1Un accès malaisé au travail caractérise, nous semble-t-il, le phénomène de précarisation généralisée que nous constatons aujourd’hui et qui est communément appelé exclusion. Une caractéristique majeure des exclus actuels, par opposition à la pauvreté telle qu’elle était perçue antérieurement, est d’être des surnuméraires (Castel, 1995, p. 399 sq.), de ne pas avoir de place dans la société. Rappelons-nous comment les pauvres au Moyen Age sont intégrés à la société (Geremek, 1990). De même, l’existence d’une « armée industrielle de réserve » est justifiée par son appellation même : c’est une main d’œuvre disponible en cas de besoin. La première caractéristique du pauvre aujourd’hui qui explique peut-être son caractère d’exclu est qu’il est inutile, cette inutilité étant socialement acceptée (Sassier, 1990, p. 356 sq.). Le Revenu Minimum d’Insertion, voté par une loi du premier décembre 1988 ne vise rien d’autre que réintégrer dans la société les personnes se trouvant à l’écart, notamment par l’absence de travail. En effet, un des principes premiers du RMI est qu’il esr « à la fois une somme d’argent résultant d’un droit reconnu, mais aussi une dignité retrouvée avec un travail et une occupation » [1]. Ce dispositif témoigne de la conscience collective qu’une absence durable de travail remet en question le lien entre l’individu et le groupe et pat là même affaiblit la société, qui n’est finalement que la somme de tous les liens. Le RMI est une voie parmi un ensemble de pistes de solutions qui sont mises en œuvre pour pallier cet affaiblissement de la société. Une autre solution est de miser sur les effets de la croissance qui devrait nous amener vers le plein emploi. Le plein emploi mais à quel prix est-on en droit de s’interroger ? L’Insee indique que la France compte d’ores et déjà 1,3 million de travailleurs pauvres [2] (personnes disposant d’un revenu inférieur à la moitié du revenu médian). Il y a donc peu de raisons d’être optimiste d’autant que l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale soulignait dans un rapport du 23 novembre 2000 que les effets de la croissance économique sur la pauvreté sont « lents à se faire sentir » [3]. Notre propos est ici de montrer une autre voie possible pour la lutte contre le chômage et l’exclusion. Il ne s’agit pas bien entendu de la panacée. La création d’entreprise par les chômeurs, puisque tel est notre objet d’étude, est perçue, en général, à travers un prisme libéral. Nous cherchons à donner à ce phénomène une lecture s’inscrivant dans le cadre d’une économie solidaire qui induit des questionnements d’ordre politique. Retrouver un emploi (que l’on crée en créant son entreprise) est un premier pas vers une intégration sociale qui elle-même est la condition sine qua non d’une participation à l’espace public.
2Dans une première partie nous ferons un point sur le renouveau de la création d’entreprise en France, notamment par les chômeurs, et la question du financement de ces créations d’entreprise. Nous explorerons ensuite dans quelle mesure ce phénomène peut s’inscrire dans un cadre solidaire. Enfin, nous nous attacherons à montrer la dimension politique sous-jacente aux initiatives favorisant la création d’entreprise dans le cadre d’une économie solidaire.
Intégration sociale et création de petites entreprises
3Le travail, valeur centrale des sociétés industrialisées, se réalise dans le salariat. Le travail tel qu’on l’entend, en Occident, correspond à un ordre social hérité de la pensée libérale. La division du travail entre les individus s’impose dans la pensée économique libérale depuis Adam Smith (Smith, [1776] 1991) comme principal facteur de cohésion sociale. Un individu ne pouvant produire tout ce dont il a besoin, il doit entretenir des relations avec d’autres personnes pour obtenir ce qui lui fait défaut. Dès lors il s’institue entre l’individu et la société une forte relation d’interdépendance : « Parce que l’individu ne se suffit pas, c’est de la société qu’il reçoit tout ce qui lui est nécessaire, comme c’est pour elle qu’il travaille. » (Durkheim, [1893] 1991, p. 207). Il n’y a pas aliénation de l’individu par le « contrat social » passé avec la société. Si l’individu est « la partie d’un tout, l’organe d’un organisme » (ibid. p. 207), il n’y a pas de différence de nature entre l’homme et la société, cette dernière devant « regarder les membres qui la composent, non plus comme des choses sur lesquelles elle a des droits, mais comme des coopérateurs dont elle ne peut se passer et vis-à-vis desquels elle a des devoirs » (ibid. p. 208).
4Ce principe de solidarité qu’Émile Durkheim qualifie d’« organique » (par référence à la biologie et à la complémentarité des organes) est ainsi fortement basé sur la participation à la division du travail. La perte de lien avec la société est consubstantielle à la perte de travail qui peut être due aux « crises industrielles ou commerciales, (aux) faillites qui sont autant de ruptures partielles de la solidarité organique » (ibid. p. 344). La situation française actuelle a ceci de différent avec l’environnement socio-économique analysé par Émile Durkheim, que les ruptures sont de moins en moins partielles car la période de chômage est de plus en plus longue. Ceci étant, l’analyse reste d’actualité à plus d’un siècle d’écart. Être hors de la division du travail, c’est être privé d’un espace fondamental d’intégration.
5La création d’entreprise est un enjeu de poids pour la politique de l’emploi. En effet, les chômeurs ne représentent « que » 35 % des créateurs d’entreprise en 1998 (contre 43,7 % en 1994), le total chômeurs et inactifs représente un créateur sur deux cette année-là.
6Face à une difficulté d’obtention de crédits bancaires pour créer sa propre activité, se mettent en place, depuis quelques années, des initiatives qualifiées de finance solidaire, microfinance, ou encore finance de proximité (Vallat, 1998 et 1999a, Guérin et Vallat, 1999). Il s’agit, en fait, de permettre à des personnes exclues du système bancaire de créer leur propre emploi, à travers la mise en place de prêts, de fonds de garanties, ou encore de prises de participation. Les interventions financières sont de faible montant, ce qui justifie le terme de microfinance. En l’absence de garanties réelles, elles reposent nécessairement sur une certaine solidarité qui consiste à établir des partenariats de proximité autour du créateur en mobilisant organisme de conseil, organisme prêteur, collectivités locales, etc.
7Ce n’est véritablement qu’à partir de la décennie 1980 que la question de l’emploi se pose avec force. Dès lors dans toute l’Europe des initiatives visant à utiliser le crédit pour lutter contre le chômage voient le jour. Pour pallier les défaillances du système bancaire traditionnel qui, à l’instar de ce qui se passait un siècle plus tôt, rechigne à prêter à des personnes en situation de précarité, un grand nombre d’organismes de crédit pour les personnes défavorisées sont créés [4].
Quelle dimension solidaire ?
8Dans leur optique, le crédit n’est pas perçu comme un instrument purement économique susceptible d’enrichir le propriétaire du capital. Créanciers et débiteurs n’ont pas des préoccupations divergentes. Ils partagent un objectif commun, la lutte contre le chômage et la précarité. Les liens créanciers-débiteurs, les rapports de dette-crédit (autrement dit, la finance) sont fondés non sur une recherche de profit mais sur la réciprocité, sur le désir de renforcer la cohérence du groupe. En effet, « la conception de l’activité économique à partir d’une impulsion réciprocitaire peut permettre à celle-ci d’être fondée sur le sens qui lui est donné par les participants et par là même de favoriser des dynamiques de socialisation » (Laville, 1994, p. 74) [5].
9Le crédit est le moyen d’organiser la réciprocité. Contrairement à la subvention ou à la charité, le crédit implique un remboursement. Les cocontractants sont sur un même pied d’égalité (alors que la charité stigmatise). Nous trouvons ici les bases de la théorie du don de Marcel Mauss. Le don est, comme l’a analysé Marcel Mauss, un des fondements du lien social car la triple obligation de donner, recevoir et rendre entretient des liens de dépendance entre les différents membres d’un groupe. C’est cette réciprocité organisée qui densifie les relations sociales. La triple obligation de donner, recevoir et rendre est perçue comme la condition d’un bon fonctionnement du groupe, comme une assurance de densification des liens. Le lien qui permet de vivre en société est ainsi la réciprocité : « L’individu ou le clan considéré globalement, s’intègre à un échange circulaire qui le dispose à la fois comme obligé et obligeant, et passe à travers lui comme un flux continu de forces qui le qualifient différemment sans jamais cesser de l’affecter, sous la forme de droits et de devoirs symétriques et contradictoires. » (Karsenti, 1994, p. 41).
10Le crédit peut être pensé dans une perspective marchande auquel cas une fois le contrat de crédit signé les relations entre les cocontractants prennent fin. En revanche, le crédit peut être pensé dans la perspective maussienne de réciprocité où les participants ont des devoirs réciproques qui vont les pousser à collaborer. L’emprunteur qui est aussi le créateur d’entreprise a, bien entendu, l’obligation de rembourser. Le prêteur a pour sa part une responsabilité forte. Il a permis le financement d’un projet de création d’entreprise par un chômeur ; il doit épauler le développement de ce projet sous peine de risquer une faillite donc une situation pire que la condition initiale puisque dans ce cas la personne est encore au chômage et, qui plus est, son projet d’entreprise (qui est aussi un projet de vie) a été invalidé.
11Les organismes financiers qui luttent contre la pauvreté par le crédit fonctionnent à partir de principes réciprocitaires. Ils visent à réintégrer dans le groupe (qu’il soit national ou communautaire) les membres qui en étaient exclus, du fait d’une situation précaire. De la sorte il est possible de qualifier l’activité de ces organismes de finance solidaire. Pour les exclus, accéder au crédit est le premier pas vers une resocialisation dans le groupe de référence. Ces dispositifs de finance solidaire consistent à favoriser la création de leur propre emploi par les personnes en voie de marginalisation. Il s’agit donc de coupler le crédit avec un accompagnement à la création d’entreprise, dispositif permettant de viabiliser le projet.
12La démarche réciprocitaire mise en œuvre par ces organismes est elle-même partie intégrante du processus de resocialisation. Pour autant s’en tenir à un objectif de lutte contre le chômage tend à passer sous silence un cadre fondamental de discussion de telles initiatives, la dimension politique. Les actions en matière de finance solidaire doivent être questionnées dans un cadre politique sous peine de finalement se révéler comme de simples palliatifs au chômage [6].
Quelle dimension politique pour les actions de la finance solidaire ?
13Il n’est pas certain que le projet politique derrière ces initiatives soit tout à fait clair. C’est pourquoi il convient de se doter d’un cadre qui pourra faire office de cote pour en mesurer les impacts. La pauvreté, l’exclusion peuvent être lus comme des phénomènes qui nient les libertés des individus pour peu que l’on se donne une définition extensive de la liberté. Une démocratie garantie les libertés civiles et politiques des individus ; ces libertés ne sont pas menacées a priori par la pauvreté. Pourtant il est avéré que les populations fragiles souffrent de nombreux handicaps, y compris en France : être au chômage ne facilite pas l’accès au logement, à des soins de qualité, aux loisirs, etc. Outre cet accès limité pour cause de revenus insuffisants, le chômage et la pauvreté ont des conséquences insoupçonnées : un chômeur a une probabilité moindre de former un couple ; il a aussi une probabilité de décès 2,3 fois plus forte qu’un actif [7]. N’est-t-on pas confronté ici à des atteintes à la liberté : liberté de se loger, de se soigner, de se divertir, ou tout simplement de vivre longtemps ? C’est le constat que fait Amartya Sen, Prix Nobel d’Économie en 1998 [8]. Amartya Sen distingue deux formes de liberté, négative et positive. Les libertés négatives correspondent aux bornes tracées par la loi et peuvent se résumer par la question suivante : qu’ai-je le droit de faire ? (symétriquement qu’est-ce qui m’est interdit ?). Ainsi un chômeur de longue durée a parfaitement le droit de créer son entreprise. Créer son activité permet d’obtenir non seulement un revenu mais aussi un statut social, une « identité au travail ». Pour autant est-ce que la personne a véritablement les moyens de mener son projet à bien ? Il lui manque des connaissances juridiques, comptables, marketing. Comment trouver des financements ? Auprès de qui s’adresser pour faire son business plan ? Où trouver un local ? Peut-on cumuler RMI et revenus de l’activité ? Telles sont des questions qui ne trouvent pas forcément de réponses ; ceci suppose déjà que la personne ait la capacité de se questionner à ce sujet, autrement dit qu’elle perçoive la création d’entreprise comme une opportunité réalisable.
14En s’intéressant non pas à ce que les gens ont le droit de faire mais à leur capacité d’action [9], on ne peut que constater que l’obtention d’un crédit bancaire, d’informations sur la création d’entreprise, l’accompagnement à la création d’entreprise sont du registre de la liberté positive. Les organismes de finance solidaire développent les capacités d’action des personnes y compris en montrant que la création d’entreprise n’est pas réservée à une élite mais est à la portée de tous. L’intervention des organismes de finance solidaire ne se justifie pas seulement face à une difficulté d’obtention de crédits bancaires pour les chômeurs créateurs d’entreprise. Adjoindre l’adjectif « solidaire » au terme de « finance » permet de préciser que la préoccupation principale des acteurs n’est pas, dans ce cas, la rentabilité économique mais plutôt des principes éthiques ou de solidarité. Dans cette perspective, la finance solidaire peut être perçue comme un continuum d’activités allant de l’accueil et du conseil aux porteurs de projet jusqu’au suivi de leur entreprise en passant par la collecte d’une épargne éthique et la phase de financement proprement dite par octroi de crédit ou prise de participation. Dans notre acception de la finance solidaire, celle-ci concerne l’ensemble des activités favorisant la création d’un projet par une personne en phase de marginalisation. Cela inclut, bien évidemment, les activités financières au sens strict (crédit, prise de participation) mais aussi le conseil, le suivi, la formation, l’accompagnement, autrement dit toute activité visant à étendre le champ des libertés positives des personnes en situation de marginalité désireuses de créer leur activité.
15Gardons-nous toutefois de ne donner qu’une vision idyllique du développement de ces libertés. « En parlant de liberté comme d’un mot asymétrique qui ne désignerait que les chaînes du passé sans parler des rattachements de l’avenir, les progressistes commettent une erreur aussi grossière que celle de leurs prétendus opposants. » (Latour, 2000, p. 193). Favoriser la création d’entreprise par les chômeurs ne doit en aucun cas être envisagé comme une fin en soi, sauf à ne considérer comme digne d’intérêt qu’une diminution du chiffre du chômage. Il ne faut pas oublier la qualité de ces micro-emplois nouvellement créés. Celle-ci passe par un revenu décent, des conditions de travail convenables, une protection sociale de plein droit. En France notamment, la création de micro-entreprises ne peut-elle être perçue comme un moyen de laisser de côté la législation sur le salaire minimum ? Bien sûr les micro-entrepreneurs ne sont pas des salariés, mais peut-on tolérer que, pour certains, leur rémunération soit largement inférieure au Salaire minimum interprofessionnel garanti ? N’y a-t-il pas là un risque de voir se constituer une classe d’entrepreneurs au rabais ? Ne percevant que des revenus peu élevés, ces personnes risquent de se situer à la marge de la protection sociale. Le risque est que la création d’une micro-entreprise coupe le lien avec la protection sociale, alors que la personne peut encore se situer, du fait de revenus très faibles, dans son champ d’application. Plus généralement, le risque inhérent aux initiatives de finance solidaire est que l’État reporte certaines de ses prérogatives de protection sociale sur les organismes de microcrédit : à eux, dès lors, de s’occuper des chômeurs.
16Le projet politique derrière les initiatives de finance solidaire est souvent bien plus précis qu’un vague désir altruiste de lutter contre le chômage. On quitte ici l’aspect individuel de la finance solidaire, puissant outil d’autonomisation et de libération des personnes, pour aborder la dimension collective de l’action. Les organismes de finance solidaire ne sont pas homogènes. Ils sont pourtant globalement répertoriés par les analystes dans le champ de l’insertion par l’économique. Il est vrai que la démarche de soutien à la création d’entreprise entre parfaitement dans ce cadre. Cette impression est renforcée lorsque ce discours s’enrichit de précisions techniques diverses du type : « nombre de personnes reçues par le dispositif », « nombre de personnes accompagnées », « nombre d’entreprises créées »,« nombres d’emplois créés »,« durée de vie des entreprises », etc. Ces indicateurs font perdre de vue les projets politiques sous-jacents à la création de nombreux de ces organismes. Si pour eux, la lutte contre le chômage est un objectif central, il se double fréquemment d’une ambition sous-jacente qui consiste à remettre l’homme au centre de l’économie. Ce projet aux résonances polanyiennes se décline de diverses façons. Ainsi les Clubs d’investissement pour une gestion alternative et locale de l’épargne (CIGALE) visent à « donner aux épargnants le moyen de prendre en main leur destin économique ». De même, lorsque les organismes de finance solidaire construisent des partenariats avec des banques de manière à débloquer des prêts à la création d’entreprise, les banques sollicitées, dans une très forte majorité, appartiennent au secteur de l’économie sociale.
17Les organismes de finance solidaire permettent, par le crédit, à des personnes en situation de marginalisation de retrouver une place dans la division du travail. Être partie prenante de la société ne signifie pas un accès de fait à l’espace public, c’est néanmoins un préalable indispensable. Certains organismes de finance solidaire mettent en avant un projet politique alternatif basé en premier lieu sur la prise en compte de la personne. Dans un grand nombre de ces organismes, le libéralisme triomphant est clairement identifié comme l’idéologie à combattre, et si l’action se situe au niveau de la lutte contre le chômage, la réflexion dépasse largement ce cadre. Cela reviendrait-il à considérer que la dimension politique des organismes de finance solidaire se réduirait simplement à une contestation du libéralisme ? Par leurs actions, ces organismes ont contribué à transformer la vie de nombreuses personnes : ils dépassent ainsi le simple discours contestataire. En ce sens ces organismes se situent dans la lignée d’une tradition ancienne faisant du crédit un instrument de changement social.
Pour conclure
18Si « [?] n peut passer d’un attachement à un autre, […] on ne peut pas passer de l’attaché au délié » (Latour, 2000, p. 199), ce qui induit de bien prendre conscience du nouvel attachement que l’on promeut. Dans une démocratie le chômage de masse, parce qu’il mène à l’exclusion, fragilise la cohésion sociale. Pour parvenir à limiter ce fléau, un moyen est justement de s’appuyer sur l’un des fondements de la société démocratique, l’idée de liberté. L’exclusion est un déni de liberté : par conséquent plus de liberté devrait contribuer à lutter contre ce phénomène. En favorisant les capacités d’action des personnes en situation de marginalisation, on leur permet de retrouver progressivement la place qui est la leur dans la société. Les organismes de finance solidaire mettent en œuvre une liberté instrumentale (à travers le développement de libertés positives) qui a pour objet, in fine, de renforcer les libertés substantielles (liberté de vivre vieux, de se distraire, d’être en bonne santé, etc.) des personnes marginalisées. La création d’entreprise est ici le vecteur de ce développement des libertés substantielles. Promouvoir l’autonomie des personnes ne doit pas se faire au détriment de la protection étatique que tout citoyen est en droit d’attendre. Pourquoi toujours vouloir opposer État (solidarité) et Marché (économie) alors que l’un et l’autre ne fonctionnent correctement que dans la complémentarité (Polanyi, 1983) ? La création d’entreprise est bien pensée, ici, comme un instrument mis au service des personnes par le biais d’associations de soutiens, non pas dans la perspective de mettre les gens au travail mais de leur redonner une place pleine et entière dans la société. Les dispositifs de soutien qui entrent en jeu dans ces processus de création d’entreprise apportent plus que des conseils. En développant l’autonomie des personnes ils redonnent des capacités d’action et d’expression mises en sommeil par le chômage. Bien entendu, citoyenneté ne peut se résumer au fait d’exercer une profession, pourtant c’est parfois une condition suffisante. À l’inverse, il est sûr que le chômage parce qu’il peut mener à l’exclusion est une menace pour la démocratie.
Notes
-
[1]
Discours de François Mitterrand à Lille le 29 avril 1988, cité par Michel Raymond, 1997.
-
[2]
Insee, Économie et statistiques, n° 335, décembre 2000.
-
[3]
Le Monde, 24 novembre 2000.
-
[4]
Pour de plus amples informations sur ces organismes, voir Erwan Bothorel, 1997, Maria Nowak, 1994, ainsi que Jean-Michel Servet et David Vallat (éds), 1998 et 2001 et Jean-Michel Servet (dir.), 1999.
-
[5]
Voir également Jean-Louis Laville, 1999.
-
[6]
Il faut se méfier de toute instrumentalisation du « solidaire » qui tend à édulcorer la dimension politique, comme le souligne Jean-Louis Laville : « L’économie solidaire peut de la sorte revitaliser le lien politique et consolider le tissu social tout en créant des emplois mais elle ne saurait être instrumentalisée au profit de l’emploi, sans perdre de sa substance. Sa vocation n’est pas de devenir le remède contre le chômage. Elle est de proposer de nouvelles constructions politiques concernant les différents pôles de l’économie. » (Jean-Louis Laville, 1999, p. 177-178).
-
[7]
Le Monde, 28 novembre 2000.
-
[8]
Pour la suite du développement nous nous inspirons de Amartya Sen, [1987] 1993, 1999, [1999] 2000.
-
[9]
On emploie parfois dans ce sens le néologisme « capabilités » qui est une traduction littérale de capabilities signifiant capacités, aptitudes.