le maintien problématique du projet solidaire
17On mettra ici l’accent sur deux écueils possibles du développement des LETS. Le premier est le risque d’instrumentalisation politique du fait de leur proximité avec le projet de l’économie solidaire ; le second procède des contraintes que leur impose leur environnement juridique, économique et social.
Instrumentalisation politique
18Un premier risque est lié à l’instrumentalisation politique des LETS. Leur capacité à lutter contre l’exclusion par l’insertion dans une logique d’échange qui responsabilise, autonomise et met en valeur les capacités de chacun, ainsi que leur capacité à lutter contre la pauvreté par la fourniture de moyens supplémentaires d’acquisition de biens de base (nourriture et entraide) en font des outils potentiels au service du politique. C’est ainsi que les Banques du temps italiennes sont créées sur l’impulsion des communes qui trouvent ainsi un moyen de promouvoir l’entraide, en particulier entre les femmes. En France, certains SEL ont reçu des soutiens de communes sous la forme de subventions, de fourniture de locaux, de matériel et parfois de services de comptabilisation des échanges ; certaines ont tenté de créer des SEL qui cependant n’ont pas fonctionné. Au Royaume-Uni, certains LETS font explicitement partie de projets de collectivités locales visant à lutter contre la pauvreté.
19Cette instrumentalisation politique des LETS est grosse de dérives et d’échecs en puissance. En premier lieu, ce qui est promu par une équipe municipale élue ne le sera pas forcément par l’équipe suivante ; en Italie le basculement politique de certaines municipalités a conduit à l’arrêt pur et simple de banques du temps. En second lieu, il existe un risque d’assistanat et de déresponsabilisation dès lors que les mairies se font le support de développement des LETS. En troisième lieu, il y a un risque que les institutions publiques trouvent dans les LETS un moyen alternatif de réaliser leur politique sociale, efficace au sens où les LETS leur permettraient de se désengager d’autres éléments de leur politique sociale nettement plus coûteux. Au fond, les LETS n’ont pas de prétention à se substituer ou à compléter l’action de l’État, des collectivités territoriales ou celles des associations sanitaires et sociales dans la lutte contre la pauvreté en fournissant des aides économiques (biens, aides sociales, etc.). Bien qu’ils puissent parfois y contribuer, leur objectif tend davantage à créer un système d’échanges au sein duquel sont réactualisées les valeurs sociales et politiques inexistantes dans l’organisation économique marchande.
Les rapports difficiles entre les LETS et les cadres juridique et social
20Les difficultés externes auxquelles les LETS peuvent être confrontés sont liées au fait qu’ils sont porteurs de projets de société nouveaux inadaptés aux catégories juridiques et institutionnelles habituelles. Trois points posent particulièrement problème concernant la nature de l’activité, les relations de travail et l’application des prélèvements fiscaux er sociaux.
21Le premier point tient au contenu des activités entreprises au sein des LETS : diffèrent-elles ou non des activités exercées dans l’économie nationale ? Des activités identiques impliquent l’application de la législation en vigueur comme l’illustre la situation de certains LETS anglo-saxons. Le problème demeure dans les LETS à dominante réciprocitaire où leurs membres ne conçoivent pas leurs échanges similaires à ceux de l’organisation économique marchande ; les activités dans ces LETS sont le plus souvent transitoires, non systématiques, ce qui donne un argument de poids à ceux qui revendiquent la spécificité de leurs activités. De plus, à quelles catégories juridiques répondent ces activités ? Relèvent-elles du bénévolat ? Or si elles fonctionnent sur le principe de réciprocité, il n’y a pas bénévolat. Relèvent-elles d’activités lucratives ? La réponse semble négative en ce sens qu’il n’y a pas constitution d’un surplus (capital, etc.) au terme de l’échange, sauf dans le cas de professionnels intégrés aux systèmes, ce qui n’est pas le cas dans les SEL français et de façon générale dans les LETS à dominante réciprocitaire.
22Le second point questionne la nature de la relation nouée dans l’échange. Certains l’assimilent à une forme de travail entrant directement en concurrence avec le contrat marchand salarié et devant à ce titre subir le même traitement juridique en termes de prélèvements sociaux et fiscaux ; d’autres au contraire réfutent cette interprétation en montrant que les échanges s’appuient sur le principe de réciprocité multilatérale et qu’il n’y a pas en ce sens de rapports entte un employé et un employeur présupposés par le contrat salarial. Là encore, il faut faire intervenir la différence qui existe entre les LETS à dominante réciprocitaire et ceux à dominante marchande, et l’intégration de professionnels est un élément de réponse important.
23Enfin, le troisième point relève des prélèvements sociaux et fiscaux ; la nature marchande des transactions doit ici suffire à déterminer les situations où l’application des prélèvements est requise et l’intégration de professionnels suppose la fiscalisation des activités auxquelles ils prennent part.
Conclusion : de nouveaux droits communautaires ?
24Les initiatives de l’économie solidaire manifestent une volonté de répondre à de nouveaux besoins non satisfaits par le système économique, politique et social traditionnel ; elles questionnent ainsi les modalités de l’échange économique en proposant de lier économie et solidarité (Laville, 1994, p. 285). Les LETS partagent ces propriétés ; leurs membres, par leurs engagements, militent en faveur de transformations dans les rapports sociaux concernant l’individuel et le collectif, le local et le global, le communautaire et l’État (Servet (dir.), 1999, p. 314.). Leurs actions témoignent pour partie d’une contestation des principes économiques de l’échange (la sphère marchande privée) et de la redistribution (la sphère publique non marchande) sur la base desquels les économies occidentales fonctionnent depuis le développement de l’État-Providence, mais aussi d’une reconnaissance de la solidarité de proximité dont elles sont porteuses, particulièrement dans les LETS à dominante réciprocitaire. Les membres de ces LETS rappellent en ce sens qu’il existe de nombreuses activités qui peuvent être assurées grâce à l’entraide entre personnes et qu’aucun dispositif public ne remplacera le plaisir de participer avec les autres à des liens de solidarité, à la construction d’une « bonne société ». En ce sens, ils s’inscrivent pleinement au cœur des pratiques solidaires en mettant en avant une proximité relationnelle et locale. Les LETS se posent ainsi comme une alternative possible, partielle, à des besoins que la crise de l’État-Providence laisse insatisfaits (Rosanvallon, 1981).
25Pour autant, les LETS, et plus généralement les institutions de l’économie solidaire, ne visent pas à se substituer à l’action de l’État mais à trouver une complémentarité entre la solidarité associative, locale, et la solidarité étatique, macro-sociale. Dans cette perspective, la création de nouveaux droits communautaires constitue une étape intermédiaire indispensable : l’État doit assurer un cadre réglementaire permettant le fonctionnement de communautés locales qui connaissent leurs limites et qui ne visent en aucune façon à empiéter sur l’espace public (Servet (dir.), 1999).
Notes
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[1]
Sauf mention contraire, nous considérerons ici « LETS » comme le terme générique désignant ces associations ; lorsque nous traiterons de leur déclinaison anglo-saxonne, nous préciserons « LETS anglo-saxons » et lorsque nous traiterons de leur déclinaison française, nous préciserons « SEL français ».
-
[2]
Notons que les échanges réciprocitaires peuvent compléter la visée politique de l’économie solidaire en permettant l’établissement de groupements collectifs volontaires et égalitaires. L’objectif économique peut être délaissé au profit du but politique comme nous le verrons pour le cas des LETS à dominante réciprocitaire.
-
[3]
Il est de fait parfaitement concevable de supposer que certains LETS pourtant à dominante réciprocitaire assurent le principe économique de l’économie solidaire ou que des LETS pourtant à dominante marchande s’appuient aussi sur le principe politique de l’économie solidaire.
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[4]
Ils condamnent aussi implicitement le concept du contrat, constitutif des échanges impersonnalisés et du principe de l’intérêt individuel.