1Le commerce équitable est un système de solidarité concrète entre les consommateurs du Nord et les petits producteurs du Sud. Les acteurs du commerce équitable du Nord s’engagent à acheter aux producteurs du Sud leurs produits (produits artisanaux et matières premières) à un prix juste tenant compte des coûts réels de production, en limitant le plus possible les intermédiaires de la commercialisation, en assurant des relations de longue durée, en participant directement (préfinancement et conseil) à la mise en place de projets. Les producteurs du Sud s’engagent à organiser le travail de production de manière démocratique, en respectant des conditions environnementales et sociales, et à participer activement au développement au niveau local.
2Depuis trente ans, ces pratiques de commercialisation répondent à deux soucis conjoints : d’une part, le souci des producteurs du Sud d’être acteurs de leur propre développement et, d’autre part, le souci des consommateurs du Nord de pouvoir acheter des produits éthiques. Par la mise en commun de ces deux soucis une multiplicité d’acteurs mobilise, autour d’un projet commun, des pratiques d’action qui ont pour vocation de montrer la faisabilité et la viabilité d’une démarche commerciale répondant à des logiques attentives aux valeurs démocratiques, solidaires et de justice sociale, aussi bien au Nord qu’au Sud.
3Dans cet article nous essayerons de montrer quels sont les enjeux du commerce équitable à partir de son histoire, des acteurs qui y participent et des questionnements socio-économiques qu’il engendre. Nous décrierons ses limites et ses atouts en le situant dans le cadre plus large de la mondialisation économique. Et ce, pour comprendre jusqu’à quel point ce réseau nécessite une forte trame citoyenne internationale pour continuer à exister.
Historique et ampleur du phénomène : les acteurs et les critères
4L’histoire du commerce équitable commence en Hollande où, depuis 1959, une association catholique, Kerkrade, s’est spécialisée dans l’importation de produits en provenance des pays en développement, vendus par correspondance via les églises et les réseaux tiers-mondistes. Quelques années plus tard, des représentants des pays du Sud lancent un cri d’alarme à la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) de Genève en 1964 à l’égard des politiques d’aide au développement des pays du Nord. Ils sollicitent ces derniers pour qu’ils remplacent ces aides financières ponctuelles et de court terme par de réelles politiques commerciales avec les pays pauvres : « trade not aid ».
« Traid not aid »
5Sur ces idées initiales « fair trade », inspirées de la coopération pour le développement comme « acte quotidien » de solidarité, se sont ensuite greffées d’autres préoccupations portées par des mouvements proches : les environnementalistes et les mouvements pour les droits de l’homme. Les uns ont mis en avant l’attention pour l’impact environnemental et les cultures biologiques et les autres ont contribué à développer des dynamiques internes pour l’organisation du travail, le rôle des femmes, la démocratie… (Perna, 1998, p. 86).
6La première expérience hollandaise de vente directe de produits artisanaux du Sud a connu un grand succès. Dès 1973, après l’ouverture du premier World Shop en 1969 [1] dans la ville néerlandaise de Brekelen, le commerce s’élargit aux matières premières. Le café « Indio Solidaritätskaffe » est importé directement du Guatemala et ses ventes dépassent celles des articles artisanaux. Ces deux types de produits caractériseront par la suite le commerce équitable.
Les structures du commerce équitable : World Shop et centrales d’achat
7Dans 18 pays européens on trouve aujourd’hui plus de 3000 World Shop ou « magasins du monde », qui sont les points de distribution chargés de la vente des produits équitables et gérés par des bénévoles (30000 environ) ou, à un moindre degré, par des salariés. La spécificité des World Shop est que, outre des points de vente, ils sont des lieux privilégiés d’information et de sensibilisation : à la différence des autres produits, les produits du commerce équitable affichent leur origine (modes et lieux de productions) ainsi que le parcours fait jusqu’au consommateur du Nord.
8L’importation au Nord des produits du fair trade est assurée par de multiples centrales du commerce équitable (ATOs – Alternative Trading Organisations). Les ATOs collaborent directement avec les producteurs du Sud, pour le montage des projets, pour la mise en place des productions, pour la création de ponts avec le Nord, en informant les producteurs sur le fonctionnement des marchés internationaux et les consommateurs sur les évolutions des projets locaux. Les centrales s’occupent du suivi des contacts de longue durée avec les producteurs (études de marché, améliorations des productions, évaluation des projets de développement…), vérifient ponctuellement de part et d’autre le respect des engagements sociaux et environnementaux. En Europe il y a plus de 100 centrales d’achat, dont les douze principales sont réunies dans l’European Fair Trade Association – EFTA, créée en 1990 et basée à Maastricht. L’EFTA permet l’importation de produits provenant de 800 groupes de producteurs du Sud issus de 45 pays différents dans le Sud, représentant 800000 familles de producteurs, soit à peu près 5 millions de personnes [2].
Les labels, pour une nouvelle approche du commerce équitable
9Depuis les années 1980, certains acteurs du commerce équitable cherchent de nouveaux débouchés pour les produits équitables, répondant ainsi à la demande de certains producteurs du Sud, soucieux d’élargir leur vente au-delà du réseau des « magasins du monde ». Pendant la même période, les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles aux problèmes de l’environnement et aux conditions de production dans les pays en développement.
10Compte tenu de ces nouvelles préoccupations citoyennes et de l’envergure prise par le mouvement du commerce équitable, une réflexion est enclenchée sur la nécessité d’élargir autant que possible la distribution des produits du commerce équitable et de les mettre à la disposition de tous les consommateurs – du militant au simple citoyen – par le biais de la grande distribution. C’est ainsi que naît, en 1988, aux Pays-Bas, le premier label des produits du commerce équitable : Max Havelaar (1990 en Belgique, 1992 en Suisse et France), TransFair en 1993, FairTrade depuis 1994 en Angleterre [3]. Les organisations qui octroient des labels garantissent des relations de long terme entre les producteurs et les distributeurs du Nord, comme le font les centrales d’achat.
11Les organisations constituent un cahier des charges er imposent le paiement d’une redevance aux importateurs du Nord qui veulent apposer le label fair trade sur leurs produits. Les produits ainsi labellisés peuvent être vendus dans les grandes surfaces. Les produits du commerce équitable sont disponibles, grâce aux labels, dans 70000 points de vente en Europe, parmi lesquels 50 des principales chaînes de la grande distribution et 33000 supermarchés de moyenne dimension [4].
12La Plate-forme du commerce équitable [5], en France, est un exemple d’un travail conjoint promouvant des actions convergentes pour plus de justice dans les relations commerciales entre Nord et Sud, malgré des méthodologies de travail différentes entre ses membres. Il s’agit en effet d’initiatives citoyennes ayant pour but d’élargir leurs préoccupations sociétales au plus grand nombre de consommateurs.
Les critères et les règles communes : garde-fous de l’unité du mouvement
13Pour affirmer et préserver l’unité du mouvement, des règles précises régissent la production, la distribution et la commercialisation (labellisation et vente) des produits du Sud. Tous les acteurs, au Nord comme au Sud, s’engagent à respecter les critères établis, pour permettre la durabilité de cette expérience [6].
14En ce qui concerne les critères de sélection des producteurs du commerce équitable, les référents locaux sont, en général, les coopératives de travailleurs, les associations, des groupes familiaux ou communautaires, des ONG. Très souvent, il s’agit de groupes de femmes ou de sujets socialement exclus, comme les handicapés. Leur dimension est variable, des groupes avec des milliers de travailleurs et des usines avec une dizaine d’ouvriers jusqu’aux petits groupes de femmes qui travaillent dans leurs maisons (Cies et Coop, 2000, p. 29). Ils s’engagent à mettre en place une organisation du travail, au sein de chaque unité de production, qui se fonde sur le respect de conditions démocratiques de participation aux décisions concernant la production, la destination des gains et le montage des projets locaux. Dans cette même logique, les décisions qui concernent les changements des productions doivent être examinées par l’assemblée des travailleurs et en accord avec les principes du commerce équitable.
15Pour ce qui est des centrales d’achat du commerce équitable, elles s’engagent à renverser la logique de l’échange inégal et introduisent, à cette fin, une variable éthique pour la définition du prix. Il leur est assuré, par le biais de calculs précis et affichés, ce que l’on appelle le Fair Trade Premium, c’est-à-dire un plus que le commerce équitable paie sur le prix d’origine des produits pour donner aux producteurs et à leurs familles de quoi vivre au-dessus du seuil de pauvreté et de quoi réinvestir pour le bien de la communauté : de meilleures rémunérations aux producteurs, des marges pour des projets solidaires – services sociaux, écoles [7] – des marges pour améliorer la production selon des clauses environnementales et sociales.
16Le système de commercialisation respecte, également, des modalités de vente que l’on retrouve dans l’ensemble des organismes engagés à cet effet. Tous les produits vendus sont des produits-projets (Irer, 1997, p. 31). Cela correspond à un souci de transparence, mais aussi à la volonté de raconter l’histoire de chaque produit et de ses producteurs. Les opérateurs des « magasins du monde » ont, dans ce but, un rôle majeur. Ils sont le dernier intermédiaire entre le produit et le consommateur et ils ont donc la responsabilité de faire jouer au produit un rôle d’ambassadeur entre le Sud et le Nord du monde.
L’amorce d’un espace public international générateur de changements concrets
L’achat comme acte citoyen
17Les pratiques du commerce équitable participent à la définition d’un espace public international autour des questions de la consommation et des modes d’organisation du commerce. La progression du commerce équitable dans la dernière décennie est due à l’essor d’une consommation plus critique et engagée. Elle intègre le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un acte pour les autres, mais avec les autres acteurs : les opérateurs des magasins, les importateurs, les membres adhérents aux associations de support, les animateurs des campagnes de sensibilisations, les bénévoles, les producteurs avec leurs familles et communautés d’appartenance, enfin les consommateurs.
18Chacune de ces parties contribue à un changement sur le long terme. L’impact de ce type de commerce est modeste sur le plan quantitatif, son chiffre d’affaires annuel en Europe, pour la vente au détail, de plus de 200 millions d’Euros et un taux annuel moyen de croissance de 5 % [8]. Mais il est aussi qualitatif : selon le rapport d’EFTA, au Royaume-Uni, 86 % des consommateurs connaissent le commerce équitable, 84 % en Suède, en Belgique 62 % et aux Pays-Bas 66 %. L’intérêt que les consommateurs portent aux questions éthiques qui sont liées au commerce équitable a une grande importance, car leurs conséquences s’étendent bien au-delà des produits équitables. Cela génère chez le consommateur une prise de conscience de la capacité dont il dispose pour faire pression sur les agents du commerce international et pour peser sur leurs choix de production, de distribution et de vente. Il constate qu’il est possible pour le fair trade de commercer de manière viable, tout en respectant des règles éthiques. Il ne s’agit pas seulement de la reconnaissance des droits sociaux pour les populations du Sud, mais aussi des règles pour la sauvegarde de l’environnement.
L’impact sur le marché conventionnel
19D’ailleurs, les multinationales commencent à faire des efforts pour intégrer des clauses sociales et environnementales. Er ce, sauf quelques cas isolés, non par réel souci d’équité mais pour satisfaire les exigences éthiques des consommateurs, éveillés par l’impact des campagnes de sensibilisation. Aux États-Unis des entreprises comme Nike ou Coca-Cola ont été sérieusement déstabilisées par la pression des consommateurs sur leurs politiques sociales au sein de leur entreprise et chez leurs sous-traitants étrangers [9]. En France, même si la pression citoyenne reste peu présente, le groupe Auchan s’efforce d’appliquer des normes sociales minimales à ses achats dans les pays du Sud et collabore directement avec le collectif « De l’éthique sur l’étiquette [10] » pour la formation de ses acheteurs et pour le programme, démarré en 1999, d’audits sociaux. Dans le domaine de l’environnement, les groupes Accor et Vivendi se sont engagés à promouvoir une démarche de maîtrise des consommations à l’échelle mondiale (Duval, 2000 ; Benchetritt, 2000).
20Certes, ce n’est pas un impact direct du commerce équitable, mais les campagnes de sensibilisation ont contribué à donner aux consommateurs les instruments pout prendre acte de leur droit de revendication aussi bien auprès des grandes marques qu’à l’égard de certaines institutions nationales et internationales. Les campagnes de sensibilisation « Jubilé 2000 pour l’élimination de la dette », « De l’éthique sur l’étiquette », « Libère tes fringues », « Made in Dignity », ainsi que d’autres ont posé, aux citoyens et aux institutions, des questions négligées auparavant. L’information a joué, ainsi, un rôle fondamental de responsabilisation et a activé une très vaste zone de « résistance sociale » (Perna, 1998, p. 114-115). Une réalisation concrète de ce changement au niveau institutionnel est le pas franchi avec la Résolution A4-198/98, approuvée par le Parlement européen le 2 juillet 1998. Elle a le mérite de reconnaître au commerce équitable une place dans la politique de coopération au développement de l’Union européenne. Elle pourrait avoir un effet levier sur le commerce international par l’engagement direct de l’Union dans la mise en place d’actions communautaires visant au soutien du commerce équitable. Au niveau mondial, l’ONU en 1999 a lancé l’initiative « Global Compact » qui concerne 44 grandes entreprises, dont 4 Françaises. Elles s’engagent à respecter les droits de l’homme, ceux des travailleurs et de l’environnement, ainsi qu’à rendre compte de leurs efforts dans un rapport public annuel. À un échelon plus large, l’objectif est de réussir à porter un nouveau regard sur les échanges internationaux et d’aller encore un peu plus loin que la clause sociale de l’??? [11]. Enfin, des pas ont été faits au sein de beaucoup de parlements nationaux [12] et d’administrations locales qui ont choisi de consommer du café équitable, produit symbole de ce commerce.
L’impact sur le développement local au Sud
21Parallèlement à ces évolutions au Nord, certains pas sont franchis dans les pays du Sud, notamment en ce qui concerne les modes de production (organisation du travail à l’intérieur des entreprises de petite et moyenne taille, rôle de la femme et des personnes handicapées, salaires, travail des enfants, clauses environnementales, etc.), l’établissement des prix à la vente, la valorisation des cultures et traditions, le développement local. L’effet d’imitation est très important au niveau local, même si cela ne touche pas encore le niveau institutionnel. Certains producteurs, membres d’organisations adhérentes au commerce équitable, adaptent leurs modes de fonctionnement à ses critères, qu’ils ont définis avec les acteurs du Nord, et par ce biais améliorent leurs conditions de vie, ainsi que celles de leurs familles. Cela ne reste pas inaperçu au niveau communautaire. L’écart avec les rapports commerciaux usuels est à cet égard constatable pour tous ; rappelons que, dans le commerce international, lorsqu’un petit producteur accède aux marchés du Nord, le prix auquel sa production est achetée ne couvre pas toujours ses coûts réels et il touche une faible partie du prix auquel son produit sera vendu sur les marchés occidentaux [13]. De plus, les fluctuations constantes des prix des matières premières, dont les pays du Sud sont les principaux producteurs, et l’exploitation de la main d’œuvre engendrent des cercles vicieux. L’appauvrissement limite les pouvoirs de négociation des producteurs du Sud et détermine le sous-développement, par manque d’investissement local. Comme le rappelle Francesco Terreri [14] « Les producteurs ne gagnent pas beaucoup, non pas à cause des prix bas du marché, mais au contraire, les produits ont des prix bas car les producteurs sont très mal payés ».
22En général, les acquis sociaux observés dans les centres de productions au niveau local, concernent directement les travailleurs tout en apportant également des avantages à la communauté.
23Les travailleurs participent davantage à la gestion de l’entreprise, ils ont des responsabilités directement liées au bon fonctionnement de la production et au développement social de leur communauté. Ils ont, par ailleurs, des salaires plus convenables, ils sont plus syndiqués et les droits de la femme sont mieux respectés. Les acquis qu’ils représentent ne doivent cependant pas faire oublier les incertitudes pesant sur le devenir de ces expériences.
Les enjeux pour l’avenir
24Cet espace civique, qui relie les acteurs sociaux du Nord et du Sud, n’est pas à l’écart d’affrontements et de négociations en son sein. Cela démontre sa vitalité et la difficulté à mener une action en associant des partenaires aussi divers. Les acteurs, tout en étant liés par des objectifs communs et ayant tous choisi librement er volontairement de coopérer pour le changement de logiques commerciales inégalitaires, sont confrontés à la difficulté de garder une cohérence d’ensemble. Les questionnements se multiplient avec l’élargissement de cet espace varié et son essor.
Un espace public de confrontation
25Les circuits dans lesquels se place le commerce équitable sont bien évidemment internationaux, et entrent en relation directe avec les grands flux du commerce inrernational. À l’origine de ce choix, il y a une approche du développement s’appuyant sur le constat suivant : par le biais des échanges internationaux, se joue la croissance économique des pays du Nord comme du Sud. Des critiques sont formulées à cet égard. Pour certains ce n’est pas le commerce international qui produit des effets de développement mais plutôt l’activation locale de flux commerciaux autocentrés. Les impacts peuvent ainsi être visibles sur le long terme du fait d’un processus de détachement progressif de la dépendance à l’exportation et donc aux fluctuations et variations de la demande sur les marchés étrangers du Nord. Il faut, de ce fait, penser le commerce équitable non seulement comme commerce international mais aussi comme modèle de développement local : pour la restructuration des territoires, des cultures locales, de la protection de l’environnement. La coopération entamée, à juste titre, avec les producteurs du Sud, pourrait s’étendre aux communautés locales du Nord en mettant en synergie plusieurs dynamiques en faveur du développement : commerce équitable et soutenable, micro-crédit, promotion de micro-entreprises et de banques éthiques, innovation locale, partenariat avec les ONG, les entreprises sociales et les acteurs de l’économie solidaire en général. Cette approche n’est toutefois pas partagée par tout le monde ; elle provoque en particulier des réticences chez ceux qui conçoivent plutôt le commerce équitable dans une optique de coopération humanitaire avec les populations du Sud.
Entre militantisme et professionnalisation
26De la même manière, d’autres questions se posent par rapport aux possibles évolutions du mouvement. De nombreux acteurs du commerce équitable cherchent à maintenir une dimension associative et militante au mouvement. Ils sont très attentifs aux campagnes de sensibilisation et cherchent moins à se doter de modèles de commercialisation, pour toucher des publics plus larges. En revanche, d’autres souhaitent un renforcement du marketing, une image de marque commune, la professionnalisation des ventes, le contrôle strict de la qualité des produits ou des rapports plus directs avec la grande distribution. Ces controverses expliquent le développement plus ou moins large du fair trade au niveau national ou les différences entre « magasins du monde ». À l’heure actuelle, ces organisations ont des exigences difficiles à concilier. Elles doivent être attentives aux besoins des producteurs du Sud sans pour autant oublier les règles du marché, qui impliquent une adaptation forcée à certains paramètres commerciaux classiques. En effet, l’attrait et la fidélisation de possibles acheteurs passent par des campagnes de sensibilisation, des actions localisées au sein des magasins aussi bien que par des actions de marketing et gestion, des accommodations aux goûts des clients, des choix stricts en termes de partenariats et de projets.
27Des multiples positions, aussi justifiées les unes que les autres, témoignent de la difficulté à animer des démarches qui ont pour vocation de produire des changements tangibles. Des interrogations telles que : s’agit-il de permettre aux consommateurs d’acheter de manière critique des produits « socialement propres », ou, prioritairement, d’intervenir pour satisfaire les besoins de producteurs en les aidant à vendre leurs produits tout en respectant leur travail ? Comment répondre à la demande, d’une part, des consommateurs qui, une fois fidélisés au commerce équitable, demandent un choix plus large et varié de produits et, d’autre part, des producteurs qui exigent une meilleure promotion de leurs produits ? Comment respecter les traditions locales du Sud, l’authenticité des produits, la spécificité des modes locaux de production, sans nuire à la commercialisation à long terme sur les marchés du Nord ? Comment faire pour ne pas céder aux logiques mercantilistes tout en restant une alternative crédible ? Les différentes réponses possibles à ces questions sont l’expression, au sein du mouvement du commerce équitable, de l’existence de logiques d’action contrastées : plutôt commerciale, plutôt politique, plutôt militante, plutôt gestionnaire, etc.
28Ces confrontations internes nous paraissent nécessaires lorsque se dessinent plus clairement les enjeux majeurs de ce réseau civique international, rassembleur d’un ensemble d’acteurs aussi motivés les uns que les autres, à trouver des réponses respectueuses des exigences éthiques de tous, au Nord comme au Sud ; d’autant plus que le commerce équitable, qui représente encore une partie très faible des échanges commerciaux dans le monde, a des impacts sociétaux tangibles. Le débat public autour d’un commerce plus juste est à élargir. À l’heure où les déséquilibres engendrés par la mondialisation économique commencent à perturber l’ensemble de l’opinion publique, le commerce équitable a l’avantage de bénéficier d’un réseau d’acteurs mobilisés de part et d’autre du globe qui, par le biais de son action commerciale alternative, a réussi à s’approprier un rôle de dénonciation et de veille à l’échelle internationale.
Notes
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[1]
120 autres magasins du monde seront ouverts dans les deux ans qui suivent.
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[2]
L’EFTA représente environ 60 % des importations équitables en Europe.
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[3]
L’ensemble de ces organisations est réuni, depuis 1997, sous le nom de FLO (Fair trade Labelling Organisations), qui a son siège à Bonn, en Allemagne. La mise en place d’actions communes capables de donner une image unitaire aux groupes nationaux, en dépit des quelques divergences, est la raison pour laquelle, depuis 1993 déjà, la collaboration est réglementée formellement entre les trois organisations.
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[4]
En Suisse, 90 % des détaillants vendent des produits du commerce équitable, aux Pays-Bas environ 7000 supermarchés vendent des produits équitables et en Allemagne dans 25000 points de vente, hors « magasins du monde », l’on peut trouver ces produits.
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[5]
En janvier 1997, les acteurs du commerce équitable français commencent à se rencontrer pour arriver, en 1998, à donner une définition commune de celui-ci. En mentionnant des critères impératifs et des critères à atteindre. C’est ainsi qu’ils mettent en place la Plate-forme du commerce équitable française (Revue Peuples en marche, 1998).
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[6]
Les critères en détail : achat direct à des producteurs du Sud (en général des petits producteurs organisés sur base collective) ; établissement d’un registre des producteurs, respectant des critères de production écologiquement et socialement acceptables ; évaluations des projets de développement des producteurs ; préfinancement des producteurs pour couvrir les coûts de mise en place de la production et des projets de développement local ; action de support pour le développement des entreprises et des actions menées pat les producteurs grâce à des micro-financements ou des crédits ; paiement aux producteurs d’un prix équitable qui est fixé selon le coût des matières premières et de la production, conformément aux standards de vie locale et donc qui suffit à garantir un niveau de vie raisonnable ; limitation des intermédiaires qui engendrent des spéculations non justifiées ; maintien de relations commerciales durables avec les producteurs ; action d’information auprès des producteurs sur le fonctionnement du marché international des produits qui les concernent par le biais de bulletins périodiques d’information ; vente aux consommateurs à un prix, en moyenne, plus élevé que dans le marché traditionnel ; action d’information dans les « magasins du monde » auprès des consommateurs, sur toutes les actions du réseau du commerce équitable et de développement local ; organisation de campagnes de sensibilisation à grande échelle.
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[7]
Pré-investissement pour démarrer les activités pat le biais d’un crédit fait au moment de l’ordre.
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[8]
En Espagne, le chiffre d’affaires au détail a augmenté de 50 % entre 1995 et 1996 et a doublé de 1994 à 1996. Le taux de croissance en Italie est de plus de 10 % par an. En France il a également doublé entre 1994 à 1996 (EFTA, 1998).
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[9]
On fait référence ici aux cas de travail des enfants pour la production de chaussures Nike et aux discriminations faciales vis-à-vis des travailleurs noirs au sein de Coca-Cola, pour lesquels l’entreprise a payé une importante amende.
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[10]
Collectif qui veille au respect des entreprises à l’égard des droits sociaux et environnementaux.
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[11]
Conditions mises au libre accès des marchandises produites dans un pays sur les autres marchés, en particulier ceux des pays industrialisés : interdiction du travail des enfants et du travail forcé, droit de s’organiser en syndicats, de négocier des conventions collectives et non-discrimination en matière d’emplois (Alternatives Économiques, hors série n° 35, « Le bilan de la planète »).
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[12]
Le Parlement européen, le Congrès des États-Unis, le Parlement japonais et, depuis le mois de janvier 2000, le Parlement canadien. De plus, en Europe beaucoup d’administrations consomment du café équitable (Revue Altreconomia, avril 2000).
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[13]
Nous prenons l’exemple du café : 87 % du prix payé pour un paquet de café reste dans les circuits commerciaux du Nord, les 13 % restants retournent dans le Sud, à peu près 10 % pour les intermédiaires et seulement 3 ou 4 % pour les producteurs.
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[14]
In Revue Altreconomia, n° 5, novembre-décembre 1998.